Saint Jean Chrysostome

Homélie 14 sur saint Matthieu 

Lorsque Jésus eut appris que Jean avait été livré, il se retira dans la Galilée, » et la suite.

1. Pourquoi se retire-t-il de nouveau ? Pour nous apprendre à ne pas nous jeter de nous-mêmes dans les tentations, à les décliner plutôt par une fuite prudente. Ce n'est pas un crime, en effet, de ne pas affronter le péril; le crime, c'est de ne pas se comporter avec courage quand on s'y trouve engagé. Tout en nous donnant cette leçon, il cède un instant à la haine des Juifs; de plus, il réalise la prophétie par cette retraite à Capharnaüm; enfin, il va y pêcher ceux dont il veut faire les instituteurs du monde, puisque c'est dans cette contrée qu'ils exercent cet art de la pêche. Remarquez, je vous prie, comment en toute circonstance ce sont les Juifs qui lui fournissent l'occasion de se tourner vers les Gentils. En dressant des embûches à son précurseur, en le jetant en prison, ils poussent le Sauveur vers la Galilée des Gentils. Le prophète ne désigne pas la nation juive, mais encore toutes les tribus; voyez plutôt la précision de son langage: « La terre de Zabulon et la terre de Nephthali, la voie de la mer au delà du Jourdain, la Galilée des nations, un peuple assis dans les ténèbres, a vu se lever une grande clarté. » Isa, IX., 1-2. Il n'est pas évidemment question dans ce texte des ténèbres qui frappent les sens, mais bien de l'erreur et de l'impiété.

Aussi le prophète ajoute : « Aux habitants de cette région et des ombres de la mort, a brillé la lumière. » Pour qu'il ne vous fût pas possible de penser qu'il s'agit ici de lumière et de ténèbres sensibles, il ne dit pas simplement la lumière, c'est une grande lumière, qu'il appelle ailleurs la lumière vraie; il ne se borne pas non plus à parler des ténèbres, il parle aussi des ombres de la mort. Pour vous apprendre encore que ces hommes ne doivent pas leur bonheur à leurs propres recherches, et que Dieu leur est apparu d'en haut, il emploie cette expression :  Pour eux a brillé la lumière ; la lumière a rayonné sur leur tête, ils n'ont pas les premiers couru vers la lumière.

Situation du genre humain avant le Christ

A l'époque de l’avènement du Christ, le genre humain était au fond de l’abîme. Il ne marchait pas dans les ténèbres, il y était assis, il y était plongé; ce qui prouve qu'il avait perdu l'espoir d'en sortir : tel qu'un homme qui ne sait de quel côté diriger sa marche, il était assis, surpris par les ténèbres, n'ayant plus même la force de se tenir debout. « Jésus commença dès lors à prêcher et à dire : Faites pénitence; car le royaume des cieux est proche. » « Dès lors. » Quand donc ? Du moment où Jean eut été mis en prison. Pourquoi ne prêchait-il pas dès le principe, et quel besoin avait-il de l’existence de Jean, lorsque ses propres œuvres lui rendaient un éclatant témoignage ? C'est pour que vous connaissiez ainsi sa dignité, en voyant qu'il a ses prophètes comme le Père. Zacharie l'avait bien dit: « Et toi, mon enfant, tu seras appelé le prophète du Très-Haut. » Luc., I, 76. Il voulait aussi par là ne laisser aucune excuse à l'impudence des Juifs; ce que lui-même déclarait plus tard : « Jean est venu ne mangeant ni ne buvant, et ils disaient : Il est possédé du démon. Le Fils de l'homme est venu mangeant et buvant, et ils disent : Voilà un homme qui recherche les mets et le vin, ami des publicains et des pécheurs. Et de la sorte la sagesse a été justifiée par ses fils. » Matth., XI, 18-19. Il fallait d'ailleurs qu'un autre que lui fût le premier à la faire connaître.

Après tant de témoignages et de preuves sans réplique, on lui disait : « C'est toi qui rends témoignage de toi-même; ton témoignage n'est donc pas vrai; » Joan., VIII, 13; que n'aurait-on pas dit si Jean n'avait pas parlé en premier, si le Christ avait paru devant le peuple sans se faire annoncer, pour déclarer lui-même qui il était ? Voilà pourquoi il ne prêcha pas avant son précurseur et ne fit pas de miracles jusqu'au jour où celui-ci fut jeté dans les fers; la multitude ne devait pas ainsi se diviser. C'est encore pour cela que Jean n'opéra pas de prodiges, laissant à Jésus ce moyen d'agir sur le peuple et de l'attirer vers lui. La dispensation admirable de toute chose, soit avant, soit après l'incarcération de Jean, n'empêcha pas les disciples de ce dernier de manifester envers Jésus une certaine jalousie; beaucoup même pensaient encore que Jean était le Messie : que ne serait-il pas arrivé, si rien de tout cela ne s'était produit ?

Telle est donc la raison pour laquelle Matthieu nous apprend que Jésus commença à prêcher dans cette circonstance, et que sa première prédication fut la même que celle de Jean : on dirait qu'il ne veut pas encore parler de lui-même, et qu'il se borne à répéter ce que le précurseur avait dit. L'important était que cela fut d'abord admis, puisque le peuple n'avait pas encore de lui l'opinion qu'il devait en avoir.

2. C'est pour cette même raison qu'il s'abstient au début des sévères leçons que Jean ne leur avait pas épargnées; on ne voit là ni la hache, ni l'arbre coupé, ni le van, ni l'aire, ni les feux éternels : ce qu'il présente avant tout, c'est la douce image des biens à venir, et ce royaume qui nous est préparé dans les cieux. « En marchant le long de la mer de Galilée, il s aperçut deux frères, Simon, surnommé Pierre, et André, qui jetaient leurs filets à la mer; car ils étaient pêcheurs. Et il leur dit : Venez, suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d'hommes. Eux alors, laissant leurs filets, le suivirent. » Or Jean rapporte qu'ils furent appelés d'une autre façon; ce qui prouve seulement que c'est ici une seconde vocation, comme cela se rencontre souvent dans les Evangiles. Celle dont parle Jean avait eu lieu avant que le précurseur eut été mis en prison; tandis que celle-ci n'a lieu qu'après cet événement : dans l'une, Pierre est appelé par André; dans l'autre, les deux frères sont appelés à la fois. Voici comment s'exprime le premier Évangéliste : « Jésus voyant venir Simon, lui dit: Tu es Simon, fils de Jonas; tu t'appelleras désormais Céphas, ce qui signifie Pierre. » Joan., I, 42. Le second confirme ce récit, puisqu'il dit: « Voyant Simon, surnommé Pierre. » Le lieu dans lequel ils sont appelés confirme aussi notre interprétation; et de tels exemples sont encore assez nombreux. On comprend enfin par là pourquoi ils obéissent avec tant de promptitude, en renonçant à tout; c'est qu'ils ont déjà reçu des instructions qui les ont préparés à cette obéissance. Là André s'offre à nous entrant dans une maison et longuement instruit; ici les deux frères n'entendent qu'une parole et suivent aussitôt. Il est probable qu'après avoir suivi Jésus dès le principe ils s'étaient ensuite retirés, et qu'ils avaient repris leur état en voyant qu'on avait emprisonné Jean. C'est ainsi que le Sauveur les trouve occupés à la pêche. Quand ils avaient voulu d'abord s'éloigner, il ne les en avait pas empêchés; mais il ne les avait pas abandonnés pour toujours à cause de cet éloignement : il va les chercher une seconde fois, après qu'ils ont échappé de ses mains. L'art de la pêche ne saurait être plus admirablement pratiqué. 

Remarquez aussi leur foi et leur obéissance : au milieu même de leur travail, et vous savez combien la pêche exige concentration et combien elle vous captive, ils se rendent à son appel; ils ne diffèrent pas, ils ne se laissent pas aller à l'hésitation, ils ne répondent pas qu'ils vont rentrer chez eux pour parler à leurs proches; non, ils quittent tout et le suivent. C'est ainsi qu’Élisée s'était conduit envers Élie. Voilà l'obéissance que le Christ Notre-Seigneur réclame de nous; il n'admet pas un instant de retard, en dépit des plus grands obstacles et des plus pressantes nécessités. Quelqu'un venant à lui, mais lui demandant le temps d'ensevelir son père, il n'y consentit pas, afin de mieux nous apprendre que le devoir de le suivre est le premier de tous. Si vous me dites qu’il leur était fait une bien grande promesse, je vous répondrai que c'est à cause de cela surtout que je les admire. Oui, je les admire d'ajouter foi à une pareille promesse, sans avoir encore vu de miracle s'accomplir, de renoncer à tout pour s'attacher au Christ. Ils croient donc que ces mêmes paroles par lesquelles ils sont pris, leur serviront à prendre les autres. Jésus le leur avait promis; tandis qu'il ne promit rien de semblable à Jacques et à Jean. C'est que l'obéissance des uns avait préparé la voie aux autres ; et de plus ces derniers avaient beaucoup entendu parler de lui. Maintenant voyez quel soin l'historien met à nous faire connaître leur pauvreté. Il les trouva, comme il le précise, préparant leurs filets. Leur indigence était donc telle qu’il leur fallait réparer leurs vieux instruments de pêche et qu'ils ne pouvaient pas en acheter de nouveaux.

Déjà, ce n'est pas une légère preuve de vertu de supporter aussi facilement la pauvreté, de ne devoir qu’au travail sa subsistance, de donner l'exemple d'une mutuelle affection, d'avoir avec soi son père et de le servir. Après qu'il les eut pris dans son divin filet, il opéra devant eux des miracles confirmant ainsi ce que Jean avait dit de lui. Il se rendait incessamment dans les synagogues, enseignant aux Juifs qu'il n'était pas un ennemi de Dieu, un séducteur, et qu'il était venu du consentement de son Père. Il ne se contentait pas de prêcher dans les lieux qu’il parcourait, il faisait encore des miracles pour appuyer son enseignement.

3. Partout où se produit une chose insolite et inattendue, quand il s'agit d'introduire un nouveau genre de vie, Dieu fait éclater des prodiges, et donne sa puissance comme garant des lois qu'il impose. Avant de former l'homme, il avait créé l'univers, et c'est alors qu'il lui donna sa loi dans le paradis. Sur le point d'imposer encore ses préceptes à Noé, il accomplit les plus grandes merveilles, dont le but était la restauration de son œuvre, il déchaîna cet épouvantable cataclysme qui ne devait pas durer moins d'un an, et par sa puissance il sauva le juste de la fureur des éléments. Il se manifesta plus tard de la même manière en faveur d'Abraham, par la victoire qui lui fit remporter, par la plaie dont il frappa Pharaon, par sa constante protection dans les dangers. Plus tard encore, au moment de donner ses lois aux Juifs, il opéra les merveilles et les étonnants prodiges que nous connaissons : tel fut le prodrome de sa législation. De même, à l'heure présente, quand il va traçant aux hommes un plan de vie sublime, et leur enseignant une doctrine qu'ils n'ont jamais entendue, il donne à sa parole le ferme appui du miracle. Comme le royaume qu'il vient annoncer ne tombe pas sous les sens, il rend visible par des signes extérieurs ce qui de sa nature est invisible. Remarquez avec quel soin l’Évangéliste évite les paroles superflues : au lieu d’énumérer en détail toutes les guérisons accomplies, il embrasse une foule de signes dans quelques mots rapides et courts. Voyez comme il s'exprime: « On lui présenta tous ceux qui étaient atteints de diverses maladies, tous ceux qui souffraient, les possédés du démon, les épileptiques, les paralytiques, et il les guérit. »

On demande ici pourquoi Jésus n'exige d'aucun d'eux un acte de foi. Il ne tient pas, en effet, le langage qu'il tiendra dans la suite : Croyez-vous que je puisse vous accorder ce bienfait ? Mais cela se comprend, il n'a pas encore donné des preuves de sa puissance. En venant à lui, d'ailleurs, ou bien en lui présentant les malades, on faisait un acte de foi non équivoque. Parfois on venait même de loin pour demander la guérison ; ce qui n'aurait pas eu lieu sans une conviction préalable de la grandeur de son pouvoir. Et nous aussi, marchons à sa suite; car notre âme est sujette à bien des maladies, et ce sont celles-là qu'il veut surtout guérir. Il ne guérit même les maux du corps que pour arriver à détruire ceux de l'âme. Allons donc à lui ; mais ne demandons rien de terrestre, demandons seulement la rémission de nos péchés; il l'accorde aujourd’hui comme autrefois, si nous sommes animés d'un désir sincère. Sa réputation s'étendit alors dans la Syrie, elle remplit aujourd’hui le monde. Les hommes accouraient, en apprenant qu'il délivrait les démoniaques : et vous, à qui son pouvoir s'est révélé par des effets bien supérieurs, par une tout autre expérience, vous ne vous levez pas, vous n'accourez pas !

Eux quittèrent leur patrie, leurs amis et leurs proches: et vous n'avez pas même le courage de sortir de votre maison, pour venir le trouver et recevoir des biens beaucoup plus précieux ? Mais nous ne le demandons pas même de vous; quittez seulement vos mauvaises habitudes, et vous pourrez facilement vous sauver tout en demeurant chez vous, au milieu des vôtres. Quand nous avons une maladie corporelle, il n est rien que nous ne fassions, aucun moyen que nous ne mettions en œuvre pour nous en délivrer : notre âme est malade, et nous restons dans l'inaction, nous nous tenons à l'écart. Aussi ne sommes-nous pas même délivrés des maux corporels; et cela, parce que nous faisons peu de cas des choses nécessaires, regardant comme nécessaire ce qui n'a pas d'importance pour nous : nous oublions la source empoisonnée de nos maux, pour chercher à purifier les ruisseaux. Or, que la corruption de l’âme soit la cause des maladies du corps, cet homme paralytique depuis trente-huit ans, cet autre qu'on fit descendre par un toit, et l'exemple aussi de Caïn vous le démontrent; il est aisé du reste de trouver ailleurs des preuves de cette vérité. Ôtons la source, et les ruisseaux seront bientôt à sec. Ce n'est pas la paralysie seule qui est un mal, c'est encore le péché; et ce dernier mal est d'autant plus grand, que l’âme l'emporte sur le corps.

Je le répète donc, allons maintenant encore à Jésus, et prions-le de raffermir notre âme, qui tombe en dissolution; laissant de côté tous les intérêts matériels, n'ayons en vue que les choses spirituelles. Vous pourrez vous occuper de ceux-là, quand vous serez en possession de celles-ci. Si vous ne sentez aucune peine pendant que vous vivez dans le péché, ne vous en félicitez pas; gémissez plutôt de ce que le péché vous laisse insensible ; car cette insensibilité provient de la longue habitude que votre âme a contractée, et non de ce que le mal n'aurait plus rien d'amer et de corrosif. Songez à ceux qui ont conservé cette heureuse sensibilité de l'âme à l'endroit de leurs péchés: ils poussent de plus profonds soupirs que les malades dont on traite les plaies par le fer et le feu; il n'est rien qu'ils ne fassent ou n'endurent, ils pleurent et gémissent incessamment, pour être délivrés du tourment d'une mauvaise conscience; démonstrations auxquelles ils ne se livreraient pas, si leur cœur n'était profondément affecté.

4. Mieux vaudrait sans doute ne jamais pécher; mais le mieux après, c'est de sentir ses péchés et de s'en corriger. Si ce sentiment nous manque, comment pouvons-nous prier Dieu et lui demander la rémission des péchés dont nous ne tenons aucun compte ! Quoi ? Vous-mêmes qui vous êtes rendu coupable vous ne voulez pas savoir quel est votre état, vous fermez obstinément les yeux sur les péchés commis ; comment pourrez-vous demander à Dieu qu’il vous les pardonne et comprendre la grandeur de ce bienfait ? Avouez donc vos péchés en détail, afin de savoir quelles sont les offenses dont vous recevez le pardon, et de témoigner ainsi votre reconnaissance à votre bienfaiteur. Quand il vous est arrivé d'offenser un homme, vous priez les amis et les voisins d'intervenir en votre faveur, vous tâchez même d'intéresser le gardien de sa porte, vous n'épargnez ni le temps ni l'argent pour rentrer dans ses bonnes grâces, ses répulsions ne vous découragent pas; quelque multipliées qu'elles puissent être, elles ne font que redoubler vos sollicitations, accroître l'ardeur de vos prières; et, lorsque nous avons offensé le Dieu de l'univers, nous restons dans l'inaction et la négligence, nous ne retranchons rien de nos plaisirs, rien n'est changé dans nos habitudes Quand est-ce donc que nous pourrons l'apaiser ?

Ne travaillons-nous pas plutôt à l'irriter toujours davantage ? Notre insensibilité dans le péché est plus faite pour exciter son courroux que le péché lui-même. Nous devrions nous cacher dans le sein de la terre, ne plus regarder la face du soleil, ni même respirer en quelque sorte, lorsque, ayant un Maître si miséricordieux, non-seulement nous l'offensons, mais ne savons pas encore nous repentir de nos offenses; et nous n'ignorons pas cependant que, même dans sa colère, il n'a pour nous ni colère ni aversion, et que sa colère elle-même n'a d'autre but que de nous ramener à lui. S'il ne faisait pas attention à vos outrages et continuait à vous accorder son amour, vous le mépriseriez bien plus encore. De peur qu'il n'en soit ainsi, il détourne pour un temps sa face, ne négligeant aucun moyen de s'emparer de votre cœur.

Ayons donc confiance en sa bonté, donnons-lui les preuves d'un repentir sincère, avant que vienne le jour où notre repentir serait complètement stérile. Tout dépend maintenant de nous; mais alors ce sera le Juge seul qui disposera de notre éternelle destinée. « Prévenons-le, ils avouons nos péchés en sa présence, » Psalm. XCIV, 2, pleurons et gémissons. Si nous pouvons apaiser le Juge avant ce grand jour, si nous obtenons qu'il nous pardonne nos iniquités, nous n'aurons plus rien à craindre; mais si nous persistons dans le mal, nous serons traduits devant le tribunal suprême, sous les yeux du monde entier, et nul espoir de pardon ne nous restera plus alors. Non, aucun de ceux qui seront là présents et qui n'auront pas expié leurs péchés, ne pourra se dérober au supplice: comme on voit ici-bas des prisonniers chargés de chaînes passer de la prison au tribunal, ainsi toutes les âmes qui auront quitté la terre chargées des lourdes chaînes de leurs iniquités, seront conduites à la barre du souverain Juge. En effet, la vie présente ne diffère en rien d'une prison : la prison nous apparaît peuplée d'hommes qui succombent sous le poids de leurs fers; et de même si nous pénétrons dans l'intérieur de la vie, en rejetant loin de nous le vain appareil des choses terrestres, nous y verrons des âmes portant des fers encore plus cruels. C'est ce qui vous frappera surtout si vous pénétrez dans l'âme des riches ; car plus ils ont de possessions, plus ils ont de liens. L'aspect d'un prisonnier vous touche d'autant plus qu'il est plus entravé de chaînes aux mains, aux pieds, autour du corps: lorsque vous apercevez , également un riche entouré de mille sollicitudes, regardez-le comme un homme malheureux, et non comme un riche; car non seulement il traîne des fers, mais encore il porte en lui un impitoyable geôlier, son amour désordonné des richesses, qui ne lui permet pas de sortir de son de cachot, et ne cesse de multiplier autour de lui les entraves et les gardes, les portes et les verrous, l'enfonçant toujours plus avant dans cette sombre demeure, et lui persuadant encore que son bonheur est dans une telle captivité, de telle sorte qu'il ne puisse plus avoir la pensée d'échapper un jour à tant de maux réunis. Si vous allez plus loin, s'il vous est donné de voir à nu cette âme, elle vous apparaîtra chargée, non de fers seulement, mais encore de haillons, de pourriture et de vermine. Tels sont, en effet, les plaisirs des sens; ils sont même plus hideux, ils ruinent les corps en même temps que l'àme, ils accablent l'un et l'autre d'innombrables plaies. Pour toutes ces raisons, conjurons le Rédempteur de nos âmes de briser nos liens, de repousser loin de nous l’impitoyable geôlier, de nous dégager du poids de nos chaînes, de donner à notre âme un puissant essor vers le ciel.

Mais, pendant que nous le prierons, faisons ce qui dépendra de nous, montrons du zèle, de l'ardeur et de l'énergie. Par là nous échapperons en peu de temps aux maux qui nous assiègent, nous verrons en quel état nous étions, et nous aurons reconquis notre liberté. 

Puissions-nous tous la recevoir en partage, par la grâce et l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire et puissance, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.