La Transfiguration

Jacques Baudeau

Un jour, le Seigneur prit avec lui trois Disciples : Pierre, Jacques et Jean, et les mena à l'écart sur une haute montagne, où il fut transfiguré en leur présence.

Cette haute montagne qui, du sein de la plaine d'Esdrelon, élève sa tête arrondie comme un globe, est le Tabor. Ses flancs dénudés et rocailleux sont couverts, çà et là, de maigres touffes de bruyère ; mais vers le sommet, la végétation s'accroît, les broussailles s'épaississent, c'est alors une vraie forêt de chênes verts et d'abgars.

Le pèlerin qui escalade aujourd'hui ce sommet par des sentiers pierreux d'une raideur inouïe, jouit à mesure qu'il s'élève, d'une vue incomparable et d'un horizon sans fin. Ce piédestal de la gloire du Christ semble avoir gardé un reflet de sa beauté souveraine, et de fait Tabor signifie « Lit de lumière ».

Le grand Hermon, couvert de neiges éternelles, s'élève dans l'azur limpide, rompant la ligne fuyante de l’Anti-Liban. Plus près, c'est le mont des Béatitudes qui dresse sa pointe déchirée au-dessus du lac de Tibériade. Vers l'Occident, le Carmel, comme une harpe céleste, s'allonge au bord de la Méditerranée. Si le pèlerin s'oriente vers Jérusalem, invisible encore, il voit onduler à ses pieds les collines de Samarie entre coupées de plaines fertiles, de même qu'on voit de magnifiques jardins s'étaler aux abords d'un palais. Puis, perdu dans le vague des lointains, l'œil distingue le sillon du Jourdain, courant tout le long des montagnes d'Arabie.

En peu de temps, le pèlerin arrive sur un petit plateau à ciel ouvert, devenu aujourd'hui un vrai champ de ruines ; ce sont les débris d'une ancienne église, bâtie en l'honneur de la Transfiguration de Notre Seigneur par les Croisés. Au milieu des débris amoncelés, s'élève une croix de pierre qui domine un autel rustique, sur lequel on célèbre le Saint Sacrifice de la Messe ; c'est le lieu même, marqué par la tradition, où Jésus-Christ se transfigura.

Assistons, ô Pèlerin, par la pensée à cette scène auguste et glorieuse. À genoux auprès de cette croix de pierre, méditons l'Évangile de ce jour. Voici le Seigneur debout au milieu de ses trois Disciples ; soudain la gloire de Dieu l'environne : « Ses habits, dit saint Marc, paraissent tout brillants de lumière et blancs comme la neige, en sorte qu'il n'y a point de foulon sur terre qui puisse en faire d'aussi blancs. Au même instant ils voient paraître Moïse et Élie qui s'entretiennent avec Jésus. Alors Pierre dit à Jésus : « Mon Maître, nous sommes bien ici, dressons-y trois tentes, une pour vous, une pour Moïse et une pour Elie ». Car il ne savait pas bien ce qu'il disait, tant ils étaient effrayés. Aussitôt il parut une nuée lumineuse qui les enveloppa, et il sortit de la nuée une voix qui disait : C'est là mon Fils bien-aimé, écoutez-le ».

Adorez un instant, ô pèlerin, le Seigneur Jésus dans l'éclat réel de son humanité glorifiée, comme nous l'adorons dans l'Hostie sainte élevée dans l'ostensoir ; mais ici, il paraît dans sa gloire dont le rayonnement est visible ; le Tabor est devenu un vrai Sinaï, et si la pompe en est moins terrible, elle est ici plus émouvante.

Tandis que Jésus s'entretient dans la clarté céleste avec Moïse et Elie, contemplez, ô pèlerin, la bonté du Maître qui se laisse interpeler par Pierre, et regardez la conduite des Apôtres ; ils sont effrayés, pourtant il faut penser que la joie qui les inonde est plus forte que la crainte, puis qu'elle délie la voix de saint Pierre qui s'écrie, au milieu de son éblouissement, avec une confiance ingénue : « Mon Maître, nous sommes bien ici, plantons-y trois tentes ».

Et l'Evangile, comme pour excuser cette hardiesse dans un tel moment, ajoute : « Car il ne savait ce qu'il disait, tant ils étaient effrayés ». En effet, tandis que Jésus conversait avec les saints personnages, leur parlait des souffrances de son immolation, Pierre demandait la joie avant la peine, la gloire avant l'opprobre, la victoire avant le combat. Le divin Cœur, au contraire, se manifestant dans la gloire céleste, Soleil véritable et divin, voulait encourager ses Apôtres dans la souffrance et la lutte, par l'espérance de la gloire future embraser leur coeur, augmenter leur foi en sa divinité et se les attacher à tout jamais par un amour à toute épreuve. La gloire entrevue de leur Maître sera l'aiguillon qui en fera des saints et des héros, eux-mêmes en parleront plus tard comme le plus grand souvenir de leur vie ; mais la plénitude et la durée est réservée pour l'éternelle Patrie, à ceux qui auront souffert et qui auront aimé.

Voir la conférence de l'Abbé NERI au sujet de l'ouvrage du père HABRA : La Transfiguration.