Saint Jean Chrysostome
Homélie 12 sur saint Matthieu
Jésus vint alors de la Galilée au Jourdain vers Jean pour se faire baptiser.

1. Le Maître vient se faire baptiser avec les serviteurs, le juge avec ceux qu'il doit juger. Que cela cependant ne vous cause aucun trouble car c’est dans de tels abaissements surtout que sa grandeur éclate. Celui qui resta neuf mois dans un sein virginal, qui sortit de là revêtu de notre nature, qui voulut plus tard être souffleté, crucifié, soumis à tant d'autres souffrances, vous étonnerez-vous qu'il ait daigné recevoir le baptême, et qu'il se soit rendu pour cela, confondu dans la foule, auprès de son serviteur ? Ce qu'il y a d'étonnant, c'est qu'étant Dieu il ait consenti à devenir homme; tout le reste n'est que la conséquence légitime de ce premier fait. Aussi Jean déclare-t-il dès l'abord qu'il n'est pas digne de dénouer les cordons de sa chaussure; de là toutes les autres paroles qu'il prononce, en le proclamant juge de tous les hommes, celui qui doit rendre à chacun selon ses œuvres, et donner à tous l'Esprit saint avec abondance: en le voyant donc s'avancer pour être baptisé, vous ne pourrez pas lui jeter un regard de mépris. C'est encore pour cette raison qu'il repousse au moment même, en lui disant: « C'est moi qui dois être baptisé par vous, et vous venez à moi ? » Comme c'était là le baptême de la pénitence, disposant les hommes à reconnaître leurs péchés, Jean prévient à son sujet une semblable interprétation, et, pour qu'on ne puisse pas même penser que tel est le dessein qui l'amène au Jourdain, il l'appelle l'Agneau de Dieu, le Rédempteur de tous les péchés du monde. Celui qui peut ôter les péchés de tout le genre humain, doit éminemment être lui-même sans péché. Aussi le Précurseur ne dit-il pas : voilà l'impeccable ; il dit beaucoup plus: « Voilà celui qui ôte les péchés du monde. » Joan., I, 29. L'une de ces choses est renfermée dans l'autre, vous n'en pouvez douter; et vous voyez aussi dès lors que le Christ se rend au baptême dans un tout autre but. C'est pour cela que Jean lui dit: « C'est moi qui dois être baptisé par vous, et vous venez à moi ? » Il n'ose pas même dire: Et vous êtes baptisé par moi; il atténue l'expression : « Et vous venez à moi ? »
Que répond le Christ ? il fait dans cette circonstance ce qu'il fera plus tard à l'égard de Pierre. L'Apôtre le repoussait aussi et ne voulait pas qu'il lui lavât les pieds; mais après avoir entendu: « Tu ne comprends pas ce que je fais, tu le sauras néanmoins dans la suite; » Joan., XIII, 7; et puis: « Tu n'auras pas de part avec moi ; » Ibid., 8; il cessa de résister et changea de conduite. Pareillement, des que Jean a entendu : « Obéis pour l’heure ; c’est ainsi que nous devons remplir toute justice, » il se rend aussitôt. Remarquez de quelle manière il lui fait adopter une pensée devant laquelle Jean reculait. Il ne lui dit pas d'abord que c'est une action juste, il lui dit qu'elle est convenable et belle. Aux yeux du précurseur, c'était une chose indigne que le serviteur baptisât le maître. C'est l'idée que celui-ci détruit, comme s'il lui tenait le langage suivant : tu vois en cela une chose inconvenante, et c'est pour ce motif que tu la repousses. Et moi, je te dis qu'elle est absolument convenable et belle; obéis donc. — Cette obéissance, il la demande pour le moment, vous l'avez entendu. — Il n'en sera pas toujours ainsi, semble-t-il dire; tu me verras dans l'état que tu désires pour moi; maintenant il faut savoir attendre — Il lui montre ensuite la raison pour laquelle cela convient. D'où vient donc cette convenance ? C'est que nous accomplirons ainsi toute la loi : « toute justice, » dit-il, exprimant la même pensée par un autre terme. Et dans le fait, la justice est l'observation de tous les préceptes. — Comme nous les avons tous observés, semble-t-il dire encore, il ne reste plus que celui-ci : nous devons donc l'ajouter aux autres. Je suis venu détruire la malédiction que les hommes ont encourue en transgressant la loi. C'est après avoir accompli la loi tout entière, après vous avoir délivrés de la damnation, que je l'abrogerai. Il convient, par conséquent, que j'accomplisse toute la loi; car il convient que j’efface la malédiction lancée contre vous par la loi même. Je me suis donc revêtu de la chair, et je suis venu. « Alors Jean céda. Jésus étant baptisé sortit aussitôt de l'eau; et voilà que les cieux lui furent ouverts, et il vit l'Esprit de Dieu descendant sous la forme d'une colombe et venant sur lui.»
2. Le peuple regardait Jean comme de beaucoup supérieur à Jésus, par la raison que le premier avait passé toute sa vie dans le désert, était le fils d'un grand prêtre, portait le vêtement que nous savons, les appelait tous au baptême, était né d'une ferme stérile ; tandis que le second avait pour mère une jeune femme du commun, tous ignorant encore qu'il était né d'une vierge; de plus, il avait passé sa jeunesse dans sa maison, menant un genre de vie qui ne le distinguait pas du reste des hommes, ce qui s'appliquait également à son vêtement : on tenait donc Jésus pour inférieur à Jean, vu que rien n'avait transpiré du divin mystère. Et maintenant il était baptisé par Jean; ce qui certes eût suffi pour établir cette opinion, alors même qu'on n'aurait pas eu les signes qui précèdent. Aux yeux de tous donc, c'était un homme du peuple; viendrait-il se faire baptiser avec tout le monde, s'il en était autrement ? Jean était bien plus grand et plus admirable dans leur pensée. Pour que cette pensée ne prévalut pas d'une manière générale et définitive, Jésus venait à peine d'être baptisé, que les cieux s'ouvrirent, l'Esprit saint descendit, et avec lui une voix qui proclamait la grandeur de ce Fils unique.
De peur encore que cette voix, qui disait: « C'est ici mon Fils bien-aimé, » ne parût désigner Jean, dans l'estime de la multitude, qui n'aurait pas manqué d'en faire l'application à celui qui donnait plutôt qu'à celui qui recevait le baptême, soit à cause de cette même dignité, soit pour toutes les autres choses déjà dites ; l'Esprit vint sous la forme d'une colombe, donnant à la voix céleste une direction assurée, et manifestant à tous les regards qu'elle s'adressait à Jésus et non à Jean, bien que le premier fût baptisé par le second.
Et pourquoi, me direz-vous peut-être, les Juifs ne crurent-ils pas devant de tels faits ?
— Les prodiges n'avaient pas manqué du temps de Moïse, quoiqu'on ne puisse pas les comparer à ceux-ci; et cependant, après ces prodiges, les voix entendues, le son des trompettes et du tonnerre, ils forgèrent le veau d'or, ils se firent initier à Béelphégor. Ceux qui vivaient à l'heure présente et qui peut-être étaient là, virent bien aussi la résurrection de Lazare, et, loin de croire à l'auteur d'un pareil miracle, ils formèrent souvent le projet de le mettre à mort. S'ils demeuraient incrédules en voyant de leurs propres yeux un mort sortir de sa tombe, si telle était leur perversité, vous étonnerez-vous qu'ils n'aient pas alors accueilli la voix céleste ? Quand une âme est profondément corrompue, quand elle a ressenti surtout les atteintes de l'envie, elle ne cède plus aux prodiges : quand, au contraire, son intelligence n'est pas altérée, elle incline à croire, elle accepte les témoignages du ciel, ou plutôt elle n'en a guère besoin. N'allez donc pas demander pourquoi les Juifs ne crurent pas; demandez plutôt si tout ce qui devait les induire à croire n'est pas arrivé. En parlant par la bouche de son prophète de tout ce qu'il devait accomplir, Dieu semble s'être préparé d'avance un moyen de justification. Il arrivera que ce peuple périra, sera puni du dernier supplice ; pour qu'on ne pût donc pas incriminer sa providence au sujet d'un malheur causé par la perversité seule des hommes, il avait dit: « Que devais-je faire pour cette vigne, que je n'aie point fait ?» Isa. V. 4. Voyez de même ici s’il y avait quelque chose à faire qui n'ait pas été fait. Et, si parfois on attaque devant vous la divine Providence, ayez recours à ce même moyen de justification contre ceux qui la mettent en cause à la vue des iniquités déchaînées sur la terre.
Examinez donc les merveilles qui s'accomplissent et qui sont le gage de l'avenir : ce n'est pas le paradis, c'est le ciel même qui s'ouvre. Mais réservons pour un autre temps les accusations que nous avons à diriger contre les Juifs; pour le moment, avec le secours de la grâce divine, revenons à notre sujet. « Jésus étant donc baptisé, sortit aussitôt de l'eau, et voilà que les cieux lui furent ouverts. » Pourquoi cieux s'ouvrent-ils ? Pour vous apprendre qu'à votre baptême la même chose a lieu, que Dieu nous appelle alors à la patrie céleste, et vous exhorte à n'avoir plus rien de commun avec la terre. Bien que vous ne le voyez pas, ne refusez pas d'y croire. Au commencement, en effet, les choses merveilleuses et spirituelles apparaissent d'une manière sensible, de pareils signes sont accomplis pour frapper les esprits grossiers et qui ne sauraient se passer de ce qui tombe sous les sens, qui ne peuvent pas s'élever à la pensée des choses incorporelles et ne savent admirer que les objets visibles ; mais de telle merveilles étant une fois arrivées, il n'est pas nécessaire qu'elles se renouvellent, celles qui brillèrent à l'origine suffisent pour nous amener à la foi. Si le bruit d'un vent impétueux se fit entendre quand l'Esprit saint descendit sur les apôtres, si des langues de feu parurent à leur yeux, ce n'était pas pour les apôtres eux-mêmes c'était pour les Juifs alors présents. Aujourd'hui, sans que de tels signes se produisent, nous admettons ce qu'ils ont jadis démontré. Dans la circonstance qui nous occupe, la colombe qui parut était comme un doigt dirigé vers le Christ et qui désignait à la multitude aussi bien qu'à Jean le Fils de Dieu. C'était encore une figure destinée à vous apprendre que l'Esprit descend aussi sur vous quand vous recevez le baptême.
3. Désormais, nous n’avons pas besoin de cet appareil extérieur, la foi nous tient lieu de tout ; car les signes sont pour ceux qui ne croient pas, et non pour ceux qui croient. Mais pourquoi la forme d'une colombe ? C'est à cause de sa douceur et de sa pureté. L'Esprit saint paraît sous cette forme parce qu'il est le principe de ces deux vertus. On peut dire encore que cela nous rappelle les anciens temps. Lorsque le monde avait sombré dans un commun naufrage, et que le genre humain menaçait de périr tout entier, c'est cet oiseau qui vint annoncer la fin de la tempête, en portant au bec un rameau d'olivier ; la paix allait être rendue à la terre. Toutes ces choses étaient une figure de l'avenir. A cette époque reculée, l'état du genre humain était pire que de nos jours, il fallait un plus grand châtiment aux hommes. C'est pour que vous ne désespériez pas qu'on vous rappelle cette histoire. Alors que tout était perdu, on vit néanmoins apparaître une heureuse solution, un rétablissement, mais par l’action du supplice, tandis que maintenant c'est par la miséricorde et la grâce. Voilà pourquoi la colombe paraît, non avec un rameau d'olivier, mais en ranimant nos espérances, en nous montrant celui qui nous délivre de tous les maux. Elle ne vient pas tirer un homme seul de l'arche; elle vient cette fois élever vers le ciel le genre humain tout entier : c'est la filiation divine, au lieu d'un rameau d'olivier, qu'elle apporte à tous les hommes répandus dans l'univers.
Songez à la grandeur de ce don, et vous ne penserez pas que l'Esprit est inférieur au Christ parce qu'il a revêtu cette forme. J'entends, en effet, des gens qui prétendent qu'autant il y a de différence entre l'homme et la colombe, autant le Christ diffère de l'Esprit, et cela, par la raison que l'un nous est apparu dans notre nature, et l'autre sous l'aspect d'une colombe. Que répondre à cette difficulté ? C'est que le fils de Dieu a réellement pris la nature de l'homme, tandis que l'Esprit n'a pas pris celle de la colombe. Aussi l'Evangéliste ne parle-t-il pas de nature en cet endroit, mais seulement de forme ou de figure, figure d'ailleurs que l'Esprit n'a revêtu dans aucune autre circonstance. Si c'est donc là pour vous un signe d'infériorité, vous devrez, en poussant ce raisonnement jusqu'au bout, reconnaître que les Chérubins eux-mêmes lui sont supérieurs, tout comme l'aigle est supérieur à la colombe, les chérubins s'étant montrés sous la forme de l'aigle; que les anges aussi lui sont supérieurs, puisqu'ils ont souvent revêtu la forme humaine. Cela n'est pas cependant, cela ne saurait être. Autre chose est la réalité de l'incarnation, autre chose une apparition accidentelle et passagère. Ne soyez donc pas ingrat envers votre bienfaiteur, ne payez pas par la révolte celui qui vous a donné la source de la béatitude. Où se trouve l'adoption filiale, là doivent être aussi la réunion de tous les biens et l'exclusion de tous les maux.
De là vient que le baptême des Juifs a fait place à notre baptême : une transformation semblable à celle de la Pâque s'est opérée dans ce sacrement. Après avoir célébré l'une et l'autre Pâque, le Christ a supprimé la première et donné naissance à la seconde : de même ici, c'est après avoir accompli la cérémonie du baptême légal qu'il ouvre les portes au baptême de l’Eglise. Un seul et même fleuve, comme une seule et même table, rapproche ainsi l'ombre et la vérité. Notre baptême seul renferme la grâce de l'Esprit ; elle n'existait pas dans le baptême de Jean. Aussi, quand les autres étaient baptisés, rien de semblable n'avait lieu; la merveille n'éclate que sur l'auteur de ce changement. C'est pour vous apprendre, outre ce que nous avons déjà dit, qu'une telle grâce dépend, non de celui qui donne, mais bien de celui qui reçoit le baptême. Alors seulement les cieux s'ouvrent et l'Esprit survient. Dès ce moment il nous fait passer de l'ancien genre de vie à la vie nouvelle, en ouvrant devant nous le céleste séjour ; il en fait descendre l'Esprit, qui vient nous appeler à cette patrie bienheureuse, et qui, non content de nous appeler, nous communique une incomparable dignité. Il ne fait pas de nous des anges ou des archanges, en effet; nous devenons les enfants et les bien-aimés de Dieu; c'est ainsi qu'il nous investit de ce glorieux héritage.
4. Avec de telles pensées dans l'esprit, vous devez mener une vie digne de l'amour de celui qui vous appelle, de la patrie à laquelle vous aspirez et de l'honneur qui vous est déjà fait : crucifié pour le monde, crucifiant le monde en vous, soyez plein d'ardeur pour cette vie céleste; et, bien que votre corps ne soit pas encore transporté dans le ciel, ne croyez pas avoir rien de commun avec la terre. Votre tête, du reste, est dans le ciel. Après être d'abord descendu ici-bas, emmenant avec lui ses anges, le Christ est retourné là-haut, vous emportant avec lui, afin de vous apprendre qu'avant d'aller habiter le céleste séjour, vous pouvez vivre sur la terre de la vie même du ciel. Gardons intacte cette noble destinée que nous avons reçue dès l'origine, soupirons chaque jour après cette sublime royauté, ne voyons dans tout ce qui nous entoure qu'ombre et rêve. Si quelqu'un des rois de ce monde vous adoptait tout-à-coup pour son fils, vous pauvre et mendiant, vous n'auriez plus un regard pour votre humble chaumière, quoique la différence ne soit pas grande entre toutes ces conditions. Mais chassez donc de votre pensée toutes les choses terrestres; ce n'est rien en comparaison de ce qui vous attend. Celui qui vous appelle étant le souverain Seigneur des anges, les biens promis dépassent tout raisonnement et toute intelligence. Ce n'est pas de la terre à la terre qu'il vous fait passer, comme le ferait ce roi mortel; il vous transporte de la terre au ciel, d'une nature périssable à une gloire immortelle, qu'on ne saurait retracer et que nous pourrons seulement comprendre quand nous la posséderons. Appelé que vous êtes à de tels biens, vous me parlez encore de possessions terrestres, vous tenez aux pompes d'ici-bas, vous ne regardez pas comme plus vils que les haillons du mendiant tous les objets visibles !
Ne vous montrez-vous pas indigne d'un tel honneur ? Qu'avez-vous à dire pour votre justification ? Quel châtiment ne mériterez-vous pas plutôt, en revenant de la sorte à votre premier vomissement après un pareil don ? Désormais ce n'est pas simplement comme homme, c'est comme enfant de Dieu que vous serez puni de vos désordres, et la grandeur de votre élévation sera la mesure de votre supplice.
Notre punition sera proportionnée aux bienfaits que nous aurons reçu
Nous ne punissons pas nous-mêmes avec la même sévérité les fautes des serviteurs et celles des enfants; nous proportionnons la peine aux bienfaits que nous avons accordés. Si celui qui avait reçu le paradis en partage fut affligé de tant de maux pour un seul acte de désobéissance, après avoir été comblé de tant de biens; nous à qui le ciel est promis et qui avons été fait cohéritiers du Fils unique, comment pourrons-nous être pardonnés, si, laissant la colombe, nous allons au serpent ? Nous n'entendrons plus: « Tu es terre, et tu retourneras dans la terre, » ou bien: « Tu travailleras la terre, » Genes., III, 19; Iv, 12, rien de ce qui fut dit jadis; nous entendrons des choses bien plus terribles, les ténèbres extérieures, les chaines indissolubles, le ver empoisonné, le grincement des dents. C'est justice; car celui qu'un si grand bienfait n'a pas rendu meilleur, mérite assurément le dernier des supplices. Elie dans les temps anciens ouvrit et ferma le ciel, mais seulement de manière à ce que la pluie tombât ou ne tombât pas : pour vous, le ciel est ouvert de telle sorte que vous en ayez l'accès, et que vous puissiez même y introduire les autres, si vous le voulez, tant le Seigneur vous donne de droits et de puissance sur tout ce qui lui appartient. Puisque c'est donc là notre maison, transportons-y tous nos biens; ne laissons rien ici-la bas, de peur de le perdre. Vous avez beau consolider les portes, multiplier les serrures et les verrous, les entourer de serviteurs sans nombre, vous prémunir contre toutes les embûches, échapper aux regards de l'envie, éluder l'action de la rouille et les ravages du temps, si c'était possible; à coup sûr vous n'échapperez pas à la mort, et dans un clin d'œil tout vous sera ravi. Ce n'est pas assez dire, tout tombera souvent aux mains de vos ennemis. Transmettez ces mêmes biens dans la maison céleste, et vous êtes à l'abri de ces divers dangers. Là nul besoin de portes, de serrures et de verrous; inexpugnables sont les remparts de la cité, inaccessible est son enceinte à toute corruption comme à toute violence.
5. N'est-ce pas une extrême folie de tout accumuler où tout se dégrade et périt, tandis qu'on dépose rien dans une demeure où les richesses se conservent et s'accroissent, et qui de plus doit être à jamais la nôtre ? Voilà ce qui fait que les Gentils ne croient pas à nos enseignements ; ils attendent de nous une démonstration par nos actes, et non par nos discours. Quand ils voient que nous construisons de splendides édifices, des jardins et des bains somptueux, que nous achetons des terres, ils refusent de croire que nous nous disposons à partir pour une autre cité. — S'il en était ainsi, disent-ils, ils réaliseraient toutes leurs possessions, pour en envoyer le prix dans cette patrie future, — raisonnant ainsi d'après ce qui se passe parmi les hommes. Nous voyons, en effet, les plus opulents se préparer des maisons, des champs, et tout le reste dans la contrée qu'ils doivent habiter : mais nous faisons le contraire, et cette terre que nous devons quitter avant peu, nous la possédons avec un attachement extrême; pour en avoir quelques arpents, pour acquérir quelques maisons, ce n'est pas seulement notre argent que nous donnons, c'est notre sang ; tandis que pour gagner le ciel nous ne consentons pas même à donner le superflu de nos biens, quoiqu'on l'achète pour une légère somme et qu'on le possède ensuite à jamais. Encore une fois, c'est là ce qui nous fera condamner au dernier supplice, quand nous partirons d'ici pauvres et dénués de tout; mais ce supplice ne sera pas uniquement motivé par notre propre indigence, il le sera de plus par celle où nous aurons entrainé les autres. En voyant que des hommes initiés à de si grands mystères ont une telle ardeur pour les objets matériels, ils se croient bien plus autorisés à les embrasser sans réserve, accumulant ainsi sur notre tête d'intolérables feux. Nous étions dans l'obligation de leur enseigner le mépris des choses visibles; et nous sommes les premiers à surexciter en eux cette cupidité : comment pourrions-nous donc obtenir le salut, alors que nous nous rendons responsables de la perte des autres ? N'entendez-vous pas le Christ nous dire qu'il nous a laissés en ce monde pour que nous en soyons le sel et la lumière, en guérissant ceux que le plaisir corrompt, en éclairant ceux que l'amour de l'argent aveugle ? Si nous plongeons ces derniers dans un plus profond aveuglement et les premiers dans un plus grand malheur, quel espoir de salut pouvons-nous avoir ? Aucun certes; nous serons jetés pieds et poings liés, avec des cris de rage et des grincements de dents, dans les feux de la géhenne, après avoir été manifestement torturés par les sollicitudes des richesses.
Réfléchissant à ces vérités, brisons tous les liens d'une telle séduction, afin d'éviter ce qui nous livrerait à ces feux inextinguibles. L'esclave de l'argent porte des chaînes ici-bas et portera plus tard des chaines éternelles : celui qui s'est affranchi de cette cupidité sera doublement libre. Conquérons cette liberté, secouons le joug accablant de l’avarice et volons vers le ciel, par la grâce et l’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire et puissance dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-Il.