Saint Jean Chrysostome
Homélie 11 sur saint Matthieu
Or, voyant beaucoup de Sadducéens et de Pharisiens venir à son baptême, il leur dit: Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère future?
1. Pourquoi donc le Christ affirme-t-il qu'il ne crurent pas à Jean ? Parce que ce n'était pas croire à sa parole que de ne pas recevoir celui qu'il annonçait. Ils paraissaient bien écouter les prophètes et le législateur; le Christ cependant déclare qu'ils ne les écoutaient pas, par la raison qu'ils n'avaient pas reçu celui en qui devaient s'accomplir les prophéties et la loi : « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez également en moi. » Joan., V, 46. Puis, comme le Christ leur avait posé cette question: « D'où vient le s baptême de Jean ? » ils raisonnaient de la sorte : « Si nous disons qu'il vient de la terre, nous avons à redouter la colère du peuple; si nous disons qu'il vient du ciel, il nous répondra : Pourquoi donc n'y avez-vous pas cru ? » Matth., XXI, 25-26. Il est évident ainsi qu'ils vinrent et furent baptisés sans croire d'une manière ferme à sa prédication. Jean dévoila leur perversité, lorsqu'ils envoyèrent au précurseur des hommes chargés de lui dire : « Etes-vous Elie ? êtes-vous le Christ ? » Joan., I, 21 ; car il ajoute : « Or les envoyés étaient des Pharisiens. » Ibid., 24. Quoi donc ? la foule n'était-elle pas dans la même pensée ? Sans nul doute ; mais le peuple agissait avec simplicité, tandis que les Pharisiens voulaient le piéger dans ses paroles. En effet, comme il était manifeste que le Christ devait naître de la famille de David et que Jean appartenait à la tribu lévitique, leur question était un piège qu'ils lui tendaient, afin de l'accabler aussitôt, s'il laissait échapper une parole équivoque. La suite montre bien que tel était leur but; car, bien qu'il eût répondu contrairement à leur attente, ils s'efforçaient encore de le prendre d'un autre côté : « Pourquoi baptisez-vous donc, si vous n'êtes pas le Christ? » Ibid., 25.
L’Évangéliste nous apprend lui-même que les Pharisiens étaient venus dans un tout autre sentiment que le peuple; écoutez : parlant du peuple, il dit qu'il venait se faire baptiser en confessant ses péchés; il ne dit plus la même chose en parlant des Pharisiens, et voici comment il s'exprime : « Voyant venir à lui beaucoup de Sadducéens et de Pharisiens, Jean s’écria : race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère future ? » Quelle grandeur d'âme ! De quelle façon il parle à ces hommes toujours avides du sang des prophètes, et qui ne le cédaient en rien aux serpents ! Avec quelle fermeté de langage il leur représente leurs iniquités et celles de leurs pères ! — C'est vrai, me direz-vous, grande est cette hardiesse; resterait à se demander jusqu'à quel point elle est raisonnable. Il n'avait pas sous les yeux des pécheurs, en effet, mais bien des pénitents : il aurait donc fallu leur adresser des éloges et des encouragements, au lieu de reproches, puisque, délaissant les cités et les maisons, ils étaient accourus au désert entendre la parole sainte. — Que répondrons-nous à cela ? que le prophète portait moins son attention sur ce qui se passait actuellement en sa présence, que sur le secret des cœurs, dont Dieu lui avait donné la connaissance intime. Voyant donc que les Juifs s'enorgueillissaient de leurs aïeux, que c'était là pour eux une cause de ruine, un sujet de fausse confiance et d'apathie, il coupe le mal à sa racine. Isaïe les appelait pour le même motif princes de Sodome, peuple de Gomorrhe. Un autre prophète leur disait : « N'êtes-vous pas comme les fils des Ethiopiens? » Amos, IX, 7. Tous s'efforcent de détruire en eux de telles prétentions, de rabaisser cet orgueil qui leur avait été la source de maux sans nombre.
Mais les prophètes avaient raison d'agir ainsi, me direz-vous peut-être; car ils étaient témoins de leurs péchés : quant à celui-ci qui voit leur obéissance, comment se fait-il qu'il leur adresse le même langage ? — C'est pour les rendre plus modestes. D'ailleurs, si l'on examine de près ses paroles, on verra qu'il tempère ses accusations par des éloges. Il leur témoigne en quelque sorte son admiration pour ce qu'ils ont fait, quoique bien tard, ce qu'ils semblaient ne devoir jamais faire. Ses reproches sont donc ceux d'un homme qui veut les attirer et les amener à résipiscence. En les réprimandant, il leur montre, avec la grandeur de leurs iniquités passées, ce qu'il y a d'étrange et de merveilleux dans leur changement. Comment est-il arrivé, semble-t-il dire, qu'ayant eu de tels pères, ayant reçu une semblable éducation, ils fassent pénitence ? D'où vient une pareille transformation ? Qui donc a pu de la sorte adoucir la férocité de leur esprit et guérir des blessures mortelles ? — Et voyez de quelle façon il les impressionne dès le commencement, en leur parlant avant tout de la géhenne. Il ne leur dit pas ce qu'on avait jusque là continué de leur dire : qui vous a appris à vous délivrer des guerres, des incursions ennemies, des captivités, des famines et des pestes ? Il met sous leurs yeux un châtiment qu'on ne leur avait jamais présenté d'une manière manifeste : « Qui vous a appris à fuir la colère future ? »
2. C'est à bon droit qu'il les appelle race de vipères. Les serpents de cette espèce, en effet, donnent la mort à qui leur donne la vie, ils ne viennent au jour, dit-on, qu'en rongeant les entrailles de leur mère : c'était la conduite des Juifs, qui tuaient eux aussi leurs véritables parents, en tuant de leurs propres mains ceux qui les avaient instruits. Jean ne s'arrête pas au reproche, il ajoute le conseil : « Faites de dignes fruits de pénitence. » Ce n'est pas assez de fuir le mal, il faut de plus pratiquer infatigablement la vertu. Ne m'objectez pas les habitudes contraires, pour vous autoriser à retomber dans vos désordres, après en avoir un instant suspendu le cours. — Ma mission n'est pas celle des anciens prophètes; si le Juge lui-même, le Maître du royaume, est venu, c'est pour vous élever à d'autres pensées, pour vous inspirer une philosophie plus sublime, pour vous appeler au ciel, aux demeures éternelles. C'est pour cela que j'ai commencé par vous parler de la géhenne; car ni le bien ni le mal n'auront de fin. Ne demeurez donc pas dans les mêmes iniquités, ne vous couvrez pas toujours des mêmes prétextes, de la noblesse de vos aïeux, Abraham, Isaac et Jacob. — En tenant ce langage, il ne voulait certes pas les empêcher de se dire enfants des saints; il voulait seulement qu'ils ne missent pas en cela leur confiance, de manière à négliger de s'exercer eux-mêmes dans la vertu.
Pendant qu'il les instruisait ainsi, il mettait à nu les secrets de leur âme et prophétisait l'avenir; car, peu de temps après, nous les voyons lever le front en disant: « Nous avons Abraham pour père, et nous n'avons jamais été les esclaves de qui que ce soit. » Joan., VIII, 33. Puisque c'était là principalement le sujet de leur orgueil et la cause de leur perte, c'est surtout là-dessus qu'il les reprend. Voyez avec quelle attention il préserve l'honneur dû au Patriarche, mais sans atténuer la puissance de la correction. Après ces mots: « Ne dites pas : Nous avons Abraham pour père, » il se garde bien d'ajouter : car le Patriarche ne vous sera d'aucun secours. Il l'insinue d'une manière plus douce et moins choquante en disant : « Car Dieu peut susciter de ces pierres des enfants d'Abraham. » Plusieurs pensent qu'il s'agit là des Gentils, que le Seigneur appelle métaphoriquement des pierres; mais telle n'est pas mon opinion et j'attache à cette parole un autre sens. Quel est-il ? — Ne pensez pas, veut-il leur dire, que le Patriarche reste sans enfants, si vous venez à périr. Cela ne sera pas, cela ne saurait être; car Dieu peut de ces pierres lui susciter des descendants, élever d'autres hommes à la dignité de cette filiation; et cela fut fait dès le commencement. Tirer l'homme de la pierre, c'est quelque chose comme rendre fécond un sein stérile. Voilà quelle est la pensée que le prophète laisse percer dans ce texte: « Tournez les yeux vers cette dure pierre dont vous avez été détachés, vers cette profonde caverne d'où vous êtes sortis : souvenez-vous d'Abraham, votre père, et de Sara, qui vous a donné le jour. » Isa., Il, 1-2. C'est la prophétie qu'il leur rappelle, en leur montrant par là qu'il peut renouveler aujourd'hui ce qu'il opéra dans les anciens temps, alors qu'il donnait au vieillard une paternité miraculeuse, son peuple étant ainsi comme extrait de la pierre.
Remarquez encore une fois comment il leur inspire la crainte en les corrigeant. Il ne dit pas que la chose soit déjà faite, de peur qu'ils ne tombent dans l'abattement; il se borne à dire qu'elle est en son pouvoir. Il ne dit pas non plus simplement que des pierres il peut tirer des hommes; il déclare, ce qui est bien plus merveilleux, qu'il peut en tirer des enfants d'Abraham. C'est ainsi, vous le voyez, qu'il les dégage de cette grossière imagination et les dépouille de cet abri rêvé dans le mérite des aïeux, pour les obliger à mettre l'espoir de leur salut dans leur propre pénitence et leur propre sagesse. C'est ainsi qu'il substitue à la parenté charnelle, celle de la foi.
3. Examinez de quelle façon il s'efforce d'augmenter par ce qui suit et leur crainte et leur sollicitude. Après avoir dit: « Dieu peut de ces pierres susciter des enfants d'Abraham, » il Il ajoute : « La cognée est déjà placée à la racine de l'arbre. » Menace effrayante sous tous les rapports. D'une part, son genre de vie donnait au prédicateur le droit de tout dire; de l'autre, le long endurcissement des auditeurs rendait nécessaire une inflexible réprimande. — Est-ce assez de vous dire que vous perdrez cette dignité d'enfants du Patriarche, et que vous verrez surgir du sein de la pierre ceux qui seront investis de cet honneur ? Là ne s'arrêtera pas votre punition, la vengeance ira plus loin. « Déjà la cognée est placée à la racine de l'arbre. » — Rien de plus terrible que cette expression figurée. Ce n'est plus une faux volante, une haie arrachée, une vigne foulée aux pieds; c'est une cognée parfaitement aiguisée, et, chose plus alarmante encore, prête à frapper le dernier coup. Toujours incrédules à la parole des prophètes, ils disaient : « Où donc est le jour du Seigneur ? Qu'il éclate le décret du Saint d'Israël, et nous verrons. » Isa., V, 19. De plus, les choses prédites n'arrivaient souvent qu'après un grand nombre d'années. C'est pour leur ôter cette consolation qu'il leur présente un malheur imminent. Ce malheur apparaît tel dès le premier mot « déjà; » on voit la cognée qui touche à la racine. Rien qui puisse en arrêter le coup, rien qui l'en sépare. Elle ne menace pas les rameaux ni les fruits; non, c'est la racine. Il veut donc bien leur montrer que, s'ils demeurent dans leur indolence, ils souffriront des maux qui n'admettront plus de remède et ne laisseront plus d'espoir.
Celui qui vient n'est plus un serviteur comme ses devanciers; c'est le souverain Maître du monde; le châtiment sera dès lors aussi grand qu'irrésistible. Après les avoir cependant frappés de terreur, il ne veut pas qu'ils tombent dans le désespoir; et, comme tout à l'heure il disait : « Dieu peut susciter des enfants d'Abraham, » au lieu de dire qu'il les suscitera, mêlant ainsi la consolation et la crainte; de même il dit maintenant : « La cognée est placée à la racine, » au lieu de dire qu'elle a touché la racine.
Du reste, elle est là, il n'y a guère de retard possible; mais, toute rapprochée qu'elle est, il dépend encore de vous qu'elle frappe ou ne frappe pas. Si vous changez de vie, si vous revenez à de meilleurs sentiments, elle se retirera sans avoir rien fait : si vous persévérez dans les mêmes habitudes, elle frappera sans pitié, elle coupera l'arbre à sa racine. Voilà pourquoi la cognée ne s'éloigne ni ne frappe : il faut prévenir le découragement et vous apprendre que vous pouvez obtenir promptement le salut par un généreux retour au bien. C'est pour arriver à ce but, pour les exciter à la pénitence, qu'il augmente la crainte par tous les moyens.
En effet, déchoir du rang de ses pères, voir d'autres hommes substitués à sa place, sentir le plus grand des malheurs prêt à fondre sur soi, toutes choses représentées par la racine et la cognée, rien n'est plus capable assurément de réveiller le zèle dans les cœurs les plus endormis; c'était la pensée de Paul quand il disait : « Dieu fera dans l'univers une parole abrégée. » Rom., IX, 28. Ne craignez pas néanmoins; ou plutôt craignez, mais ne désespérez pas. Il vous reste encore la possibilité d'un changement; car la parole n'est pas en voie de s'accomplir, la cognée n'a pas commencé son œuvre. Et qui l'empêche de frapper quand elle est si près de la racine ? C'est qu'elle devait vous rendre meilleur par la crainte et vous disposer à porter des fruits. Aussi le prophète ajoute : « Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu. » Aucune exception, vous l'entendez, aucun privilège de race. Seriez-vous le petit-fils d'Abraham, compteriez-vous parmi vos aïeux beaucoup de patriarches, vous serez doublement châtié, si vous ne portez pas de fruit. Par de telles paroles il effraya les publicains, il ébranla le cœur des soldats, en les arrachant à leur indolence, sans les pousser au désespoir. En leur inspirant la crainte, ce langage avait aussi pour effet de les encourager. « Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits, » a-t-il dit; ce qui prouve qu'il n'y a rien à craindre pour celui qui porte des fruits.
4. Et comment pourrons-nous en porter, me dira-t-on, sous le coup d'une telle menace, dans un temps aussi court, quand le terme est si rapproché ? — Vous le pouvez, nous répond Jean; le fruit dont je vous parle n'exige pas un long espace de temps, comme celui des arbres, il n'est pas soumis à la succession des saisons, à la nécessité d'un multiple travail; il suffit d'un acte de la volonté, et l'arbre fleurit aussitôt. Ce n'est pas la vertu de la racine seule, c’est encore l'art du cultivateur qui prépare avec rapidité les fruits dont il est ici question. — Pour qu'il ne leur fût donc pas possible de dire : vous nous troublez, vous nous donnez la dernière presse, avec l'image de cette cognée prête à frapper, en exigeant que nous donnions des fruits au moment même du supplice, il leur montre que la chose est aisée, en ajoutant : « Je vous baptise dans l'eau; mais celui qui vient après moi est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de dénouer les cordons de sa chaussure. Il vous baptisera dans l'Esprit saint et le feu. » Il déclare par là que Dieu réclame la volonté seule avec la foi, et non les fatigues et les sueurs. Or la conversion, le changement de vie, n'offre pas plus de difficulté que la réception du baptême.
Ainsi donc, après avoir ébranlé leur esprit par la crainte du jugement et la perspective du supplice, par ce terme même de cognée; après leur avoir dit qu'ils peuvent perdre ce titre d'enfants, pour en voir d'autres prendre leur place, et fait voir devant leurs yeux un double châtiment, le glaive et l'incendie; après avoir ensuite adouci par tous les moyens la sévérité de ses paroles et leur avoir inspiré le désir d'être délivrés de tels maux, c’est alors seulement qu'il leur parle du Christ. Il ne se borne pas à l'annoncer, il relève son excellence; puis il met à découvert l'intervalle qui les sépare l'un de l'autre, et, pour qu'on ne pense pas qu'il s'exprime ainsi par un pur sentiment de déférence, il démontre la vérité par la différence des dons. Ce n'est pas tout d'abord qu'il dit : « Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de sa chaussure; » il commence par exposer la faiblesse relative de son baptême, qui n'a d'autre effet que de les disposer à la pénitence; et de là le nom qu'il lui donne, au lieu de l'appeler baptême de la rémission. Cela fait, il présente les richesses ineffables renfermées dans le baptême du Christ. — De ce que vous m'entendez vous dire qu'il vient après moi, n'allez pas le mépriser comme s'il n'occupait que le second rang; apprenez plutôt la grandeur de ses dons, et vous saurez à n'en pas douter que je n'ai rien dit d'extraordinaire, rien qui soit indigne de lui, en ajoutant : « Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de sa chaussure. « Si j'ai dit encore qu'il est plus puissant que moi, ne pensez pas que j'aie voulu faire entre nous une comparaison quelconque; car je ne mérite même pas d’être compté parmi ses serviteurs, sans en excepter les plus humbles, d'accomplir envers lui le dernier de tous les ministères. Aussi ne s'est-il pas contenté de parler de la chaussure; il va jusqu'à désigner les cordons, ce qui semble le plus vil de tous les objets.
Après cela, de peur que vous n'estimiez ce langage un pur acte d'humilité, c'est par les faits qu'il le confirme, en disant: « Celui-là vous baptisera dans l'Esprit saint et le feu. » Voyez quelle est la sagesse de Jean. Quand il prêche par lui-même, il dit tout ce qui doit inspirer la frayeur et l'angoisse; mais, quand il envoie les hommes au Christ, il ne dit que des choses heureuses et rassurantes. Il n'est plus question alors de cognée, d'arbre abattu, puis devenant la proie des flammes, ni de colère à venir; il s'agit de la rémission des péchés, aussi bien que des peines, de la justification, de la sanctification, de la rédemption, de la dignité filiale et fraternelle, de l'héritage à recevoir, d'une abondante effusion des grâces du Saint-Esprit. Tout est renfermé dans cette parole : «Il vous baptisera dans l'Esprit saint; » la métaphore est assez expressive. En effet, il ne dit pas : Il vous donnera l'Esprit saint; mais bien : « Il vous baptisera dans l'Esprit saint. » Le feu dont il parle ensuite signifie la puissance et l'efficacité de la grâce.
5. Comprenez quels devaient être les sentiments des auditeurs, en songeant qu'ils allaient devenir semblables aux prophètes et à tous ces grands personnages dont ils vénéraient la mémoire. C'est même pour en réveiller le souvenir qu'il emploie l'image du feu; car la plupart avaient eu par cet élément leurs magnifiques visions : c'est dans un buisson ardent que Dieu parle à Moïse, et à tout le peuple du sommet enflammé du Sinaï; c'est encore ainsi qu'il parle à Ézéchiel au milieu des chérubins. Remarquez de plus comment il stimule l'attention de ceux qui l'écoutent, en leur présentant d'abord ce qui ne doit arriver qu'en dernier lieu. Il fallait que l'Agneau fût immolé, le péché effacé, l'inimitié détruite; puis devaient survenir la sépulture et la résurrection, puis enfin la descente du Saint-Esprit. Il passe néanmoins sur les premières choses, il va droit à la dernière, le but et la raison d'être de toutes les autres, celle qui fait le mieux ressortir la dignité du Messie. C'est pour que l'auditeur, en apprenant qu'il doit recevoir ce divin Esprit, se demande en lui-même comment cela pourra se faire, le péché régnant ainsi partout. Après avoir de la sorte disposé les esprits à l'écouter avec une plus vive sollicitude, le prédicateur pouvait parler de la passion sans crainte de scandaliser personne par le retard d'une semblable faveur. C'est pour cela qu'il disait encore : « Voici l'Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde. » Joan., I, 29. Il ne dit pas : qui remet. L'expression montre mieux la force de son amour: « Qui ôte. » Ce n'est pas là simplement remettre, sauf à voir la dette se renouveler. Ceci pouvait avoir lieu sans danger, tandis que cela demandait la mort.
Il leur fait encore entendre que le Christ est le fils de Dieu; mais il ne le dit pas clairement par la raison qu'ils n'étaient pas en état de comprendre cette filiation divine dans son véritable sens. Le don de l'Esprit saint impliquait toutefois cette vérité. Voilà pourquoi le Père, en donnant sa mission à Jean, attache à ce même signe la dignité de Celui qui doit venir; car il dit: « Celui sur lequel tu verras l'esprit descendre et s'arrêter, c'est celui-là qui baptise dans l'Esprit saint. » Ibid., 33. Aussi Jean dit-il lui-même : « Je l'ai vu et j'atteste qu'il est le Fils de Dieu. » Ibid., 34. L'une de ces choses est la conséquence évidente de l'autre. Il a donc fait entendre de consolantes paroles, il a dilaté les cœurs; il leur fait de nouveau sentir l'aiguillon pour qu'ils ne tombent pas dans l'indolence. Il en était ainsi des Juifs : la prospérité ne tardait pas à les amollir et à les corrompre. Ne soyons pas étonnés de voir reparaître de terribles images : « Il tient son van à la main. » Il venait de nous le représenter comme victime, il nous le montre maintenant comme juge, et l’éternel supplice n'est pas loin; il ajoute : « Il consumera la paille dans un feu qui ne s'éteindra jamais. » Vous le voyez, le Seigneur est l'agriculteur universel, bien qu'il donne ailleurs ce titre à son Père : « Mon Père est l'agriculteur. » Joan., XV 1. Comme vous avez vu briller la cognée, vous pourriez croire que le discernement est chose laborieuse et difficile; il emploie donc une autre image qui vous en fait voir la facilité, et qui prouve de plus que le monde tout entier lui appartient; car il ne voudrait pas exercer sa justice sur des étrangers.
A l'heure présente, tout est confondu. Bien qu'on voie reluire le froment, il est encore mélangé à la paille; il est dans l'aire et non dans le grenier. Alors tout sera séparé. Où sont désormais ceux qui ne croient pas à la géhenne ? Ils attribuent cependant au Christ deux choses bien distinctes : c'est qu'il baptisera dans l'Esprit saint, et qu'il condamnera les incrédules au feu. Si vous acceptez cette vérité, pourquoi repousseriez-vous l'autre ? Il a prédit les deux choses à la fois, pour que l'accomplissement de la première nous obligeât de croire à la seconde. C'est une conduite que le Christ a souvent tenue, par rapport à des objets semblables quelquefois, et quelquefois par rapport à des objets contraires, joignant de la sorte deux prophéties, l'une réalisée sur l'heure, l'autre ne devant l'être que plus tard, afin que les plus opiniâtres mêmes, à la vue du fait accompli déjà, ne puissent pas douter de celui qui n'a pas encore eu lieu. A ceux qui se dépouilleront de tout a cause de lui, il a promis le centuple en ce monde et l'éternelle vie plus tard; si bien que le présent répond de l’avenir. C'est ce qu'a fait son précurseur, en disant dans la même circonstance, et que le Christ baptiserait dans l'Esprit saint, et qu'il condamnerait au feu qui ne s'éteindra jamais.
6. S'il n'avait donc pas baptisé dans l'Esprit les apôtres et quiconque se présentait chaque jour au baptême, vous auriez un motif de révoquer le reste en doute; mais, si la chose la plus grande et la plus difficile évidemment, celle qui dépasse toute expression, a été déjà faite et se fait encore sans interruption, pourquoi n’admettez-vous pas comme vrai ce qui présente moins de difficulté et ne s'élève pas au-dessus de la raison ? Comme Jean avait dit : « Il baptisera dans l'Esprit saint, » et par là même avait promis de grands biens, craignant que cela ne vous fit oublier ses premières paroles et tomber dans l'apathie, il met sous vos yeux l'image du van, avec celle du choix et de la séparation dont c'est là l'instrument. — Ne croyez pas que le baptême suffise, dit-il, si vous vous égarez après l'avoir reçu; il vous faut de plus une vertu solide, une grande philosophie. — Voilà comment, pour entraîner les cœurs, il parle d'un bain salutaire après avoir parlé de la cognée, et fait encore succéder à cette douce pensée la terreur que doivent produire le van et les flammes éternelles. Nulle distinction entre ceux qui ne sont pas baptisés; il dit d'une manière générale : « Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits sera coupé; » tous les infidèles sont compris dans cette parole. Il admet une certaine distinction parmi ceux qui sont baptisés, par la raison que beaucoup de ceux qui avaient cru ne mèneraient pas une vie digne de leur foi. Que personne donc ne devienne comme la paille, ne se laisse aller au gré des flots, ne soit le jouet des mauvaises passions de telle sorte qu'il soit incapable de résister à leur souffle. Si vous demeurez un pur froment, la tentation aura beau vous assaillir, vous n'en souffrirez aucun mal. Car sur l'aire les roues n'écrasent pas le froment, bien qu'elles tracent un sillon. Si vous contractez la fragilité de la paille, vous subirez mille atteintes ici-bas, vous serez broyé par tout le monde, et dans l'avenir un supplice éternel sera votre partage. Avant même de tomber dans les feux de l'enfer, les hommes de ce caractère sont la pâture des appétits sensuels, comme la paille est celle des brutes; ce qui ne les empêche pas d'être après cela la proie des flammes.
Si Jean avait dit dès l'abord : il sera le juge de tous vos actes, sa parole n'aurait pas été aussi bien accueillie; mais, en y mêlant la parabole, en exposant tout sous cette forme de langage, il réussit mieux à persuader son auditeur, il l'attire en l'encourageant. Voilà pourquoi le Sauveur lui-même emploie si souvent, dans les instructions qu'il adresse au peuple, des images empruntées aux objets les plus familiers, aux usages ordinaires de la vie : c'est l'aire, la moisson, la vigne, le pressoir, le champ, le filet, la pêche. Le précurseur fait ici la même chose, et, pour dernière preuve de la vérité de ce qu'il dit, il présente le don de l'Esprit saint. Il semble dire : celui qui est assez puissant pour remettre les péchés et donner l'Esprit saint, accomplira tout cela sans peine. — Voyez-vous comment il laisse entrevoir déjà les mystères de la résurrection et du jugement ? — Et pourquoi, me demanderez-vous peut-être, n'a-t-il pas plutôt annoncé les signes et les miracles que le Christ allait accomplir ? — Parce que la venue de l'Esprit saint comprenait tout le reste, était le but de tout. En disant donc le principal, il n'omettait rien d'une manière essentielle, ni la défaite de la mort, ni la destruction du péché, ni l'effacement de la malédiction, ni la fin des anciennes guerres, ni l'entrée dans le paradis, ni l'ascension au ciel, ni la vie commune avec les anges, ni la possession des biens éternels ; car c'en est est là le gage. Promettre ce bienfait, c'était donc promettre la résurrection des corps, tous les prodiges qui doivent l'accompagner, la participation au céleste royaume, et ces biens « que l'œil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas entendus, et qui ne sont pas entrés dans le cœur de l’homme. » I Cor., II, 9. Oui, toutes ces choses nous étaient données dans ce seul don. Il était inutile, par conséquent, de mentionner les signes qui devaient bientôt se produire et qu'on pourrait juger par la vue; mais il importait d'affirmer ceux dont on doutait : que le Christ était le Fils de Dieu, que Jean le précédait, sans qu'on put établir entre eux une comparaison quelconque, que le Christ ôterait les péchés du monde, qu'il nous jugerait plus tard, que notre destinée n'est pas renfermée dans les choses présentes, que chaque coupable subirait après la mort la peine de ses fautes. Voilà ce qu'on ne pouvait pas mettre sous les yeux des auditeurs.
7. Formés par de telles leçons, déployons, tandis que nous le pouvons et que nous sommes encore dans l'aire, car il est possible ici-bas que la paille se change en froment, tout comme le froment est souvent devenu de la paille. Ne nous laissons donc pas décourager, ne nous laissons pas emporter à tout vent, ne nous séparons pas de nos frères, quelque petits et méprisables qu'ils paraissent. A considérer la taille, le froment est bien inférieur à la paille; mais il l'emporte de beaucoup quant à la valeur réelle. Ne regardez pas aux pompes du dehors, qui sont destinées au feu; ne cherchez que l'humilité véritable, ce solide diamant, qui ne saurait être divisé par le fer ni dévoré par la flamme. Voilà pourquoi Dieu tolère ceux qui ne sont qu'une paille légère; il veut que les justes deviennent meilleurs à leur contact, il retarde son jugement, afin que nous soyons tous couronnés ensemble, et qu'un plus grand nombre passent du vice à la vertu. Tremblons donc devant de telles images. Inextinguible est ce feu. — Et comment est-il inextinguible ? me direz-vous. — Ne voyez-vous pas ce soleil, toujours brûlant, jamais éteint ? N'avez-vous pas entendu parler du buisson ardent qui ne se consumait pas ? Voulez-vous échapper aux flammes, dépouillez-vous d'abord de votre insensibilité, et vous n'éprouverez jamais les atteintes de la géhenne. Si vous croyez maintenant ce qui vous est dit, vous ne verrez pas cette fournaise, à votre départ de la vie; si vous ne croyez pas, au contraire, l'expérience ne vous instruira alors que trop, sans qu’il vous soit possible de vous y soustraire. Le châtiment est inévitable, en effet, pour ceux qui n’auront pas suivi la bonne voie. Il ne suffit pas de croire : les démons croient et frémissent devant Dieu; mais leur torture n'en est pas moins éternelle. Appliquons-nous donc avec tout le soin dont nous sommes capables à bien diriger notre vie.
Voilà dans quel but nous vous réunissons fréquemment ici ; ce n'est pas simplement pour obtenir votre présence, c'est pour que vous en retiriez d'heureux fruits. Si vous venez toujours et vous retirez ensuite sans rien emporter à votre retour, à quoi vous sert cette double course ? Quand nous envoyons des enfants suivre l'école d'un maître, si nous reconnaissons qu'ils n’y font aucun progrès, notre indignation éclate d'abord contre le maître, et puis nous envoyons les enfants ailleurs : quelle excuse aurons-nous nous-mêmes, dans le cas où nous ne montrerons pas pour la vertu le zèle que nous avons pour les choses terrestres, revenant ainsi dans nos maisons avec nos tablettes vides ? Et cependant nous avons ici des maîtres bien plus nombreux et plus sages. Les prophètes et les apôtres, les patriarches et tous les saints viennent nous instruire à chacune de nos réunions. Mais aucun progrès ne se manifeste, nous n'en retirons aucun profit; à peine avez-vous mêlé votre voix au chant de deux ou trois psaumes et récité sans attention les prières accoutumées, que vous sortez aussitôt de l'église, pensant avoir assez fait pour votre salut. Vous n'avez donc pas entendu le prophète, ou plutôt Dieu parlant par sa bouche : « Ce peuple m'honore du bout des lèvres; mais son cœur est loin de moi. » Isa., XXIX, 13. De peur que cette parole ne vous soit applicable, hâtez-vous d'effacer les funestes leçons imprimées par le diable dans votre âme ; apportez-moi, je vous en conjure, un cœur exempt des préoccupations du siècle, afin que je puisse y graver en toute liberté mes enseignements. Pour le moment on n'y peut rien reconnaître, si ce n'est les caractères du démon, la rapine, la cupidité, la haine, la jalousie. Aussi, quand je revois vos tablettes, je ne puis plus les lire ; car je n'y retrouve pas l'écriture que nous-mêmes avions tracée le dimanche précédent: elle est remplacée par des lettres difformes et repoussantes. Quand, après cela, nous avons effacé de telles lettres, pour y substituer celles qui nous viennent de l’Esprit saint voilà qu'en vous retirant vous livrez encore au diable l'accès de votre cœur, pour qu'il puisse encore y laisser son empreinte. Quelle sera la fin de ces alternatives, la conscience de chacun le comprend, alors même que je ne le dirais pas. Pour ce qui me regarde, je ne cesserai de remplir mon devoir et de tracer de purs caractères. Si vous perdez le fruit de nos efforts, vous ne compromettrez pas pour cela notre récompense; seulement, vous attirerez un grave danger sur votre tête.
8. Assez de sévères représentations; j'aime mieux vous demander et vous supplier d'imiter au moins l'ardeur que les petits enfants témoignent. Ils apprennent d'abord la forme des lettres, puis à distinguer celles qui sont mal formées; et c'est alors qu'ils arrivent à lire. Suivons la même voie; divisons en quelque sorte la vertu : et d'abord, apprenons à ne prononcer ni jurements, ni parjures, ni malédictions; passant ensuite à une autre leçon, débarrassons-nous de l'envie, des affections sensuelles, des excès dans le boire et le manger, de la colère et de l'indolence; puis élevons-nous aux exercices spirituels, et cultivons la tempérance, la mortification, la chasteté, la modestie, l'humilité, le mépris de la vaine gloire, la componction; joignons ces vertus les unes aux autres, et gravons-les dans notre âme comme dans un tableau. Exerçons-les toutes dans l'intérieur de nos familles, envers les amis, la femme et les enfants. Commençons par les premières et les plus faciles, comme par l'abstention des jurements, et ne cessons de méditer chez nous cette leçon élémentaire. Beaucoup d'obstacles entraveront cette méditation : un serviteur, votre femme elle-même par sa fâcheuse humeur, votre enfant par son insubordination et ses désordres, vous exposent à la colère et parfois aux jurements. Si vous savez résister parmi tant d’occasions qui vous sont offertes dans votre maison, vous pourrez sans trop d'efforts demeurer invincible dans vos rapports avec vos concitoyens; vous en viendrez à ne jamais adresser une dure parole à personne, même dans votre intérieur, sans en excepter un membre quelconque de la famille. Souvent c'est en louant quelqu'un, en se disant malheureuse, que votre femme vous exciterait à lui parler avec emportement. Ne vous laissez pas entraîner à rabaisser celui qu'on loue, supportez tout avec patience ; serait-ce même vos serviteurs qui vantent devant vous d'autres maîtres, ne vous troublez pas, soyez généreux. Que votre maison vous soit une palestre, une préparation aux combats de la vertu, de telle sorte qu'après vous être consciencieusement exercé, vous puissiez figurer avec honneur dans les luttes publiques de l'agora.
Faites de même à l'égard de la vaine gloire. Si vous l'excluez de votre vie privée, vis-à-vis de votre femme, de vos enfants et de vos serviteurs, vous serez à l'abri de cette passion dans vos rapports avec les autres hommes. C'est une maladie dangereuse et tyrannique qui vous accompagne partout mais qui vous domine spécialement en présence de la femme. Si vous en triomphez alors, ce ne sera plus une peine pour vous d'en triompher ailleurs. Tenons la même conduite à l'égard de toutes les autres passions, exerçons-nous contre elles dans l'intérieur de nos maisons, ne passons pas un jour sans nous appliquer à de tels exercices. Pour mieux nous y ployer, déterminons une peine que nous nous infligerons si nous manquons à la résolution prise. Ce châtiment ne constituera pas pour nous un préjudice, il sera plutôt un gain, un avantage inappréciable : ainsi, par exemple, si nous nous condamnons à des jeûnes sévères, à coucher sur la dure, à d'autres mortifications du même genre. En prenant de tels moyens, nous obtiendrons des résultats aussi précieux que multiples, nous parcourrons avec bonheur le chemin de la vertu, nous obtiendrons les biens à venir et nous serons à jamais les amis de Dieu.
Mais, de peur que les mêmes inconvénients ne se renouvellent, et qu'après avoir admiré ce que vous avez entendu, vous n'alliez en sortant d'ici retomber dans la même négligence, vous livrer aux chances du hasard, abandonner au démon les tablettes de votre âme pour qu'il en efface de nouveau nos enseignements, appelez votre femme aussitôt que vous serez rentré dans votre maison, communiquez-lui ce que nous vous avons dit, prenez-la réellement pour aide; à partir de ce jour, que chacun descende dans cette glorieuse palestre, oint de l'huile de l'Esprit saint. Tomberiez-vous une ou deux fois, ou même plus souvent encore, ne vous découragez pas, ne renoncez pas à ce noble exercice, relevez-vous et combattez ; ne quittez pas la partie jusqu'à ce que vous ayez remporté sur le démon une victoire éclatante, et que vous ayez mis en lieu sûr le trésor de la vertu. Quand vous aurez décidément embrassé cette belle philosophie, vous ne pourrez plus transgresser par négligence les préceptes du Seigneur; l'habitude imitera la fixité de la nature. Autant il nous est aisé de dormir, de manger, de boire, de respirer, autant il nous le sera de pratiquer la vertu; nous en goûterons les pures délices, et, parvenus au port qui ne connait point d'orages, jouissant d'une perpétuelle sérénité, arrivés à la cité céleste avec un navire portant une riche cargaison, nous recevrons des couronnes immortelles.
Puissent-elles nous être données à tous, par la grâce et l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire et puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.