Saint Augustin
La vie éternelle
1. Notre espérance, mes frères, ne s'arrête ni à ce temps, ni à ce monde, ni aux jouissances dont se montrent follement épris les hommes oublieux de Dieu. Ce que nous devons savoir d'abord et nous rappeler sans cesse avec un cœur pieux, c'est que nous ne sommes point devenus chrétiens en vue des félicités de la vie présente, mais en vue de je ne sais quel autre bonheur que Dieu nous promet et que nous ne saurions comprendre encore ; car c'est de ce bonheur qu'il est dit : « Ce que l'œil n'a point vu, ce que l'oreille n'a point entendu, ce qui n'est point monté dans le cœur de l'homme, c'est ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment.»
Aussi l'homme n'ayant jamais goûté un bonheur si grand, si excellent, si ineffable, nous avions besoin de la promesse d'un Dieu. Non, l'obscurcissement où vit aujourd'hui le cœur humain ne lui permet pas de comprendre les divines promesses, et on ne saurait nous montrer, dans l'état actuel, ce que nous deviendrons plus tard. Voici un enfant qui vient de naître : il ne peut ni parler, ni marcher, ni rien faire; mais supposons qu'il puisse comprendre ce qu'on lui dit : il est, comme nous voyons ordinairement les enfants, faible, ne pouvant guère qu'être couché et incapable de se passer d'un secours étranger, quoique d'après notre supposition, il comprenne quand on lui parle. Figurons-nous donc qu'on lui dise : Tel que tu me vois aujourd'hui marcher, travailler et parler, tel tu seras dans quelques années.
En considérant, d'une part, sa faiblesse, et d'autre part, l'état de celui qui lui tient ce langage, il n'y croirait pas, et pourtant il aurait sous les yeux la promesse qui lui est faite. À nous aussi qui sommes des enfants, retenus dans ce corps avec ses infirmités, on nous promet de grandes choses, mais nous n'en voyons pas la réalité et pour croire ce que nous ne voyons pas et mériter de voir ce que nous croyons, il faut affermir notre foi. Si l'on outrage cette foi, si l'on s'imagine qu'il ne faut pas croire ce que l'on ne voit pas quelle confusion quand apparaîtra ce qu'on a refusé de croire ! Cette confusion suffira pour séparer des élus, et une fois séparés c'est la damnation. En croyant au contraire, on méritera d’être placé à la droite, et on se tiendra, plein de confiance et de joie au milieu de ceux à qui s'adressent ces paroles : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. » Et le Seigneur, après cette sentence conclut ainsi : « Ceux-ci iront dans les flammes éternelles, et les Justes, dans l'éternelle vie. » (Mt. XXV, 34,46.) Cette éternelle vie est bien celle qui nous est promise.
2. Ainsi, les hommes aiment à vivre sur cette terre, et on leur promet la vie; ils redoutent singulièrement la mort, et on leur assure une vie éternelle. Qu'aimes-tu ? À vivre. Tu vivras. Que crains-tu ? De mourir. Tu ne mourras pas. Il semble que la fragilité humaine devrait se contenter de la promesse de vivre éternellement. Ce qui se passe ici fait comprendre en quelque manière à l’esprit humain ce qui nous est réservé dans l'avenir. Et pourtant quelle disproportion! Ici en effet, parce qu'on vit et qu'on ne voudrait pas mourir, on aime la vie, on veut vivre toujours sans mourir jamais. Ceux néanmoins qui sont tourmentés dans le lieu des châtiments, désirent mourir et ils ne le peuvent. Aussi l'important n'est-il pas de vivre longtemps ni même toujours : c'est de vivre heureux.
On sacrifie tout pour différer l’inévitable : la mort
Aimons toutefois l'éternelle vie, et apprenons combien nous devons travailler pour elle, en considérant combien travaillent pour la vie présente, pour cette vie passagère et périssable ceux qui y sont attachés; combien aussi, quand ils sont menacés de la mort, ils s'empressent de tout faire non pas pour empêcher, mais pour ajourner le trépas. Que de peines on se donne en effet, quand on voit approcher la mort, pour la fuir, pour s'y dérober ! on sacrifie tout ce qu'on a pour s'en exempter, on s'épuise, on ne recule devant ni gêne ni torture, on recourt aux médecins, on essaie enfin tout ce qui est possible. Or à quoi aboutissent toutes ces dépenses et toutes ces douleurs? À obtenir de vivre un peu plus et non pas de vivre toujours. Ah ! si on se livre à tant de travaux, si l'on fait tant d'efforts et tant de frais, si l'on se condamne à tant d'essais, à tant de veilles et à tant de soins pour prolonger un peu sa vie, que ne doit-on pas faire pour vivre éternellement ? Et si l'on appelle prudents ceux qui emploient ainsi tous les moyens pour ajourner leur mort, pour vivre, pour ne perdre pas quelques jours, combien sont insensés ceux qui vivent de manière à perdre l'éternité même ?
3. Afin donc de nous faire apprécier le don de Dieu, il suffit de rapprocher ce qu'il nous promet de ce qu'il nous accorde maintenant ; car c'est à lui que nous sommes redevables de la vie et de la santé. Ainsi représentons-nous, quand on nous parle de vie éternelle, une vie exempte de tout ce que nous endurons dans celle-ci; car il nous est plus facile de découvrir ce qui n'y est pas que de dire ce qu'elle est. Ici nous vivons ; là nous vivrons aussi. Nous avons ici la santé quand nous ne souffrons ni maladie ni douleur corporelle ; là aussi nous aurons la santé. Quand enfin nous nous trouvons bien ici, c'est que nous n'avons aucune peine; nous n'en aurons point là non plus. Suppose maintenant un homme qui a la vie, la santé et qui est exempt de toute peine ; suppose encore qu'il lui est accordé d’être toujours dans le même état, de ne perdre jamais son bonheur, quelle ne serait pas sa joie, son ivresse ?
Pourrait-il modérer ses transports en se sentant ainsi sans peine, sans tourment, sans avoir à redouter la mort ? Ainsi, quand même Dieu ne nous promettrait que le bonheur que je viens de dire, que j'ai tâché de peindre par mes paroles et de vous mettre sous les yeux, combien ne faudrait-il pas l'acheter s'il était à vendre, combien ne faudrait-il pas donner afin de l'acquérir ? Serait-ce assez d'y consacrer tout ce que l'on a, lors même qu'on posséderait l'univers entier ?
Eh bien ! ce bonheur est à vendre; achète-le si tu veux. Ne t'inquiète pas excessivement de savoir comment payer un bien si précieux. Après tout, il ne vaut que ce que tu as. Si tu avais a faire l'acquisition de quelque grand et riche domaine, tu chercherais de l'or, de l'argent, des sommes considérables, peut-être aussi donnerais-tu les revenus de tes troupeaux et de tes terres, et cependant tu ne jouirais que durant ta vie terrestre de ce vaste et opulent domaine. Achète aussi, si tu en as envie, celui que je te propose. Pour le payer, ne cherche pas ce que tu possèdes, mais ce que tu es, car c'est toi qui en es le prix, et il vaut autant que toi. Donne-toi, et tu l'auras. Pourquoi donc te troubler ? Pourquoi t'inquiéter ? Faut-il que tu ailles bien loin pour te trouver ou pour t'acheter ? Livre-toi tel que tu es, et tu l'obtiendras.
Mais je suis mauvais, diras-tu, on ne m'acceptera peut-être point. En te livrant pour cet objet, tu deviendras bon; la bonté consiste à s'abandonner tout entier à la foi et à la promesse d'un bien si grand. Et lorsque tu seras devenu bon, tu suffiras pour le payer, et non seulement tu jouiras des avantages que j'ai énumérés, d'une santé parfaite, de la vie, et de la vie qui ne finit pas, mais encore tu seras à l'abri de beaucoup d'autres peines. Alors en effet il n'y aura plus ni lassitude ni sommeil, ni faim ni soif, ni croissance ni vieillesse, car il n'y aura pas non plus de naissance tout étant toujours au complet; et le nombre des élus étant toujours le même, il n'aura pas besoin d'augmenter, puisqu'il ne souffrira aucune diminution.
Que de douleurs écartées ! et je n'ai pas dit encore ce que sera ce bonheur. On y aura la vie, la santé, l'exemption de toute douleur, de la faim, de la soif, de la fatigue de toutes les peines semblables, je l'ai dit; mais je n'ai point énuméré encore « ce que l'œil n'a point vu, ce que l'oreille n'a point entendu, ce qui ne s'est point élevé dans le cœur de l'homme ». Si je l'avais énuméré, il ne serait pas vrai « que l'œil ne l'a point vu, que l'oreille n'a point entendu, et que cela ne s'est point élevé dans le cœur de l'homme ». Comment ce qui ne monte point dans le cœur de l'homme serait-il entré dans le mien pour me permettre de vous en parler ? On croit ce bonheur, on ne le voit pas ; non seulement on ne le voit pas, on ne saurait même l'exprimer. Mais quoi ? Peut-on croire ce qui ne se dit point ? Comment croire ce dont on n'entend pas parler ? Si pour y croire on en entend parler, c'est qu'on y pense; si on y pense et qu'on en parle, évidemment l'oreille en est frappée, évidemment aussi le cœur de l'homme s'en occupe puisqu'on ne saurait en parler sans y penser. Ainsi nos idées se troublent en face des questions relatives à ce bonheur immense, nous ne pouvons expliquer comment on peut y croire, comment donc expliquer en quoi consiste le bonheur même ?
4. C'est pourquoi interrogeons l'Évangile et pratiquons ce que le Seigneur vient de nous y enseigner. « Celui qui croit en moi, dit-il, passe de la mort à la vie, et ne vient pas en jugement. En vérité je vous le déclare, viendra une heure, et c'est maintenant, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'auront entendue vivront. Car comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d'avoir en lui-même la vie. » C'est en l'engendrant qu'il lui a donné cette vie, la génération même en est la communication. Le Fils en effet vient du Père, et non le Père du Fils, car le Père est Père du Fils, comme le Fils est Fils du Père. Le Fils aussi est engendré du Père, et non le Père du Fils; et comme le Fils existe éternellement, éternellement il est engendré. Mais qui peut comprendre un Fils éternellement engendré? En face de ce mot, engendré, chacun se dit naturellement : On n'a pas été toujours engendré. Que répondre ? Loin d'ici cette pensée. La génération du Fils n'a été précédée d'aucun temps, puisque « tout a été fait par lui'». S'il a tout fait, il a fait tous les temps comme le reste, et s'il a fait tous les temps, quel temps a pu exister avant lui ? Avant lui donc ne suppose aucun temps; toujours ce Fils a existé avec son Père. S'il a existé toujours avec son Père et toujours comme Fils, toujours aussi il a été engendré; et s'il a été engendré toujours, toujours il a existé comme le Père qui l'a engendré.
5. Jamais, diras-tu, je n'ai rien vu de semblable ; jamais je n'ai vu un fils aussi ancien que son père; le père est toujours plus avancé en âge que son fils. — Tu as raison de dire : Je n'ai jamais rien vu de semblable, puisque c'est un des mystères « que l'œil n'a point vus ». — Comment donc l'expliquer ? — On ne le saurait, car « l'oreille ne l'a point entendu et il n'est pas monté dans le cœur de l'homme ». Il faut le croire et le respecter. En le croyant, on le respecte; en le respectant, on profite; et en profitant, on finit par le comprendre. Tant que nous sommes revêtus de cette chair, tant que nous voyageons loin du Seigneur, nous sommes, relativement aux Anges qui contemplent ces merveilles, comme des enfants qui ont besoin du lait de la foi, avant de prendre la nourriture solide de la contemplation face à face. Ainsi en effet s'exprime l'Apôtre : « Tant que nous sommes dans ce corps, nous voyageons loin du Seigneur, car c'est par la foi que nous marchons et non par la claire vue ?» Nous arriverons effectivement à la claire vue que Jean nous promet en ces termes dans une de ses Épîtres : « Mes bien-aimés, nous sommes les enfants de Dieu, et ce que nous serons ne paraît pas encore.» - « Nous sommes les enfants de Dieu »; dès maintenant, par la grâce, par la foi, par les Sacrements, par le sang du Christ, par la rédemption du Sauveur. « Nous sommes les enfants de Dieu; mais ce que nous serons ne paraît pas encore. Nous savons seulement que lorsqu'il apparaîtra, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est.» (Jean III, 2.)
6. Voilà dans quel but on nous allaite ; c'est pour nous rendre capables de saisir, de prendre, de digérer cette autre nourriture; nourriture mystérieuse qui fortifie merveilleusement sans diminuer entre les mains de celui qui la prend. Les aliments que nous prenons maintenant, nous soutiennent sans doute, mais ils diminuent à mesure que nous les mangeons. Au contraire, lorsque nous nous serons mis à vivre de justice, de sagesse, à manger ce pain immortel, il nous soutiendra sans diminuer. Voyez l'œil; il vit de lumière, mais il n'amoindrit pas la lumière, puisqu'il en reste autant lorsque plusieurs en jouissent; si nombreux que soient les yeux qu'elle éclaire, elle demeure ce qu’elle était, elle nourrit sans s'amoindrir. Or, si Dieu a donné un tel pouvoir à la lumière en faveur des yeux qui dirigent notre corps, que ne peut-il lui-même sur l'œil de l'âme ? Si l'on te vantait un aliment distingué que tu vas prendre, tu te disposerais sans doute à en nourrir ton corps; mais quels éloges ne te fait-on pas de Dieu ? Prépare donc ton âme.
7. Voici ce que te dit ton Seigneur : « Viendra une heure et c'est maintenant. - Viendra une heure et nous sommes » à cette heure, « où ». Où quoi ? « Où les morts entendront la voix du Fils de Dieu; et ceux qui l'auront entendue, vivront. » Il s'ensuit que ceux qui ne l'auront pas entendue, ne vivront pas. Qu'est-ce que l'entendre ? C'est y obéir. Qu'est-ce que l'entendre ? C'est y croire et la suivre, pour avoir ainsi la vie. Avant donc d'y croire et d'y obéir, on était mort ? Oui, debout ou couché on était mort. Mais que servait à ces morts de marcher? Hélas ! si quelqu'un de ces morts venait à mourir physiquement, les autres s'empresseraient, ils prépareraient un cercueil, l'y enfermeraient, l'emporteraient, ces morts enfin enseveliraient un mort. Aussi est-il dit : « Laisse les morts ensevelir leurs morts.» ( Mt. VIII, 22). Eh bien ! ce sont ces morts que ressuscite la parole de Dieu et qu'elle fait vivre de la foi. L'infidélité en avait fait des morts ; la parole de Dieu en fait des vivants. Quand ? Le Seigneur l'a dit : « L'heure viendra, et c’est maintenant. » Aussi bien sa parole ressuscitait-elle ces victimes de l'infidélité. À elles encore s'adresse l'Apôtre : « Lève-toi, toi qui dors; lève-toi d'entre les morts, et le Christ t'illuminera.» (Ep. V, 14). Cette espèce de résurrection est la résurrection des esprits, la résurrection de l'homme intérieur, la résurrection de l'âme.
8. Il y a encore une autre résurrection, c'est la résurrection du corps. Quand l'âme est ressuscitée, le corps ressuscite pour son bonheur. Toutes les âmes ne ressuscitent pas, mais tous les corps ressusciteront. Toutes les âmes ne ressuscitent pas, mais seulement celles qui croient et qui obéissent, car il est dit : « Ceux qui l'auront entendue, vivront. » D'un autre côté l'Apôtre observe que « tous n'ont pas la foi». (IITh. III, 2) Or, si tous n'ont pas la foi, c'est que toutes les âmes ne ressuscitent pas. Tous au contraire ressusciteront corporellement, lorsque viendra l'heure de la résurrection bons ou mauvais, tous ressusciteront, mais avec cette différence que si l'âme est ressuscitée déjà, le corps ressuscitera pour son bonheur, tandis que l'âme n'étant point ressuscitée, c'est pour son malheur que ressuscitera le corps. Si l'âme est ressuscité, le corps ressuscitera pour la vie; et si l'âme n'est point ressuscitée, c’est pour son supplice que le corps ressuscitera.
Après nous avoir parlé de cette résurrection des âmes à laquelle nous devons tous courir, dans laquelle nous devons tous travailler à vivre, et à vivre de manière à y persévérer jusqu'à la fin, ne convenait-il pas que le Sauveur nous instruisit aussi de la résurrection des corps qui s'accomplira à la fin du monde ? Écoutez comment il nous en parle.
9. Il vient de dire : « En vérité je vous le déclare, l' heure viendra, et c'est maintenant, où les morts », c'est-à-dire les infidèles, « entendront la voix du Fils de Dieu », l’Évangile; « et ceux qui l’auront entendue », qui y auront obéi, « vivront », seront justifiés, ne seront plus infidèles. Après donc avoir parlé ainsi, il remarque qu'il doit nous instruire aussi de la résurrection de la chair et ne pas nous laisser dans notre ignorance; il poursuit alors son discours. « De même, dit-il, que le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d'avoir en lui-même la vie. » Ceci se rapporte encore à la résurrection, à la justification des âmes. Jésus ajoute : «Il lui a donné aussi le pouvoir de juger, parce qu'il est le fils de l’homme. »
Ainsi le Fils de Dieu est en même temps fils de l'homme, et s'il était resté Fils de Dieu sans devenir fils de l'homme, il ne sauverait pas les enfants des hommes. Mais après avoir fait l'homme, il est devenu ce qu'il a fait, pour ne pas le laisser périr. Toutefois, en se faisant homme, il est resté Fils de Dieu ; car il s'est fait homme en prenant ce qu'il n'était pas, sans sacrifier ce qu'il était; en restant Dieu il s'est fait homme. Il a pris ce que tu es, sans s'y perdre, et c'est ainsi qu'il est venu parmi nous, Fils de Dieu et fils de l'homme tout à la fois, formateur et formé, créateur et créé, créateur de sa mère et créé de son sang; c'est donc ainsi qu'il s'est présenté à nous. Or, c'est comme Fils de Dieu qu'il a dit : « Viendra l'heure, et c'est maintenant, que les morts entendront la voix du Fils de Dieu » ; du Fils de Dieu et non du fils de l'homme, car il s'agissait ici de la vérité, et comme Vérité le Fils est égal au Père. « Et ceux qui auront entendue, vivront. Car, de même que le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d'avoir en lui-même la vie »; en lui-même et non dans autrui. Pour nous, si nous avons la vie, ce n'est pas en nous mais en notre Dieu; tandis que le Père a la vie en lui et qu'en engendrant son Fils il lui a accordé d'avoir aussi la vie en soi, d'être lui-même une source de vie à laquelle nous devons puiser, oui, d'avoir la vie en lui-même, d'être lui-même la vie.
Quant à sa qualité de fils de l'homme, c'est de nous qu'il l'a reçue. Considéré en lui-même, il est Fils de Dieu, et par nous il est fils de l'homme; Fils de Dieu par sa nature, fils de l'homme par la nôtre. Mais s'il a reçu de nous ce qu'il y a de moindre en lui, il nous a communiqué ce qu'il y a en lui de plus grand. Il est mort en effet, non en tant que Fils de Dieu, mais en tant que fils de l'homme; et cependant c'est le Fils de Dieu qui est mort, mort selon la chair et non comme étant le Verbe qui s'est fait chair et qui a habité parmi nous (Jn I, 14). Il est donc mort, mort dans ce qu'il tenait de nous; et si nous vivons, c'est à lui que nous en sommes redevables. Comme il ne pouvait mourir par lui-même, nous ne saurions vivre par nous. C'est donc comme Dieu, comme Fils unique de Dieu, comme égal à son Père, que le Seigneur Jésus nous promet la vie, si nous l'écoutons.
10. Dieu donc, continue-t-il, « lui a donné aussi le pouvoir de juger, parce qu'il est fils de l'homme ». Aussi c'est comme homme qu'il viendra juger, et c'est pour nous l'apprendre qu'il dit : « Dieu lui a donné aussi le pouvoir de juger, parce qu'il est le fils de l'homme. » Le fils de l'homme sera donc notre Juge; la nature qui a été jugée en lui, jugera à son tour. En voulez-vous une nouvelle preuve ? Écoutez. Un prophète avait dit bien auparavant : « Ils verront Celui qu'ils ont percé.» Oui, ils verront cette même nature qu'ils ont frappée à coup de lance. Ils verront siéger comme juge, Celui qu'ils avaient vu debout devant un juge; et condamner de vrais coupables, Celui qui a été faussement condamné comme coupable. Il viendra en personne, Il viendra dans sa nature humaine. C'est ce qu'enseigne aussi l'Évangile. Au moment où il montait au ciel sous les yeux de ses disciples ceux-ci restaient debout et le regardaient, et tout coup ils entendirent ces paroles qui leur étaient adressées par des Anges : « Hommes de Galilée, pourquoi vous tenez-vous là ?, etc. Ce Jésus viendra de la même manière que vous l'avez vu alla au ciel. » Que signifie de la même manière ? Il viendra avec même nature, « car il a reçu le pouvoir de juger, comme étant fils de l'homme ».
Or, voyez s'il n'était pas nécessaire, s'il n'était pas juste que les hommes vissent leur Juge ? Devant lui devaient comparaître les bons et les méchants. Mais il est dit : « Heureux ceux qui ont cœur pur, car ils verront Dieu. » ( Mt v, 8. ) Il fallait donc qu'au moment jugement la nature humaine fût montrée aux bons et aux méchant et qu'aux bons seuls fût réservée la vue de la nature divine.
11. Que recevront en effet les bons ? Je vais dire enfin ce que je n'ai pas dit encore, et tout en le disant je ne l'exprimerai pas. J'ai dit que nous aurons alors la vie, la santé, une santé parfaite, que nous serons exempts de toute peine, n'ayant plus à souffrir ni la faim, ni la soif, ni aucune défaillance, ni la crainte de perdre la vue. J'ai dit tout cela, mais je n'ai pas dit ce que nous aurons de plus. Nous verrons Dieu. Or cette vue de Dieu est une faveur si haute et si grande, que rien n'y est comparable. Je l'ai dit : Nous aurons la vie, la santé et une santé parfaite, nous n'endurerons ni la faim ni la soif, ni abattement de lassitude, ni accablement de sommeil. Mais qu'est-ce que tout cela en présence du bonheur de voir Dieu ? Ainsi, Dieu n'étant pas aujourd'hui pour nous visible tel qu'il est, dès que néanmoins nous le verrons, n'est-ce pas pour ce motif que « ce que l'œil n'a point vu, ce que l'oreille n'a point entendu », sera contemplé par les bons, contemplé par les hommes pieux, contemplé par les cœurs compatissants, contemplé par les fidèles, contemplé enfin par ceux qui auront heureusement part à la résurrection des corps, pour avoir heureusement obéi quand il s'agissait de la résurrection des âmes ?
12. Le méchant aussi verra-t-il Dieu? Isaïe dit de lui : « Que l'impie disparaisse et ne voie point la gloire de Dieu. » (Is XXVI, 10). Ainsi les pieux et les impies verront sa nature humaine; mais après cette sentence : « Que l'impie disparaisse et ne voie point la gloire de Dieu »; il faudra que s'accomplisse envers les pieux et les juste la promesse faite par le Seigneur lorsqu'il vivait sur la terre et que les méchants le voyaient aussi bien que les bons. Alors en effet il faisait entendre sa parole au milieu des bons et des méchants : tous le voyaient, voyaient son humanité, mais non pas sa divinité, et tandis que sa divinité dirigeait secrètement les hommes, il paraissait parmi eux comme l'un d'entre eux et leur disait : « Celui qui m'aime observe mes commandements; celui qui m'aime sera aimé de mon Père, et moi aussi je l'aimerai. » Puis, comme si on lui avait demandé : Que lui donnerez-vous donc ? « Et je me montrerai à lui, poursuit-il » (Jn xIv, 21. ) Quand parlait-il ainsi ? Quand les hommes le voyaient. Quand parlait-il ainsi? Quand le voyaient ceux mêmes qui ne l'aimaient pas. Si donc il voulait se montrer à ceux qui l'aimaient, c'était sous une forme qu'eux-mêmes ne voyaient pas en lui, c'était comme Dieu, car ils le voyaient comme homme. Ainsi donc, comme homme il parlait aux hommes et se montrait ostensiblement aux bons et aux méchants; mais comme Dieu il se réservait à ses amis.
13. Quand doit-il se révéler à eux ? Après la résurrection des corps, quand l'impie disparaîtra pour ne voir pas la gloire de Dieu. Alors en effet, « lorsqu'il apparaîtra, nous lui serons semblables, car nous le verrons tel qu'il est»(Jn III,2). En cela consiste la vie éternelle, et tout ce que nous en avons dit jusqu'alors n'est rien. Qu'est-ce effectivement que la vie présente ? Qu'est-ce que la santé ? Mais voir Dieu, voilà ce qui est important, en cela consiste la vie éternelle. Lui-même d'ailleurs l'a déclaré. « La vie éternelle, a-t-il dit, est de vous connaître, vous qui êtes le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ. » (Jn XVII, 3) Oui, la vie éternelle est de connaître, de voir, de saisir, de pénétrer ce qu'on a cru, de posséder ce qu'on ne pouvait goûter jusqu'alors. Ô âme humaine, vois enfin ce que l'œil n'avait point vu, ce que l'oreille n'avait point entendu, ce qui n'était point monté dans le cœur de l'homme; car à la fin il sera dit aux justes : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. » Et tandis que les méchants iront brûler éternellement. où iront les justes ? « À l'éternelle vie.» (Mt XXV, 34, 46). Qu'est-ce que l'éternelle vie? « L'éternelle vie consiste à vous connaître, vous qui êtes le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ. »
14. C'est donc de la future résurrection des corps que parle le Sauveur, lorsque pour ne nous laisser pas dans l'ignorance, il dit : « Dieu lui a donné le pouvoir de juger comme étant le fils de l'homme. Ne vous en étonnez pas; car viendra l'heure. » Il n'ajoute pas ici. « Et c'est maintenant », parce que l'heure dont il parle ne viendra que plus tard, à la fin des siècles, parce que cette heure est l'heure dernière et sonnera avec la dernière trompette. «Ne vous en étonnez pas »; de ce que j'ai dit : « Il lui a donné le pouvoir de juger, comme étant fils de l'homme. Ne vous en étonnez pas. » Car il faut que l'homme soit jugé par l'homme. Mais quels sont les hommes que jugera Jésus-Christ ? Ceux qu'il trouvera en vie ? Non seulement ceux-là. Lesquels encore ? « Viendra l'heure où ceux qui sont dans les tombeaux. » Comment désigne-t-il ceux qui sont morts corporellement ? Il les appelle « ceux qui sont dans les tombeaux », ceux dont les cadavres gisent ensevelis; ceux dont la cendre est recouverte et les ossements dispersés, ceux enfin dont la chair n'est plus chair, quoique pour Dieu elle soit encore dans son intégrité. « Viendra l'heure où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix et en sortiront tous. » Bons et mauvais, tous entendront sa voix et sortiront ; car tous les liens de la mort seront rompus et tout ce qui est détruit, ou plutôt tout ce qui paraît l'être sera rétabli. Si Dieu a fait l'homme, quand l'homme n'était pas, ne peut-il refaire ce qui a déjà existé ?
15. Il n'est sans doute pas incroyable que Dieu puisse ressusciter les morts; c'est de Dieu et non de l'homme qu'il s'agit. Quelle œuvre ! elle peut même paraître incroyable, mais pour y croire, considère Celui qui en sera l'auteur. Qui te ressuscitera ? Celui qui t'a créé. Tu n'étais pas, tu es maintenant ; et quand tu es créé tu n'existerais plus ? N'en crois rien. En faisant ce qui n’était pas, Dieu a fait quelque chose de plus étonnant; et eux-mêmes qu’il a faits quand ils n'étaient pas ne croient pas qu'il puisse refaire ce qui a déjà été ? Est-ce là notre reconnaissance pour Celui qui nous a formés quand nous n'étions pas ? Notre gratitude envers lui est-elle de le croire impuissant à ressusciter ce qu'il a créé ? Est-ce là la récompense qu'il reçoit de sa créature ? Ô homme, te crie le Seigneur, si je t'ai donné l'être quand tu ne l'avais pas, si tu as pu devenir ce que tu n'étais pas, est-ce pour ne pas croire sur ma parole que tu seras ce que tu étais ?
Pourtant, dit-on, je ne vois dans ce sépulcre que cendre, poussière, ossements; et tout cela reprendrait vie, forme, chair et beauté; tout cela ressusciterait ? Qu'est-ce donc que cette cendre ? Que sont ces ossements ? - Eh bien ! tu ne vois dans le sépulcre que cendre et ossements; mais qu'y avait-il dans le sein de mère ? Ce que tu vois est encore cendre et ossements ; mais avant de recevoir l'existence, tu n'étais ni ossements ni cendre. Tu n'étais absolument rien, et tu es devenu quelque chose; après avoir reçu ce que tu n'avais pas, tu ne crois pas que ces ossements, qui malgré tout sont encore quelque chose, reprendront la forme qu'ils avaient ? Crois-le ; car en le croyant, ton âme ressuscitera; et si ton âme ressuscite maintenant, maintenant que son heure est venue; ton corps ressuscitera heureusement, il ressuscitera quand sera venue l'heure où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix et en sortiront. Car il ne te suffit pas, pour te livrer à la joie, de l'entendre aujourd'hui et de lever la tête; écoute ce qui suit : « Ceux qui auront fait le bien, pour ressusciter à la vie; mais ceux qui auront fait le mal, pour ressusciter à leur condamnation. »
Tournons-nous, etc.