Saint Jean Chrysostome

Homélie 10 sur la deuxième épître aux Corinthiens

Nous savons que, si cette maison de terre que nous habitons se dissout, Dieu nous destine, dans le ciel, une maison qui n'est point faite de main d'homme et qui durera éternellement.

1. Il stimule de nouveau leur ardeur, à cause de leurs nombreuses épreuves; et puis son absence devait certainement les avoir affaiblis. Que leur dit-il donc ? Il ne faut pas que nous soyons étonnés, moins encore troublés, des maux qui nous assaillent; car il en résulte pour nous plusieurs avantages. Il en a déjà signalé quelques-uns, tels que celui de porter en nous la mortification de Jésus, celui d'offrir une grande preuve de sa puissance, « Pour qu'on reconnaisse la supériorité de la puissance de Dieu; » celui de proclamer sa résurrection et d'en rendre témoignage, « Afin que la vie de Jésus se manifeste dans notre chair mortelle. » Il a dit, de plus, que par là l'homme intérieur grandit et s'améliore en nous, « Quoique l'homme extérieur se décompose, l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour. » Et maintenant, pour mieux faire ressortir l'avantage des mauvais traitements et des persécutions, il nous montre les biens sans nombre qui doivent en résulter pour la victime, alors qu'elle paraît avoir complètement succombé. Pour que cette décomposition de l'homme extérieur ne vous jette pas dans l'angoisse, il vous déclare que vous posséderez le vrai bonheur aussitôt qu'elle sera consommée, que vous entrerez alors dans une vie meilleure. Loin donc d'avoir à gémir en voyant la destruction s'accomplir progressivement, il faut demander qu'elle devienne totale; car une pareille corruption nous mène à l'incorruptibilité.

Voilà le sens de ces paroles: « Nous savons que, si la maison de terre que nous habitons se dissout, Dieu nous réserve, dans le ciel, une maison qui n'est pas faite de main d'homme et qui doit durer à jamais. » Comme il touche encore à la doctrine de la résurrection, et comme c'était là surtout leur côté vulnérable, il en appelle au jugement même de ses auditeurs; et c'est ainsi qu'il établit cette doctrine, en s’appuyant sur une base différente de celle qu'il avait d'abord choisie. Les ayant déjà ramenés à la vérité, il prononce ici cette sentence: « Nous savons que, si la maison de terre que nous habitons se dissout, Dieu nous réserve, dans le ciel, une maison qui n'est pas faite de main d'homme et qui doit durer à jamais. » Quelques-uns pensent que cette maison de terre est le monde visible; pour moi, je suis d'avis qu'elle représente plutôt notre corps. Considérez, je vous prie, comment, par les expressions mêmes, il nous fait voir à quel point les choses futures l'emportent sur les choses présentes. A la terre il oppose le ciel; à cette maison qui n'est qu'une tente, selon le texte primitif, une habitation dès lors fragile et passagère, il oppose une maison qui dure à jamais; et, de fait, une tente ne sert le plus souvent qu’à un séjour momentané. Le Christ disait : « Dans la maison de mon Père se trouvent diverses demeures. » Joan., XIV 2. S'il arrive que le lieu de repos des saints soit désigné par le nom de tente, ce nom n'est pas seul, il est accompagné d'un autre mot qui le détermine. Ainsi le Sauveur ne dit pas simplement: « Afin qu'ils vous reçoivent dans leurs tentes; » il dit: « ... dans leurs tentes éternelles. » Luc., XVI, 9. En parlant de cette maison « qui n'est pas faite de main d'homme, » l'Apôtre fait entendre que l'autre l'est. — Mais quoi, cela peut-il se dire du corps ? — Non certes. Peut-être cette expression s'applique-t-elle à nos maisons terrestres, ou, si ce n’est pas le cas, ce n'est pas du corps non plus qu'il faut l'entendre. Le parallèle ne se poursuit pas jusque-là; ce trait n'est qu'un éloge, sans rapport avec ce qui précède. « Voilà pourquoi nous gémissons, désirant ardemment revêtir notre demeure des cieux. » Quelle est cette demeure, dites-moi ? Un corps à l'abri de la corruption. Et pourquoi gémissons-nous ? Parce que ce sera là notre bonheur véritable. Paul l'appelle notre demeure des cieux à cause de cette incorruptibilité même. Ce n'est pas que le corps nous vienne du ciel, la grâce seule en descend, et c'est la pensée exprimée dans cette image.

Bien loin d'avoir donc à gémir sur certaines épreuves, nous devons absolument les désirer. C'est comme s'il nous était dit: tu t’affliges d’être persécuté, de voir l'homme extérieur se décomposer en toi ? Gémis plutôt que cela n'ait jas lieu d'une manière complète, que la décomposition ne soit pas consommée. Voyez-vous comme Paul a pris le contre-pied des idées qui circulent, et montre qu'il faut s'affliger des tribulations que nous n'avons pas, et non de celles que nous avons. L'épreuve subie, il n'appelle plus le corps une tente, il l'appelle une demeure, et certes à bon droit : une tente est facilement enlevée, tandis que cette demeure doit rester éternellement. « Si toutefois nous sommes trouvés vêtus, et non pas nus. » Cela veut dire que nous ne serons pas au ciel sans le corps, quoique nous l'ayons laissé sur la terre, parce qu'il nous aura été rendu, mais incorruptible.

Tous auront part à la résurrection, mais pas tous dans la gloire

Les mots que nous venons de citer sont regardés par plusieurs, et certes à bon droit, comme exprimant une condition indispensable. Il ne faut pas que la résurrection soit pour tous un motif de confiance; elle ne l'est que pour ceux qui seront « trouvés vêtus, » dont le corps aura revêtu l'incorruptibilité, l'immortalité bienheureuse; elle ne le serait pas pour nous si nous étions « trouvés nus, » dépouillés de gloire et de sécurité. Paul l'avait dit dans sa précédente Épitre aux Corinthiens : « Nous ressusciterons tous sans doute, mais chacun à son rang... Il y a des corps célestes, il y en a de terrestres. » I Cor., XV, 23-40. Tous auront part à la résurrection, il n'en sera pas de même de la gloire : les uns ressusciteront dans l'honneur, les autres dans la honte; les uns pour régner, les autres pour subir leur peine. C'est la pensée qu'il exprime encore ici: « Si nous sommes trouvés vêtus, et non pas nus. Nous-mêmes qui sommes dans cette demeure du corps, nous gémissons, parce que nous ne voulons pas être dépouillés, et que nous désirons plutôt un vêtement nouveau. "

2. Dans ce passage, il confond, une fois de plus, les hérétiques, mais d'une manière claire et décisive; car il ne parle pas de deux corps différents. il parle de deux états contraires, il oppose la corruption à l'incorruptibilité. Si nous gémissons, dit-il, ce n'est pas que nous désirions être délivrés du corps. Non, nous ne le repoussons pas; ce que nous repoussons de tous nos vœux, c'est la corruption qui le rend captif. Le sens de sa parole est donc celui-ci : Nous n'aspirons pas à dépouiller le corps, nous aspirons à ce qu'il soit revêtu d'incorruptibilité. Lui-même s'interprète, en ajoutant aussitôt: « Afin que les éléments corruptibles soient absorbés par la vie. » C'est une chose qui répugne à la plupart des hommes, que d'avoir à se séparer du corps; et ce mot, « nous gémissons, » heurtait de front l'opinion commune, puisqu'on ne veut pas s'en séparer. Si l'âme elle-même éprouve tant de douleur quand elle le quitte, comment pouvez-vous dire que vous gémissez parce que vous n'en êtes pas délivré ? Il prévient cette objection, en leur disant : Tel n'est pas le sens de ma parole; nous ne soupirons pas après cette séparation; personne ne la subit sans chagrin, à tel point que le Christ disait à Pierre lui-même : «  Ils t'enlèveront, et te mèneront où tu ne voudras pas. » Joan., XXI, 18. Nous demandons seulement qu'il revête l'incorruptibilité. Ce qui me rend le fardeau si pénible, ce n'est pas le corps précisément, c'est qu'il soit sujet à la corruption et à la souffrance. Voilà ce dont nous sommes affligés. La vie que nous espérons aura pour effet de détruire et de dévorer la corruption, et non le corps. — Comment ? - Vous n'avez pas à le demander, c'est l'œuvre de Dieu; que cela vous suffise. Aussi Paul ajoute : « Or, celui qui nous a créés dans ce but, c'est Dieu. » Il nous apprend, de la sorte, que c'est une chose décrétée d'avance.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que Dieu l'a résolu, c'est quand il nous formait d'un peu de terre, quand il créait Adam; car il le créa, non pour le dévouer à la mort, mais pour le rendre immortel. L'Apôtre confirme ainsi cette assertion : « Qui, de plus, nous a donné les arrhes de l'Esprit. » A l'origine, il avait déjà créé l'homme dans ce but, et maintenant il l'y conduit par le baptême, nous donnant de ce bienfait le plus précieux gage, l’Esprit saint. Il le désigne souvent sous le nom d'arrhes, nous le présentant comme garant de tout, et rendant ainsi sa parole indubitable pour les esprits même les plus grossiers. « Toujours donc pleins de courage et sachant…» Cette confiance qu'il témoigne, c'est à cause des persécutions, des embûches, des morts qu'il fallait chaque jour affronter. C'est comme s'il disait : quelqu'un te tourmente, te poursuit, en veut même à ta vie ? Ne te laisse pas abattre; tout arrive pour ton bien, ne crains pas, aie confiance. Ce dont tu te plains, ce qui cause ta tristesse, détruira précisément la chaîne qui te retient sous le pouvoir de la corruption, et te fera plutôt obtenir ta liberté. De là cette parole: « Toujours donc pleins de courage, » non seulement dans le calme, mais encore dans les tribulations; « et sachant que, pendant notre séjour dans ce corps, nous voyageons loin du Seigneur; car nous marchons dans la foi et non dans la vision; nous avons la confiance et la sincère volonté de nous éloigner du corps et d'aller habiter avec le Seigneur. »

Il a réservé pour la fin ce qu'il y a de plus sublime : être avec le Christ, c'est infiniment mieux qu'être incorruptible. Ce que l'Apôtre dit, le voici : Celui qui nous attaque ou qui même nous tue, ne nous enlève pas la vie; soyez donc sans crainte, ayez confiance en recevant même le coup mortel. Celui-là ne vous délivre pas seulement de la corruption et du fardeau, mais encore il vous envoie tout de suite au Seigneur.

Considérez les expressions de l'Apôtre; il ne nous représente pas le corps comme une chose qui nous soit étrangère. « Sachant donc que, pendant notre séjour dans le corps, nous voyageons loin du Seigneur, nous avons la confiance et le sincère désir de nous éloigner du corps pour être présents au Seigneur. » Voyez avec quel soin il écarte les images lugubres, jusqu'à ces mots de mort et de trépas, pour y substituer l’idée la plus attrayante : celle d'une transmigration vers Dieu, tandis qu'il enlève à la vie terrestre toute séduction et la revêt de sombres couleurs en l'appelant un pèlerinage; il agit ainsi pour que personne n'attache son cœur à la demeure présente, pour que chacun en sente le poids, et que, loin de tomber dans le trouble quand il faudra partir, nous soyons dans la joie, comme allant prendre possession d’une vie plus heureuse. Sur cette parole, « Nous voyageons loin du Seigneur, » quelqu'un eût pu lui dire : Que signifient ces mots ? Sommes-nous donc étrangers à Dieu parce que nous vivons sur la terre ? Il prévient cette objection en ajoutant aussitôt: « Nous marchons dans la foi et non dans la claire vision.»

Nous connaissons Dieu sans doute, mais non d'une manière directe. C'est ce qu'il avait dit ailleurs en parlant de miroir et d'énigme. « Nous avons la confiance et la bonne volonté. » Ciel ! où donc en vient-il ? A formuler le désir suprême de la mort, nous montrant la douceur dans l'amertume, et l'amertume dans la douceur. Cette bonne volonté, c'est une prière. Et que demandons-nous ? De sortir du corps pour jouir de la présence du Seigneur. Paul suit constamment cette méthode, comme je l'ai déjà remarqué, il retourne en sa faveur les objections de ses adversaires. « Aussi nous efforçons-nous, absents comme présents, de lui plaire. » Nous n'abandonnons jamais la pensée, que nous soyons dans un endroit ou dans un autre, de vivre selon son bon plaisir : telle est notre résolution invariable. Désormais vous possédez le royaume sans épreuve. — Comme ils désiraient tant de le voir, de peur que son retard ne les plongeât dans la tristesse, il leur transmettait déjà la somme de tous les biens. En quoi consiste-t-elle ? A se rendre agréable à Dieu. Ce qu'il y a de beau, ce n'est pas simplement de quitter la terre, c’est de là quitter après avoir fait ses preuves : tout comme ce qu'il y a de lourd, ce n'est pas simplement de vivre sur la terre, c'est d'y vivre dans le mal.

3. N'allez donc pas croire qu'il suffise de se dépouiller du corps; partout la vertu nous est nécessaire. C'est ainsi qu'après avoir parlé de la résurrection Paul ne veut pas que nous y mettions toute notre confiance; il faut, dit-il, « que nous soyons trouvés vêtus, et non pas nus. » Après avoir également parlé du départ, ne voulant pas nous laisser dans la pensée que cela suffise pour le salut, il ajoute qu'il faut, de plus, être agréable à Dieu. Les ayant ranimés par le sentiment de l'espérance, il fait ensuite mouvoir le ressort de la peur. Notre bonheur consiste dans la fuite du mal et dans l'acquisition du bien, ce à quoi correspondent la géhenne et le royaume. Le désir d'éviter le châtiment exerce d'ailleurs l'action la plus grande. En effet, lorsque la peine ne va que jusqu'à nous priver de recevoir un avantage, le commun des hommes la supporte sans difficulté; mais il n'en est plus de même quand elle implique un mal à souffrir.

Il faudrait sans doute regarder la perte d'un bien comme une chose intolérable; c'est la faiblesse, ainsi que l'abjection, qui nous fait paraître le châtiment plus pénible. La plupart des auditeurs étant disposés à se laisser mener par la crainte plutôt que par l'espérance, force était à Paul de conclure par ce langage: « Nous devons tous être manifestés devant le tribunal du Christ.» Après avoir évoqué, cependant, l'image de ce tribunal, il se hâte de mêler une pensée consolante à ce terrible souvenir; et c'est pour cela qu'il ajoute: « Afin que chacun rende compte du bien ou du mal qu'il aura fait durant sa vie mortelle. » En parlant ainsi, il relève le courage des hommes vertueux et persécutés, tout en secouant par la terreur l'indolence de ceux qui sont tombés; de plus, il confirme le dogme de la résurrection des corps. Ce qui nous a servi dans nos actes, dit-il, doit participer à la résurrection : le corps recevra la punition ou la couronne en même temps que l'âme. Mais, d'après certains hérétiques, c'est un autre corps qui doit ressusciter. D'où viendrait cela, je vous prie ? Ainsi donc l'un aurait péché, et l'autre serait puni; l'un aurait fait le bien, et l'autre recevrait la couronne ? Que répondrez-vous à cette parole de Paul : « Nous ne voulons pas être dépouillés, nous voulons être vêtus ? »

Comment les éléments corruptibles seraient-ils absorbés par la vie ? Paul n'a pas dit : afin que le corps mortel ou corruptible soit absorbé par un corps incorruptible; il nous montre la corruption absorbée par la vie. Ceci se réalise quand c'est le même corps qui revient à la vie. Si celui-là était remplacé par un autre, loin d'être absorbée, la corruption resterait et conserverait son empire Aussi n'est-ce pas ce qui a lieu ; il faut que ce corps corruptible revête l'incorruptibilité. Le même corps est là, corruptible d'abord, incorruptible ensuite; et son premier état s'explique, parce que l'incorruptibilité ne saurait finir. « La corruption n'a pas pour héritage l'incorruptibilité. » 1 Cor., XV, 50. Cela répugnerait dans les termes; c'est la corruption qui sera absorbée par la vie : celle-ci triomphe de celle-là, et le contraire ne peut pas être. De même que la cire est consumée par le feu, et non le feu par la cire, de même la corruption est détruite et consumée par l'incorruptibilité, qui, de sa nature, échappe aux atteintes de la corruption. Ecoutons donc la voix de Paul nous disant : «Nous devons comparaître au tribunal du Christ ». Représentons-nous vivement ce tribunal redoutable, supposons que nous y sommes déjà, que le moment est venu de rendre nos comptes. J'insisterai là-dessus. Paul, dont le discours portait sur les tribulations, ne voulant pas affliger davantage ses auditeurs, ne s'appesantit pas sur ce sujet; il se borne à dire : « Chacun rendra compte de ses actions; » et, ce coup frappé, il se hâte de passer outre.

Représentons-nous donc que le jour suprême est arrivé; que chacun discute sa conscience, comme s'il était devant le souverain Juge, et sur le point de voir tout mis à découvert; car nous ne devons pas seulement comparaître, nous devons être manifestés. N'êtes-vous pas couverts de honte et frappés de stupeur ? Si, devant la simple image, quand la réalité n'est pas encore présente, la conscience toute seule nous inflige un mortel supplice, que ferons-nous quand le jour aura paru, quand nous serons en face du monde entier, quand les anges et les archanges déploieront leurs légions, parcourant l'univers, s'élevant dans les nuées, répandant partout l'épouvante, quand les trompettes se répondront, quand éclateront de concert ces grandes voix ? N'existerait-il pas de géhenne, que ce serait encore un supplice affreux d'être rejeté, d'être confondu dans une circonstance aussi solennelle.

Quand l'empereur fait son entrée avec une suite brillante, chacun de nous, considérant son propre dénuement, prend moins de plaisir à voir cette pompe extérieure, qu'il n'éprouve de peine en pensant que rien de tout cela n'est à lui, qu'il ne saurait même approcher du monarque. Que sera-ce alors ? Pensez-vous que ce soit une légère torture de n'être pas admis dans ce chœur sacré, de ne point participer à cette gloire ineffable, de n'avoir aucune part à ce triomphe, à ces biens que la parole ne saurait exprimer, d'être jeté dehors et bien loin de la cour suprême ? Ajoutez à cela les ténèbres extérieures, les grincements de dents, le ver qui ne meurt pas, les feux inextinguibles, la désolation et les angoisses, une langue dévorée par la soif, comme celle de ce riche, des gémissements auxquels personne ne prête attention, des cris et des rugissements que rien n'apaise, des regards désespérés qui cherchent en vain une consolation, de quelque côté qu'ils se tournent; que dirons-nous de ceux qui subiront un tel sort ? Que peut-on concevoir de plus affreux et de plus lamentable ?

4. Si, lorsque nous entrons dans une prison et que nous y voyons des hommes amaigris, les uns portant des chaînes et tourmentés par la faim, les autres plongés dans une nuit épaisse, nous sommes saisis d'horreur et de pitié; si nous ne négligeons rien ensuite pour ne jamais tomber dans ce lieu, que deviendrons-nous en nous voyant traîner aux supplices de la géhenne ? Les chaînes ne seront pas de fer, elles seront de feu, d'un feu qui ne s'éteindra jamais. Nous serons soumis à des êtres d'une autre nature, et nous ne pourrons pas espérer les apaiser : ce seront les anges, et nous n'aurons pas la force de les regarder, tant ils éprouveront d'indignation contre nous à cause de nos outrages envers le Seigneur. On ne verra pas là, comme sur la terre, des hommes venant apporter, qui de l'argent, qui de la nourriture, qui des paroles d'encouragement et de consolation. Le temps de l'indulgence sera complètement passé. Noé lui-même, Job ou Daniel, voyant un des siens dans les tortures, n'osera pas le protéger. Toute cette commisération que la nature nous inspire aura disparu. Comme il peut arriver que des parents vertueux aient des enfants pervers, et réciproquement, pour que la joie soit exempte de toute tristesse et que les bienheureux n'en soient pas privés par de douloureuses sympathies, j'affirme qu'un sentiment de ce genre n'existera plus, que nous prendrons les intérêts de la justice divine contre nos sentiments les plus naturels. Si des hommes ordinaires, quand ils voient leurs enfants obstinés dans le mal, les renient et les retranchent de la famille, beaucoup plus les justes agiront-ils ainsi. Que personne donc n'espère aucun bien, lui-même ne l'ayant pas pratiqué, compterait-on parmi ses aïeux des justes sans nombre : « Chacun répondra de ce qu'il aura fait durant sa vie mortelle, ou bien dans le corps, » comme s'exprime le texte.

Paul me semble attaquer ici les fornicateurs et les effrayer par la perspective des peines futures. Cette parole n'est pas restreinte cependant, elle s'adresse à tous les coupables sans exception. Ecoutons-la donc nous aussi. Aux flammes de la concupiscence opposez les feux éternels, et bientôt elles s'éteindront; êtes-vous tenté de prononcer une parole mauvaise, songez aux grincements de dents, et la crainte servira de frein à votre langue; allez-vous commettre un vol, écoutez le Juge rendant cette sentence : « Liez-lui les mains et les pieds, et jetez-le dans les ténèbres extérieures. » Matth., XXII, 13. Vous aurez ainsi raison de votre cupidité. Etes-vous sujet à l'ivresse et dominé par la sensualité, entendez ce riche demandant que Lazare lui soit envoyé pour lui rafraîchir la langue avec une seule goutte d'eau tombée de son doigt, et ne pouvant l'obtenir : vous renoncerez peut-être à votre passion. Si vous êtes possédé par l'amour des délices, méditez sur les tourments et les angoisses de l'éternité, et vos pensées auront bientôt changé de direction. Si vous êtes dur et sans pitié, souvenez-vous de ces vierges qui , furent repoussées de la chambre nuptiale, n'ayant pas leurs lampes allumées, et vous ne tarderez pas à devenir charitable. Si vous croupissez dans l'apathie, pensez à celui qui cacha le talent, et vous serez animé d'une ardeur merveilleuse. Si c'est le désir du bien d'autrui qui vous ronge le cœur, rappelez-vous le ver qui ne mourra pas, et vous n'aurez pas de peine à triompher de cette maladie: et vous remplirez de même tous les autres préceptes, car Dieu ne nous a rien ordonné d'accablant et de pénible. D'où vient donc que ses préceptes nous paraissent si durs ? De notre indolence. De même que, lorsque nous sommes pleins d'ardeur, ce qui nous paraissait intolérable nous devient facile et léger; de même, quand nous sommes dans l'apathie, des choses aisées nous sont un lourd fardeau.

Réfléchissant donc à toutes ces vérités, ne considérons pas le plaisir des voluptueux, voyons plutôt qu'elle sera leur fin : ici-bas la pourriture, et d'avance l'obésité; plus tard le ver et le feu. Ne considérons pas non plus les succès des hommes de rapine, voyons aussi quelle sera leur fin : ici-bas les soucis, les terreurs et les angoisses; plus tard des chaînes qui ne seront jamais brisées. Ne nous laissons pas éblouir par les attraits de la gloire, sachons où cela doit aboutir : ici-bas l'esclavage et la haine, plus tard d'intolérables tourments, des flammes éternelles. Si nous méditons là-dessus, si nous présentons sans cesse de tels objets à nos funestes convoitises, nous aurons bientôt expulsé de notre cœur l'amour des choses présentes, et nous l'enflammerons pour les biens à venir. La simple pensée de ces biens, malgré les voiles qui la couvrent, nous fait goûter une profonde joie; songez donc quel bonheur nous donnera la possession manifeste. Heureux et mille fois heureux ceux qui jouiront de tels biens ! Malheureux, au contraire, et mille fois malheureux ceux qui tomberont dans les maux opposés ! Si nous voulons avoir part à la félicité des uns et fuir le sort des autres, embrassons la vertu.

Ainsi posséderons-nous les biens célestes; et puissions-nous tous y parvenir, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire, puissance, honneur, en même temps qu'au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. 

Ainsi soit-il.