Saint Jean Chrysostome

Homélie 3 sur la deuxième épître aux Corinthiens

Car notre gloire à nous, c'est le témoignage de notre conscience, attestant que nous avons vécu sur la terre dans la simplicité et la sincérité de Dieu, non dans la sagesse charnelle, mais dans la grâce divine.

1.  Ici Paul nous présente encore un nouveau sujet de consolation qui n'est pas sans importance, ou qui plutôt est extrêmement vaste, et capable de relever une âme sombrant au milieu des dangers. Comme il avait dit : « Dieu nous a délivrés, » comme il avait tout fait remonter à la miséricorde du Seigneur, ainsi qu’aux prières des disciples, ne voulant pas que cela put jeter l'auditeur dans l'apathie, en l’incitant à ne compter que sur la bonté divine et sur les prières d'autrui, il déclare qu'eux-mêmes ont beaucoup fait de leur côté. Il ne s'en était pas du reste caché plus haut en disant: « De même que les souffrances du Christ nous ont été largement départies, de même la consolation nous a été donnée avec abondance. » Il rapporte maintenant une autre de ses bonnes œuvres. Laquelle ? C'est d'avoir vécu partout dans le monde, répond-il, avec une conscience pure et sans dissimulation. Or, cela n'est pas d'une moindre valeur pour nous encourager et nous consoler; ce n'est pas même seulement un motif de consolation, nous y trouvons quelque chose de bien supérieur, la gloire. En parlant ainsi, l'Apôtre nous enseigne à ne pas nous laisser abattre par les tribulations, à nous en glorifier même, quand nous aurons une conscience pure; en même temps il frappe indistinctement les faux apôtres. Dans la précédente lettre, il avait dit: « Le Christ m'a donné mission de prêcher l’Évangile, non dans la sagesse du discours, pour que la vertu de la croix ne soit pas détruite,… pour que votre foi ne repose pas sur la sagesse des hommes, mais dans la puissance de Dieu. » I Cor., 1, 17; II, 5. Il dit également ici : « Non dans la sagesse, mais dans la grâce du Christ. » En repoussant la sagesse, il fait entendre en outre qu'il repousse la supercherie; c'est toute la science étrangère qu'il condamne ainsi.

« Notre gloire à nous, dit-il, c'est le témoignage de notre conscience. » Notre conscience ne saurait nous accuser comme si nous étions persécutés en raison d’actions perverses. Quoique nous éprouvions mille maux et que les périls nous assaillent de toute part, il suffit pour notre consolation, et pas seulement pour celle-ci, mais encore pour notre couronne, que notre conscience soit pure, et qu'elle nous rende ce témoignage, que nous ne souffrons pour aucun crime commis, que c'est la volonté de Dieu, pour la vertu, pour la philosophie, pour le salut du plus grand nombre. La consolation dont il avait d'abord parlé provenait de Dieu; celle dont il parle trouve sa source en eux-mêmes et dans la pureté de leur vie. Aussi la nomme-t-il gloire, puisqu'elle est la conséquence de leur vertu. Telle est en réalité cette gloire, et tel est au fond le témoignage de notre conscience, ce témoignage de simplicité et de sincérité. Cela revient à dire : rien qui soit frauduleux, pas de dissimulation, pas d'hypocrisie, pas d'adulation, aucune voie détournée, aucune tromperie, rien de pareil n’existe dans toute notre conduite; nous avons agi avec une pleine liberté, avec une simplicité parfaite, dans la vérité, dans une intention droite et pure, sans arrière-pensée, ne cherchant ni l'obscurité ni l'apparence. « Non dans la sagesse charnelle. » Ce qui signifie : non par des artifices qui répugnent à l'honnêteté, non dans l'habileté du discours ou dans la subtilité des arguments; c’est cela qu'il appelle la sagesse charnelle. Il flétrit et rejette ce dont se glorifiaient les Corinthiens, leur montrant d'une manière surabondante que ce n'était pas là vraiment un sujet de gloire, puisque, non content de ne pas le rechercher, il le repoussait avec un sentiment de honte. «Nous avons vécu sur la terre dans la grâce de Dieu. » Quel est le sens de cette dernière expression ? Nous avons manifesté par des signes éclatants la sagesse et la puissance qu'il nous avait communiquées; nous avons triomphé des sages, des rhéteurs et des philosophes, des peuples et des rois, malgré notre ignorance, quoique nous abstenant même de la sagesse humaine.

Ce n'est pas une médiocre consolation ni une gloire ordinaire, de pouvoir témoigner qu'on n'use pas d'un pouvoir humain et qu'on accomplit tout par effet de la grâce divine. « Dans le monde. » Non à Corinthe seulement, mais dans toutes les contrées de l'univers. « Avec plus d'abondance néanmoins auprès de vous. » Pourquoi cette faveur spéciale ? « Nous avons vécu dans la grâce de Dieu. » Nous avons opéré parmi vous des signes et des prodiges, tout en déployant un zèle plus grand, en menant une conduite irréprochable. C'est ce qu'il appelle encore une grâce de Dieu, rapportant ainsi à lui ses bonnes œuvres. Il était allé cependant au-delà de ce qui est ordonné, puisqu'il prêchait gratuitement l’Évangile, par égard pour la faiblesse des auditeurs. « Nous ne vous écrivons pas autre chose que ce que vous lisez et connaissez. »

Venant de parler avantageusement de lui-même, de se rendre un témoignage qui paraissait le relever, ce qui cause une fâcheuse impression, il les prend une fois de plus à témoin de ce qu'il a dit. Que personne n'aille s'imaginer que nos paroles ne sont qu'un vain étalage; car nous vous rappelons simplement des choses qui vous sont déjà connues; et, plus que tous, vous pouvez attester que nous ne mentons pas. En nous lisant, vous reconnaissez sans peine que nous vous enseignons dans nos lettres ce que vous avez pu constater dans notre vie; aucune contradiction entre votre témoignage et le nôtre; ce que nous vous écrivons est parfaitement en accord avec la connaissance préalable que vous aviez de nous. « Comme vous nous connaissez en partie. » Ce n'est pas par ouï dire, c'est par vos propres yeux. S'il déclare cette connaissance partielle, c'est par acte de modestie. C'est un usage invariable chez lui, quand il a été entraîné par la nécessité, et jamais cela n'a lieu d'une autre manière, à dire quelque chose qui tourne à son avantage, afin de réprimer aussitôt l'enflure qui pourrait en résulter.

2. « J'espère que vous connaîtrez jusqu'à la fin... » Voyez-vous comme il confirme l'avenir par le passé, et non seulement par le passé, mais encore par la puissance divine ? il ne prédit pas, en effet, d'une manière absolue; il s'en remet entièrement à Dieu, il place en lui toute son espérance. « Que nous sommes votre gloire, comme vous serez la nôtre au jour de Notre-Seigneur Jésus-Christ. » La jalousie qu'avaient pu faire naître ses précédentes paroles, il la détruit ici, les appelant à participer à la gloire qui lui revenait de par ses bonnes œuvres. Elles ne se renferment pas en nous, vous en partagez le mérite, et les vôtres nous appartiennent aussi. Il avait paru se louer, je le répète, il avait invoqué le souvenir du passé et fait entrevoir l'avenir; de peur donc de s'attirer les reproches des auditeurs et leur envie, comme s'exaltant lui-même, il partage avec eux sa gloire, il proclame qu'ils ont droit à la même couronne.

Nous montrons-nous tels, semble-t-il dire, notre éloge est votre honneur; et nous-mêmes, quand votre nom est entouré d'éclat, nous tressaillons d'allégresse, nous sommes couronnés. Par ce langage, il donne une nouvelle preuve de sa profonde humilité. Ce n'est plus un maître, c'est un disciple qui parle à d'autres disciples, ses égaux, tant il prend soin de les placer à son niveau dans sa parole. Remarquez combien il les élève, de quelle philosophie il les remplit en les renvoyant à ce grand jour. Ne me parlez pas des choses présentes, des affronts, des injures, des sarcasmes qui vous sont prodigués; car ici-bas rien n'a d'importance, ni les prospérités, ni les revers, ni les outrages, ni les applaudissements des hommes.

Souvenez-vous plutôt, je vous prie, de ce jour redoutable et décisif où tout sera mis à nu. Nous serons alors un objet de glorification les uns pour les autres, quand, de votre côté, vous verrez que vous avez eu des maîtres qui ne vous ont rien enseigné d'humain, dont la vie fut sans tache, qui n'ont jamais donné prise aux ennemis; quand nous verrons, de notre côté, que nous avons eu de tels disciples, qui se placèrent au-dessus de la faiblesse humaine, ne se laissèrent jamais ébranler, embrassèrent avec ardeur tous les sacrifices et résistèrent à toutes les séductions.

Si seuls les esprits élevés voient maintenant ces choses, tous les verront alors. Si nous sommes donc affligés sur la terre, nous avons là une grande consolation, qui nous est ici-bas donnée par la conscience, et sera plus tard confirmée, par la manifestation publique. Dès le moment présent, en effet, notre conscience voit que nous agissons en tout par la grâce divine, comme vous le saurez vous-mêmes et le savez déjà; mais, au dernier jour, tous les hommes sans exception verrons à découvert, vous et nous; ils sauront quelle gloire nous nous sommes procurée les uns aux autres. Paul ne veut donc pas se glorifier à leur détriment; il fait briller à leurs yeux la même gloire, et leur allège les souffrances de cette vie. Ce qu'il avait fait par rapport à la consolation, en leur disant : « Si nous sommes consolés, c'est à cause de vous, » il le renouvelle ici: « Nous sommes glorifiés à cause de vous, et vous l'êtes à notre occasion. » Constamment il les fait entrer en partage de toute chose, de la consolation, des douleurs, du salut même; car c'est à leurs prières qu'il attribue sa récente conservation: « Avec le concours de vos prières Dieu nous a délivrés. » De cette façon, il met en commun ce dont il pourrait se glorifier. Comme il disait tout à l'heure : « Sachant que vous avez pris part à nos souffrances, et de même à nos consolations, » il dit maintenant : « Nous sommes votre gloire et vous êtes la nôtre »

Il poursuit : « Animé d'une telle confiance, je voulais d'abord me rendre auprès de vous. » Quelle confiance ? Celle que j'ai mise si complètement en vous, qui fait que je trouve en vous ma gloire, qui m'inspire pour vous un si grand amour; celle que me donnent la conscience de n'avoir fait aucun mal et la certitude que tout est spirituel en nous, et que vous-mêmes pouvez tout attester. « Je voulais me rendre auprès de vous, et de là passer en Macédoine. » Ibid., V, 6. Il avait cependant annoncé le contraire dans la première lettre, en disant : « Je me rendrai chez vous après avoir traversé la Macédoine; car je passerai dans cette contrée. » I Cor. X 1-2. Comment se fait-il qu'il se contredise ? Il n'y a là aucune contradiction, certes non; ou, s'il y a contradiction, c'est par rapport à ce qu'il avait d'abord écrit, mais nullement par sa volonté réelle. Aussi ne dit-il pas d'une manière absolue qu'il dût aller chez eux pour se rendre en Macédoine; il se borne à dire qu'il se l'était proposé. Bien que tel ne soit pas le sens de ma lettre, j'avais ce désir; je voulais bien commencer par aller vous voir; j'étais si loin de vouloir retarder l'exécution de ma promesse, que j'avais l'intention de l'anticiper: « De telle sorte que ce fût pour vous une seconde faveur. » Pourquoi une seconde ? Parce que vous en auriez eu deux : ma lettre d'abord, ma présence ensuite. Par faveur, il entend ici la joie qu'il leur causerait.
« Je voulais passer chez vous pour me rendre en Macédoine, et, de la Macédoine, passer encore chez vous, pour être acheminé par vos bons offices vers la Judée. En le voulant, me suis-je donc rendu coupable d'inconstance ? »

3. Voilà qu'il repousse directement la responsabilité du retard, le reproche d'avoir manqué de parole. Tout cela revient à dire : Je voulais me rendre auprès de vous. Pourquoi ne m'y suis-je pas rendu ? Serait-ce de la légèreté, aurais-je oublié ma promesse ? C'est la question qu'il a posée : « Me suis-je rendu coupable d'inconstance ? » Nullement.

Les saints ne font pas leur volonté propre

Comment donc expliquer ma conduite ? « C'est que les projets que je forme, je ne les forme pas selon la chair. » Que signifie cette dernière expression ? D'une manière humaine. « De telle sorte que ce soit à moi de dire : oui, oui; non, non. » Mais il reste encore là quelque obscurité. Qu'a donc voulu dire l'Apôtre ? L'homme charnel, celui qui s'attache uniquement aux choses présentes, qui ne connaît pas d'autre vie, et se tient en dehors de l'action divine, peut aller partout, courir au gré de ses caprices; mais le serviteur de l'Esprit saint, étant mené par une inspiration supérieure, ne peut pas toujours agir comme il veut; il dépend de celui qui le guide. On peut le comparer au premier domestique d'une maison, lequel étant poussé en tout sens par les ordres de son maître, ne s'appartient plus, n'a pas un instant pour respirer; il a beau promette quelque chose aux autres serviteurs, si la volonté du maitre y fait obstacle, il ne tiendra pas ses promesses. Voici donc ce que Paul a dit : Je ne prends pas les conseils de la nature, je ne m'affranchis pas du gouvernement de l'Esprit, je n'ai donc pas le pouvoir d'aller où je désire. Je suis soumis aux ordres du Paraclet, il dispose de moi comme il l'entend. C'est pour cela que je n'ai pu venir; il ne l'a pas permis.

Nous voyons plus d'une fois la même chose dans les Actes; il s'était proposé de se rendre à un endroit, et l'Esprit le fait marcher vers un autre. Ce n'est donc pas de l'inconstance, encore une fois, ou de la légèreté, si je ne suis pas venu; c'est la soumission au souverain Maitre qui me gouverne. Voyez-vous de nouveau son raisonnement habituel ? Le point même, sur lequel on pensait lui démontrer qu'il avait suivi une inspiration humaine en n'accomplissant pas ce qu'il avait promis, lui sert à prouver éminemment qu'il était guidé par une pensée spirituelle, et qu'une conduite opposée eût seule mérité ce reproche. - Eh quoi ! dira-t-on, n'avait-il pas promis par l'inspiration divine ? Assurément non; et j'ai déjà dit que Paul ne savait pas d'avance tout ce qui devait arriver, tout ce qui était utile. De là vient qu'il s'exprime ainsi dans la précédente lettre : « Afin que vous me dirigiez où je devrai me rendre. » I Cor., XVI, 6. Il craignait donc d'avoir à se rendre ailleurs, après avoir annoncé qu'il irait en Judée. Ici, comme il est détrompé, il dit ouvertement : « Et pour être acheminé par vos bons offices vers la Judée. » Il affirme ce qui regarde la charité, la visite qu'il doit leur faire; mais, en ce qui ne les concerne pas, à savoir, son départ pour la Judée, il ne précise pas de la même manière. Ce n'est qu'après avoir acquis une pleine conviction qu'il désigne sans détour le but de son voyage. Et cela n'était pas sans utilité; c'était pour que nul d'entre eux n'eût de lui une trop haute opinion. S'il arriva, les choses étant ce qu'elles étaient, qu'on voulût immoler des taureaux en son honneur, à quels excès la superstition ne se serait-elle pas portée, en supposant qu'il se fût montré moins sujet à la faiblesse humaine ? Et pourquoi vous étonneriez-vous que Paul ait ignoré l'avenir, quand, dans ses prières, il ignore souvent ce qui serait le plus avantageux ? « Nous ignorons, dit-il, ce que nous devons demander, et comment nous devons le demander. » Rom., VIII, 26. Et ce n'est pas là simplement une expression de modestie, c'est l'aveu d'une ignorance réelle. Mais cette ignorance, où l'a-t-il montrée ? Lorsqu'il priait Dieu de le délivrer des tentations, en disant: « L'aiguillon de la chair m'a été donné, cet ange de Satan qui me soufflette. Voilà pourquoi j'ai trois fois imploré le Seigneur; et il m'a dit : Il te suffit de ma grâce, car ma puissance éclate dans l'infirmité. » II Cor., XII, 7-9. Vous voyez donc bien qu'il ne savait pas demander ce qui lui convenait le mieux. Aussi n'a-t-il pas obtenu l'objet de sa demande, quoiqu'il l'ait souvent renouvelée.

« Dieu nous est un sûr témoin que notre parole envers vous n'était pas en même temps oui et non: » Il détruit victorieusement l'objection aussitôt qu'elle se présente. - Après nous avoir promis, aurait-on pu lui dire, vous différez de venir; il n'y a donc pas en vous ce « oui oui, non non » de l’Évangile; ce que vous avez dit, vous le démentez ensuite, comme on le voit au  sujet de votre départ. Malheur à nous, si cela vous arrive également dans la prédication ! - C'est donc pour éloigner d'eux une telle pensée, une aussi pénible appréhension, qu'il dit : « Dieu nous est un sûr témoin que notre parole envers vous n'était pas en même temps oui et non. » Cela n'a pas lieu, du reste, dans la prédication; c'est sur la direction ou l'époque de nos voyages qu'on peut tout au plus conjecturer; ce que nous avons dit dans nos prédications ne change pas, demeure inébranlable. La parole dont il est ici question n'est autre que la prédication elle-même. En s'en rapportant pleinement au témoignage de Dieu, Paul donne encore un argument irréfutable. Voici le sens de ses expressions. La promesse d'aller vous voir venait de moi seul, vous n'entendiez là que ma parole; mais la prédication n'est pas de moi, n'a rien de l'homme, c'est la parole même de Dieu; et ce qui vient de Dieu n'admet pas le mensonge. De là ce mot: « Dieu nous est un sûr témoin, » un témoin véridique. Ne suspectez donc pas ce qu'il a dit; il n'y a là rien d’humain. L'Apôtre va lui-même expliquer quelle est cette parole dont il a fait mention.

4.  Quelle est-elle donc ? « Le Fils de Dieu, que nous avons prêché, Sylvain, Timothée et moi, ne comportait pas le oui et le non. » C'est pour cela qu'il fait comparaitre devant tous les chœurs des maîtres, confirmant encore mieux par là son témoignage, non seulement par les auditeurs, mais par ceux-là même qui les ont instruits. Il parle bien de ses disciples; seulement il en fait des maîtres par modestie. Comment faut-il entendre : « Ne comportait pas le oui et le non ?» Aucune confusion dans ce que j'ai d'abord dit en prêchant; je ne vous ai pas enseigné tantôt une chose, tantôt une autre ; ce ne serait plus la foi, ce serait de la divagation. « En lui ne fut que le oui, » une parole stable et que rien ne saurait ébranler. « Pour tout ce qui concerne les promesses divines, en lui le oui, en lui l'Amen pour la gloire, dont nous ne sommes que les ministres. » Que sont ces « promesses divines ? » Les promesses abondaient dans la prédication; eux-mêmes promettaient donc beaucoup en prêchant. Ils avaient parlé sur la résurrection, sur l'entrée au ciel, sur l'incorruptibilité, sur les palmes immortelles et les biens ineffables de là-haut. Voilà les promesses qui demeurent à jamais, qui n'admettent pas le oui et le non. Ce que j'ai dit à cet égard n'est pas tantôt vrai et tantôt faux, comme pour ce qui concerne mes voyages; c'est l'immuable vérité. Et d'abord il lutte en faveur des enseignements de la foi et de la parole du Christ, quand il dit: «Ma parole, ma prédication n'était pas oui et non; » puis, il lutte en faveur des promesses: « Pour tout ce qui concerne les promesses divines, en lui le oui. »

Si ce qu'il a promis est stable et doit absolument être donné, beaucoup plus est-il stable lui-même, ainsi que la parole dont il est l'objet; on ne dira pas qu'il est maintenant, et qu'il n'est plus ensuite; il est toujours, et toujours le même. Que signifient ces mots : « En lui le oui, en lui l'Amen ? » Ainsi se manifeste ce qui sera. Les promesses dont il est le fondement et qui ne reposent pas sur l'homme doivent se réaliser pleinement. Soyez donc sans crainte; ce n'est pas un homme, dont vous puissiez douter, c'est Dieu qui promet et réalise. « Pour la gloire de Dieu, dont nous sommes les ministres. » Que veut-il dire par là ? Il se servira de nous pour les accomplir, des bienfaits mêmes dont il nous a comblés pour sa gloire. Telle est la signification de ce texte. Si c'est pour la gloire de Dieu, la réalisation n'est pas douteuse; car il ne dédaignera pas sa propre gloire, s'il pouvait négliger notre salut; et, de plus, il aime trop les hommes pour les tromper. Notre salut est inséparable de la gloire qui doit lui en revenir. Du moment donc où sa gloire est intéressée, notre salut suivra nécessairement. Cette pensée reparaît sans cesse dans l'épître aux Éphésiens : « Pour la réalisation de sa gloire. » Ephes., 1, 24.e L'Apôtre insiste là-dessus à chaque instant, nous montrant combien l'événement est inévitable; c'est ce qu'il dit encore ici, en affirmant que les promesses ne trompent pas, puisqu'elles doivent avoir pour effet non seulement de nous sauver, mais encore de le glorifier. Ne vous arrêtez donc pas à cette idée que c'est nous qui promettons, pour en prendre occasion de douter; ce n'est pas nous qui réaliserons, c'est Lui; et les promesses mêmes émanent de Lui; ce n'est pas en notre nom, c'est de sa part que nous vous avons parlé.

« Or, celui qui nous confirme avec vous dans le Christ, et qui nous a donné l'onction, c'est Dieu; et lui-même nous a marqués de son sceau, et dans nos cœurs a déposé les arrhes de l'Esprit. » II Cor., 1, 21. Le voilà de nouveau invoquant le passé comme gage pour l'avenir. Si c'est Dieu même, en effet, qui nous confirme ou nous consolide dans le Christ, ne permettant pas que nous chancelions dans la foi dont le Christ est l'objet; si lui-même nous a oints, s'il a versé l'Esprit dans nos cœurs, comment ne nous donnera-t-il pas les choses promises ? Nous ayant donné le principe et le fondement, la racine et la source, la vraie connaissance que nous avons de lui, la participation à son Esprit, comment pourrait-il nous refuser ce qui doit en être la conséquence ?

Les premiers dons nous ont été faits en vue des derniers; l'auteur des uns ne saurait nous priver des autres. C'est à des ennemis qu'il a fait ceux-là, bien davantage accordera-t-il ceux-ci à des âmes qu'il s'est réconciliées. Aussi l'Apôtre n'a-t-il pas simplement nommé l'Esprit, il a parlé des arrhes, afin que cela vous donne confiance pour l’obtention du principal. Si Dieu ne devait pas vous accorder le tout, il ne vous eût pas donné les arrhes, puisqu'il les eût alors dépensées en vain. Et voyez la sagesse de Paul : avons-nous besoin de dire que la vérité des promesses ne repose pas sur nous, quand ce n'est pas de nous que dépend votre constance, votre stabilité dans la foi, mais de Dieu même ? « Celui qui vous confirme, c'est Dieu. » Il ne nous appartient pas de vous donner la force; nous avons nous-mêmes besoin d'être fortifiés. Il n'y a donc pas à craindre que la prédication périclite en nos mains; il prend tout sur lui, il étend à tout sa providence.

5. Comment faut-il entendre : « Qui nous oints et marqués de son sceau ? » Il nous a donné l'Esprit, et, par lui, cette double grâce, constituant ainsi les prophètes, les prêtres et les rois; car voilà ceux qui recevaient autrefois l'onction sainte. Pour nous, ce n'est plus une  seule de ces dignités, c'est toutes les trois ensemble que nous recevons, et d'une manière éminente : nous sommes appelés à devenir rois, nous devenons prêtres, lorsque nous offrons nos corps en sacrifice à Dieu, puisqu'il nous est dit « Faites de vos membres une hostie vivante agréable au Seigneur; » Rom., XII, 1; nous sommes enfin constitués prophètes, ayant la connaissance anticipée de ces biens « que l’œil n'a pas vus et que l'oreille n'a pas entendus. » I Cor., II, 9. Nous avons même une autre royauté, si nous voulons commander à nos pensées perverses. Que nous ayons alors un royauté véritable, supérieure à celle dont le diadème est le symbole; je vais vous le démontrer. Un monarque a de nombreuses armées; mais nos pensées sont encore plus nombreuses, et nul ne pourrait faire le dénombrement de celles qui s'agitent en nous. Il ne faut pas se borner à considérer cette immense multitude; il y a là des chefs, des tribuns, les meneurs de la foule; on distingue dans cette armée ceux qui lancent le trait et ceux qui manient la fronde.

Quelle autre chose distingue un roi ? Les vêtements ? Celui-là porte un vêtement meilleur et plus riche, qui ne se laisse entamer ni par les vers ni par le temps. Il a même plusieurs couronnes, celle de la gloire, celle des divines faveurs. « Ô mon âme, s'écrie le prophète, bénis le Seigneur, qui te couronne dans sa miséricorde et ses bontés. » Psalm. CII, 2-4. Pour ce qui concerne la gloire, écoutez : « Vous l'avez couronné de gloire et d'honneur; » Ibid., VIII, 6; la bienveillance : « Vous nous avez couronnés de votre bienveillance, qui nous protège comme un bouclier; » Ibid., V, 13; les grâces: « Vous recevrez une couronne de grâces sur votre tête. » Prov., I, 9. Voyez-vous de combien d'éléments divers et précieux se compose ce diadème.
Mais reprenons les choses de plus haut; examinons de plus près ce qu'est un roi de la terre. Il est entouré de satellites, il commande à tous, et tous lui obéissent, tous s'empressent de le servir; mais je vous propose une puissance qui l'emporte de beaucoup sur la sienne. Le nombre des subordonnés n'est pas inférieur, il est même plus grand; il reste à considérer quelle est leur soumission. Ne me présentez pas des rois tombés de leur trône, égorgés par ceux-là même qui devaient défendre leur vie. Non, ne les prenons pas pour exemple de comparaison, tenons-nous-en aux monarques qui sauvegardent en tout point leur dignité. Opposez-moi tous ceux que vous voudrez, et, pour soutenir le parallèle avec tous, je ne vous offrirai que le Patriarche. Il reçoit l'ordre d'immoler son fils; comprenez combien de pensées doivent alors se révolter dans son âme. Il les dompte toutes cependant, et toutes tremblent devant lui, beaucoup plus que, devant un roi, les satellites; il les réprime d'un regard, aucune n'ose faire entendre un murmure; elles courbent toutes le front, comme d'humbles serviteurs devant un roi, malgré ce qu'elles ont d'amertume et de violence. Les lances agitées avec fureur par de nombreux soldats n'offrent rien d'aussi terrible que ces formidables pensées dans un moment pareil. Est-ce qu'elle n'est pas plus cruelle que la pointe des lances, cette pitié dont la nature est saisie ? Cette révolte intérieure était capable de donner la mort beaucoup plus que les armes de la sédition. Non, il n'est pas de lance dont la pointe soit acérée comme l'aiguillon des pensées qui s'élançaient des profondeurs les plus intimes de la nature et transperçaient l'âme du saint. Pour détruire un monarque, il faut du temps, des complots tramés d'avance, des coups portés, des souffrances qui entraînent la mort; ici rien de tout cela n'est nécessaire, tant les blessures sont plus rapides et plus cruelles. De telles pensées avaient eu beau néanmoins s'armer contre lui; dans son âme régnait une grande paix; tous les subordonnés se tenaient à leur place, dans un ordre parfait, rehaussant l’éclat du juste, loin de l’effrayer.

Voyez-le, levant cette main qui tient le glaive, et mettez en parallèle tous les rois que vous voudrez, les Augustes et les Césars. Vous ne m'offrirez rien de semblable ; vous n'érigerez pas un modèle aussi beau, aussi sublime, aussi digne des cieux. Le juste remportait à cet instant un magnifique triomphe sur la plus puissante de toutes les tyrannies, puisqu'il n'est rien de plus tyrannique que la nature. Citez-moi mille meurtriers de tyrans; pas un qu'on puisse lui comparer. Le trophée était plutôt celui d'un ange que celui d'un homme. Considérez encore ceci : la nature était là gisant à terre avec toutes ses armes et tous ses soldats; lui se tenait debout, levant au-dessus de sa tête, non une couronne, mais un glaive dont aucune couronne ne saurait égaler l'éclat; le peuple des anges applaudissait, et, du haut des cieux, Dieu proclamait sa victoire. Comme il habitait d'avance le céleste séjour, c'est là qu'il devait obtenir son triomphe. Quoi de plus glorieux ? Disons mieux, quoi de comparable ? Du moment où ce n'était plus un héraut terrestre, mais le Roi des cieux lui-même, qui proclamait l'athlète victorieux, comment celui-ci n'aurait-il pas préféré cette approbation à toutes les couronnes, et n'aurait-il pas attiré les regards de tous tes spectateurs ? Du moment aussi où ce n'était plus un roi mortel, mais Dieu lui-même, qui lui décernait la palme, à la vue de l'univers entier, au milieu des anges et des archanges, nous, dans un théâtre restreint, à quel rang mettrons-nous ce juste proclamé par la voix toute-puissante qui descend des cieux ? qu'on me le dise. Si vous le voulez, écoutons cette voix elle-même. Que dit cette voix ? « Abraham, Abraham, n'étends pas la main sur Isaac, ne lui fais aucun mal. Je sais maintenant que tu crains Dieu, et que tu n'as pas épargné ton fils bien-aimé à cause de moi. » Genes., XXII, 12. Que signifie ce langage ? Ne l'a-t-il su qu'en ce moment, celui qui connaît toute chose avant qu'elles arrivent ? Mais la piété du juste était déjà connue des hommes, tant il avait donné des preuves de son amour envers Dieu.

Il avait entendu cette parole du Seigneur : « Sors de ta patrie, éloigne-toi de ta famille. »Ibid., XII, 1. Par amour pour Dieu, dans le but de lui rendre gloire, il avait cédé la première place à son neveu; il avait délivré ce même neveu des plus grands périls. Par obéissance, il était parti pour l’Égypte, et, quand sa femme lui fut ravie, il ne s'abandonna pas aux murmures. Tant d'autres choses qu'il avait accomplies manifestaient sa religion aux yeux des hommes; Dieu pouvait-il l'ignorer, lui qui n'attend pas l'événement pour tout connaître ? Et comment l'eût-il proclamé juste, ne le connaissant pas ? « Abraham crut, dit l'Apôtre, et sa foi lui fut réputée à justice. » Rom. IV, 3.

6. Quel est donc le sens de cette expression : « Je sais maintenant ? » Il est vrai que la version syriaque porte : « Tu as manifesté maintenant,» aux hommes, bien entendu; car pour moi je le savais depuis longtemps, avant même de te donner ces ordres. — Et pourquoi maintenant aux hommes eux-mêmes ? Est-ce que les faits antérieurs n'étaient pas capables de manifester son amour envers Dieu ? — Ils l'étaient sans doute; mais ce dernier trait l'emportait à tel point sur les autres, que ceux-ci ne semblaient rien en comparaison. C'est donc pour le montrer dans tout son éclat et pour en faire ressortir la supériorité, que Dieu s'est exprimé de la sorte. Dans les circonstances extraordinaires et qui tranchent vivement sur le passé, les hommes ont coutume de parler ainsi. Avons-nous, par exemple, reçu de quelqu'un un bienfait qui dépasse les précédents, nous dirons : je reconnais maintenant que cet homme a de l'affection pour moi, ce qui ne veut pas dire qu'on ne se souvient plus des dons auparavant reçus, mais bien que ce dernier les dépasse tous. Dieu se conforme, par conséquent, à notre langage, quand il dit: « Je reconnais maintenant. » Il ne veut pas manifester autre chose que la sublimité de la lutte; il ne faut pas entendre par là qu'il apprenne alors seulement la crainte dont le juste est saisi, ou l'étendue de cette crainte. Quand il disait: « Venez, descendons et voyons, » Genes., XI, 7, il n'affirmait nullement qu'il eût besoin de descendre, puisqu'il est présent partout et qu'il sait tout avec une parfaite évidence; il nous enseignait à ne pas nous prononcer témérairement. Quand l’Écriture dit encore : « Dieu a vu du haut du ciel, » Psalm. XIII, 2, c'est une métaphore empruntée à notre langage pour exprimer une exacte connaissance.

C'est de la même façon que Dieu dit ici : « Je sais maintenant; » cela revient à dire : Le fait  présent l'emporte sur tout le passé. On en voit du reste la preuve dans ce qu'il ajoute aussitôt : «Pour moi, tu n'as pas épargné ton fils bien-aimé. » Cette qualification ajoute à la force du témoignage : Le juste a lutté victorieusement, non seulement contre la nature, mais encore contre son amour paternel, lequel était bien grand, soit à cause des sentiments personnels du père, soit à cause de la vertu du fils. Si des parents n'en viennent pas facilement à repousser des enfants livrés au désordre, mais versent encore des larmes sur eux; quand c'est un fils véritable, unique, digne de tout amour, un Isaac, qui pourrait nous dire la sublime philosophie du père qui doit l'immoler ? Voilà une victoire qui surpasse en splendeur tous les diadèmes et toutes les couronnes.
Une tête couronnée subit toujours les assauts imprévus et les outrages de la mort; avant la mort même, elle est entourée des pièges de la vie; mais ce vainqueur, nul ne pourra lui ravir un tel diadème, aucun des siens, aucun des étrangers; il le gardera jusque dans la mort.

Sur ce diadème, voyez briller une pierre d'un inestimable prix. Il est incorruptible, il restera jusqu'à la fin. Que signifie ce mot : « A cause de moi ? » Ce qui doit exciter notre admiration, ce n'est pas seulement qu'un père ait levé le glaive, c'est encore qu'il ait agi de la sorte pour Dieu. Ô main bienheureuse, et par quel glaive honorée ! Ô glaive merveilleux, quelle main a-t-il armée, à quel usage a-t-il été destiné, quel office il a rempli, à quelle figure il a concouru ! Comment a-t-il versé le sang et ne l'a-t-il pas versé ? Je ne sais de quelle expression me servir, tant ce mystère est redoutable. Ce glaive n'a pas même effleuré l'enfant, bien loin de pénétrer dans sa gorge et de se baigner dans ce sang innocent. Mais non; il a frappé la victime, il s'est ensanglanté, tout en demeurant inoffensif et pur. Peut-être vous semble-t-il que je m'égare en me livrant à de telles contradictions. Et vraiment je suis hors de moi-même, quand je contemple ce spectacle merveilleux ; et cependant la contradiction n'est pas réelle. La main du juste, en effet, a plongé le glaive dans la gorge de l'enfant; mais Dieu n'a pas permis que le sang ait coulé. Abraham n'était pas seul à tenir ce glaive, Dieu le tenait avec lui ; la volonté de l'un frappait, la voix de l'autre arrêtait le coup. La même voix arma et suspendit la main du Patriarche; et cette main obéissant à la volonté de Dieu, comme celle du soldat à la volonté de son capitaine, tout s'accomplissait au gré du Seigneur, tout concourait à l'accomplissement de sa parole. Voyez plutôt : frappe avait-il dit, et soudain l'arme était saisie; ne frappe pas, dit-il ensuite, et l'arme est déposée : chaque chose était déterminée d'avance.

Après cela, Dieu montre à l'univers ce fidèle soldat, ce vaillant capitaine; il couronne le vainqueur à la vue des anges, ce prêtre, ce roi, à qui le glaive est un plus bel ornement que le diadème, cet athlète qui dresse le plus magnifique des trophées, qui vient de remporter la victoire sans avoir combattu. Représentez-vous un général ayant sous ses ordres un soldat accompli, qui, par le maniement des armes, par son attitude, par son ardeur, a mis en fuite l'ennemi ; ainsi Dieu, par la seule intention du juste, par son seul mouvement, par son attitude, frappe de terreur et met en fuite le diable, ennemi commun. Je m'imagine voir cet ennemi vaincu se retirer avec frayeur. Quelqu'un dira peut-être : pourquoi Dieu n'a-t-il pas permis que le sang fut réellement versé, et n'a-t-il pas aussitôt ressuscité la victime ? — C'est que Dieu ne reçoit pas de ces sanglantes offrandes; une table ainsi servie ne convient qu'à la perversité des démons. Ici deux choses étaient mises en évidence : la bonté du Seigneur et la droiture du serviteur. Celui-ci était d'abord sorti de sa terre natale, c'est de la nature elle-même qu'il sortait maintenant. Aussi reçut-il sa récompense avec usure, et certes à bon droit, puisqu'il avait mieux aimé ne plus être appelé père que perdre la qualité de bon serviteur. En retour, il ajouta la dignité du sacerdoce à celle de la paternité. Il s'était dépouillé de son bien pour Dieu; Dieu le lui rend et lui prodigue de plus ce qu'il possède lui-même. Pour délivrer l'homme du mauvais vouloir des ennemis, il fait des miracles qui se manifestent au dehors, comme on le voit dans la fournaise et dans la fosse aux lions ; quand c'est lui qui commande, il borne son commandement à l'intention de l'âme.

7. Que manquait-il, dites-moi, à cette éminente vertu ? Abraham savait-il d'avance ce qui allait arriver ? Avait-il mis quelque moyen en œuvre pour émouvoir le cœur de Dieu ? Il était prophète sans doute; mais un prophète ne sait pas tout. L'immolation réelle eût donc été superflue, et de plus indigne de Dieu. Quant à savoir que Dieu peut rappeler quelqu'un à la vie, la fécondité miraculeuse d'une femme stérile l'en avait éminemment instruit; cette démonstration n’était pas même nécessaire puisqu’il avait la foi. N'admirez pas seulement le juste, tâchez de l'imiter. En le voyant naviguer au milieu de la tempête comme sous un ciel serein, saisissez de la même manière le gouvernail de l'obéissance et de l'énergie. Ne vous bornez pas à dire qu'il dressa l'autel et prépara le bois; rappelez-vous encore la voix de l'enfant, et songez quelles nuées d'ennemis intérieurs se ruèrent sur le père, quand il entendit ce mot: « Père, où est la victime ? » Genes., XXII, 7. Que de pensées durent s'élever alors, armées non d'un fer ordinaire, mais d'un glaive de feu, le perçant et le déchirant de toute part ! Si beaucoup sont émus encore aujourd'hui sans même être pères, au point de pleurer s'ils ne connaissaient pas le dénouement, et j'en vois même qui pleurent quoique ne l'ignorant pas, que ne devait pas souffrir le père lui-même, après avoir soigné cet enfant avec tant d'amour et l'avoir eu dans la vieillesse, n'ayant que celui-là, le voyant, l'entendant, et se trouvant ainsi prêt à lui donner la mort !

Quelle sagesse dans les paroles, quelle douceur dans la question ! Qui donc agissait ici ? Etait-ce le diable, pour ajouter de nouvelles flammes à la nature ? Loin de nous cette pensée ! c'était Dieu, qui voulait de la sorte purifier de plus en plus cette âme d'or. Lorsque la femme de Job parlait, elle était l'instrument du démon; telles étaient les intentions. Isaac ne proférait aucun blasphème, il s'exprimait avec beaucoup de circonspection et de piété; sa parole respirait la grâce la plus parfaite, c'était comme un miel abondant qui découlait d'une âme sereine et tranquille; et cette parole était capable d'attendrir un cœur de pierre. Et cependant elle ne changea pas, elle n'ébranla pas même ce cœur de diamant; Abraham ne dit pas : pourquoi te réclamer de ton père, qui dans un instant ne le sera plus, et qui déjà s'est dépouillé de ce titre ? — Mais pour quelle raison l'enfant interroge-t-il ? Ce n'était nullement par une impatiente et vaine curiosité; il se préoccupait seulement de la circonstance actuelle. Il pensait que, si son père n'avait pas voulu l'initier à ce secret, il ne l'aurait pas pris seul avec lui, laissant les serviteurs au bas de la montagne. C'est pour cela qu'il l'interroge quand plus personne n'est avec eux, quand on ne pourra plus les entendre, si grande était la prudence de l'enfant !

Est-ce que vous n'êtes pas tous, hommes et il femmes, enflammés d'une sainte affection ? est-ce que chacun de vous n'embrasse pas dans sa pensée et ne baise pas cette jeune tête, n'admire pas la sagesse d'Isaac et n'est pas touché par sa piété ? Pendant qu'on le lie et qu'on le place sur le bûcher, il est sans crainte, il ne résiste pas, il n'accuse pas son père d'une aveugle fureur. Celui-ci le charge de liens, l'enlève et l'étend; et, comme un agneau, ou plutôt comme le Seigneur même de l'univers, il accepte tout en silence. Il imitait par anticipation la douceur de la grande victime, il la symbolisait. « Comme une brebis, dira le prophète, il a été conduit à la boucherie; il s'est tu comme l'agneau devant celui qui le tond. » Isa., LII, 7. Isaac a cependant parlé, et le Seigneur a parlé de même; comment donc s'est-il tu ? Cela signifie qu’il n’a fait entendre aucune récrimination, aucune parole amère, qu'il n'a rien dit que de bienveillant et de doux; de telle sorte que son langage a montré plus de modération que ne l'eût fait son silence. Le Christ a dit, dans le même sens : « Si j'ai mal parlé, rendez témoignage de ce mal; si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? »Joan., XVII, 23. Le silence n'aurait pas aussi bien manifesté sa mansuétude. La parole que le fils adresse au père du haut de l'autel prélude à celle du Christ sur la croix : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. » Luc., XXIII, 34.

Qu'avait répondu le Patriarche ? « Dieu procurera lui-même la victime qui doit lui être offerte en holocauste, ô mon fils. » Genes., XXII, 8. Les deux usent des noms dictés par la nature; ils échangent les noms de père et de fils. Quelle horrible guerre cependant des deux côtés, et quelle profonde tempête ! Mais ni l'un ni l'autre ne sombrera, parce que la philosophie dompte toutes les résistances. Ayant entendu le nom de Dieu, la victime ne dit plus rien, n'en demande pas davantage; sagesse prématurée et qui brille dans la fleur même de la jeunesse ! Voyez-vous que d'armées sont vaincues par ce roi, que d'assauts il a repoussés ? Les barbares, qui tant de fois se précipitèrent contre la ville de Jérusalem, n'étaient pas aussi formidables que les pensées qui l'assiégeaient de toute part; et il les repoussa toutes. Voulez-vous que le prêtre vous soit aussi montré ? Nous n'irons pas chercher loin l'exemple. En l'apercevant avec le feu et le glaive à la main, debout devant l'autel, pourriez-vous douter de son sacerdoce ? La victime est également sous vos yeux ; il y en a deux au lieu d'une. Il immola son fils, il immola le bélier, mais par-dessus tout, il immola sa volonté même. Le sang versé sanctifia sa main, l'immolation de l'enfant sanctifia son âme : il fut ainsi fait prêtre, et par le sacrifice de son fils unique, et par celui du bélier. Les prêtres étaient jadis consacrés par le sang des victimes qu'on offrait à Dieu. Voulez-vous enfin voir le prophète ? « Abraham votre père tressaillit pour apercevoir mon jour; il l'aperçut, et il en fut inondé de joie. » Joan., V, 35.

Et vous aussi dans le baptême vous devenez roi, prêtre et prophète : roi, en terrassant toutes les pensées mauvaises, en frappant à mort tous les péchés; prêtre, en vous offrant vous-même à Dieu, en immolant votre corps et vous-même tout entier, « car si nous mourons avec lui, avec lui nous vivons; » Il Tim., II, 11; prophète, puisqu'on vous instruit des choses futures, que vous recevez le souffle de l'Esprit et que vous êtes marqué de son sceau. Il y a pour les fidèles un signe distinctif comme pour les soldats. Si vous abandonnez donc les rangs, vous serez vu de tout le monde. Les Juifs avaient la circoncision pour signe; nous avons, nous, le gage de l'Esprit. N'ignorant pas ces principes, reconnaissons notre propre dignité, et menons une vie digne d'une telle faveur, pour que nous ayons encore un royaume dans l'avenir. 

Puissions-nous l'obtenir tous, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire, puissance, honneur, en même temps qu'au Père…