Saint Jean Chrysostome

Homélie 2 sur la deuxième épître aux Corinthiens

Si nous sommes affligés, c'est pour votre consolation et votre salut, qui s'accomplit dans la souffrance des mêmes maux que nous endurons; et nous avons pour vous une ferme espérance.

1. Après avoir exposé la première source d'encouragement et de consolation qu’est notre union avec le Christ, il en présente maintenant une seconde : que les disciples y trouvent un moyen efficace de salut. Ne soyez pas déconcertés, semble-t-il dire, si vous nous voyez dans l'affliction; ne vous troublez pas, ne vous laissez pas aller à la crainte; cela devrait plutôt vous remplir de confiance. Si nous n'étions pas affligés, c'est vous qui courriez grand risque de vous perdre. 

Comment cela et pour quel motif ? Si, nous laissant dominer par la mollesse et la peur, nous ne vous eussions pas annoncé et communiqué la doctrine de la vérité, votre situation serait désespérante. Voyez-vous encore ici la force et le courage de Paul ? Il trouve le moyen de les calmer par les mêmes choses qui les troublaient. Plus s'aggravent nos tribulations, leur dit-il, plus doivent augmenter vos espérances ; car c'est une garantie de plus pour votre consolation et votre salut. Et quoi de plus propre à les consoler, en effet, que d'acquérir tant de biens par la prédication ? Après cela, pour ne pas paraître s'en attribuer toute la gloire, il se hâte de les y faire participer et de leur décerner des éloges. A peine a-t-il dit: « Si nous sommes affligés, c'est pour votre consolation et votre salut, » qu'il ajoute: « Qui s'accomplit par la souffrance des mêmes maux que nous endurons. » Plus loin il s'explique d'une manière encore plus claire : « Comme vous avez eu part à la douleur, vous aurez part aux consolations. » Du reste, il l'a suffisamment indiqué en parlant des mêmes maux, en entrant en communication avec eux par la parole. Or, voici le sens de ce qu'il dit : votre salut n'est pas seulement notre œuvre, il est aussi la vôtre. Sans doute, sommes-nous persécutés en prêchant, mais, en recevant la parole, vous participez à nos persécutions : nous avons à souffrir pour vous transmettre ce que nous avons reçu; vous avez à souffrir pour le recevoir et ne pas le perdre.

Que pourrait-on donc comparer à cette humilité ? il accorde le mérite d’une patience identique à des personnes si nettement au-dessous de lui; il a dit : « Qui s'accomplit dans la souffrance des mêmes maux. » Ce n'est pas la foi seule qui vous sauvera, c'est aussi la patience, la participation aux maux que nous souffrons. Tel qu'un merveilleux athlète, habile dans tous les exercices du corps, joignant les ressources de l'art aux plus heureuses dispositions naturelles, attire les regards au premier abord, mais brille surtout quand il se met à l'œuvre, quand il frappe son adversaire à coups redoublés parce qu’il montre alors d'une manière éclatante et sa force et son habileté; tel le fidèle opère mieux son salut, le fait en quelque sorte rayonner aux yeux des autres, l'assure même en réalité, quand il supporte tout avec patience, quand aucune tribulation ne peut vaincre sa générosité. La clé du salut consiste donc à souffrir le mal, et certes pas à le faire. L'Apôtre ne dit pas précisément que nous opérons notre salut, mais bien que notre salut s'opère, pour nous enseigner que la grâce jointe à la bonne volonté opère en nous de grandes choses. « Et nous avons pour vous une ferme espérance. » Eussiez-vous à souffrir des maux sans nombre, nous comptons bien ne pas vous voir succomber, vous-mêmes étant victimes de la persécution.

Nous craignons si peu pour vous à l'occasion de nos souffrances, que nous espérons fermement vous voir triompher de vos propres dangers. - Voyez-vous quel bien ils avaient retiré de sa première lettre ? Il leur rend, en effet, un plus beau témoignage qu'aux Macédoniens, qu'il loue néanmoins partout et qu'il exalte dans celle-ci. Il tremblait pour ce dernier peuple, puisqu'il disait : « Nous vous avons envoyé Timothée pour vous exhorter et vous affermir dans la foi, pour que nul ne chancelle dans les tribulations présentes; car vous n'ignorez pas que telle est notre destination.» I Thess., III, 2-3. Il ajoutait : « Aussi, ne pouvant plus attendre, je vous l'ai envoyé pour savoir où vous en êtes de votre fol; j'ai craint que le tentateur ne vous eût réellement tentés, et que notre travail ne devint inutile. » Ibid., 5. Il parle tout autrement des Corinthiens : « Nous avons pour vous une ferme espérance. Si nous sommes consolés, c'est pour votre consolation et votre salut, sachant qu'ayant pris part aux souffrances, vous aurez aussi part à la consolation. » Que les apôtres souffrissent en réalité pour les disciples, il le dit clairement : "Si nous sommes affligés, c'est pour votre consolation et votre salut. » Il fait voir de même qu'ils sont consolés pour cela. Il l'avait déjà dit plus haut, mais d'une manière moins précise :« Béni soit Dieu, qui nous console dans nos tribulations, afin que nous puissions à notre tour consoler ceux qui sont plongés dans la peine. » Il le répète maintenant d'une manière plus claire et plus propre à guérir les âmes : « Si nous sommes consolés, c'est pour votre consolation. » Voici ce qu'il entend dire : Notre consolation à nous devient votre soulagement, sans que nous vous consolions par nos paroles.

Avons-nous un peu de répit, c'est assez pour que vous respiriez vous-mêmes; notre consolation est la vôtre. Tout comme vous prenez sur nous vos douleurs ainsi nos joies vous appartiennent : participant à nos revers, pourquoi ne participeriez-vous pas à nos avantages ? Ayant tout en commun avec moi, la tribulation et la consolation, vous n'avez plus à me reprocher mes lenteurs et mon retard; car c'est pour vous que nous sommes affligés, pour vous que nous sommes consolés. De peur que la première parole ne paraisse onéreuse, il se hâte d'ajouter la seconde. Non, nous ne sommes pas seuls à courir des dangers, puisque vous réclamez une part de nos souffrances.

2. Cette communauté de périls n'imprime pas moins de douceurs à son langage que celle des consolations. Ainsi donc, sommes-nous entourés d'embûches, ne craignez rien : souvenez-vous que nous souffrons cela pour que votre foi s'affermisse : nous est-il donné de nous réjouir que ce soit pour vous une gloire; c'est en votre faveur que cette joie nous est accordée; votre charité vous fait participer à cette consolation.

Qu'il parle ici de la consolation qu'il goûte lui-même, et non pas seulement de celle qu'ils lui donnent, qu'il se réjouisse de les savoir dans le calme, vous le voyez par ce qui suit; lui-même s'en explique : « Sachant que, si vous prenez part aux souffrances, vous avez aussi part à la consolation. » De même que vous gémissez lorsqu'on nous persécute, comme si vous enduriez vous-même le mal; de même, lorsque nous éprouvons une consolation, vous la partagez, comme si elle vous était personnelle, nous le savons. — Quoi de plus humble qu'une telle âme ? Les dangers qu'elle subit et qui l'élèvent tant au-dessus des autres, elle en communique la gloire à ceux qui n'en ont pas couru la moindre partie. S'agit-il de la consolation, elle leur en attribue toute la cause, et rien a ses propres labeurs. Après avoir parlé des tribulations en termes généraux, Paul détermine le lieu où il les a souffertes: " Nous ne voulons pas que vous ignoriez, frères, les épreuves qui nous sont survenues en Asie. » Nous vous parlons de la sorte, afin que vous n'ignoriez pas ce qui nous est arrivé; car nous désirons que ce qui nous concerne vous soit connu, et nous ne négligeons rien pour vous en instruire; l'affection n'a pas de manifestation plus certaine.

Il avait abordé ce sujet dans sa première lettre, quand il disait : « La porte m'a été ouverte grande et libre; je n'ai pas manqué de contradicteurs à Ephèse. » I Cor., XVI, 9. Voilà ce dont il veut les informer, il ne leur laissera pas ignorer ses souffrances : Je désire que vous connaissiez les tribulations qui me sont survenues en Asie. Il en avait encore parlé dans sa lettre aux Ephésiens, en leur envoyant Tychique; c'est la raison qu'il leur donne du voyage de ce disciple; et voici ce qu'il dit: « Quant à ce qui me concerne, à ce que je fais, vous l'apprendrez complètement de la bouche de Tychique, ce frère bien-aimé, ce fidèle ministre dans le Seigneur; je vous l'ai envoyé pour cela même, pour qu'il vous apprenne ce qu'il en est de nous, et qu'il console vos cœurs. » Ephes., VI, 21-22. Il agit de même dans les autres épitres. Et ce n'est pas en vain, c'est absolument nécessaire, soit à cause de l'ardente charité qu'il a pour ses disciples, soit à cause des épreuves incessantes de la vie, dans lesquelles c'est une bien grande consolation de connaître la position les uns des autres; ainsi peut-on s'encourager et se prémunir réciproquement quand cette position est pénible, et se réjouir quand elle est avantageuse. En parlant des épreuves qu'il a subies, Paul dit aussi qu'il en est délivré; il poursuit : « Car nous avons été accablés outre mesure, au-dessus de nos forces; » c'est comme un vaisseau qui sombrerait sous une trop lourde charge.

Ces deux expressions, « outre mesure » et « au-dessus de nos forces, » semblent n'avoir qu'un même sens; mais il n'en est pas ainsi, il y a là deux pensées distinctes. Pour qu'on ne lui dise pas : Qu'importe que le danger fût excessif, s'il n'était pas trop grand pour vous ? il a soin d'ajouter : Il dépassait la mesure de nos forces, mais à tel point que nous éprouvions le dégoût de vivre, ou bien que nous n'espérions pas vivre plus longtemps. — Ce que David appelle les portes de l'enfer, les douleurs de l'enfantement, l'ombre de la mort, c'est cela même que Paul nomme un péril qui ne saurait manquer de conduire au trépas. « Nous avons eu au dedans de nous-mêmes une réponse de mort, afin que nous ne mettions pas en nous notre confiance, et que nous la mettions en Dieu, qui ressuscite les morts. » « Une réponse de mort, » qu'est-ce à dire ? Un jugement, une sentence, une perspective. Les faits élevaient la voix, les circonstances prononçaient un arrêt, pour nous annoncer que nous devions mourir. Cela n'a pas été cependant jusqu'à se réaliser, et nous n'avons eu que la crainte. La nature même des choses s'était ainsi manifestée; mais la divine puissance n'a pas permis que l'arrêt fût exécuté; elle a voulu que ce fût seulement dans notre âme, dans l'attente où nous étions. - C'est pour en cela qu'il a dit : « Nous avons eu au dedans de nous-mêmes une réponse de mort, » et non dans la réalité. Mais dans quel but a-t-elle permis un péril qui devait nous ôter toute espérance ? « Pour que nous ne mettions pas notre confiance en nous-mêmes, pour que nous la mettions en Dieu."

3. Si Paul s'exprime de la sorte, ce n'est pas que tel fût son abattement, non certes; c'est pour instruire les autres par ce qu'il disait de lui, et de plus, c'est une leçon de modestie qu'il donnait. Dans la suite, il dira : « L'aiguillon de la chair m'a été donné, » désignant ainsi les tentations, « afin que je ne m'enorgueillisse pas. » Il Cor., XII, 7. Tel n'était pas le but que Dieu se proposait dans ces épreuves. Quel était-il donc ? De mieux faire ressortir sa puissance. « Ma grâce te suffit, disait-il; car ma puissance éclate pleinement dans la faiblesse. » Paul n'oublie jamais néanmoins sa propre conduite, comme je l'ai remarqué ; il se range parmi ceux qui lui étaient de beaucoup inférieurs, et qui se trouvaient sans cesse dans la nécessité d'être instruits et corrigés. S'il suffit d'une épreuve ou de deux pour ramener au devoir un homme ordinaire, comment se ferait-il que celui-ci, le plus humble de tous les hommes et dont la vie tout entière était un exercice d'humilité, après avoir souffert plus que tout autre, pratiqué si longtemps une philosophie digne des cieux, eût eu besoin d'une pareille leçon ? Il est donc évident qu'il donne l'exemple de la modestie, qu'il réprime l'orgueil et l'arrogance, quand il dit: « Afin que nous ne mettions pas en nous notre confiance, et que nous la mettions en Dieu. » Remarquez aussi les ménagements qu'il garde en appliquant le remède. C'est comme s'il disait : Les épreuves que nous subissons sont permises pour votre bien, tant le Seigneur a d'estime pour vous : « Si nous sommes affligés, c'est pour votre consolation et votre salut. » Le surcroît de la peine est à cause de nous, et nous met à l'abri des pensées superbes: « Nous avons été accablés au-delà de nos forces, afin que nous ne mettions pas en nous notre confiance, et que nous la mettions en Dieu, qui ressuscite les morts. »

Voilà qu'il revient au dogme de la résurrection, dont il avait tant parlé dans sa première lettre; il le confirme par une comparaison avec les choses présentes. Aussi ajoute-t-il : « Qui nous a délivrés de tant de genres de mort. » Il n'a pas dit : De tant de périls; car il veut à la fois montrer ce qu'il y avait d'intolérable dans les afflictions et mieux persuader la doctrine signalée tout à l'heure. Comme la résurrection est du domaine de l'avenir, il fait voir qu'elle a lieu chaque jour. L'homme étant sans espoir et touchant aux portes mêmes de la mort, quand Dieu le relève et l'en ramène, ce n'est pas autre chose qu'une résurrection qu'il opère; il le retire de la gueule du monstre comme d'un tombeau. Aussi, quand il s'agit de ceux qui ne laissent plus aucun espoir, et qui reviennent cependant d'une maladie ou d'une situation de ce genre, on dit communément : Nous avons vu là une résurrection. « De qui nous espérons qu'il nous délivrera de nouveau; et les prières que vous faites pour nous y contribueront, afin que le don qui nous a été fait en votre faveur, beaucoup en rendent grâce pour nous. »
Comme cette parole : « Pour que nous ne de mettions pas notre confiance en nous-mêmes » paraissait une accusation générale et s'appliquait à plusieurs d'entre eux, l'Apôtre l’atténue, en implorant le secours de leurs prières comme une grande protection, en leur enseignant, de plus, que notre vie tout entière doit s'écouler sous les armes. Lorsqu'il dit, en effet : « Nous espérons qu'il nous délivrera de nouveau, » il fait pressentir une nuée d'épreuves, mais en même temps une main secourable et forte, jamais l'abandon.

Après cela, de peur qu'ils ne se laissent abattre en apprenant qu'il leur faudra courir de continuels dangers, il leur montre que ces dangers sont un bien, ce qui ressort déjà de cette parole : « Pour que nous ne mettions pas notre confiance en nous-mêmes, » pour que Dieu nous trouve constamment dans l'humilité, pour que leur salut s'opère, et tant d'autres biens, par une émanation de la vie du Christ; car « les souffrances du Christ se répandent sur nous avec abondance. » Cela résulte encore de ce que l'Apôtre souffre pour les fidèles: « Si nous sommes affligés, c'est pour votre consolation et votre salut. » L'œuvre brille ainsi d'un plus vif éclat : « Elle s'accomplit par la participation aux mêmes souffrances. » Ils y puisent une plus grande énergie. Ajoutez qu'ils y voient la résurrection dans une pure lumière : « Qui nous a délivrés de tant de morts. » Ils deviennent par là plus vigilants sur eux-mêmes et plus confiants en Dieu : « Nous espérons qu'il nous délivrera de nouveau. » Enfin, ils s'appliqueront davantage à la prière : « Et vos prières pour nous y contribueront. » Quand il il leur a donc montré l'utilité des tribulations et ranimé leur courage, il relève encore leurs pensées et stimule leur ardeur pour la pratique de la vertu, en rendant un pareil témoignage à leur intercession, en les déclarant les bienfaiteurs de Paul : « Vos prières pour nous y contribueront. » Que signifie ce qui suit : « Afin que le don que nous avons reçu pour le bien d'un grand nombre, beaucoup en rendent grâces pour nous ? » C'est avec le concours de vos prières que nous avons été délivrés de tant de morts; par ce moyen vous avez contribué tous à notre délivrance : c'est à vous tous que le Seigneur a voulu concéder ce bienfait de notre salut, pour que la reconnaissance devienne générale de même que la grâce accordée.

4. Or, il leur parlait ainsi, afin d’abord de les engager à prier pour les autres, puis ensuite afin de les accoutumer à rendre constamment grâces à Dieu pour les épreuves mêmes que les autres subissaient, leur enseignant que telle était sa volonté. Quand on agit de la sorte à l'égard du prochain, bien mieux remplira-t-on ce double devoir lorsqu'il sera question de soi-même. De plus, il leur enseigne l'humilité et tâche d'allumer en eux une charité plus ardente. 

Quand un homme si fort au-dessus d'eux déclare qu'il doit son salut à leurs prières, qu'ils sont par là devenus ses bienfaiteurs, songez s'ils doivent être eux-mêmes modestes et réservés. Remarquez aussi de quelle puissance est la prière, alors même que Dieu, dans son action, obéit à sa propre bonté. En commençant sa lettre, c'est à la divine miséricorde que Paul attribue son salut: « Le Dieu des miséricordes nous a délivrés; » et maintenant c'est à leur intercession qu'il l'attribue. Le Seigneur fit grâce au serviteur qui devait les dix mille talents, quand celui-ci se prosterna devant lui pour l'implorer; et cependant il est dit « touché de compassion, il le renvoya. » Matth., XI, 27. Ce fut également aux instances réitérées ainsi qu'à la patience de la Chananéenne qu'il accorda la guérison de sa fille, bien qu'il l'eût guérie par bonté. Nous apprenons par là qu'il faut nous rendre dignes de cette même miséricorde qui ne nous sera pas refusée. C'est de la miséricorde sans doute; mais elle réclame un cœur bien disposé. Elle ne la se donne pas indistinctement à tous, à ceux-là même qui n’auraient aucun sentiment. « Je ferai miséricorde, dit le Seigneur, à qui je ferai miséricorde; je ferai grâce à qui je ferai grâce.»  Exod., XXXIII, 19.

Et voyez encore une fois ce que dit ici l'Apôtre : « Vous m'avez aidé de vos prières.» Il ne leur attribue pas tout, de peur de leur inspirer de la vanité; il ne les déclare pas non plus étrangers à la bonne œuvre, afin qu'ils redoublent de ferveur et qu'ils soient plus unis entre eux. C'est la raison pour laquelle il reconnait leur devoir son salut. Il n'est pas rare que Dieu se laisse comme vaincre par la honte, quand un grand nombre de personnes le prient d'un commun accord, avec un sentiment unanime. De là vient qu'il disait au prophète : « Je n'épargnerai donc pas cette ville, où se trouvent plus de cent vingt mille habitants ? » Jon., IV, 11.

Pour que vous n'alliez pas croire qu'il se laisse uniquement ébranler par la multitude, il dit ailleurs : « Le nombre des enfants d'Israël égalerait-il les grains de sable de la mer, j'en sauverai les restes. » Isaïe, X, 22. Comme les Ninivites ont-ils été sauvés ? Ce n'est pas seulement à cause de leur multitude, c'est encore à cause de leur vertu; car chacun se repentit et se détourna de sa mauvaise voie. Lui-même, en les sauvant, disait : « Ils ne savent pas distinguer leur main droite de leur main gauche. » Jon., ub. sup. Par où nous voyons qu'ils avaient prévariqué d'abord par faiblesse plutôt que par méchanceté : et ce qui le prouve encore, c’est que peu de paroles suffirent à les changer. - si leur grand nombre de cent vingt mille était une raison pour les sauver, qu'est-ce qui empêchait leur salut avant cette heure ? Pourquoi donc, au lieu de motiver son pardon par leur conversion, Dieu parle-t-il au prophète du grand nombre des habitants ? —C’ est une raison de plus qu'il donne. La conversion était chose manifeste; tandis que le prophète ignorait et le nom et la simplicité des Ninivites.

L'Apôtre emploie donc tous les moyens pour adoucir les cœurs. Oui, la multitude pèse dans la balance, quand il y a en plus la vertu. L’Écriture le dit clairement ailleurs : « L’Église ne cessait de prier Dieu pour lui. » Act., XII, 5. Et sa puissance fut si grande que, malgré les portes et les verrous, malgré les chaînes et les gardes, qui ne quittaient pas le prisonnier durant même le sommeil, elle délivra Pierre, elle brisa toutes les entraves qui le retenaient. Toute cette force que la vertu donne à la multitude s'évanouit, disparaît dans le vice, et la multitude n'est plus rien. Ces mêmes Israélites, dont le nombre égalait les grains de sable de la mer, selon l'expression de l'Ecriture, périrent tous.
Les hommes étaient certes nombreux, ou même innombrables du temps de Noé; mais cela ne leur fut d'aucun avantage. Par elle-même la multitude ne peut rien, elle ne peut qu'ajouter à une force réelle. Tâchons donc de nous unir pour prier, prions les uns pour les autres, comme pour les apôtres priaient les disciples. Ainsi nous accomplissons un précepte et nous embrassons la charité. Or, en disant la charité, je dis tous les biens. Apprenons a rendre de plus vives actions de grâces. Ceux qui bénissent Dieu pour les biens accordés aux autres, à plus forte raison le béniront-ils pour les biens qu'ils auront eux-mêmes reçus. Ainsi faisait David, lui qui disait : « Glorifiez le Seigneur avec moi, exaltons son nom tous ensemble.» Psal. XXXIII, 4. L'Apôtre ne cesse d'exprimer le même désir. Réalisons-le dans notre conduite, proclamons devant tous la bonté divine, afin qu'ils participent à nos louanges. Quand les hommes nous ont fait du bien, si nous le proclamons, nous les excitons à nous en faire davantage; bien mieux, nous attirerons-nous une plus grande bienveillance de la part du Seigneur si nous aimons à publier ses faveurs. Nous voulons que les autres prennent part à notre reconnaissance quand elle s'adresse aux hommes, ne devons-nous pas, à plus forte raison, les appeler à partager notre reconnaissance envers Dieu ? Paul ne manquait pas à ce devoir, quoiqu'il fût plein de confiance; pourrions-nous y manquer ?

5. Conjurons les saints de bénir Dieu pour nous, et faisons de même pour eux. Cela regarde surtout les prêtres, puisque c'est la plus noble de toutes les fonctions. A l'autel, nous rendons grâces avant tout pour les bienfaits généraux, pour les avantages dont jouissent tous les hommes. Ils sont communs sans doute; mais c'est en commun que vous serez vous-même sauvé. Aussi devez-vous une reconnaissance générale pour les biens qui vous sont personnellement accordés, tout comme une reconnaissance personnelle pour les biens accordés à tous. Ce n'est pas pour vous seul que le Créateur a fait briller le soleil, c'est pour tout le monde; et cependant vous en jouissez comme si vous étiez seul. Il a été créé si vaste que tous peuvent en profiter, et seul vous le voyez aussi bien que peuvent le voir tous les hommes ensemble. Il en résulte que votre reconnaissance doit égaler celle de tous et qu'elle doit s'étendre à la vertu de chacun pendant qu'elle embrasse les biens universels. Souvent même, c'est à la faveur des autres que nous sommes protégés; si la ville de Sodome eût seulement renfermé dix justes, elle n'eût pas été traitée comme elle le fut. Par conséquent, rendons grâces aussi pour le crédit dont les autres jouissent. C'est une loi qui remonte aux premiers temps, qui dès le commencement fut implantée dans l'Eglise. Paul rendait grâces à Dieu pour les Romains, pour les Corinthiens, pour le monde entier. Ne me dites pas : Je ne saurais m'arroger une pareille œuvre. Si elle n'est pas de vous, elle est de votre membre; soyez-en donc toujours reconnaissant. En la louant même, vous vous l'appropriez, vous acquérez un droit aux couronnes, vous recevrez la même faveur.

Voilà pourquoi les lois de l’Église nous ordonnent des prières dans ce sens, non seulement pour les fidèles, mais encore pour les catéchumènes. Oui, l’Église veut que les initiés prient pour ceux qui ne le sont pas. Quand le diacre dit: « Pour les catéchumènes prions avec ferveur, » il excite évidemment toute l'assemblée des fidèles à prier pour ceux qui n'en font pas encore partie. Les catéchumènes sont encore des étrangers, ils n'appartiennent pas encore au corps du Christ, ils ne participent pas aux divins  mystères, ils restent pour le moment séparés du troupeau spirituel. Or, s'il faut prier pour eux, à plus forte raison pour nos membres. Ce n'est pas sans intention qu'il est dit: « Prions avec ferveur; » vous ne devez pas les repousser comme des inconnus, comme s'ils n'avaient avec vous aucun lien. Tant qu'ils n'ont pas la prière officielle établie par le Christ, tant qu'ils n’ont aucun droit par eux-mêmes, ils ont besoin des initiés. Ils se tiennent en dehors des portiques royaux, loin des barrières sacrées, ils sont même écartés quand se font les redoutables prières. De là cette recommandation qui vous est faite de prier pour eux, afin qu'ils deviennent les membres d'un même corps et qu'ils ne soient plus pour vous des étrangers et des inconnus. Le mot, « prions, » s'adresse à tout le monde, et non pas aux prêtres seulement. Quand le ministre de l'autel s'écrie : « Tenons-nous respectueusement debout et prions, » il exhorte tous les assistants, et lui-même se fait le guide de la prière en poursuivant ainsi : « Afin que Dieu, tout miséricordieux et tout bon, exauce leurs demandes. » Vous ne direz pas : Pourquoi prierions-nous ? Ils nous sont étrangers, ils ne nous sont pas encore unis. Comment pourrais-je apaiser Dieu, obtenir de lui qu'il leur fasse grâce et miséricorde ? Vous ne vous arrêtez pas à de telles difficultés; tous vos doutes disparaissent devant cette parole : « Afin que Dieu, tout miséricordieux et tout bon. » Avez-vous entendu cette expression : Tout miséricordieux ? N'hésitez donc pas davantage; le tout-miséricordieux a pitié de tous, des pécheurs comme des justes. Ne dites donc pas, je vous le répète : Comment me présenterais-je en leur faveur ? Lui-même exaucera leurs prières. Or, que peuvent demander des catéchumènes, si ce n’est de ne pas demeurer catéchumènes ? Puis vous est indiqué l'objet même de la prière. Quel est-il ? « Afin qu'il ouvre les oreilles de leurs cœurs. » Elles sont encore fermées, elles n'ont pas la faculté d'entendre. Il s'agit ici, non des oreilles du corps, mais de celles de l'âme. « Afin qu'ils perçoivent ce que l'œil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, ce qui n'est pas monté dans le cœur de l'homme. »

Les divins mystères ne leur ont pas été révélés, on les tient encore à distance. Leur en a-t-on parlé, ils ne peuvent pas comprendre; car, avec l’ouïe, il faut encore une grande sagesse, et l'ouïe de l'âme ne leur est pas encore accordée. On leur souhaite de plus le don de prophétie; le prophète disait : « Le Seigneur a lui même formé ma langue, pour que je sache quand est-ce qu'il est à propos de parler; il m'ouvre la bouche, il m'instruit dès le matin, il m'a donné de plus une oreille subtile. » Isa., L, 4-5.  Comme les prophètes entendaient autrement que le commun des hommes, ainsi les fidèles entendent autrement que les catéchumènes. Ces derniers apprennent encore par là qu'ils ne doivent pas recueillir cet enseignement sur des lèvres humaines : « Ne donnez à personne sur la terre le nom de maître, » est-il dit; Matth., XXII, 8; qu'ils doivent le recevoir d'en haut, du ciel même : « Tous seront instruits par Dieu. » Isa., LIV, 13. C'est pour cela que le ministre saint ajoute : « Et pour qu'il répande en eux la doctrine de la vérité, » si bien qu'elle réside en eux. Ils ne savent pas encore la vérité divine comme il importe de la savoir : « Afin qu'il sème en eux sa crainte; » ce qui ne suffit pas, néanmoins, puisque la semence tombe en partie sur le chemin, en partie sur la pierre.

6. Ce n'est pas là certes ce que nous demandons; nous demandons qu'ils soient comme une terre fertile ouverte par le soc de la charrue, pour que, renouvelés au fond de leur cœur, ils reçoivent la semence, et ne laissent rien périr de ce qu'ils auront entendu. De là les paroles qui viennent ensuite : « Et qu'il affermisse sa foi dans leurs intelligences. » C'est désirer que la semence ne reste pas à la surface et qu'elle jette de profondes racines. « Afin qu'il leur révèle l’Évangile de la justice. » Il y a là deux barrières : les yeux de leur âme sont fermés, et la lumière de l’Évangile leur est cachée. Aussi était-il dit plus haut: « Afin qu'il ouvre les oreilles de leurs cœurs. » Et maintenant : « Afin qu'il leur révèle l’Évangile de la justice; » ce qui signifie : Qu'il leur accorde la sagesse, qu'il les rende propres à recevoir ce don, qu'il les instruise, qu'il répande en eux la bonne semence.

Auraient-ils l'aptitude voulue, si Dieu ne les éclaire, cela ne leur servira de rien; Dieu les éclairerait-il, s'ils ne sont pas dociles, ils retomberont dans le même inconvénient. Voilà pourquoi nous demandons ces deux choses : et qu'il ouvre leur cœur, et qu'il leur révèle l'Evangile. Il importe peu que la magnificence royale soit là devant nous et que nos yeux soient même dirigés de ce côté, s’il y a un voile qui nous la cache; comme aussi peu importe qu'elle soit à découvert, si nos yeux n'y prennent pas garde. Les deux conditions seront réunies quand eux-mêmes le voudront. Que signifie cette expression : « L'Evangile de la justice ? » L'Evangile qui nous rend justes. De la sorte on excite en eux le désir de recevoir le baptême, en leur montrant dans l’Évangile non seulement la rémission des péchés, mais encore l'acquisition de la justice. « Afin qu'il leur donne un entendement divin, des pensées chastes, une vie vertueuse. »

Qu'ils l'entendent, les fidèles qui se laissent absorber par les affaires du temps présent. S'il nous est prescrit de faire une telle prière pour ceux qui ne sont pas encore initiés, songez dans quelles dispositions nous devons être, nous qui prions ainsi pour les autres. Ne faut-il pas que notre conduite soit d’autant plus conforme à l’Évangile ? Voilà comment aussi le devoir de la prière va du dogme à la vie. Aussi, après avoir dit: « Afin qu'il leur révèle l’Évangile de la justice, » dit-on immédiatement : « Afin qu'il leur donne un entendement divin. » Comment cela, divin ? Afin que Dieu habite dans leur âme. « J'habiterai en eux, a-t-il dit, et je marcherai avec eux. » Lev., XXVI, 12. Quand une âme possède la justice et s'est dépouillée du péché, elle devient la maison de Dieu; et, quand Dieu s'est fait là une demeure, il n'y laisse plus rien subsister d'humain. C'est ainsi que l'entendement est divinisé, qu'il puise en Dieu toutes ses paroles, qu'il est le séjour même de la divinité. Celui qui prononce des discours déshonnêtes n'a donc certes pas un entendement divin, ni celui qui se plaît dans les railleries et les rires désordonnés, une âme chaste. Qu'est-ce que la chasteté de l'âme ? Elle consiste à jouir de la santé spirituelle. Un homme qui subit le joug des mauvaises passions, qui se laisse captiver par les choses présentes, ne saurait être chaste, c'est-à-dire sain; il est comme un malade qui désire ce qui lui convient le moins. « Une vie vertueuse. » A la croyance il faut donc joindre la pratique. Entendez-le, vous qui retardez le baptême jusqu'à la fin de la vie.

Quant à nous, nos prières ont pour but d'obtenir que vous ayez une conduite pure après le baptême, tandis que vous faites tous vos efforts pour arriver à quitter la terre sans avoir pratiqué la vertu. - Qu'importe, pourvu qu'on soit justifié, ne serait-ce que par la foi ? - Nous prions pour que votre conscience repose aussi sur les bonnes œuvres. « Qu'ils aient constamment dans la pensée les choses de Dieu, qu'ils les goûtent, qu'ils les méditent avec ferveur. » Cette âme chaste et cette vie vertueuse, nous les demandons, non pour un jour ou deux ou trois, mais pour la durée tout entière de l'existence; nous demandons en outre le résumé de tous les biens, l'amour des choses de Dieu. « La plupart cherchent leurs propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ. » Philipp., II, 21. Comment aurons-nous un tel amour ? En joignant à la prière l'action qui dépend de nous. « Nous devons consacrer à sa loi les jours et les nuits; » et de là cette autre formule : « Qu'ils se dévouent à sa loi. » Toujours, était-il dit plus haut; le jour et la nuit, est-il dit ici. Aussi n'est-ce qu'avec un sentiment de honte que je songe à ceux qu'on voit à peine une fois l'an dans l'église.
Quelle excuse pourraient avoir ceux dont l'obligation est non seulement de penser à la loi nuit et le jour, mais encore de s'y dévouer, de la méditer sans cesse, et qui cependant n'emploient pas la plus légère partie de leur vie à s'en rappeler les préceptes, à les appliquer leur conduite ?

7. Voyez-vous cet admirable enchaînement comme chaque partie se rattache à l'autre avec plus de force et de grâce que les anneaux d'une chaine d'or ? Après avoir réclamé un entendement divin, on enseigne comment il pourra l'être. Comment ? Par un zèle et des soins ininterrompus. Et cela même, comment y parvenir ? Par une méditation constante de la loi. Mais par quel moyen en persuader des hommes ? Par une conduite conforme à cette même loi, ou mieux par une application infatigable, par l'observation des préceptes qui nous sont donnés; et le désir intérieur divinise notre intelligence, en nous faisant de la méditation une nécessité. Chacune des choses énoncées est à la fois la cause et l'effet de la suivante, la renferme et s'y trouve renfermée. « Prions pour eux avec plus de ferveur encore. » Comme l'âme s'endort souvent en prolongeant sa prière, elle est excitée de nouveau. Il y a de grandes et sublimes choses qu'il reste à demander, et de là cette exhortation: « Prions avec plus de ferveur encore. » Dans quel but ? « Afin que Dieu les délivre de toute action inique, de toute fausse démarche. » Là nous demandons qu'ils n'entrent pas en tentation, qu'ils échappent à toute embûche, soit du corps, soit de l'âme. Le ministre saint ajoute dans le même sens : « De toute inspiration diabolique, de tout assaut de l'ennemi. » De telles expressions désignent assez clairement les tentations et les péchés. Le péché s'attaque naturellement à l'homme, l'assiège de tous les côtés, en avant, en arrière, jusqu'à ce qu'il l'ait abattu.

Après avoir dit ce que nous devons faire de notre côté, méditer sur la loi, en avoir les préceptes toujours présents à la pensée, les mettre en pratique, Dieu nous fait voir que cela ne suffit pas, si lui-même ne nous vient pas en aide. «Si le Seigneur ne bâtit la maison, c'est en vain que travaillent ceux qui la bâtissent. » Psalm. CXXV, 1. Cela est vrai surtout des esclaves du démon, de ceux qui reconnaissent son empire. Vous ne l'ignorez pas, vous qui êtes initiés.
Vous ne sauriez avoir oublié les paroles mêmes par lesquelles vous avez renoncé à sa tyrannie, pour aller fléchir le genou devant votre roi, en prononçant ces redoutables paroles, qui nous apprennent si bien à n’avoir plus rien de commun avec le démon. Ce dernier est appelé adversaire et accusateur, ce que signifie proprement le mot diable; car il fait office d'accuser Dieu auprès des hommes, les hommes auprès de Dieu, et les hommes encore auprès des hommes. C'est lui qui se portait jadis l'accusateur de Job au tribunal de Dieu, quand il disait : « Est-ce donc en vain que Job honore le Seigneur ? » et puis de Dieu même auprès de Job par cette affirmation : « Le feu est descendu du ciel. » Job, 1, 9-16. t Il avait antérieurement accusé Dieu par devant nos premiers pères, en promettant à ceux-ci que leurs yeux seraient ouverts; il l'accuse encore par devant un grand nombre d'hommes, en disant : Dieu ne gouverne pas les choses visibles, il nous a livrés à la puissance des démons. Il se faisait bien aussi l'accusateur du Christ chez les Juifs, en le traitant d'imposteur et de magicien. Peut-être quelqu'un désirera-t-il savoir comment il procède. Quand il rencontre une intelligence qui n'a rien de divin, une âme qui n'est pas chaste, qui ne se souvient pas « des lois de Dieu, qui n'en observe pas les préceptes, il la charge de liens et l'emporte. Si le premier homme s'était souvenu de la loi qui commence ainsi : « Vous mangerez du fruit de tous les arbres; » s'il avait respecté cette sanction : « Le jour où vous mangerez de ce fruit, vous mourrez de mort, » il n'aurait pas subi les peines qui lui furent infligées. « Afin qu'il daigne leur accorder dans le temps opportun le bain de la régénération et la rémission des péchés. » Il est des choses que nous demandons pour le présent, il en est d'autres que nous demandons pour l'avenir; nous raisonnons sur le baptême, et dans la prière même nous leur en faisons connaître le pouvoir. La parole prononcée leur enseigne que là est la régénération, que l'eau est pour nous comme le sein de nos mères; et dès lors ils ne diront pas comme Nicodème: « Comment l'homme naitrait-il de nouveau quand il est déjà vieux ? pourra-t-il rentrer dans le sein de sa mère et recevoir le jour une seconde fois ? » Joan.,III, 4.

Après avoir parlé de la rémission des péchés, il la confirme en ajoutant : « Et le vêtement de l'incorruptibilité. » Celui qui revêt la filiation est évidemment incorruptible. Que veut-on dire par le temps opportun ? Quand le catéchumène sera bien disposé, quand il aura le zèle et la foi convenables : tel est le temps opportun du fidèle. « Afin qu'il bénisse leur entrée et leur sortie, leur vie tout entière. » Ici la prière embrasse les besoins corporels, par égard pour la faiblesse de l'homme. « Leurs maisons et leurs familles, » les serviteurs qu'ils peuvent avoir, leurs parents, tous ceux qui leur sont unis. C'étaient les récompenses promises dans l'Ancien Testament; on ne connaissait rien alors d'aussi malheureux que le veuvage, un mariage sans enfants,  les morts prématurées, les privations, les revers. Aussi Dieu permet-il que la prière s'applique aux besoins temporels, et c'est par degrés qu'il élève les âmes. Le Christ agissait de même, ainsi que Paul; l'un et l'autre rappelaient les anciennes bénédictions. Le Maître disait : « Heureux ceux qui sont doux, parce qu'ils possèderont la terre; » Matth., V, 4; et l'Apôtre : « Honorez votre père et votre mère, pour que vous viviez longtemps sur la terre. Et leurs enfants, afin qu'ils se multiplient par vos bénédictions, et qu'arrivés à la mesure de l'âge,ils reçoivent de vous la sagesse. » Ephes., VI, 2-3.

8. Encore ici les biens corporels et les biens spirituels, à raison de l'enfance de ceux pour qui la prière est faite. Ce qui vient ensuite est absolument spirituel : « Afin que les choses qui leur sont proposées tournent à leur véritable avantage; » car voilà le but pour lequel elles leur sont proposées. Souvent on entreprend un voyage, mais sans utilité; d'autres entreprises ne sont pas moins inutiles. On apprend de la sorte aux catéchumènes à rendre en tout grâces à Dieu, à voir leur bien en tout. Cette exhortation faite, on leur commande désormais de se lever. On les a tenus jusque-là prosternés à terre; mais, après avoir formulé toutes ces demandes, quand la confiance a rempli leur cœur, la parole les excite et leur ordonne d'adresser eux-mêmes leurs prières à Dieu. Nous il avons parlé pour eux, nous les laissons ensuite parler pour eux-mêmes, quand une fois nous a leur avons ouvert les portes de la prière : c'est toujours les traiter comme des enfants, nous les instruisons, et puis nous les obligeons à redire la leçon donnée : « Catéchumènes, implorez l'ange de la paix. » Il est un ange dont la fonction est de punir, selon cette parole : « Message accompli par les mauvais anges. » Psalm., au LXXVII, 54. Il y a même un ange exterminateur.

Nous les engageons donc à demander l'ange de la paix; et c'est encore leur apprendre à se proposer dans leurs prières le bien qui réunit tous les autres, la paix; à s'éloigner ainsi de toute querelle, de tout combat, de toute dissension.« Tout ce qui vous est proposé est de nature à donner la paix. » Quelque onéreuse qu'une chose soit, elle devient légère quand elle concourt à la paix. Voilà pourquoi le Christ aimait à dire : « Je vous laisse la paix. » Joan., xIv, 27. Il n'est pas d'arme aussi terrible entre les mains du démon que les luttes et les inimitiés. « Demandez que le jour présent vous soit paisible, et tous les jours de votre vie. » Voyez-vous comme on leur recommande encore de passer la vie tout entière dans la pratique de la vertu ? « Que votre fin soit chrétienne; » et puis, ce qui résume tout bien : « Demandez ce qui vous est honorable et avantageux. » Du reste, n'est pas avantageux ce qui n'est pas honorable. Notre manière de juger concernant l'utile diffère entièrement de l'opinion du vulgaire. « Confiez-vous au Dieu vivant et à son Christ. » Nous ne les chargeons pas encore des intérêts d'autrui; ce sera beaucoup qu'ils puissent prier pour eux-mêmes.

Admirable chose que la prière, et pour la doctrine et pour la vie ! Quand nous annonçons l’Évangile, si nous parlons du vêtement de l'incorruptibilité ou du bain de la régénération, nous touchons à tous les dogmes. S'il est question d'un entendement divinisé, d'une âme chaste, des autres choses indiquées plus haut, c'est à la direction de la vie que nous touchons. Enfin nous leur ordonnons d'incliner la tête, en témoignage que les prières sont exaucées et que Dieu leur accorde sa bénédiction. Ce n'est pas l'homme qui bénit; par ses mains et sa langue sont offertes au Roi suprême les têtes des assistants. Et tous de s'écrier alors : Amen.

Mais pourquoi vous ai-je entretenus de toutes ces choses ? Pour vous apprendre qu'il faut s'intéresser au bien d'autrui, pour que les fidèles ne se persuadent pas qu'ils sont étrangers à de telles prières. Ce n'est pas apparemment aux murs que le diacre parle, quand il dit : « Prions pour les catéchumènes. » Plusieurs néanmoins manquent d'intelligence, d'énergie ou de retenue, au point de se livrer à des conversations et de rester debout, non seulement quand il s'agit des catéchumènes, mais encore quand il s'agit des initiés. De là vient que tout est bouleversé, que les ruines s'accumulent; car, au moment même où nous devrions nous appliquer le plus à gagner l'amitié de Dieu, nous nous éloignons en provoquant sa colère. Devant les fidèles assemblés, nous devons implorer la divine miséricorde pour les évêques et les prêtres, pour les rois et les puissants, pour les terres et les mers, pour les saisons et l'univers entier. Si donc, obligés que nous sommes de prier pour les autres, à raison du crédit qui nous est donné, nous ne prions pas même pour nous avec attention, quelle sera notre excuse ? quelle indulgence mériterons-nous ? Je vous en conjure, et réfléchissons sur toutes ces considérations; reconnaissons l'instant de la prière, élevons nos de cœurs, détachons-nous de la terre, montons de jusqu'à l'abside des cieux, afin que nous puissions nous rendre Dieu propice et nous mettre en possession des biens promis. 

Puissions-nous tous les avoir en partage, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire, puissance, honneur, en mème temps qu'au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.