Saint Jean Chrysostome
Homélie 42 sur la première Epître aux Corinthiens
Le premier homme, venu de la terre, est terrestre; le second est le Seigneur, qui vient du ciel.
1. La première différence entre l'ancien et le nouvel Adam, c'est que l'un est charnel et l'autre spirituel. En voici une autre : le premier est terrestre, le second vient du ciel. La première différence regarde la vie présente et la vie future, la seconde se rapporte à la vie qui fut avant la grâce et à celle qui existe après la grâce. Paul en fait mention pour nous exciter à bien vivre. Il pouvait arriver, en effet, que la foi des disciples en la résurrection les amenât à une vie de négligence spirituelle déplorable; l'Apôtre les rappelle au combat et leur prêche la vertu dans ces paroles : « Le premier homme, sorti de la terre, était terrestre; le second, c'est le Seigneur venu du ciel. » Il désigne l'univers par l'homme, et marque le premier par ce qui est pire, le second par ce qui est meilleur et plus excellent. «Or, le premier homme étant terrestre, ses enfants sont aussi terrestres. » Ainsi, ils périront et ils mourront. « Comme le second est céleste, ses enfants sont aussi célestes; » ils vivront éternellement glorifiés. — Quoi donc ! le second homme n'est-il pas mort aussi ? - Il est mort; mais la mort n'a pas atteint ses forces : il a vaincu la mort. Voyez-vous comment il établit en cet endroit, par la mort elle-même, le dogme de la résurrection ? Sachant ce que vous connaissez de la tête, n'hésiter plus sur le sort de tout le corps. Admirez d'ailleurs comment Paul nous exhorte vivement à la sagesse. Il donne des exemples de cette vie élevée et sainte, et de celle qui ne l'est pas; il met en avant les chefs de l'une et de l'autre : le Christ et Adam. Remarquez qu'il ne dit pas absolument : sorti de la terre, mais « terrestre, » c'est-à-dire grossier et attaché aux choses présentes; tandis qu'en parlant du Christ, il dit hardiment : « C'est le Seigneur venu du ciel. » S'il y en a qui soutiennent que le Seigneur n'a pas de corps, pour la raison qu'il est venu du ciel, ce que nous avons déjà dit suffit à leur fermer la bouche; rien n'empêche néanmoins que nous insistions encore pour les confondre davantage. « Le Seigneur venu du ciel, » qu'est-ce à dire ?
Faut-il entendre ces paroles de la nature du Seigneur ou de la sainteté de sa vie ? Évidemment de la sainteté de sa vie, et la preuve en est dans les paroles suivantes: « Comme donc nous avons porté l'image de l'homme terrestre, » c'est-à-dire : Comme nous avons fait le mal, « portons aussi l'image de l'homme céleste, » c’est à dire faisons le bien. Mais je vous demanderais encore volontiers : n'est-ce pas de la nature qu'il a été dit: « Celui qui est sorti de la terre est terrestre, et le Seigneur est venu du ciel ?, Oui, certes. — Quoi donc ! Adam était-il entièrement terrestre, ou bien avait-il en lui une essence plus élevée, ayant quelque parenté avec les êtres supérieurs et incorporels que l'Ecriture appelle Ames ou Esprits ? — Il possédait, sans contredit, ce principe de vie élevée. Ainsi en était-il du Seigneur: quoique venu du ciel, il avait pris un corps de chair. Voici donc le sens des paroles de l'Apôtre : « Comme nous avons porté l'image de l'homme terrestre, portons celle de l'homme céleste; » après avoir fait le mal, vivons désormais comme on vit au ciel. S'il eût parlé de la nature, toute exhortation, tout conseil eussent été inutiles. C'est donc de la manière de vivre qu'il s'agit ici. Voilà pourquoi il continue sous forme de conseil, et rappelle, par les expressions mêmes dont il se sert, qu'il entend parler moins de la nature que de la conduite de la vie.
Nous sommes devenus terrestres en faisant le mal, et il faut attribuer cet abaissement plus à notre péché qu'à notre origine. Avec le péché parut la mort et fut prononcée cette sentence : « Tu es poussière et tu retourneras en poussière. » Genes., III, 19. En même temps, les passions entrèrent dans le cœur de l'homme pour le troubler. On n'est pas terrestre par là seulement qu'on est venu de la terre; le Seigneur, lui aussi, était sorti du même limon que nous. C'est l'attachement aux choses de la terre qui nous rend terrestres, comme la pratique des choses du ciel nous rend célestes.
Mais à quoi bon tant insister ? Écoutez l'Apôtre développer lui-même sa pensée: « Je veux dire, par là, mes frères, que la chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu. » Il s'interprète lui-même et nous épargne la peine de le faire ici comme en beaucoup d'autres endroits. Ce qu'il appelle la chair, ce sont les mauvaises actions, comme quand il dit ailleurs : « Vous n'êtes pas dans la chair; » et encore : « Ceux qui vivent dans la chair ne peuvent plaire à Dieu. » Rom., VIII, 8, 9. Donc, dans ces dernières paroles, il entend nous enseigner que le péché nous ferme l'entrée du ciel. Tout naturellement, il parle du royaume, après avoir parlé de la résurrection, et c'est pourquoi il ajoute : « La corruption ne possédera pas cet héritage incorruptible; » c'est-à-dire, le mal n'arrivera jamais à la possession de la gloire et des joies des biens éternels. Du reste, il emploie souvent, en d'autres endroits, ce même langage. « Celui qui sème dans la chair moissonnera la corruption de la chair. » Galat., VI, 8. S'il eût voulu parler du corps, et non du péché, il aurait parlé autrement; où donc a-t-il appelé le corps corruption ? Le corps est corruptible sans doute, mais il n'est pas corruption; et la preuve que c'est ainsi qu'il faut l'entendre, la voici donnée par l'Apôtre lui-même: « Il faut, dit-il, que ce corps corruptible revête l'incorruptibilité. » Après cette digression sur la sainteté, sur la pureté de notre vie, après ces conseils si sages, qu'il mêle et qu'il corrobore ici comme en beaucoup d'autres passages, il revient à sa thèse principale, et, poursuivant son discours sur la résurrection, il s'écrie: « Voici que je vous apprends un mystère. »
2. Il va dire une chose qui saisit d'effroi, qui dépasse toute expression, que tous ne savent pas; et c'est encore un grand honneur pour eux, un glorieux témoignage, qu'il leur révèle d'aussi redoutables secrets. Quel est celui-ci ? « Nous ne mourrons pas tous, et tous nous serons transformés. » Cela revient à dire : Bien que nous ne devions pas tous mourir, nous serons tous transformés, sans en excepter ceux qui ne seront pas morts, car eux aussi sont mortels.
Par conséquent, du fait que vous mourez, n'allez pas craindre, comme si vous ne deviez pas ressusciter. Il en est quelques-uns, impossible de le révoquer en doute, qui se déroberont à la mort; mais cela ne suffit pas pour qu'ils participent à la résurrection future : ces corps mêmes, qui n'éprouveront pas la mort, devront nécessairement subir la transformation et passer à l'état d'incorruptibilité. « En un moment, en un clin d'œil, au son de la dernière trompette. » Comme il a longuement traité de la résurrection, il montre fort à propos ce qu'elle présentera de merveilles. Ce qu'il y a de plus étonnant, ce n'est pas que des corps tombés en pourriture ressuscitent après cela, ni qu'ils ressuscitent plus parfaits qu'ils sont maintenant, qu'ils revêtent des qualités mille fois supérieures, que chacun de nous ait son lot, sans confusion possible; c'est que des changements aussi prodigieux, qui dépassent toute parole et toute pensée, doivent s'accomplir en un moment indivisible. Et voyez comment Paul s'en explique : « En un clin d'œil, » le temps que met la paupière à se fermer. Puis, comme il vient d'énoncer un prodige qui frappe de stupeur, l'instantanéité d'un événement si complexe et si vaste, il ajoute, pour le démontrer et le rendre croyable : « La trompette retentira, et les morts se lèveront désormais incorruptibles, et nous serons transformés. » Ce « nous » ne s'applique pas à lui-même, il doit s'entendre de ceux qui seront alors trouvés vivants. « Car il faut que cet être corruptible revête l'incorruptibilité. »
Lorsque vous entendez que la chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu, n'allez pas vous imaginer que les corps ne ressusciteront pas; écoutez encore : « Il faut que cet être corruptible revête l'incorruptibilité, que cet être mortel revête l'immortalité. » Cet être mortel et corruptible, c'est le corps. Donc le corps persévère: il est encore ce qu'il revêt; la mortalité et la corruptibilité disparaissent pour faire place à l'immortalité et à l'incorruptibilité. Ne vous demandez plus désormais comment il vivra d'une vie sans limite, sachant qu'il devient incorruptible. « Or, quand cet être corruptible aura revêtu l'incorruptibilité, quand cet être mortel aura revêtu l'immortalité, alors s'accomplira la parole écrite : la mort s'est ensevelie dans sa victoire. » Comme il dit des choses si grandes et si merveilleuses, il a de nouveau recours à la prophétie pour accréditer son discours: « La mort s'est ensevelie dans la victoire. » Elle finit là, rien n'en reste, aucun espoir de retour, l'incorruptibilité ayant détruit la corruption. « O mort, où donc est ton aiguillon ? enfer, où est ta victoire ? » Quelle âme pleine de générosité ! Paul se précipite dans l'ardeur du sacrifice, sous le feu de l'inspiration, comme s'il voyait accompli déjà ce que l’avenir seul nous réserve; il foule la mort à ses pieds, et, sur la tête abattue de cette antique ennemie, il entonne le chant du triomphe, il s'écrie d'une voix puissante: « O mort, où donc est ton aiguillon ? enfer, qu'est devenue ta victoire ? » Elle n’existe plus, elle s'est évanouie, elle a complètement disparu; vaines étaient toutes tes œuvres. — Non seulement il la dépouille de ses armes, après l'avoir terrassée, mais encore il la détruit et la réduit à néant. « L'aiguillon de la mort, c'est le péché, et le péché trouve sa force dans la mort. »
Vous le voyez donc bien, c'est de la mort corporelle qu'il parle. Dès lors, il s'agit aussi de la résurrection des corps. En effet, si les corps ne ressuscitaient pas, comment la mort serait-elle détruite ? Une autre question se présente : Comment le péché trouve-t-il sa force dans la loi ? Que le péché soit l'aiguillon de la mort, une chose plus terrible que la mort elle-même, qu'il soit la force de la mort, on le comprend sans peine; mais on ne voit pas que la force du péché soit dans la loi. C'est que le péché sans la loi n'avait guère de puissance. Il était sans doute connu, mais il n'amenait pas aussi bien la condamnation. Le mal avait lieu, mais il n'était pas aussi manifeste. La loi n'a donc pas peu contribué à rendre le péché plus évident et le châtiment plus sévère. Si, voulant l'empêcher, elle n'a fait que l'exciter davantage, ce n'est pas la faute du médecin, c'est la faute de ceux qui n'usent pas bien du remède. La venue du Christ a certes été pour les Juifs une occasion de ruine; nous n'irons pas cependant l'en accuser; nous éprouverons même une admiration plus grande, reportant toute notre indignation sur les malheureux qui d'une cause de vie ont fait une cause de mort. La loi n'a par elle-même donné aucune force au péché, puisque le Christ l'accomplit tout entière, sans que le péché ait trouvé place en lui. Maintenant, considérez encore comme l'Apôtre affermit de plus en plus le dogme de la résurrection. Dès que le péché fut la cause de la mort, et que le Christ en venant a détruit le péché, nous en a délivrés par le baptême, dès qu'il a mis fin à la loi de même qu'au péché, dont elle faisait la force, parce qu'elle était transgressée pouvez-vous désormais douter de la résurrection ? Et d’où proviendrait une telle puissance de la mort ? De la loi ? Elle est abrogée par le Christ. Du péché ? Il est anéanti. « Grâces soient rendues à Dieu, qui nous a donné la victoire par Notre-Seigneur Jésus-Christ. »
3. Lui-même a dressé le trophée, et c'est à nous qu'il transmet la couronne, non comme un droit, mais comme un don de sa tendresse. « Aussi, frères, demeurez fermes, ne vous laissez pas ébranler. » Exhortation pleine de justesse et d'à-propos; car rien n'ébranle autant que se persuader qu'on éprouve des douleurs imméritées. « Travaillez sans cesse avec une ardeur toujours croissante à l'œuvre du salut, » c'est-à-dire dans une grande pureté de vie. Il ne se borne pas à leur demander de faire du bien, il veut que ce soit avec abondance, de manière à dépasser les strictes limites du devoir. « Sachant que vos fatigues ne sont pas stériles dans le Seigneur. » — Que dites-vous ? Encore des fatigues à supporter ? — Oui, mais des fatigues qui méritent des couronnes et qui gagnent les cieux.
Les premières, celles qui vinrent après le paradis, furent un châtiment du péché : celles-ci sont un gage des récompenses futures. Ajoutez à cela que le secours d'en haut ne nous manque jamais pendant que nous les subissons; c'est le sens de cette parole : « Dans le Seigneur. » Après avoir expié, nous méritons, ainsi que je viens de le dire. Donc ne restons pas plongés dans le sommeil, mes bien-aimés; car il est impossible, en vivant dans l'indolence, d’acquérir le royaume des cieux, tout comme en vivant dans les délices et la volupté. Heureux serons-nous d'arriver à la béatitude céleste par la voie des mortifications, de la sujétion et des peines sans nombre infligées à notre corps. Ne voyez-vous pas quelle est la distance entre le ciel et la terre, quelle terrible lutte nous est imposée, quel est le penchant de l'homme vers le mal, comme le péché nous entoure, que de pièges sont semés sous nos pas ? Pourquoi nous créons-nous tant de sollicitudes, en dehors de celles qui tiennent à notre nature même, multipliant ainsi nos occupations et rendant notre charge de plus en plus écrasante ?
Ne suffit-il pas de se soucier de la nourriture, du vêtement, de l'habitation, des choses nécessaires, en un mot ? Et même le Christ nous en détourne-t-il, quand il dit: « Ne soyez pas en sollicitude pour votre vie, vous demandant ce que vous aurez à manger, ni pour votre corps, comment vous le couvrirez ? » Matth., VI, 25. S'il faut être sans inquiétude touchant la nourriture et le vêtement nécessaires, il faut l'être aussi sur le lendemain. Ceux qui entassent tant de préoccupations et remuent tant d'affaires, comment pourront-ils surnager ? N'avez-vous pas entendu Paul nous dire : « Quand on est engagé dans la milice de Dieu, on ne se mêle plus aux affaires du siècle » ? Il Tim., II, 4. Et nous, pleins d'ardeur pour le luxe, la gourmandise, l'ivresse et les intérêts matériels, nous demeurons indifférents pour les biens célestes. Ne savez-vous pas que le but est au-dessus de l'homme ? Ce n'est pas en rampant sur la terre qu'on s'élèvera sur l'abside des cieux. Nos goûts ne sont pas même dignes de la nature humaine, nous devenons pires que les animaux privés de raison. Ignorez-vous à quel tribunal nous devons comparaître ? Oubliez-vous que nous avons à rendre compte des paroles et des pensées ? Et nous négligeons même les actions ! Il est écrit : « Quiconque regarde une femme d'un œil de concupiscence a déjà commis l'adultère. » Matth., V, 28. Et ceux qui doivent rendre compte d'un regard imprudent ne craignent pas de rester ensevelis dans les habitudes criminelles ! « Celui qui dit à son frère : Insensé, sera précipité dans la géhenne. » Ibid., 22. Et nous ne cessons pas d'accabler nos frères d'insultes, nous ne négligeons aucun moyen de leur faire tort. Quand nous aimons celui qui nous aime, nous ne sommes pas au-dessus d'un païen ; mais chez nous la jalousie remplace l'affection. Quel espoir de pardon pouvons-nous avoir, nous qui devions dépasser les limites tracées aux anciens, et qui disposons notre vie de manière à ne pas même les atteindre ? Quelle parole sera capable de nous délivrer ? Qui se lèvera pour nous défendre et nous porter secours, quand nous tomberons sous les coups de la justice ? Personne, absolument personne ; poussant des plaintes amères, grinçant des dents, le désespoir dans l'âme, nous serons traînés par une force irrésistible aux ténébreux cachots où ne pénètre jamais aucune clarté, aux inévitables tourments, à la vengeance éternelle.
Je vous en conjure donc, et, s'il le faut, j’irai jusqu’à embrasser vos genoux, pendant que nous jouissons encore de cette faible lueur de la vie présente, laissons-nous toucher par de semblables leçons, convertissons-nous, devenons meilleurs, de peur que, comme ce riche de l'Evangile, nous ne gémissions en vain et ne versions d'inutiles larmes après notre départ d'ici-bas. Auriez-vous un père, un fils, un ami quelconque, ayant crédit auprès de Dieu, nul ne pourra vous soustraire à sa vengeance, du moment où vos propres actions vous condamneront. Telle est la nature de ce jugement: il portera sur nos actions seules ; impossible de se sauver autrement. Si je parle de la sorte, ce n'est pas pour vous affliger ni pour vous ôter l'espérance; c'est pour vous empêcher d'entretenir de funestes illusions, de vous fier aux autres, en négligeant de pratiquer la vertu. Si nous vivons dans l'indolence, il n'est pas de juste, de prophète, d'apôtre qui vienne alors nous protéger.
Si nous sommes pleins de zèle, nos œuvres suffiront pour nous défendre; nous entrerons avec confiance en possession des biens réservés aux amis de Dieu. Puissions-nous tous les obtenir, par la grâce..., etc.