Saint Jean Chrysostome
Homélie 41 sur la première Epître aux Corinthiens
Mais quelqu'un dira : Comment les morts ressuscitent-ils ? avec quel corps doivent-ils venir ? Insensé, ce que tu sèmes ne prend vie qu'à la condition de mourir d'abord.
1. Quelque doux et modeste que se montre partout l'Apôtre, sa parole devient ici plus sévère, à cause de l'absurdité des contradicteurs. Il ne s'en tient pas cependant à ce vif reproche, il y joint des raisons et des exemples pour soumettre les esprits les plus obstinés. Il avait dit antérieurement: « Par un homme la mort, par un homme la résurrection » et maintenant il résout l'objection élevée par les Gentils. Remarquez cependant comme il tempère déjà la véhémence de son accusation. Il ne dit pas, en effet : Vous m'objecterez peut-être... il s'adresse en général à toute opposition, de peur de blesser les auditeurs par trop de liberté, par une trop grande vivacité de langage. Il soulève deux difficultés, l'une sur le mode de la résurrection, l'autre sur la nature des corps. C'est sur ce double point que portaient leurs doutes : comment se relèvera ce qui a été dissous ? « Avec quel corps doit-on ressusciter ?» Que faut-il entendre par ce mot, « avec quel corps ? » Est-ce avec celui que la mort a frappé et détruit, ou bien avec un autre ? Pour leur montrer aussitôt qu'ils interrogent, non sur l'objet réel de leur doute, mais sur un point non contesté, il les interpelle avec cette force: « Insensé, ce que tu sèmes ne prend vie qu'à la condition de mourir d'abord. » Ainsi parlons-nous nous-mêmes à celui qui s'élève contre une vérité manifeste. Et pourquoi n'invoque-t-il pas tout de suite la puissance divine ? C'est qu'il a affaire à des infidèles; quand il entreprend les fidèles, il n’a pas le même besoin de recourir à des arguments. Ainsi, ayant dit dans une autre circonstance : « Il transfigurera notre corps humilié pour lui communiquer la forme de son corps glorieux, » Philipp., III, 21, et par là même ayant fait entrevoir quelque chose de plus que la résurrection, il ne donne pas alors d'exemple à l'appui, et pour toute preuve il en appelle à la puissance de Dieu, puisqu'il ajoute simplement : « Selon l'opération de celui qui peut tout soumettre à sa volonté. »
Mais ici Paul raisonne. Après avoir confirmé sa proposition par les Écritures, il va plus loin en faveur de ceux qui ne croient pas aux Livres saints; il s'écrie : « Insensé, ce que tu sèmes. » Cela revient à dire : la preuve de ce que j'enseigne est sous tes yeux, elle ressort de tes actions les plus communes, et tu peux encore douter ? Voilà pourquoi je t'appelle insensé; cette qualification se justifie par ton ignorance sur ce que tu fais toi-même : artisan de résurrection, tu ne peux sans folie douter de la puissance de Dieu. — De là cette énergique expression : « Ce que tu sèmes, » toi mortel, toi prêt à disparaitre. — Et voyez comme les images correspondent au sujet: « Ne prend vie, poursuit l'Apôtre, qu'à la condition de mourir d'abord. » Au lieu de dire, comme la métaphore semblait l'exiger : ne germe et ne se développe qu'à la condition de pourrir et de se dissoudre, il dit, comme s'il parlait de notre chair : « N'est vivifié qu'à la condition de mourir d'abord; » car de telles expressions sont appropriées aux corps, beaucoup mieux qu'aux semences. Il n'a pas dit non plus : Après qu'elle est morte elle vit. Bien supérieure est la portée de sa parole : elle vit parce qu'elle meurt. Voyez comme il tourne, ainsi que je l'ai souvent remarqué, l'objection en preuve. Ce que les adversaires posaient comme un obstacle à la résurrection, il le transforme en démonstration. On ne ressuscite pas quand on est mort, objectaient les adversaires. Que leur répond l'Apôtre ? Sans la mort, point de résurrection; on ressuscite justement parce qu'on est mort. Le Christ l'avait montré d'une manière encore plus claire, quand il disait : « Le grain de froment, s'il ne meurt pas après être tombé dans la terre, demeurera seul; mais, s'il meurt, il donnera beaucoup de fruit. » Joan., XI, 24.
Poursuivant cette métaphore, Paul dit que le germe est vivifié, au lieu de dire qu'il vit, faisant intervenir de nouveau la puissance divine, montrant partout son action, et non les seules forces de la nature. Pourquoi n'a-t-il pas pris un exemple qui semblait mieux convenir à son sujet, celui de la génération humaine, puisque nous provenons de la corruption, aussi bien que le froment ? Parce que ces deux choses ne sont pas égales, et que l'une l'emporte sur l'autre. Il lui faut un être qui se corrompe complètement; et cela n'aurait pas eu lieu : c'est le motif de sa préférence. On pourrait ajouter que dans le dernier cas la vie ne paraît pas subir d’interruption, tandis que le grain de froment tombe dans la terre et s'y dissout, y devient comme un corps mort. L'exemple choisi était donc mieux approprié. « Celui qui sème ne sème pas le corps qui doit surgir. » Ce qui précède répond à cette première question : Comment doit-on ressusciter ?
Quel sera l’état du corps ressuscité ?
Et maintenant l'Apôtre répond à la seconde objection : avec quel corps ? Mais qu'est-ce à dire : « Vous ne semez pas le corps qui doit surgir, » l'épi tout entier, le froment nouveau ? Le discours ne tend plus, je le répète, à prouver la résurrection; il s'agit ici d'en établir le mode, de déterminer dans quel état le corps ressuscitera, dans celui il où il était avant, ou bien dans un autre, plus parfait et plus beau. Le même exemple lui sert à résoudre les deux questions, à montrer que la résurrection est un progrès.
2. Les hérétiques, ne comprenant rien de tout cela, résistent et répètent avec opiniâtreté : C'est un corps qui tombe, c'est un autre corps qui ressuscite. — Où serait alors la résurrection ? il n'appartient de ressusciter qu'à ce qui est tombé. Où serait aussi cette admirable et merveilleuse victoire remportée sur la mort, s'il fallait admettre qu'une chose tombe et qu'une autre ressuscite a sa place ? On ne verra plus la mort rendre le captif dont elle s'était emparée. Où serait enfin l'application de l'exemple ? car ce n'est pas une essence qui est semée pour qu'une autre lève, c'est la même perfectionnée. Le Christ non plus n'aurait pas repris le même corps, lui qui fut les prémices de la résurrection; d'après vous, il aurait abandonné le sien, quoique sans tache, pour revêtir un corps différent. Où donc a-t-il pris ce dernier ? Le sien est sorti d'une Vierge, mais l'autre d’où ? Voyez-vous à quelles absurdités ce discours vient aboutir ? Et pourquoi montre-t-il la trace des clous ? N'est-ce pas pour bien prouver que le corps crucifié est aussi le corps ressuscité. Que signifierait, dans cette hypothèse encore, la figure de Jonas ? car enfin, le monstre n'engloutit pas un Jonas et n'en rejeta pas un autre sur la terre. Pourquoi le Christ disait-il : « Détruisez ce temple, et dans trois jours je l'aurai rebâti ? » Joan., 11, 19-21. C'est apparemment le temple démoli qui fut relevé. L'Evangéliste ajoute : « Il parlait du temple de son corps. » Comment l'Apôtre alors peut-il dire : « Vous ne semez pas le corps qui doit surgir ? » C'est de l'épi que cela doit s'entendre. Il est le même dans un cas, il ne l'est pas dans un autre : il est le même quant à l'essence; il n'est pas le même quant à la condition, puisqu'il est plus parfait et qu'il est revêtu d'un éclat supérieur, l'essence étant toujours identique. S'il n'en était pas ainsi, si la nouvelle existence ne devait pas être plus élevée, la résurrection n'aurait aucune raison d'être. A quoi bon démolir la maison, s'il n'avait pas dû la reconstruire plus belle ? Le Christ parlait à ceux qui regardaient la destruction comme un anéantissement. Craignant même encore qu'on ne le soupçonnât d'annoncer par ce langage un autre corps, Paul s'interprète lui-même, fait disparaître toute obscurité, et ne permet pas à l'auditeur de s'égarer dans une pareille supposition. Quel besoin, dès lors, avez-vous de nos paroles ?
Ecoutez-le donc lui-même expliquant celles-ci : « Vous ne semez pas le corps qui doit surgir » il ajoute aussitôt: « Mais un simple grain de froment, par exemple, ou d'une autre semence semblable. » Non, ce n'est pas le corps que vous aurez, il n'est pas vêtu de la même manière, il n'a pas la tige et l'épi; « mais un simple grain, de froment, par exemple, ou d'une autre semence semblable, Dieu lui donne un corps comme il veut. » — Sans doute, me dira-t-on; seulement nous voyons là l'œuvre de la nature. — De quelle nature, dites-moi ? Encore ici, Dieu fait tout, et ce n'est pas la nature, ni la terre, ni la pluie. Telle est aussi la pensée de l'Apôtre; car, laissant de côté la terre, la pluie, l'air, le soleil et le travail de l'homme, il a dit : « Dieu lui donne un corps comme il veut. » Ne demandez plus comment ou de quelle façon, ne vous livrez plus à de vaines recherches, du moment où vous entendez que c'est ici la puissance et la volonté de Dieu. « Et à chaque semence le corps qui lui est propre. » Où donc trouvez-vous un corps différent ? on vous dit qu'il lui est propre.
En vous disant d'abord : « Vous ne semez pas le corps qui doit surgir » l'Apôtre n'a pas prétendu, par conséquent, qu'une essence dût en remplacer une autre, mais simplement que la même reparaîtrait plus pure et plus éclatante. « A chaque semence le corps qui lui est propre. » Il introduit déjà les différences que doit présenter la résurrection future. De ce que le froment est semé et produit également des épis, n'allez pas croire que l'honneur doive être égal pour tous dans la résurrection. Les semences elles-mêmes ne sont pas égales ; il y en a de parfaites, il y en a de défectueuses, les unes et les autres à différents degrés. Ainsi s'explique le texte: « A chacun son propre corps. » Non content de cette explication, Paul se hâte de signaler une autre différence plus frappante et plus élevée. De peur qu'en entendant que la résurrection doit être universelle, vous n'eussiez la pensée que tous devaient posséder les mêmes biens, il avait déjà déposé dans ce qui précède le principe de la vraie doctrine par ces mots: « Chacun à son propre rang. » Il l'énonce maintenant d'une manière plus formelle : « Toute chair n'est pas la même chair. » Pour quoi s'en tenir toujours aux semences ? Venons-en directement à nos corps, qui sont du reste l'objet réel de cet enseignement. C'est ce que Paul semble dire; puis il poursuit : « Autre est la chair des hommes, autre est celle des troupeaux, autre celle des oiseaux, autre celle des poissons. Il y a des corps célestes et des corps terrestres; mais autre est la gloire des corps célestes, autre celle des corps terrestres; autre est la gloire du soleil, autre la gloire de la lune; autre aussi la gloire des étoiles : une étoile diffère d'une autre étoile en splendeur. »
3. Que signifie ce langage ? Pour quel motif, à partir de la résurrection des corps, l'Apôtre en est-il venu à parler du soleil et des étoiles ? Ce n'est pas une digression, il n'est pas sorti de son sujet, assurément non; il y demeure toujours fidèle. Après avoir démontré le dogme même de la résurrection, il signale les différences de gloire qu'elle présentera, tout en restant une: il établit déjà deux grandes catégories, celle des corps célestes et celle des corps terrestres. Le fait de la résurrection résultait de l'exemple du froment; et maintenant on voit que tous ne ressusciteront pas dans la même gloire. Ne pas croire à la résurrection, c'est une cause de torpeur; mais c'en est une non moins efficace de supposer que tous jouiront des mêmes biens. L'Apôtre s'élève contre ces deux aberrations : il a plus haut combattu la première, c'est à la seconde qu'il s'attaque ici. Il sépare d'abord les justes des pécheurs, puis il subdivise encore, en nous enseignant que ni les uns ni les autres ne seront traités de la même façon; qu'il y aura des degrés chez les uns comme chez les autres.
La première division est donc celle des justes et des pécheurs, qu'il désigne par cette double expression : « Corps célestes et corps terrestres. » Il introduit ensuite des distinctions entre les derniers, quand il ajoute : « Toute chair n'est pas la même chair; autre est la chair des poissons, autre celle des oiseaux et des quadrupèdes. » Ce sont là des corps, mais plus ou moins méprisables. Cette distinction apparait également dans la vie, et suivant le même ordre. Cela, dit Paul, remonte aux régions supérieures : « Autre est la gloire du soleil, autre la gloire de la lune. » Les différences qui nous ont frappés sur la terre apparaissent aussi dans le ciel, et non point faiblement caractérisées, mais extrêmes. Ce n'est pas seulement la différence du soleil et de la lune, c'est aussi la différence de la lune et des étoiles, et celle des étoiles entre elles. Tous ces corps sont dans le ciel, mais tous n'ont pas la même gloire ou la même splendeur. Quelle leçon en résulte-t-il ?
Que tous les justes, quoique admis dans le ciel, n'en posséderont pas la béatitude au même degré, de même que tous les pécheurs renfermés dans la géhenne n'y subiront pas les mêmes châtiments. Voilà pourquoi l'Apôtre ajoute : « Ainsi sera la résurrection des morts. » Ils présenteront toutes ces différences. Ce point étant suffisamment démontré, Paul l'abandonne pour revenir à la résurrection elle-même, à la manière dont elle s'accomplira : « Il est semé dans la corruption, et il se lèvera incorruptible. » Remarquez la sagesse des expressions : à propos des semences, il évoquait la pensée des corps, il employait même ce nom : « Il n'est vivifié qu'à la condition de mourir d'abord. » En parlant des corps, il a dans l'esprit la métaphore des semences : « Il est semé dans la corruption, il se lèvera incorruptible. » Il ne dit pas qu'il naîtra, de peur que vous n'y voyiez le travail de la terre. L'ensemencement dont il est ici question n'a pas trait à notre origine; c'est l'ensevelissement des morts, leur dissolution dans la tombe, leur corps réduit en cendres. A peine aussi l'Apôtre a-t-il dit : « Il est semé dans la corruption, il se lèvera incorruptible, » qu'il poursuit : « Il est semé dans l'ignominie. » Quoi de plus repoussant qu'un cadavre tombant en pourriture ? « Il se lèvera glorieux. Il est semé dans l'infirmité. » Trente jours ne se sont pas encore écoulés que tout est dissous; la chair n'offre aucune consistance, il suffit d'un jour pour la détériorer. « Il se lèvera dans la force. » Rien alors ne lui manquera. L'Apôtre a dû recourir à ce parallèle, de peur que beaucoup, apprenant que les morts doivent ressusciter dans l'incorruptibilité, la gloire et la puissance, ne crussent qu'il n'existerait aucune différence entre eux. Oui, tous ressusciteront, dans la puissance et la gloire de l'incorruptibilité, mais tous n'auront pas le même degré d'honneur ni la même béatitude. « C'est un corps animal qui est semé, et c'est un corps spirituel qui se lèvera. Comme il y a un corps animal, il y a aussi un corps spirituel. » - Que dites-vous ? Notre corps présent n'est-il pas spirituel ? - Il l'est sans doute, mais bien moins qu'il ne le sera alors.
Maintenant la grâce de l'Esprit saint s'éloigne bien souvent, chassée qu'elle est par de graves péchés, et la vie de l'âme subsistant toujours, la vie du corps nous échappe ; ajoutez que l’une est inutile sans l’autre. Il n'en sera plus de même après la résurrection : l'Esprit demeurera toujours dans le corps des justes; à lui sera la puissance, quoique l'âme y soit à jamais. En l'appelant spirituel, l'Apôtre a pu vouloir dire aussi que le corps sera plus léger. Disons mieux, ces deux interprétations vont ensemble. Si vous ne croyez pas à cet enseignement, regardez donc les corps célestes, qui brillent d'un si vif éclat, jusqu'à ce jour inaltérables, sans affaiblissement et sans défaillance, vous croirez alors que Dieu peut aussi rendre incorruptibles des corps actuellement sujets à la corruption, les élever bien au-dessus de ceux que nous voyons. « Selon qu'il est écrit : Le premier homme fut fait en une âme vivante, et le second Adam en un esprit vivificateur. »
Mais il n'y a d'écrit que la première partie de ce texte; comment Paul peut-il dire sans restriction : « Il est écrit ? » C'est d'après l'événement qu'il donne cette extension à la parole de l’Écriture, comme il se le permet ordinairement en pareil cas. C'était aussi l'usage des prophètes : l'un d'eux annonçait que Jérusalem serait appelée la ville de la justice, nom qu'elle n'a pas reçu. Quoi donc ? le prophète a-t-il menti ? Nullement; il déclare que ce sera l'événement même. Un autre annonçait que le Christ recevrait le nom d'Emmanuel; et formellement ce nom ne lui a pas été donné, mais les faits mêmes le proclament. Ainsi de cette affirmation : « Le second Adam en un esprit vivificateur. »
4. Or, en parlant de la sorte, Paul nous apprend que nous avons eu les signes et les gages de la vie présente et de la vie future : pour l'une, Adam, pour l'autre, le Christ. Comme il nous offre seulement en espérance ce qu'il y a d'heureux, il nous montre que le principe en est déjà posé, il en signale la racine et la source. Si cette racine et cette source sont manifestes pour tous, pas de doute possible touchant les fruits. C'est pour cela qu'il était en droit de dire: « Le nouvel Adam en un esprit vivificateur; » comme ailleurs: « Il vivifiera vos corps mortels par l'Esprit faisant en vous sa demeure. » Rom., VIII, 11. Le propre de l'esprit est de vivifier. Quelqu'un dirait peut-être : Pourquoi ce qu'il y a de pire est-il le plus ancien, et ce qui tient à l'animal est-il pleinement réalisé, tandis que les choses a spirituelles ne le sont que dans les prémices ?
Anticipant cette question, il enseigne que les principes de ces deux ordres d'êtres sont tels : « L'être spirituel ne précède pas, c'est l'être animal qui précède; puis vient l'être spirituel. » Il n'en donne pas la raison; il s'en tient à l'ordre établi par Dieu, au témoignage que les choses elles-mêmes rendent à l'admirable économie du plan divin, nous montrant de la sorte que tout en nous tend à s'élever : c'est en même temps une force de plus qu'il donne à sa parole. En effet, si le progrès le moins important s'est accompli, à plus forte raison s'accomplira le plus important. Lors donc que de tels biens nous sont destinés, engageons-nous dans cette direction; ne pleurons pas ceux qui partent de ce monde, mais uniquement ceux dont la vie finit mal.
L'agriculteur ne se lamente pas quand il voit le froment semé entrer en décomposition. C'est quand il le voit rester intact dans la terre, qu'il est saisi de crainte et de douleur. La décomposition le remplit de joie, parce que c'est le gage de la moisson future.
Et nous aussi, nous nous réjouissons quand la maison se dissout et tombe en ruine quand l'homme est semé. Ne vous étonnez pas qu'il appelle la sépulture une semence; elle l'emporte de beaucoup. Après la semence viennent la mort et les labeurs, les dangers et les sollicitudes; tandis que la sépulture est suivie, si nous vivons bien, de la couronne et des récompenses : après l'une, la corruption et la mort; après l'autre, l'incorruptibilité, l'immortalité, des biens sans nombre: là des plaisirs grossiers, un lourd sommeil; ici le ciel faisant seul entendre sa voix, et tout arrivant aussitôt à la perfection suprême.
Quand on est ressuscité, on n'a plus à craindre de revenir à cette vie laborieuse et pénible; on a devant soi celle qui ne connait ni la douleur, ni le deuil, ni les larmes. Si c'est parce que vous désirez une protection que vous déplorez la perte d'un homme, recourez à Dieu, le commun protecteur de tous, le sauveur et le bienfaiteur suprême; implorez son puissant secours, couvrez-vous de ce patronage qui vous enveloppe partout et toujours. — Mais la société d'un être aimé nous est si douce et si chère ! - Je le sais comme vous; si vous laissez néanmoins à la raison l'empire sur le sentiment, si vous songez quel est celui qui vous a retiré cet ami, quel sacrifice vous offrez à Dieu en supportant généreusement cette perte, vous pourrez encore passer à travers ces flots, et la philosophie produira l'effet du temps. Si vous demeurez dans la prostration et l'indolence, le temps calmera la douleur sans doute, mais il ne fera pas que vous soyez récompensé.
Ne pas se lamenter sur la mort de nos proches
A ces raisonnements joignez les exemples, et ceux que vous rencontrez dans le cours de la vie, et ceux que vous offrent les divines Écritures. Souvenez-vous qu'Abraham immola son propre fils sans fondre en larmes, ni exhaler d'amères plaintes. - Mais celui-là, me direz-vous peut-être, était Abraham. — Eh bien ! votre vocation est supérieure à celle du Patriarche. Job ne pleura qu'autant que l'exigeait sa qualité de père, son amour pour ses enfants, le regret de leur perte. Ce que nous voyons aujourd'hui dans de telles circonstances semble de la haine et de l'hostilité. Si vous étiez inconsolable, si vous tombiez dans le désespoir parce que votre ami entre dans un palais royal et reçoit la couronne, je ne dirais certes pas que vous l'aimez, je dirais plutôt que vous êtes son adversaire et son ennemi. — Aussi n'est-ce pas sur lui que je pleure, c'est sur moi. — Cela même ne provient pas d'un ami véritable : vous voulez donc que pour vous il demeure engagé dans la lutte, incertain de son avenir, quand il entre dans le port, quand il va recevoir la palme; vous voulez qu'il soit encore ballotté par la mer quand il touche au rivage. - J'ignore quel est son sort. — Et pourquoi l'ignorez-vous, je vous le demande ? Le caractère de sa vie écoulée vous dit quelle est sa position actuelle. — Et voilà pourquoi je me désole à son sujet; il est mort dans son péché. — Prétextes que tout cela, vains subterfuges. Si vous le pleurez mort, il fallait le corriger et le former vivant. Mais, en toute chose, c'est bien plus votre sort qui vous inquiète que le sien. D'ailleurs, fut-il mort pécheur, vous devriez vous réjouir encore, parce qu'il ne peut plus pécher, ni rien ajouter à son état déplorable. Venez-lui donc en aide, non plus en pleurant, mais par vos prières, vos supplications, vos aumônes et vos offrandes. Ces bonnes œuvres sont loin d'être inutiles, et ce n'est pas pour rien que nous faisons mention dans les divins mystères de ceux que nous avons perdus; ce n'est pas pour rien que nous prions en leur faveur l'Agneau de proposition qui a sauvé le monde; nous espérons qu'il leur en reviendra quelque soulagement. Non, celui qui préside à l'autel ne s'écrie pas en vain, pendant le sacrifice : prions pour tous ceux qui dorment dans le Christ, et pour ceux qui se souviennent d'eux. Si l'on n'en faisait pas mention, ces paroles ne s'y trouveraient pas, car nos mystères ne sont pas des comédies : là tout est réglé par l'ordre du Saint-Esprit.
5. Venons donc à leur secours, et souvenons-nous d'eux. Le sacrifice de Job expia les fautes de ses fils; pourquoi douter alors que nous n'apportions quelque soulagement aux morts pour qui nous prions ? Dieu a coutume de nous exaucer les uns pour les autres, selon cet enseignement de Paul : « Afin que la grâce, qui nous a été accordée pour plusieurs, soit aussi reconnue par les actions de grâces de beaucoup d'entre vous. " Il Cor., I, 11. Ne négligeons pas de venir à leur aide, et de prier pour nos morts : la terre entière est un vaste lieu de propitiation commune. C'est pourquoi nous prions avec confiance pour la terre entière, et nous mêlons dans le sacrifice le nom de nos morts à ceux des martyrs, des confesseurs, des prêtres. Nous ne sommes qu'un seul corps, encore que l'éclat de tous les membres ne soit pas le même; il peut se faire que nous obtenions pour nos frères le pardon entier de leurs fautes par les prières et les dons qu'offrent pour eux ceux que nous nommons avec eux. Pourquoi donc vous désoler ? Pourquoi pleurer et gémir, si vous pouvez tout pour ceux que vous avez perdus ? — Vous pleurez, ô femme, parce que vous êtes seule et abandonnée, ayant perdu votre appui et votre défenseur ? - Ne le dites pas; car Dieu vous reste et vous ne l'avez pas perdu. Tant qu'il est avec vous, c'est plus qu'un époux, qu'un père, qu'un fils, qu'un aïeul; et, du vivant même de ces protecteurs naturels, c'est lui qui faisait tout. Pensez-y donc, et écriez-vous avec David : « Le Seigneur est ma lumière et mon Sauveur, qui craindrais-je ? » Psalm. XXVI, 1. Dites à Dieu : Vous êtes le père des orphelins et le juge des veuves; gagnez ainsi son secours. Il veillera sur vous avec d'autant plus de soin que vous serez dans une plus grande détresse. - Mais j'ai perdu mon fils, direz-vous ? — Non, vous ne l'avez pas perdu; c'est un sommeil, ce n'est pas la mort; c'est un changement de lieu, et non une perte; c'est un passage de ce qui vaut moins à ce qui vaut plus. N'irritez pas le Seigneur, apaisez-le plutôt et rendez-vous-le propice.
Votre résignation vous sera utile à vous-même, tout en profitant à l'objet aimé; vos murmures, au contraire, ne serviraient qu'à irriter le Seigneur.
Si vous voyiez un maître frapper de verges son esclave, croyez-vous que vous calmeriez sa colère en murmurant contre lui ? loin de là, vous l'allumeriez contre vous-même.
Ne parlez donc pas de la sorte; rendez grâces à Dieu, et méritez ainsi de voir se dissiper les ennuis de votre âme. Empruntez ces paroles du bienheureux Job : « Le Seigneur me l'avait donné, le Seigneur me l'a ôté. » Songez à tant d'autres plus attachés au Seigneur, qui n'ont jamais eu d'enfants et n'ont jamais été appelés pères. — Mais j'eusse préféré, moi aussi, n'avoir jamais de fils, que d'en être séparé après avoir connu la douce joie de leur présence. — Ah ! de grâce, ne parlez pas ainsi; vous irriteriez le Seigneur. Rendez-lui grâces pour tout ce qu'il vous a donné; glorifiez-le pour ce que vous n'avez plus. Job ne dit pas comme vous, insensé, ingrat que vous êtes : mieux eût valu ne pas recevoir; il remerciait Dieu pour ce qu'il lui avait enlevé comme pour ce qu'il lui avait donné, et il disait : « Le Seigneur me l'avait donné, le Seigneur me l'a ôté; que son nom soit béni à jamais. » Il fermait la bouche à sa femme par la sagesse de ses paroles et la justesse de ses conseils : « Si nous recevons les biens de la main du Seigneur, pourquoi n'en recevrions-nous pas les maux ? » Et de fait, les épreuves si violentes qui l'assaillirent encore n'amollirent pas son courage ; il fut invincible et fort. Jamais autre chose que la louange ne tomba de ses lèvres. Imitez ce saint patriarche; dites-vous bien à vous-même que Dieu, et non l'homme, a tout fait ici; qu'il aime votre enfant plus que je vous, qu'il connaît davantage ses besoins, qu'il n'est pas son ennemi, ni son rival. Voyez combien de fils rendirent à leurs parents la vie insupportable. — Mais à côté, direz-vous, combien d'autres qui sont bons et généreux ! — J’en conviens; cependant je n'en affirme pas moins que la condition de votre fils est meilleure que la leur. Sans doute leur état présent est bon; mais leur fin n'est-elle pas incertaine ? Pour votre fils vous n'avez plus rien à redouter, son état est fixé et ne saurait connaître de changement.
Faites ces mêmes réflexions au sujet d'une femme belle et amie de son devoir; rendez grâces à Dieu quand même la mort vous l'aurait ravie. Peut-être Dieu veut-il vous amener à la continence; peut-être a-t-il de grands desseins sur vous, et, pour vous en rendre l'exécution plus facile, veut-il briser vos liens. Cette sainte philosophie, en nous obtenant, pour le temps, la paix de l'âme, nous assurera pour l'éternité la couronne du ciel. Puissions-nous tous l'obtenir, par la grâce et l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire, puissance, honneur, en même temps qu'au Père et au Saint-Esprit maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.