Saint Jean Chrysostome

Le baptême de Jésus 

GIOTTO : Le Baptême de Jésus

1. Comment se fait-il pourtant qu'on appelle Épiphanie, non pas le jour où le Sauveur est né mais celui où il a été baptisé ? C'est à pareil jour, en effet, qu'il a reçu le baptême et qu'il a sanctifié la nature de l'eau. C'est pour cela que dans cette solennité, tous les fidèles vont puiser vers le milieu de la nuit et emportent dans leur maison une certaine quantité d'eau baptismale qu'ils conservent toute l'année, en souvenir de la sanctification accordée, pareil jour, à cet élément. Il s'opère même à cet endroit un miracle manifeste, car l'eau ainsi puisée ne subit en aucune manière l'action délétère du temps : on la voit se maintenir durant l'année entière et souvent durant deux et trois années, également limpide et claire, et le disputer en fraîcheur avec l'eau qu'on vient de chercher à une fontaine.
Pourquoi donc donner à ce jour en particulier le nom de manifestation ? Parce que ce n’est du pas au jour de sa naissance que le Sauveur a été manifesté au monde, mais au jour de son baptême. Jusqu'à ce jour il était demeuré ignoré du plus grand nombre. Qu'il soit demeuré ignoré, et que la plupart n'aient pas su qui il était vraiment, ces paroles de Jean l'établissent ouvertement : « Il y en a un au milieu de vous que vous ne connaissez pas » Joan. I, 26. Comment s'étonner d'ailleurs que les autres ne l'aient pas connu, lorsque Jean, jusqu’à ce jour ne le connaissait pas lui-même ? «Je ne savais pas, avoue-t-il, qui il était; mais celui qui m'a ordonné de baptiser dans l'eau, m'a dit : Celui sur lequel tu verras l'Esprit descendre et s'arrêter, celui-là baptise dans l’Esprit-Saint. » Ibid. 33.

Le baptême des Juifs, celui de Jean et celui du Christ

Il est par conséquent hors de doute qu'il y a deux manifestations. Il nous faut maintenant rechercher pourquoi le Christ se présente au baptême, et quel est ce baptême qu’il vient solliciter : cette dernière question n'est pas moins importante que la première. Je commencerai même par vous l'exposer, comme devant nous donner ainsi la solution de celle-là. Il y avait un baptême chez les Juifs, destiné à purifier non des péchés et des souillures de la conscience, mais des souillures corporelles.

L'individu qui s'était rendu coupable d'un adultère, d'un vol, ou de tout autre crime, n'y trouvait pas l'expiation de sa faute; mais avait-il touché quelque cadavre, avait-il goûté des viandes proscrites par la loi, était-il resté quelque temps au milieu de la corruption, avait-il eu quelques rapports avec un lépreux, il se lavait, et restait souillé jusqu'au soir; puis il était purifié. Levit., XV, 5 et seq. Il n'y avait en ces choses ni péché, ni souillure véritable. Mais Dieu, par toutes ces pratiques, se proposait de rendre plus religieux les Juifs d'ailleurs si imparfaits, et de les disposer à l'observation scrupuleuse de prescriptions plus importantes.

2.  Si le genre de purification en usage chez les Juifs, impuissant à délivrer des péchés, n'effaçait que les souillures corporelles, il n'en est pas ainsi du genre de purifications en usage parmi nous. D'une nature beaucoup plus noble et accompagné d'une grâce abondante, il détruit le péché, il purifie l'âme, et l'enrichit des dons du Saint-Esprit. Supérieur au baptême judaïque, le baptême de Jean était cependant inférieur au baptême chrétien; il formait un pont entre ce dernier et le premier, et il conduisait en quelque sorte par la main de l'un à l'autre. Ce n'était pas de maintenir parmi les Juifs l'observance des purifications légales dont Jean se préoccupait. Détournant leur attention de ce point, il avait pour but de les conduire du vice à la vertu, et de les déterminer à placer leurs espérances de salut dans la pratique du bien, et non dans les purifications et les oblations de diverse nature. Il ne leur disait pas : « Plongez dans l'eau vos vêtements, lavez votre corps, et vous serez purs; » mais bien : « Faites de dignes fruits de pénitence. » Matth., III, 8. Voilà en quoi le baptême du Précurseur était au-dessus du baptême judaïque et au-dessous du baptême chrétien. Il ne donnait pas le Saint-Esprit, ni la rémission des péchés par la grâce. N’ayant pas assez de vertu pour remettre les péchés, il rappelait l'obligation de faire pénitence.

Aussi Jean-Baptiste ajoutait-il : « Pour moi je vous baptise dans l'eau; mais lui vous baptisera par l’Esprit saint et par le feu. » Matth., III, 11. Donc Jean ne baptisait pas lui-même par l'Esprit. Que veulent dire ces mots; « par l'Esprit saint et par le feu ? » Veuillez vous souvenir de ce jour où des langues de feu apparurent aux regards des apôtres, et vinrent se reposer sur chacun d'eux. Act., II 3. Voici encore une autre preuve de cette vérité, que le baptême de Jean était imparfait, qu'il ne conférait pas la grâce du Saint-Esprit et qu'il n'effaçait pas les péchés. Avant rencontré quelques disciples, Paul leur demanda : « Avez-vous reçu le Saint-Esprit depuis que vous croyez. Et ils lui répondirent : Nous ne savons même pas qu'il y a un Saint-Esprit. Quel baptême, repartit Paul, avez-vous reçu ? - Le baptême de Jean, dirent-ils. Et Paul dit : Jean a baptisé le peuple du baptême de pénitence; » du baptême de pénitence, remarquez-le bien : il n'y est pas question de la rémission des péchés. Et pourquoi baptisait-il ? « Il disait au peuple de croire en celui qui devait venir après lui, à savoir, dans le Seigneur Jésus.
- Après ces paroles, ils furent baptisés au nom du Seigneur Jésus. Et Paul leur ayant imposé les mains, le Saint-Esprit descendit sur eux. » Act. XIX, 2-6. Voyez -vous l’imperfection du baptême de Jean ? Si ce baptême n’eut pas été imparfait, Paul n'aurait pas baptisé de nouveau ces disciples, et il ne leur aurait pas imposé les mains. En faisant l'une et l'autre chose, il a établi clairement l'excellence du baptême apostolique et l'infériorité marquée du baptême de Jean.

Le Christ n’a besoin d’aucun baptême

Nous venons d'apprendre la différence qui existe entre ces deux baptêmes, disons maintenant pourquoi le Christ s'est soumis au baptême, et lequel de ces baptêmes il a reçu. Certainement il n'a reçu ni le baptême des Juifs, ni celui des chrétiens; n'ayant aucunement besoin du pardon des péchés : comment en aurait-il besoin, puisque nul péché n'avait trouvé place en son âme ? «Il n'a pas fait de péché, et l'on n'a pas rencontré d'artifice sur ses lèvres. » I Petr., II, 22. « Qui de vous, demandait-il à ses ennemis, me convaincra d'un seul péché? » Joan., VIll, 16. D'autre part, sa chair n'était pas étrangère à l'Esprit : Comment l'aurait-elle été, ayant été dès le commencement formée par l'opération du Saint-Esprit ? Mais si le Sauveur était à la fois exempt de péché et en communication avec l'Esprit saint, pourquoi recevoir le baptême ? Déterminons cependant auparavant la nature de ce baptême, la question ne nous en paraîtra que plus claire. A quel baptême le Christ s'est-il soumis ? Ce n'est ni au baptême judaïque, ni au baptême chrétien, mais au baptême de Jean. Dans quel but ? afin de vous apprendre qu'il ne cherchait dans le baptême, ni la rémission des péchés, ni la grâce du Saint-Esprit; dons que ne conférait pas ce baptême, comme il a déjà été observé. Il résulte donc évidemment de là que ce n'est point le pardon des péchés ni la grâce de l’esprit d'en haut qu'il est venu demander sur les rives du Jourdain. 

Néanmoins, afin d'ôter aux spectateurs la pensée qu'il obéissait en se présentant, à des sentiments de repentir, écoutez comment s'exprime son précurseur à ce sujet. Aux autres il avait dit ; « Faites de dignes fruits de pénitence; » Matth., III, 8; il dit à Jésus-Christ : « Je devrais recevoir de vos mains le baptême, et c’est vous qui venez vers moi ! » Ibid., 14. Montrant ainsi qu'il n'y avait rien de commun entre le Rédempteur et la multitude pécheresse qui se pressait autour de lui; et, de plus, que loin d’être baptisé pour le même motif, il était d'une dignité et d'une sainteté incomparablement supérieures à la sainteté et à la dignité de Jean-Baptiste lui-même.
Et à quoi bon se faire baptiser, s'il ne le faisait ni par sentiment de repentir, ni pour obtenir le pardon des péchés ou les faveurs de l'Esprit divin ? Il le fit pour deux raisons : le disciple nous indique la première; la seconde, Jean l'apprit de la bouche même de son Sauveur.

Pourquoi a-t-il reçu ce baptême ?

Quel est, d'après Jean-Baptiste, le premier de ces motifs ? Pour que l'on n'ignorât pas communément que Jean, selon la parole de Paul, administrait aux hommes le baptême de pénitence, « afin qu'ils crussent en celui qui devait venir après lui. » Act., XIX, 4. Telle était la raison d'être de ce baptême. Aller de maison en maison, se présenter à la porte et s'écrier en montrant le Christ : « Voilà le fils de Dieu ! » eût été une entreprise pleine de difficultés et propre à rendre suspect ce même témoignage.
Conduire le Sauveur dans une synagogue et y déclarer publiquement sa divinité, n'eût pas concilié à ce témoignage plus d'autorité. Mais le peuple accourant en foule des villes environnantes vers le Jourdain et se pressant sur les rives du fleuve, Jésus venant lui-même pour y recevoir le baptême, la voix du Père déclarant du haut des cieux sa grandeur, l'Esprit saint descendant sur sa tête sous la forme d'une colombe, c'étaient autant de circonstances propres à laisser au témoignage de Jean toute sa valeur. Cette parole, « Je ne le connaissais pas, » rendait son affirmation digne de foi. Joan., I, 31, Ils étaient cependant parents selon la chair, « Voici qu’Élisabeth votre parente a déjà conçu un fils, » Luc., 1, 36, avait dit l'Ange à Marie.

Or la parenté des mères a pour conséquence évidente la parenté des enfants; mais, de crainte que le témoignage du précurseur en faveur du Christ ne parut inspiré par les liens qui les unissaient, l'Esprit de grâce disposa les choses de telle façon que Jean passa les premières années de sa vie dans le désert. Ainsi, au lieu d'attribuer son langage à l’affection ou à un dessein prémédité, il n'y avait plus sujet de douter qu'il ne suivit dans sa conduite les lumières et les ordres de Dieu. De là ces paroles : « Je ne le connaissais pas. Comment alors l'avez-vous connu ? », «Celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau me l'a indiqué. » Et que vous a-t-il dit ? « Celui sur lequel tu verras l'Esprit descendre en forme de colombe et se reposer, c'est lui qui baptise dans l'Esprit saint. » Joan., 1, 33. Ce n'est donc pas comme descendant sur le Sauveur pour la première fois que le Saint-Esprit est annoncé à Jean, mais comme devant montrer pour ainsi dire du doigt, par l'apparition d'une colombe ailée, et faire connaître à tous les spectateurs Celui dont on proclamait ainsi l'excellence. Telle est la première raison pour laquelle le Sauveur est venu recevoir le baptême.

Il y en a encore une autre qu'il indique lui-même. Cette raison qu’elle est elle ? Jean lui dit: « Je devrais recevoir de vos mains le baptême, et vous venez à moi ! » Et Jésus lui répond : « Fais ce que je désire, car il nous faut remplir de cette manière toute justice.» Matth., III, 14, 15. Voyez-vous ici la sagesse du serviteur ? Voyez-vous l'humilité du Maître ? Que signifient ces mots « remplir toute justice ? » La justice consiste dans l’accomplissement des commandements de Dieu. Ils étaient justes tous les deux, lisons-nous dans saint Luc, et ils marchaient sans reproche dans les commandements et les justices du Seigneur. » Luc., I, 6. Cette justice, tous les hommes devaient l'accomplir. Personne ne l'ayant accomplie parfaitement, le Christ en venant a voulu l'accomplir dans toute sa perfection.

3. Comment en recevant le baptême, dira quelqu'un, a-t-il accompli cette justice ? C'était accomplir la justice que d'obéir à un prophète. De même qu'il s'était soumis à la circoncision, aux sacrifices, aux sabbats, aux fêtes imposées par la loi mosaïque, il couronna cette obéissance en se soumettant au baptême que prêchait le nouveau prophète. C'était, sachez-le bien, la volonté de Dieu que tout le monde reçût alors le baptême, Jean ne dit-il pas : « Le peuple et les publicains ont glorifié Dieu, en recevant le baptême de Jean. Les pharisiens et les scribes au contraire ont méprisé le dessein de Dieu, en se refusant à le recevoir. » Luc, VII, 20, 30. Si la justice exige que l'on obéisse au Seigneur, Jean ayant reçu de lui la mission de baptiser le peuple, Jésus-Christ a rempli ce précepte comme il a rempli tous les autres préceptes de la loi. 

Représentez-vous les commandements de Dieu sous la forme de deux cents pièces d'argent. Cette somme, le genre humain devait la payer tout entière. Nous ne l'aurions pas payée; et, à cause de notre infidélité, la mort était suspendue sur notre tête. Jésus-Christ étant venu, et nous ayant trouvés réduits à cette extrémité, il a payé notre dette, il a rempli notre obligation, et il nous a libérés d'une charge que nous étions impuissants à porter. C'est pour cela qu'il ne dit pas : « Il nous faut faire telle ou telle chose, » mais bien : «Il nous faut remplir toute justice.» Il faut que moi, le maître, je paye pour ceux qui sont dans l'incapacité de payer. Matth., III , 15. C'est donc pour accomplir toute la loi qu’il s’est soumis au baptême. Telles sont les deux raisons que nous avons annoncées plus haut.

Symbolisme de la colombe

Alors on vit descendre le Saint-Esprit sous la forme d'une colombe. C'est que la colombe apparaît partout où il s'agit d'une réconciliation de Dieu avec les hommes. La colombe qu'avait lâchée Noé revint vers l'arche portant un rameau d’olivier, symbole de la bonté divine et signe de la cessation du déluge. Aujourd'hui aussi l'Esprit divin descend sous la simple apparence d’une colombe, non plus sous le symbole d'une colombe véritable, ce qu'il faut soigneusement remarquer, pour annoncer à la terre la miséricorde du Seigneur, et pour nous apprendre en même temps que l'homme spirituel doit être simple, sans perversité et sans malice. « Si vous ne changez et ne devenez comme de petits enfants, disait le Christ, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. » Matth., XVIII, 3. La première arche demeura sur la terre, quand le cataclysme fut passé : la seconde, au contraire, dès que la colère divine eut été apaisée, fut transportée dans les cieux; et maintenant ce corps sans tache et sans souillure est assis à la droite du Père. Genes., VIII.

En quoi doit consister la communion

Puisque j'ai parlé du corps du Seigneur, j’en ferai le sujet des réflexions par lesquelles je terminerai ce discours. Un grand nombre parmi nous, je ne l'ignore pas, ont coutume, à l'occasion de cette solennité, de s'empresser autour de la table sacrée. Je vous lai dit souvent, au lieu de voir dans la présence d'une fête une raison suffisante de communier, il faudrait purifier d'abord sa conscience, et ne toucher qu'après à l'auguste sacrifice. Celui qui est impur et souillé ne mérite pas de participer, même en un jour de fête, à cette chair divine et redoutable. Mais celui qui est pur, et qui a effacé toutes ses prévarications par une sincère pénitence, mérite de participer aux divins mystères, que l'on célèbre une fête ou qu'on n'en célèbre pas, et de jouir toujours des dons de Dieu. Puisque certains fidèles, je ne sais comment, s'abusent sur ce point, et que plusieurs, dont la conscience est chargée d'une foule de crimes, ne voient pas si tôt arriver une fête que, fascinés en quelque sorte, ils s'approchent de ces saints mystères, sur lesquels, dans de semblables dispositions, ils ne devraient même pas porter les yeux, sachez bien que nous repousserons ceux dont l'indignité nous est connue : mais quant à ceux dont l'indignité nous échappe, nous les abandonnons à ce Dieu qui lit dans l'âme de chacun jusqu'à ses pensées les plus secrètes. Aujourd'hui nous essaierons de corriger une faute où tombe à peu près tout le monde. En quoi consiste cette faute ?
En ce que vous ne vous approchez pas de la table sainte avec le respect convenable : vous agitez vos pieds, vous frappez, vous témoignez de l'humeur, vous criez, vous vous injuriez les uns les autres, vous heurtez vos voisins, vous soulevez le tumulte et le désordre. Voilà ce que je vous ai dit maintes fois et ce que je ne cesserai de vous dire. N'avez-vous pas remarqué aux jeux olympiques le bon ordre qui règne tandis que l’agonothète s'avance à travers l'assemblée, une couronne sur la tête, une verge à la main, et que le héraut recommande à haute voix la tranquillité et la décence ? Ne serait-il pas absurde que le calme présidât aux pompes du démon, et que le tumulte régnât là où le Christ nous appelle auprès de lui ? Pourquoi la paix au forum et des clameurs dans l'église, le calme sur la mer et la tempête au port ? Pourquoi, ô homme, ce tumulte que vous excitez ? Qu'est-ce qui vous presse ? Les affaires réclameraient-elles votre présence ailleurs ? Quoi donc ! estimeriez-vous avoir des affaires en cette heure solennelle ? Vous souviendriez-vous seulement que vous êtes sur la terre ? Penseriez-vous être au milieu des hommes ?
Et ne faudrait-il pas avoir une âme de pierre pour se croire en ce moment parmi les hommes, et pour oublier que l'on est au milieu de ces chœurs angéliques avec lesquels vous avez entonné l'hymne mystique, avec lesquels vous avez fait retentir en l'honneur de Dieu ce chant de triomphe ? Si le Christ nous a appelés des aigles dans ces paroles : « Là où sera le corps, là les aigles se rassembleront, » Luc., XVII, 37, c'est afin que nous nous transportions dans le ciel, afin que nous prenions notre essor, portés sur les ailes de l’Esprit. Nous au contraire, nous rampons à la façon des reptiles, et nous faisons de la terre notre aliment.

Vous dirai-je d'où proviennent ce bruit et ce tumulte ? De ce que nous ne tenons pas les portes fermées jusqu'à la fin du sacrifice, de ce que nous souffrons qu'avant la dernière action de grâces vous vous retiriez et rentriez chez vous ; conduite qui, de votre part, dénote une singulière irrévérence. Que faites-vous, chrétien ! Ainsi, quand le Christ est sous vos yeux, quand les anges vous regardent, quand vos frères sont initiés aux divins mystères, alors vous les laissez et vous vous retirez ! Mais si vous étiez invité à un festin, quoique vous eussiez satisfait à vos besoins, vous n'oseriez pas vous lever de table avant vos amis; et ici, tandis que les mystères du Christ se célèbrent, tandis que ce sacrifice auguste s'accomplit, vous n'hésitez pas à tout laisser là, et à vous retirer ! Une telle façon d'agir est-elle bien excusable ? Peut-elle bien être justifiée ? Voulez-vous que je qualifie l’acte de ces fidèles qui disparaissent avant la fin, et qui refusent ainsi de se joindre à nous pour chanter, la cène terminée, les cantiques d'action de grâces ?

Sans doute ce que je vais vous dire vous paraîtra dur, mais la négligence d'un grand nombre d'entre vous ne me permet pas de garder le silence. Après que Judas eut communié à la dernière cène, pendant cette nuit mémorable, il sortit à la dérobée, tous les autres apôtres demeurant avec le divin Maître. Or, voilà celui qu’imitent les chrétiens qui sortent avant la dernière action de grâces. Si Judas ne fût pas sorti, il n'aurait pas trahi le Sauveur; s'il n'eût pas abandonné ses frères, il n'eût pas couru à sa perte; s'il ne s'était pas glissé hors de la bergerie, le loup, ne le trouvant plus seul, ne l'aurait pas dévoré; s'il ne s'était pas éloigné du pasteur, il ne serait pas devenu la proie de cette bête féroce. C'est ainsi qu'il alla se joindre aux Juifs, au lieu que les autres disciples ne sortirent qu'avec leur maître, et après avoir récité l'hymne accoutumé. Remarquez-vous la ressemblance qui existe entre cet hymne des apôtres et notre dernière prière ?

Et maintenant, mes bien-aimés, pénétrons-nous de ces vérités, réfléchissons sur ces enseignements, et redoutons la sentence qui attend les crimes de cette nature. Eh quoi ! un Dieu vous donne sa propre chair, et vous ne lui exprimez pas seulement par quelques paroles votre reconnaissance, et vous ne le remerciez pas de ce que vous en avez reçu ! S'agit-il d'une nourriture corporelle ? en sortant de table vous recourez à la prière; et lorsque vous, homme, malgré la malgré la bassesse de votre nature, avez été admis à la participation d'une nourriture spirituelle qui surpasse en dignité toutes les créatures visibles et invisibles, vous ne daigneriez pas attendre quelques instants pour exprimer par des paroles et par des actions votre gratitude ? N'est-ce pas vous exposer au plus terrible des châtiments ? Je vous parle de la sorte, non pour m'attirer vos éloges, non pour encourager votre tumulte et vos cris, mais pour que vous vous souveniez de mes avis dans l'occasion, et pour que vous vous comportiez avec la décence désirable. Les mystères auxquels vous assistez en ont à la fois le nom et la réalité. Or, là ou il y a des mystères, il doit y avoir un profond silence. 

Approchons-nous donc de ce sacrifice auguste avec un silence parfait, avec la piété et l'ordre requis, afin d'acquérir des titres plus grands à la bienveillance divine, de purifier nos âmes et de mériter les biens éternels. Puissions-nous tous les obtenir par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel la gloire, les adorations, la puissance sont au Père, en l'unité du Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.

Ainsi soit-il.