Saint Jean Chrysostome
Discours 2 sur la Genèse
Pourquoi, lorsqu'il s'agit du soleil, de la lune, du ciel et des autres créatures Dieu dit: Que telle chose soit ; tandis qu'au sujet de l'homme, il dit : «Faisons. » Quelle est la signification de ce mot : « A notre image ? »
1. Vous souvenez-vous des questions que j’ai dernièrement traitées devant vous? C'est à ce degré d'imprudence et de témérité que vous m'avez conduit; vous avez fait plus encore, votre indulgence est allée si loin, que je suis désormais absous de toute témérité et de toute imprudence. Ce n'est pas sur mes propres forces, en effet, c'est sur les prières de nos chefs spirituels et sur les vôtres que je m'appuie quand je me dispose à entrer dans l'arène. La prière de l’Église est tellement puissante que, sommes-nous plus muet que la pierre, elle communique à notre langue un merveilleux essor, des ailes de flamme. De même que le zéphyr venant à gonfler les voiles, donne au vaisseau la rapidité de la flèche, de même la prière de l’Église comme un souffle divin donne à notre discours un mouvement, une impulsion dont la nature ne nous offre qu'une faible image. C'est pour cela que je me prépare chaque jour au combat avec une entière confiance.
Dans les luttes corporelles, il suffit qu'un athlète compte dix ou vingt amis dans la masse des spectateurs pour qu'il combatte avec courage; combien plus ne dois-je pas éprouver le même sentiment, quand j'ai pour moi la faveur, non de dix ou vingt amis, mais de tout ce vaste théâtre que remplissent mes pères et mes frères ? Dans les combats corporels, le spectateur n'est pas d'un grand secours pour l'athlète; il ne peut que l'encourager par ses applaudissements et ses acclamations, en luttant sur les gradins avec ceux qu'animent des sentiments opposés; quant à descendre dans l'arène pour seconder l'objet de sa faveur, entraver les mouvements de l'antagoniste, ou donner tout autre secours, les lois le lui défendent. Ceux qui dès l'origine ont établi ces jeux, ont entouré la lice de poteaux rattachés par des cordes, afin d'arrêter l'emportement des spectateurs. Faut-il s'étonner des mesures prises contre ces derniers, quand la défense s'étend au maître des jeux lui même, qui doit se tenir loin des athlètes, et n'a le droit d'intervenir que par ses conseils ? Il n'en est pas de même ici : le maître et le spectateur peuvent venir à nous, nous soutenir de leurs sympathies et de leurs prières.
Dignité particulière de l’homme aux yeux de Dieu
Courage donc, abordons le combat à la façon de ces anciens athlètes : quand ils s'étaient saisis par le milieu du corps et que dans ces rudes étreintes ils étaient refoulés sur la multitude qui les entourait, l'espace venant à leur manquer, ils abandonnaient momentanément leur prise pour rentrer dans l'enceinte des combattants; mais la lutte recommençait dans les mêmes conditions où ils avaient été séparés; c'était la suite de la même lutte. Et nous aussi, quand nous avons dû rompre notre discours par le manque d'espace, nous sommes dans l'obligation, en retournant au combat, d'en rattacher la suite au texte qu'on vient de lire aujourd'hui. Et Dieu dit : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. » Genes., I, 26. Une question se présente avant tout : Pourquoi Dieu, sur le point de créer le ciel ou toute autre partie du monde n'avait-il jamais dit : « Faisons, » mais bien : « Que le ciel soit, que la lumière soit » et toujours ainsi à chaque créature nouvelle ? D'où vient qu'il dit maintenant : « Faisons » qu'il entre en conseil et délibère avec un être comme son égal ? Quelle est donc la créature qui va sortir de ses mains, pour mériter un tel honneur ? C'est l'homme, cet animal si noble et si grand, la plus élevée devant Dieu de toutes les créatures visibles, celle pour qui toutes les autres ont été faites, le ciel, la terre, la mer, le monde entier; c'est l'homme, dont Dieu veut le salut au point de ne pas épargner pour lui son Fils unique. Il ne s'est donné ni repos ni trêve, en effet, qu’il ne l'ait fait asseoir à sa droite. Paul le proclame de sa puissante voix : « Il nous a ressuscités et nous a fait asseoir à sa droite, au plus haut des cieux, dans le Christ Jésus. » Ephes., I, 6. Voilà dans quel but la délibération, la résolution concertée d'avance. Ce n'est pas que Dieu ait besoin de conseil, gardons-nous bien de le croire. C'est là seulement un artifice de langage pour nous montrer l'honneur dont jouira la créature qui va paraître.
Si cette créature, me dira quelqu'un, l'emporte en dignité sur le reste du monde, comment se fait-il qu'elle soit produite la dernière de toutes ? - C'est précisément parce qu'elle est la première en dignité. Quand un monarque doit faire son entrée dans une ville, les chefs militaires et civils, les gardes et les serviteurs le précèdent pour disposer le palais et tous les genres de service, si bien que la réception soit digne de la majesté souveraine. C'est ce que nous voyons ici : comme avant l'arrivée du roi, le brillant cortège se forme; le soleil, le ciel, la lumière, apparaissent dans le palais qui l'attend, tout est créé, tout est embelli; et l'homme alors est introduit dans son empire au milieu des plus grands honneurs. « Faisons l'homme à notre image. » Que le Juif l'entende. A qui Dieu dit-il: « Faisons ? » C’est Moïse qui l'a écrit; et ce peuple fait profession de croire à Moïse, mais sans y croire en réalité. Qu'ils mentent et ne croient pas, c'est le Christ lui-même qui les en convainc en ces termes : «Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez également en moi. » Joan., V, 46.
Les Juifs ont les écrits mais pas la vraie compréhension
Dans leurs mains sont les livres; dans les nôtres est le trésor de ces mêmes livres : ils ont les écrits; nous avons les écrits et leur sens véritable. A qui Dieu dit-il donc : « Faisons l'homme ? » C'est simplement à l'un des anges ou des archanges, répondent-ils, qu'il s'adresse. Comme des valets qui méritent les verges, quand le maître les interpelle, n'ayant aucune raison à donner, disent tout ce qui leur vient à la bouche, ainsi faites-vous en disant au hasard ange ou archange. Mais quel est cet ange ou cet archange, si vous le savez ? Il n'appartient pas à ces esprits de créer, d'accomplir une telle œuvre. Pourquoi, lorsqu'il créait le ciel, Dieu ne leur en a-t-il rien dit, et n'a-t-il agi que par lui-même, tandis qu'il fait intervenir ses ministres quand il va produire un être qui l'emporte en dignité sur le ciel et le monde entier, l'homme ?
2. Non, cela n'est pas, cela ne saurait être. Les anges se tiennent devant Dieu, mais ne participent pas à son action créatrice; les archanges exécutent ses ordres, mais n'ont pas voix dans les suprêmes conseils. Écoutez ce que dit Isaïe touchant les séraphins , puissances plus élevées que les archanges : « J'ai vu le Seigneur assis sur son trône sublime; et les séraphins se tenaient autour de lui. Chacun d'eux avait six ailes et se voilait la face avec deux de ses ailes.» Isa., VI, 1-2. Ils se couvraient ainsi les yeux, parce qu'ils ne pouvaient soutenir les rayonnantes splendeurs qui jaillissaient du trône. Que dites-vous ? Quoi ! les séraphins se tiennent devant Dieu saisis de respect et d'admiration, bien qu'ils voient sa condescendance; et les anges prennent part à son conseil, entrent en délibération avec lui ? Mais tout cela répugne à la raison. A qui donc, je me le demande, est-il dit: «Faisons l'homme ? » A l'admirable Conseiller, au Puissant, au Dieu fort, au Prince de la paix, au Père du siècle futur, au Fils unique de Dieu. C'est à celui-là qu'il est dit : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. » Il n'y a pas là deux ou plusieurs types différents; non, un seul : «A notre image et à notre ressemblance. » Or combien ne diffèrent pas le type divin et le type angélique ! quelle distance entre le Maître et les serviteurs ! Après ces mots : « A notre image et à notre ressemblance, » le Créateur ajoute : « Et qu'ils dominent sur les poissons de la mer. » Genes; 1, 26. Encore ici, la domination de Dieu ne saurait être celle des anges. Peut-on, je le répète, confondre le pouvoir du Chef suprême et celui des ministres, du mobile et des instruments ?
D'autres s'élèvent contre nous et prétendent que l'image divine est la nôtre, ne comprenant pas le sens de cette affirmation. Ce n'est pas une ressemblance de nature, en effet, mais bien d'autorité, qu'il est question, comme il nous est aisé de le démontrer par la suite du texte.
La femme a été placée sous l’autorité de l’homme
Que la forme humaine ne soit pas celle de Dieu, c’est Paul qui vous l'enseigne : « L'homme ne doit pas être voilé, parce qu'il est l'image et la gloire de Dieu; mais la femme est la gloire de l'homme, et c'est pour cela qu'elle doit porter un voile sur la tête.» I Corinth., XI, 7-10. Si l'Apôtre parlait ici d'une image de tout point égale au type divin, s'il voulait dire par là que l'homme est l'image parfaite de Dieu, ce n'est pas seulement l'homme, c'est la femme aussi qui mériterait ce titre. C'est la conséquence de leur pensée. L'homme et la femme ne portent-ils pas les mêmes traits, ne sont-ils pas formés sur le même type ? Pourquoi donc le premier seul est-il appelé l'image de Dieu ? C'est qu'il s'agit là non d'une ressemblance de nature, mais d'une communication d’autorité, qui est le partage exclusif de l'homme. Lui n'est soumis à personne ici-bas, tandis que la femme lui a été soumise, selon en vertu de cette parole de Dieu : « Tu seras sous la dépendance de l'homme, et c'est lui qui te commandera. » Genes., II, 16. Voilà pourquoi l'homme est l'image de Dieu, par la raison qu'il n'a pas de supérieur, tout comme Dieu ne reconnaît pas d'être supérieur à lui et règne sur tous les êtres: tandis que la femme est la gloire de l'homme parce qu'elle est sous son autorité. Paul dit ailleurs: « Nous ne devons pas estimer que Dieu soit semblable à l'or, à l'argent, à la pierre que façonne l’art ou l'entendement humain » Act.; XVII; 16. Cela veut dire : La Divinité dépasse non seulement toute figure visible, mais encore tout ce que notre pensée peut concevoir pour se représenter Dieu. Comment Dieu pourra-t-il donc avoir la forme de l'homme, quand Paul déclare notre intelligence incapable de se faire une idée quelconque de Dieu ? Nous est-il rien de plus facile que de nous faire une idée de nous-mêmes ?
J'avais résolu de vous parler encore de l’aumône; mais le temps ne nous le permet pas. Je mettrai donc ici fin à mon discours, non sans vous avoir exhortés toutefois à garder un fidèle souvenir de nos paroles et à veiller avec le plus grand soin à la direction de votre vie, pour que nos réunions ne vous soient pas inutiles. Nous aurions beau connaître la vérité, si nous ne possédons pas aussi la vertu, nous serons rigoureusement exclus de la vie éternelle. « Ce n'est pas quiconque me dit : Seigneur, Seigneur, qui entrera dans le céleste royaume; c'est celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. » Matth., VII, 21. Accomplissons donc avec zèle la volonté de Dieu, pour qu'il nous soit donné d'entrer dans les cieux et de posséder les biens réservés aux vrais amis de Dieu.
Puissions-nous tous les obtenir par la grâce et l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, en même temps qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.