Saint Jean Chrysostome

Discours 1 sur la Genèse

Prononcé à l'ouverture du Carême, sur ce texte : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.» - Sur le jeûne et l’aumône.

1. Agréable est au nautonier le printemps, agréable aussi aux agriculteurs; il l'est moins toutefois, pour les uns comme pour les autres, que ne l'est le temps du jeûne pour ceux qui veulent s'élever à la vraie philosophie : voilà le printemps spirituel des âmes, le ciel serein de la pensée. Les agriculteurs saluent le printemps avec joie, parce qu'ils voient alors la terre se couronner de fleurs et se couvrir comme d'un riche manteau de verdure. Les nautoniers saluent le printemps avec joie, parce qu'ils peuvent alors sillonner avec plus de sécurité la surface des mers, que les flots sont tranquilles, et que les dauphins viennent jouer et  bondir jusque sur les flancs du navire. 

Le Carême est le printemps des âmes

Pour nous, le printemps du jeûne nous transporte de bonheur, parce qu'il a coutume d'apaiser la fureur, non des ondes, mais des passions désordonnées; il nous tresse une couronne, non de fleurs, mais de grâces célestes. « Une couronne de grâces, est-il écrit, sera placée sur votre tête. » Prov.; I, 6. Le retour de l'hirondelle ne dissipe pas les frimas comme le retour du jeûne dissipe les orages qui bouleversent notre cœur. Le combat cesse entre l’âme et la chair, la reine n'est plus dominée par la servante, une paix profonde s'établit dans nos sens. Puisqu'il en est ainsi, puisque nous jouissons du calme et de la sérénité, allons, nous aussi, faisons sortir notre esquif du port, déployons la voile et que la doctrine du salut pénètre dans des intelligences si bien disposées. Courage, osons aborder les plus sublimes enseignements, prenons pour objet de nos réflexions le ciel, la terre, la mer, et toute la création matérielle; car c'est tout cela qu'embrasse le texte de ce jour.

Quel intérêt avons-nous, me direz-vous peut-être, à parler sur la création ? Un grand intérêt mes bien-aimés. En effet, si la grandeur et la beauté des créatures nous font par analogie connaitre le Créateur, plus cette grandeur et cette beauté nous deviendront familières, plus sûrement nous serons conduits à cette connaissance.
C'est un grand bien pour nous de savoir ce qu'est la créature, ce qu'est le Créateur, ce que sont l'œuvre et l'Artisan. Si les ennemis de la vérité possédaient là-dessus des notions bien claires, ils ne confondraient pas tout, ils ne renverseraient pas tout de fond en comble. Je ne veux pas dire par là qu'ils aient mis au-dessous le ciel et les astres, pour mettre la terre au-dessus; j'entends seulement qu'ils ont en quelque sorte arraché le Roi des cieux de son trône pour le rabaisser au rang des choses créées, et qu'ils ont élevé la créature sur le trône même de la divinité. Si les Manichéens avaient compris ce que c’est que la nature, jamais ils n'auraient honoré comme une chose incréée ce qui a été fait de rien, un être périssable, sujet à la corruption et à de perpétuels changements. Si les Gentils avaient possédé la même science, ils ne se seraient pas égarés comme ils l'ont fait en adorant la créature au lieu du Créateur. 

Adorer le Créateur à travers les créatures

Splendide est le ciel; mais c'est une œuvre qui a pour mission de vous faire rendre hommage à l'Ouvrier. Brillant est le soleil, mais pour que vous adoriez Celui qui lui donna l'existence. Si vous vous arrêtez à ce qu'il y a d'admirable dans les choses créées, si leur beauté vous enchaîne, la lumière se change pour vous en ténèbres, ou plutôt vous n'avez usé de la lumière que pour arriver à l'aveuglement. Voyez-vous combien il importe de comprendre le sens de la création ? Ne dédaignez donc pas ce précieux avantage; appliquez-vous avec ardeur à ce que nous vous enseignons.

Nous ne vous parlerons pas seulement du ciel, et de la terre, de la mer; nous vous parlerons encore de notre origine; des causes qui ont amené la mort, les peines de la vie, les tristesses et les soucis qui nous accablent. C'est pour se justifier en quelque sorte de nous les avoir envoyés, c'est comme une justification de sa providence, que Dieu nous a donné ce livre. Il ne dédaigne pas, en effet, de se justifier auprès des hommes, puisqu'il s'écrie par la bouche d'un prophète: « Venez, entrons en discussion, dit le Seigneur. » Isa I, 18. Il ne se borne pas à se défendre, à soutenir cette sorte de débat judiciaire, il va jusqu'à nous enseigner le moyen d'éviter nous-mêmes une sentence de condamnation. Avant de prononcer cette parole: «Venez, entrons en discussion, » il nous trace ce que nous devons faire et comment nous devons parler; alors seulement il nous appelle en jugement. Écoutez ce qu'avait déjà dit le prophète: «Lavez vos souillures, soyez purs, rejetez l'iniquité loin de vos âmes, apprenez à faire le bien, prenez en main la cause de l'orphelin et de la veuve.» Ibid., 16. C'est après cela qu'il ajoute : « Venez, entrons en discussion, dit le Seigneur.»
Je ne veux pas vous prendre au dépourvu, vous trouver sans défense; c'est quand vous serez armés de toutes vos raisons que nous instruirons votre procès; car, si j'ai résolu d'entrer en discussion avec vous, c'est pour conclure, non à la condamnation, mais à l'indulgence. C'est ce qui lui fait dire ailleurs : « Avouez le premier vos iniquités, afin que vous soyez justifié.» Isa., XLI. 26. Vous aurez en face un accusateur acerbe, impitoyable; prenez les devants, remplissez son rôle, et vous fermerez sa bouche impudente.

2. A l'origine, il est vrai, Dieu s’entretenait directement avec les hommes, il leur parlait comme il était possible aux hommes de l'entendre. C'est ainsi qu'il alla trouver Adam, qu'il réprimanda Caïn, qu'il adressa ses conseils a Noé, qu'il reçut l'hospitalité sous la tente d'Abraham. Mais, comme la nature humaine déclina vers le mal et se condamna pour ainsi dire à l'exil sur une terre lointaine, il nous écrivit, il nous envoya des lettres, comme on écrit à des exilés, afin de renouer l'amitié primitive qui nous unissait avec lui. Ces lettres venaient de Dieu et nous étaient apportées par Moïse. Que nous disent-elles ? « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. » Genes., I, 1. Pourquoi ne nous y parle-t-il pas d'abord des anges ou des archanges ? Si c'est dans les créatures que nous voyons le Créateur, c'est à celles-là surtout qu'il appartenait de nous le révéler. Le ciel est beau, mais pas aussi beau que l'ange; le soleil est brillant, mais pas aussi brillant que l'archange. Pourquoi donc délaisse-t-il la voie la plus élevée et nous conduit-il par la plus humble ? Parce qu'il s'adresse avant tout aux Juifs, encore plongés dans des idées grossières et matérielles, à peine sortis de l’Égypte, où les hommes adoraient les crocodiles, les chiens et les singes, qui ne pouvaient dès lors être conduits au Créateur par un chemin trop sublime. Le chemin eût été plus sublime en réalité, mais en même temps trop difficile, trop ardu, trop périlleux, pour des êtres aussi faibles. Il les conduit donc par un chemin plus facile, le ciel, la terre, la mer et toutes les créatures visibles. Pour vous convaincre que c'est bien là son véritable motif, écouter comment le Prophète leur parle des puissances supérieures, quand ils eurent fait quelques progrès: « Louez le Seigneur du sein de la gloire céleste, louez-le dans les hauteurs des cieux; louez-le, vous tous ses anges, louez-le, milices du ciel; car il a dit et tout a été fait; il a ordonné et tout a été créé. » Psalm. CXLVIII, 1, 2, 5.

Faut-il s'étonner que ce mode d’enseignement soit suivi dans l'Ancien Testament lorsque, dans le Nouveau, les hommes étant initiés à une plus haute doctrine, Paul, s'adressant aux Athéniens, adopte la marche que Moïse avait inaugurée par rapport aux Juifs ? L'Apôtre ne parle pas non plus des anges et des archanges; c'est par le ciel, la terre et la mer qu'il commence son discours: « Dieu, qui a fait le monde et tout ce que le monde renferme, lui le Maître du ciel et de la terre, n'habite pas dans des temples bâtis par la main des hommes. » Act., XVII, 24. Mais, en s'adressant aux Philippiens, il abandonne cette route; sa parole est empreinte d'une plus grande élévation, et voici comment il s'exprime : « En lui toutes les choses ont été créées, celles du ciel et celles de la terre, les Trônes, les Dominations, les Principautés et les Puissances; tout a été fait par lui et pour lui. » Coloss., 1, 16. C'est ainsi que Jean, instruisant encore des disciples plus parfaits, embrasse la création universelle. Il ne dit pas : Le ciel, la terre et la mer; mais bien : « Toutes les choses ont été faites par lui, et en dehors de lui rien n'a été fait de ce qui existe; » Joan., I, 3; toutes les choses, les visibles et les invisibles. Parmi les maîtres chargés de l'éducation des enfants, il en est qui les reçoivent des mains de leur mère, et qui se bornent à leur enseigner les premiers éléments; d'autres les reprennent ensuite, et leur transmettent des enseignements plus élevés : voilà comment ont agi Moïse, Paul et Jean. Moïse, en effet, prend notre nature dans un état de complète ignorance et quand elle est à peine sevrée; il se contente donc de lui donner les premières notions de la science divine. Paul et Jean, poursuivant en quelque sorte l'œuvre commencée par Moïse, élèvent les hommes à de plus hautes leçons, après avoir sommairement rappelé les premières. Voyez-vous l'accord des deux Testaments ? Voyez-vous l’harmonie de cette double doctrine ?

Ce qui frappe d'abord dans l'Ancien, c’est la création des choses sensibles; David ajoute seulement, au sujet des créatures intellectuelles : « Il a dit, et tout a été fait. » Psalm. XXXII, 9. Et maintenant, dans le Nouveau, c'est après qu'il a été parlé des Puissances invisibles qu'il est fait mention de la création matérielle. « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre. » Parole bien courte et bien simple, une parole enfin, mais qui suffit pour renverser les plus fortes tours de l'erreur. Voyez plutôt : le Manichéen se présente et vous dit : La matière est incréée. Répondez-lui alors : « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre.» Vous aurez d'un seul coup abattu son arrogance. Mais il ne croit pas à l'autorité de l’Écriture. C'en est assez; repoussez-le, détournez-vous de lui comme d'un frénétique. Celui qui ne croit pas à l'autorité manifeste de Dieu et qui ose accuser la vérité de mensonge, n'est-il pas évidemment marqué d'un signe de folie par cette résistance même ? Mais comment une chose peut-elle avoir été faite de rien ? m'objecterez-vous encore.

Dites-moi vous-même comment elle peut provenir de ce qui existe déjà. Que la terre soit sortie du néant, je le crois, vous le révoquez en doute; mais, que l'homme soit sorti de la terre, nous le croyons tous les deux. Expliquez-moi donc ce qu'il y a de plus facile dans l’objet de votre croyance, comment de la terre est provenue la nature de la chair. Que la terre fournisse des vases ou des ornements et d'autres objets semblables, je le comprends; mais que la terre façonnée devienne de la chair, c'est ce qu'on ne saurait comprendre. Comment donc la chair a-t-elle été faite ? Comment ont été faits les os, les nerfs, les veines et les artères, les muscles et la peau, les ongles et les cheveux, tant de substances diverses avec un seul élément primitif ? Jamais vous ne me l'expliquerez. Voilà donc qu'on ignore ce qu'il y a de plus apparent et de plus aisé; n'est-ce pas une démence de scruter et de vouloir comprendre ce qu'il y a de plus profond et de plus ardu ?

3. Voulez-vous que je vous mette en présence d’un phénomène encore plus facile et qui se reproduit tous les jours, sans que vous puissiez m'en donner l'explication ? Le pain est notre aliment quotidien. Or, dites-moi, je vous prie, comment il se fait que le pain change de nature et se transforme en sang, en bile, en une autre humeur quelconque. Le pain est une substance ferme et consistante, tandis que le sang est fluide et subtil; l'un est blanc ou légèrement doré comme le froment, l'autre est rouge ou noir.
Poursuivez cette comparaison sous d'autres rapports, et vous trouverez toujours de profondes dissemblances entre le pain et le sang. Je vous en conjure, donnez-moi la raison de ces choses. Mais non, jamais vous ne le pourrez. Quoi ! vous êtes hors d'état de m'expliquer la transformation de votre nourriture habituelle, et vous me demandez de vous expliquer la création divine ! Encore une fois, n'est-ce pas de la dernière démence ? Si Dieu n'est pas plus que nous, à la bonne heure, vous avez le droit de chercher la raison de ses œuvres. Je me trompe cependant; il est bien des choses que l'art humain produit, et dont nous ne saurions donner une explication satisfaisante. Comment expliquer, par exemple, l'or provenant de la terre par la métallurgie, ou bien le sable se transformant en un verre transparent ? Et nous pourrions citer beaucoup d'autres productions de l’art qui ne sont pas plus accessibles à la raison. Toutefois, si Dieu nous ressemble en tout, j'admets que vous exigiez le secret de ses opérations; mais, s'il nous est incomparablement supérieur, s'il l'emporte sur nous d'une manière incommensurable, n'est-ce pas une extrême folie, je le répète, de reconnaître l'immensité de sa sagesse et de sa puissance, d'avouer qu'il est incompréhensible parce qu'il est Dieu, et de prétendre que chacune de ses œuvres vous soit expliquée comme s'il était question des œuvres de l'homme ?

Les manichéens sont des loups déguisés en agneaux

Mais laissons de côté ces raisonnements, et revenons à ce fondement inébranlable : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. » Etablissez-vous sur ce roc, afin que la tourmente des pensées humaines ne vous ébranle pas. « Les pensées des mortels sont hésitantes et leurs inspirations incertaines. » Sap., IX, 14. N’abandonnez donc pas un solide appui pour confier le salut de votre âme à ce qu'il y a de plus fragile. Demeurez fermes dans les enseignements qui vous ont été transmis et confiés; revenez constamment à cette parole : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. » Que vous soyez en face d'un disciple de Manès, de Marcion, de Valentin, elle suffira pour les confondre. Si l'hérétique vient à vous d'un air riant, plaignez-le comme un frénétique; s'il se présente avec un visage pâle, les yeux baissés, un langage modeste, ne vous laissez pas prendre à cet appât, voyez le loup caché sous une peau de brebis.

Vous devez d'autant plus l'abhorrer qu'en montrant cette douceur et cette prévenance envers le serviteur, il agit comme un chien plein de rage envers le souverain Maître de tous les hommes, qu'il fait au ciel une guerre implacable et qu'il ose opposer sa puissance à la puissance de Dieu. Fuyez le venin de l'iniquité, repoussez ce breuvage délétère; l'héritage que vos pères vous ont légué, la pure doctrine des Livres saints, l'intégrité de votre foi, gardez-les à l'abri de toute atteinte. « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. » Quoi donc ? le ciel d'abord, la terre ensuite. Il commence par le couronnement et finit par la base de l'édifice. C'est qu'il n'est pas soumis aux nécessités de la nature, aux règles ordinaires de l'art. Il est l'auteur de l'art et de la nature, tout dépend de sa suprême volonté. « Or, la terre était invisible et sans forme. » Pourquoi produisit-il le ciel parfait, et ne perfectionna-t-il la terre que par degrés, comme l'atteste Moïse ? Après vous avoir montré sa puissance dans l'élément supérieur, il vous avait montré par là même qu'il eût pu produire tout à coup une terre parfaite, aussi bien que le ciel. Mais c'est pour vous et pour votre salut qu'il n'a pas agi de la sorte. Comment çà, pour moi et pour mon salut ? -- La terre est notre table commune et notre commune patrie, elle est la nourrice et la mère de nous tous, notre séjour et notre tombeau : de son sein est sortie la matière de nos corps et sort encore leur nourriture; nous l'habitons pendant la vie, nous y retournons après notre mort.

Pour que ces relations nécessaires ne vous fissent pas l’admirer, pour que les bienfaits dont elle est pour vous la source ne vous fussent pas une cause de chute et d'impiété, il vous la présente donc au commencement sans grâce et sans forme; en voyant ainsi ses imperfections, vous devez uniquement admirer Celui dont elle est l'ouvrage, dont elle a reçu toutes ses merveilleuses propriétés, vous devez glorifier cette divine magnificence dont elle est pleine et dont vous bénéficiez. Or, ce n'est pas seulement par de pures croyances, c'est aussi par des mœurs pures qu'on glorifie Dieu. « Que votre lumière, est-il dit, brille aux yeux des hommes, pour qu'en voyant vos bonnes œuvres, ils glorifient votre Père qui est dans les cieux.» Matth., V, 16.

4. e voulais aussi dans ce discours vous parler de l'aumône; mais il me parait superflu de vous instruire là-dessus par la parole quand celui qui siège au milieu de nous, notre père à tous et notre maître, vous enseigne ce devoir par ses exemples avec tant d'éclat : sa maison paternelle, on dirait qu'il l'a reçue de ses aïeux pour la consacrer à l'exercice de l'hospitalité; tous ceux qui sont persécutés pour la vérité y reçoivent un asile, les soins les plus empressés et les attentions les plus délicates; je ne sais vraiment s'il faut appeler sa maison ou la maison des étrangers.

Nous devons épargner au ciel plutôt que sur terre

Disons mieux : Cette maison n'est-elle pas précisément la sienne parce qu'elle est aux étrangers ? En effet, c'est lorsque nous prodiguons nos biens aux pauvres, au lieu d'en user pour nous seuls; que nous en avons surtout le domaine. Comment ? Je vais vous le dire : si vous confiez votre argent aux pauvres, vous n’avez plus rien à redouter de la cupidité des sycophantes ou de l'œil des jaloux, ni la ruse ni la violence ne peuvent vous le ravir, les brigands ne savent l'atteindre en perçant les murs, vos esclaves ne l'emportent pas en fuyant votre maison : vous l'avez placé dans un inviolable asile. Si vous l'enfouissez, au contraire, vous l'exposez à la cupidité des brigands, des envieux, des sycophantes et des esclaves, en un mot, à toute sorte de dangers. Il est possible qu'en multipliant les portes et les verrous on le mette quelquefois à l'abri des attaques du dehors; mais ce sont alors les gardiens eux-mêmes qui vous le ravissent en prenant aussitôt la fuite.

Nous sommes donc éminemment possesseurs de nos biens quand nous nous en dépouillons en faveur des pauvres. Et ce n'est pas là seulement le plus sûr moyen de les conserver, c'est encore celui de les faire le mieux valoir et fructifier. Si vous êtes le créancier d'un homme, vous recevrez un pour cent; si vous prêtez à Dieu par l'intermédiaire du pauvre, vous recevrez cent pour un. Semez dans un champ fertile et supposez une heureuse moisson, vous aurez le décuple de votre semence si vous semez au ciel, vous aurez d'abord le centuple, et vous posséderez de plus l'éternelle vie, la vie qui dure à jamais et qui ne connaît pas la mort. Ici-bas la semence réclame de nombreux travaux; mais là-haut elle germe et se multiplie sans qu'on ait besoin d'employer la charrue, sans le concours des bœufs ou des hommes, sans labeurs et sans fatigues : on n'a plus à craindre ni les chaleurs, ni les pluies excessives, ni la rouille, ni la grêle, ni les armées de sauterelles, ni le débordement des fleuves; rien, en un mot, ne peut ruiner l'espoir d'une riche moisson : la semence jetée là-haut est à l'abri de toute atteinte. Puisqu'il en est ainsi, puisqu'il n'y a là aucune fatigue, aucun danger, aucune appréhension possible, puisque la science doit s'y multiplier d'une manière si merveilleuse et produire ces biens que «l'œil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas entendus, que le cour de l’homme n'a jamais éprouvés, » I Corinth.; II, 9, ne serait-ce pas une indigne faiblesse d'abandonner le plus pour embrasser le moins, de renoncer à un bonheur certain pour se jeter au milieu des incertitudes, des périls et des souffrances ? Quelle excuse, quel moyen de justification pourrions-nous invoquer si nous agissions de la sorte ? Prétexterions-nous la pauvreté ? mais nous ne sommes pas plus pauvres que cette veuve qui donna les deux seules oboles qu'elle possédait. Elevons-nous à la hauteur de son opulence, imitons l'ampleur et la générosité de son âme, afin d'avoir part aux biens qui lui étaient assurés. 

Puissions-nous les obtenir par la grâce et l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient en même temps qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. 

Ainsi soit-il.