Saint Jean Chrysostome
Psaume 10
Pour la fin, psaume de David. Suivant une autre version : « Chant triomphal de David. » Suivant une autre : « Pour l'auteur de la victoire. »
1. Je me confie en Dieu; pourquoi dites-vous : « Mon âme fuis sur la montagne comme le passereau? » Une autre version porte : « Passe sur la montagne comme un passereau. » Une autre : «Change de place. » « Parce que les pécheurs ont tendu leur arc, ils ont préparé leurs flèches dans leurs carquois pour frapper dans les ténèbres ceux qui ont le cœur droit. » Suivant une autre version : « Comme dans l'obscurité. » " Parce qu'ils ont détruit tout ce que vous aviez fait avec tant de perfection.» Suivant une autre : « Parce que les lois ont été renversées. » Un autre interprète traduit : « Parce que les enseignements de la vérité seront foulés aux pieds. »
L’espérance en Dieu nous donne une force invincible
Qu'elle est grande la force de l'espérance en Dieu ! C'est une forteresse inaccessible, un rempart inexpugnable, un secours puissant, un port tranquille, une tour imprenable, une armure invincible, une puissance surhumaine qui nous ménage une issue facile au milieu des plus grands dangers. Par elle, des hommes sans armes l'ont emporté sur des ennemis armés de toute pièce, des femmes ont triomphé des hommes, des enfants ont remporté une victoire aussi facile qu'éclatante sur des guerriers consommés dans l'art des combats. Et qu'y a-t-il d'étonnant qu'ils aient triomphé de leurs ennemis alors qu'ils ont été vainqueurs du monde lui-même ? Les éléments ont oublié la nature qui leur était propre pour servir leurs intérêts, les animaux féroces ont perdu leur férocité, et la fournaise l'ardeur de ses feux. L'espérance en Dieu a le pouvoir de tout transformer. Les dents des lions étaient aiguisées, ils étaient dans une prison étroite, leurs instincts naturellement farouches étaient encore irrités par la faim, aucune barrière ne les séparait de leurs victimes, leurs gueules enflammées touchaient le corps du prophète, mais l'espérance en Dieu, plus puissante que tous les freins, maitrisait leur férocité et les ramenait en arrière.
C'est dans ce même sentiment de confiance que le Prophète répondait à ceux qui le pressaient de s'éloigner, de fuir et de chercher au loin une retraite assurée : « Je me confie dans le Seigneur; pourquoi parlez-vous ainsi à mon âme ? » Que me conseillez-vous? J'ai pour auxiliaire le maître de l'univers, j'ai pour chef et pour appui celui qui fait tout sans travail et avec la plus grande facilité, et vous me pressez de fuir dans des lieux inhabités, et de chercher mon salut dans le désert ? Est-ce que le désert peut m'offrir un secours plus certain que celui qui fait tout sans le moindre effort ? Quoi ! je suis revêtu d'une armure invincible, et vous me conseillez de m'éloigner et de fuir comme un homme sans défense et sans armes ? Vous n'oseriez conseiller de fuir dans le désert à celui qui serait à la tête d'une armée et qui serait d'ailleurs protégé par des remparts et des armes de toute espèce, vous vous exposeriez à la risée générale en donnant un semblable conseil, et vous pressez de fuir celui qui a pour soutien le maître de l'univers, et vous l'envoyez en exil, et vous voulez qu'il s'éloigne devant la guerre que les pécheurs s'apprêtent à lui faire ? A cette première raison, j'en ajoute une autre qui m'interdit de prendre la fuite. Lorsque nous avons Dieu pour défenseur et les pécheurs pour ennemis, peut-on, sans se rendre coupable de folie, nous conseiller d'imiter la crainte des timides oiseaux ? Vous ne considérez pas que l'armée qui m'est opposée est plus faible qu'une toile d'araignée ? L'ennemi d'un roi de la terre, quelque part qu'il se trouve, vit dans un danger continuel dans une crainte de tous les instants; combien plus l'ennemi du souverain Maître de toute chose ? De quelque côté qu'il se tourne, il ne rencontre que des ennemis, jusque dans les créatures elles-mêmes. Les amis de Dieu inspirent de la crainte aux éléments et aux animaux. et toutes les créatures sont pleines pour eux de vénération. Mais pour l'ennemi de Dieu, qui lui déclare la guerre, tout l'univers s'arme contre lui, et il est un objet d'horreur même pour les créatures inanimées. Aussi a-t-on vu les lions dévorer les ennemis du prophète Daniel avant même qu'ils eussent touché la terre, tandis que les autres étaient consumés par le feu. Ils ont cependant un arc; un carquois, toutes leurs armes sont préparées. «Ils ont préparé leurs flèches dans leurs carquois; » mais ils n'en sont ni plus forts ni plus redoutables. Craindrais-je en effet un ennemi dont l'arc serait détendu ? A quoi servent les armes sans la force ? Et quelle peut être ici leur utilité si la bienveillance de Dieu fait défaut ? Mais, me direz-vous, ils ont recours à la ruse et ils prennent des voies détournées. Ils n'en sont pour moi que plus dignes de risée en lançant leurs traits dans les ténèbres.
Il n'est rien de plus faible, en effet, que celui qui trame quelque dessein pervers. Il n'est pas nécessaire qu'on l'attaque à force ouverte, il tombe sous ses propres coups, et il périt victime de ses artifices. Peut-on imaginer une plus grande faiblesse, puisqu'il est pris dans ses propres filets ? Disons encore que ce n'est pas seulement à ceux que Dieu protège et défend qu'ils font une guerre artificieuse, mais encore aux innocents qui ne leur ont jamais fait le moindre tort. Voilà justement ce qui les réduit à une extrême faiblesse. Ils ressemblent aux animaux qui regimbent contre l'aiguillon, et qui ne font qu'ensanglanter leurs pieds sans endommager l'aiguillon. Ajoutons encore une autre cause qui achève de détruire leurs forces. « Ils ont renversé ce que vous aviez fait avec tant de perfection. » C'est-à-dire ils vous font une guerre acharnée, ils détruisent votre loi et foulent aux pieds vos préceptes. Ils s'efforcent en effet d'anéantir vos commandements qui sont si parfaits. Ou bien le Roi-prophète veut dire qu'ils sont des transgresseurs de la loi. Or, quelle plus grande preuve de leur faiblesse qu'oser vous déclarer la guerre, eux qui sont les violateurs de votre loi ! Ainsi, ils attaquent les âmes droites et ils leur tendent des pièges, parce qu'ils méconnaissent vos commandements.
2. Le Roi-prophète vient de faire ressortir la faiblesse de ses ennemis, en montrant non point quelle en est la cause générale et ordinaire, mais celle qui leur est particulière. En effet, il ne dit pas; Ils n'ont ni argent, ni forteresses ni auxiliaires, ni villes, ni expérience de la guerre. Il passe sous silence tous ces moyens de défense, et les rejette comme n'étant d'aucune valeur. Il se contente de dire que ce sont des pécheurs qui font la guerre à l'innocence, et qu'ils détruisent les œuvres de Dieu. Il nous décrit ensuite l'armée des justes, pour nous montrer combien ces ennemis sont faciles à vaincre.
Examinons donc nous-mêmes quelle est la véritable force, quelle est la véritable faiblesse, mais n'allons pas craindre ce qui fait le sujet ordinaire des craintes ridicules des hommes. Quel est en effet leur langage ? C'est un homme redoutable, il est vendu au mal, il est fier de ses richesses et de sa puissance. Il n'en est pour moi que plus digne de risée; car ce sont là autant de marques de faiblesse. Mais il est habile dans l'art de dresser des embûches ? C'est encore un nouveau signe de son impuissance. Cependant pourquoi donc de tels hommes sont-ils si souvent vainqueurs ? Parce que vous ne savez pas comment il faut les combattre, ou bien parce que vous combattez contre eux pour ces misérables objets qui les rendent si faibles, je veux dire la gloire et la puissance. Fuyez ce qui peut donner lieu à ces sortes de combats et repoussez avec d'autres armes ceux qui vous attaquent. Opposez à l'orgueilleux la douceur, à l'avare la pauvreté, au voluptueux la continence, à l'envieux la bienveillance, la victoire vous sera facile. Pour revenir à ce que j'ai déjà dit, remarquez la description que le Roi-prophète fait de l'armure du juste après avoir montré la faiblesse de ses ennemis : « Mais le juste qu'a-t-il fait ? » C'est-à-dire comment s'est-il préparé à repousser les efforts de ses ennemis ? Écoutez la réponse du Roi-prophète. «Le Seigneur habite dans son saint temple, le trône du Seigneur est dans le ciel. » Vous voyez comme il fait connaître en peu de mots le secours qu'il attend. Vous demandez ce que le juste a fait ? Il a cherché son refuge en Dieu qui est dans les cieux, et qui remplit tout de son immensité. Il n'a point tendu son arc comme son adversaire, il n'a point à son exemple préparé son carquois, il n'a point disposé en secret ses moyens d'attaque. Ses seules armes contre tous ses ennemis ont été la confiance en Dieu, et il leur a opposé celui qui n'a besoin d'aucun de ces moyens de défense, ni de lieu, ni de temps favorable, ni d'armes, ni d'argent, mais qui fait tout par un seul signe de sa volonté.
Voyez-vous avec quelle facilité Dieu nous prête son invincible appui ? « Ses yeux sont attentifs à regarder le pauvre, ses paupières interrogent les enfants des hommes. Le Seigneur interroge le juste et l'impie; ainsi celui qui aime l’iniquité hait son âme. » Un autre interprète traduit : « Ses paupières éprouvent. » Un autre : « Le Seigneur examine avec soin. » Un autre enfin : « Celui qui aime l'injustice a de la haine pour son âme. » Vous voyez comme Dieu est toujours prêt à voler à votre secours et prompt à vous défendre, comme il remplit tout de sa présence, comme il voit, comme il considère toute chose. Son œuvre de prédilection est, sans même qu'on l'en prie, d'étendre sa providence et sa sollicitude sur les hommes, d’arrêter les efforts de l'injustice et de secourir ceux qui en seraient les victimes, de récompenser la vertu des uns, de punir l'iniquité des autres. Rien donc ne peut lui échapper, et l’immensité de ses regards embrasse la terre tout entière. Il ne se contente pas de voir, il veut encore corriger le mal. C'est ce qu'un autre interprète veut exprimer en l'appelant : « Le Seigneur juste. » Car s'il est juste, il ne peut voir avec indifférence le mal se commettre sous ses yeux.
Il a nécessairement les méchants en horreur, et il approuve la conduite des justes. David ajoute ici ce qu'il a déjà dit dans le psaume précédent, c'est que l'iniquité seule suffit pour perdre celui qui la commet : « Celui qui aime l'iniquité a de la haine pour son âme. » L'iniquité est en effet pour l’âme un ennemi des plus acharnés, des plus dangereux, et qui la menace d'une ruine certaine. Ainsi le pécheur en est-il la victime avant mème d’être livré au supplice. Vous voyez comme le Roi-prophète fait ressortir de toute manière la facilité avec laquelle ses ennemis tombent entre ses mains, grâce au puissant secours qu'il trouve en Dieu; et comment leurs propres armes, qui devaient leur servir de défense, se tournent contre eux et deviennent des instruments de blessures et de mort. Voyez-vous aussi avec quelle promptitude le secours descend du ciel ? Il n'est besoin ni de marcher, ni de courir, ni de faire de grandes dépenses, puisque Dieu est partout et voit tout. « Il fera pleuvoir sur les pécheurs des fléaux auxquels ils n'échapperont pas : le feu le soufre et le vent des tempêtes seront la part de leur calice. » « Car le Seigneur est juste, et il aime la justice, son visage a regardé l’équité.» Suivant un autre interprète : « Il fera pleuvoir des charbons sur les impies. » Suivant un autre : « Leurs yeux verront la droiture, » c'est-à-dire la droiture des justes ou même celle de Dieu.
Comme un grand nombre restent insensibles au châtiment que le vice trouve en lui-même, le Roi-prophète cherche à ébranler l'âme des méchants par une description frappante des supplices que Dieu doit faire tomber sur eux du haut du ciel, et il les leur présente sous des images propres à inspirer l'effroi. Il fera pleuvoir sur eux du haut du ciel le feu, le soufre, le vent des tempêtes, les charbons ardents, expressions figurées dont David se sert pour nous faire comprendre l'impossibilité d'échapper au châtiment, la diversité des supplices, la facilité avec laquelle ils atteindront les coupables, et les perdront sans retour.
3. Que signifient ces paroles : « La part de leur calice ? » C'est-à-dire que ces fléaux seront leur partage, leur possession; ils ne pourront s'y soustraire et ils en seront les tristes victimes. Le Roi-prophète donne ensuite la raison pour laquelle celui qui voit tout ne peut permettre que de semblables crimes restent impunis. Un autre prophète a dit : « Vos yeux sont trop purs pour voir le mal, et vous ne pouvez regarder l’iniquité. » Habac., I, 13. C'est la même raison que donne ici David : « Car le Seigneur est juste, et il aime la justice. » C'est le caractère particulier de Dieu d'aimer et de favoriser la justice, la droiture, et de ne pouvoir souffrir rien de qui leur est contraire. C'est pour cela que David disait en commençant ce psaume : «Je me confie en Dieu, » pourquoi dites-vous à mon âme : « Fuyez sur la montagne comme un passereau ? » En effet, ceux qui placent leur confiance dans les choses de la terre ne sont pas plus en sûreté que le passereau qui espère trouver son salut dans la solitude et qui devient la proie du premier venu. Tel est celui qui met son espérance dans les richesses. De même que le passereau se laisse prendre par les enfants, par la glu, par les filets qu'on lui tend, et par mille autres pièges, ainsi le riche est en butte aux attaques de ses amis et de ses ennemis. Il court même de bien plus grands dangers que le passereau, parce que les honneurs, et surtout les passions vicieuses lui tendent un bien plus grand nombre de pièges. Il vit comme un transfuge perpétuel, il est esclave de toutes les circonstances, redoute la juste sévérité des licteurs, l'indignation du souverain m, la perfidie des courtisans, l'infidélité de ses propres amis. Ses ennemis viennent-ils à l'attaquer, il n'est point d'épouvante semblable à la sienne; est-il en paix, il soupçonne partout des attaques, car les richesses qu'il possède n'ont rien de stable et peuvent facilement lui être enlevées. Aussi, sa vie est-elle une locomotion perpétuelle, une transmigration continue; il parcourt les montagnes et les lieux déserts recherche l'obscurité, en plein midi il se trouve au milieu d'épaisses ténèbres où il trame des desseins pervers. La conduite du juste est bien différente, « car les voies des justes, dit l’écriture, sont brillantes comme la lumière. » Prov., IV, 18. Ils ne s'occupent ni de tendre des pièges, ni de commettre des injustices, et leur âme est toujours en repos. Les méchants, au contraire qui ourdissent sans cesse de nouvelles ruses, sont toujours dans la crainte et dans les ténèbres; semblables aux voleurs, à ceux qui emploient la violence et l'effraction et aux adultères, la crainte qui agite leur âme leur fait voir des ténèbres en plein jour. Or comment dissiper ces ténèbres ? Affranchissez-vous de tous ces obstacles, et attachez-vous étroitement a l’espérance en Dieu, de quelques péchés que vous soyez coupable à ses yeux. « Considérez nous dit l'auteur de l'Ecclésiastique, les générations anciennes, et voyez si un seul de ceux qui ont espéré au Seigneur a été confondu ? » Eccli., II, 11. Il ne dit pas : « Si un juste, » mais : « Si un seul, » fût-ce même un pécheur. Voilà en effet ce qui est admirable, c'est que les pécheurs eux-mêmes qui s'attachent à cette ancre salutaire deviennent invincibles à tous leurs ennemis. Rien aussi ne prouve mieux votre amour pour Dieu, que d'avoir confiance dans sa bonté, lorsque vous êtes accablé de tant de maux. De même que maudit est l'homme qui se confie dans l'homme, par une même raison béni est celui qui se confie dans le Seigneur.
Séparez-vous donc de tout autre appui, et attachez-vous à cette ancre sacrée, car Dieu voit tout et juge avec équité, et il ne se contente pas de juger, il agit en conséquence. Voilà pourquoi le Roi-prophète, après avoir parlé de la justice divine, décrit les châtiments des pécheurs, le feu, le vent des tempêtes. C'est dans l’intérêt des pécheurs qu'il leur met sous les yeux ce tableau, et afin que la perspective du supplice leur inspire une plus grande modération. Pour toutes ces raisons, approchons-nous de Dieu, et tenons sans cesse nos regards attachés sur lui. C'est ainsi que nous mériterons d’être comblés de toute sorte de biens en Jésus-Christ, Notre-Seigneur, à qui est la gloire dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.