Saint Jean Chrysostome
Psaume 41
« Comme le cerf soupire après un courant d’eau vive, ainsi mon esprit soupire après vous Seigneur.»
1.
Pourquoi les psaumes sont-ils récités sous forme de chants ?
Dieu voyant l’indifférence d’un grand nombre d’hommes qui n’ont aucun goût pour la lecture des choses spirituelles, a voulu rendre ce travail plus agréable et leur ôter le sentiment de peine. Il a donc uni à des chants les vérités divines afin de nous inspirer par le charme des mélodies, un goût plus vif pour les hymnes sacrés.
Ainsi les nourrices qui portent les enfants sur leurs bras, vont et viennent fréquemment en les berçant par des chants enfantins.
Les vignerons qui foulent le raisin, les matelots qui actionnent les rames, les femmes elles-mêmes lorsqu’elles tissent et séparent à l’aide de la navette les fils emmêlés de la chaîne, chantent souvent seuls ou en chœur.
Le but étant d’alléger leur peine, car l’âme supporte ainsi mieux les dures fatigues.
Mais Dieu, pour nous prémunir contre les chants voluptueux et lascifs par lesquels le démon nous corrompt et nous perd, nous a donné les psaumes, qui nous charment en même temps qu’ils nous instruisent.
Les chants de notre époque, par les paroles licencieuses et dissolues qu’ils contiennent, s’insinuent dans les replis les plus secrets de l’âme, l’affaiblissent et l’énervent.
Les psaumes spirituels au contraire élèvent l’âme à une éminente sainteté et lui donnent tous les principes de la vraie sagesse.
En voulez-vous la preuve ?
Écoutez ce que dit saint Paul : « ne vous laissez pas enivrer par le vin d’où naît la dissolution, mais remplissez-vous du saint esprit. »
« En chantant du fond de votre cœur à la gloire du Seigneur. » Ephes. V, 18-19.
Qu’est-ce à dire « du fond de votre cœur » ? Avec intelligence. Ne pas prononcer les paroles que de bouche, tandis que l’âme vagabonde se répand sur tous les objets extérieurs.
Chanter avant et après les repas, car c’est le moment que le démon choisit pour nous tendre des pièges, ayant pour auxiliaires dans les festins l’ivresse, les excès de la table, les rires dissolus, le relâchement et la mollesse.
Ainsi l’apôtre Paul menacé d’une sanglante flagellation attaché à un pieu dans un cachot, ne cesse pas, au milieu de la nuit de louer Dieu sans que, ni les inquiétudes, ni la tyrannie du sommeil, ni les fatigues, ni la douleur, puissent le forcer à interrompre leurs douces mélodies.
Nous donc, dont la vie s’écoule dans le calme, dans la joie, dans l’abondance, combien plus devons-nous offrir à Dieu nos chants d’actions de grâces afin que, si l’ivresse ou la sensualité ont laissé quelque trace honteuse dans nôtre âme, la divine psalmodie puisse effacer ces impressions mauvaises et toutes les pensées criminelles !
A l’exemple des personnes riches qui font essuyer leur table avec une éponge pleine de baume, pour la nettoyer de toutes les taches que les aliments auraient pu y laisser, remplissons notre bouche de cette mélodie spirituelle pour qu’elle efface les taches que la sensualité aurait pu y produire.
Et disons tous ensemble : « Vous m’avez rempli de joie dans la contemplation de vos créatures et nous serons rempli d’allégresse en louant les œuvres de vos mains. » Psalm XCI.
Ceux qui invitent à leurs festins les comédiens, les danseurs, les femmes de mauvaise vie, y appellent en même temps le démon et toutes ses cohortes, font de leur maison le théâtre de guerres et de dissensions innombrables (car c’est de là que naissent les jalousies, les fornications, les adultères et une foule d’autres crimes). Ainsi, par une raison contraire, celui qui invite le Roi-prophète avec sa harpe sacrée appelle en même temps Jésus-Christ dans l’intérieur de sa demeure.
Or là où se trouve Jésus-Christ, le démon n’ose entrer ; Que dis-je ? Il n’ose même pas jeter un regard furtif et de cette source coule en abondance la paix, la charité, tous les biens. Ils font de leur maison un théâtre, faites de la vôtre une église. Car on peut ainsi appeler la maison qui est sanctifiée par le chant des psaumes, par la prière, par le chœur des prophètes, par la ferveur et la charité.
La seule condition exigée est une âme sachant modérer ses appétits sensuels, un esprit attentif, un cœur contrit, une raison bien affermie, une conscience pure.
Le lieu, le temps sont indifférents, pour chanter intérieurement les divins cantiques. Vous vous promenez sur la place publique, vous êtes en voyage ou au milieu de vos amis, qui vous empêche de proposer à votre âme des chants intérieurs qui peuvent s’exécuter en silence ?
C’est ainsi que Moise criait vers Dieu, et Dieu l’écoutait. Il n’est point besoin de parler, la voix intérieure suffit car ce n’est pas pour les hommes que nous chantons c’est pour Dieu qui entend la voix du cœur et pénètre dans les replis les plus secrets de notre âme.
St Paul : « celui qui sonde les cœurs sait quels sont les désirs de l’Esprit, parce qu’il demande pour les saints ce qui est selon Dieu. » Romains VIII, 26-27.
Mon âme soupire auprès de vous, mon Dieu. Il est courant pour ceux qui aiment, de ne pas tenir cet amour secret, mais de faire connaître à ceux qui les entourent l’ardeur dont ils sont embrasés.
Cf. St Paul aux Corinthiens : « O Corinthiens ma bouche s’ouvre vers vous. » I Corinth. VI, 11.
De même le saint roi David ne peut se résoudre à taire l’amour qu’il a pour Dieu et qu’il exprime en ces termes : « De même que le cerf soupire... »
C’est ce même sentiment qui lui fait dire ailleurs : « je vous cherche dès l’aurore ; mon âme brûle d’une soif ardente pour vous comme une terre déserte, aride, et sans eau. » Psalm. LXII.
Apprenons ainsi de lui à aimer Dieu. Et ne venez pas me dire : comment puis-je aimer Dieu, que je ne vois point ?
Car combien de personnes aimons-nous sans les voir, nos amis, nos enfants, nos parents. Or loin que leur absence soit un obstacle à notre amour pour eux, elle ne le rend que plus vif et plus ardent.
C’est ce qui faisait dire à saint Paul parlant de Moïse, qu’il avait renoncé aux trésors et aux richesses, à la splendeur du trône et à tous les honneurs que pouvait lui offrir l’Egypte, aimant mieux être affligé avec le peuple de Dieu. C’est parce que, nous dit l’apôtre, il sacrifiait à Dieu tous ses avantages terrestres.
« Il demeura ferme et constant comme s’il avait vu l’Invisible. » Hébr. XI, 25-27.
Vous ne voyez pas Dieu, mais vous voyez ses créatures, vous voyez ses œuvres : le ciel la terre et la mer.
La seule vue d’un objet appartenant à la personne qu’on aime sa chaussure, ses vêtements ou quelque autre chose de semblable, ravive l’affection qu’on a pour elle. Vous ne voyez pas Dieu, mais vous voyez ses serviteurs, ses amis, je veux dire les saints et tous ceux qui mettent en lui leur confiance. Ayez pour eux une affection respectueuse et vous y trouverez une grande consolation au désir que vous avez de voir Dieu.
Dans le commerce ordinaire de la vie, nous aimons non seulement nos amis mais aussi les personnes qui leur sont liées. Si l’un de vos amis vous dit : j’aime cette personne et regarde comme fait à moi tout le bien qu’on peut lui faire, n’est-il pas vrai que nous mettons tout en œuvre, que nous déployons tout notre zèle pour lui être utile comme s’il s’agissait de notre ami lui-même ? Or nous pouvons donner cette preuve de notre amour pour Jésus-Christ. Il nous dit : j’aime les pauvres et je tiendrai compte de tout le bien qui leur sera fait comme s’il était fait à moi-même.
Consacrons donc tous nos soins à les honorer, à les servir. Faisons plus, versons dans leur sein tous les biens que nous possédons, convaincus que dans leur personne, c’est Dieu même que nous avons l’honneur de nourrir.
Trois choses sont susceptibles de nous inspirer l’amour : la beauté, la grandeur des bienfaits et l’affection qu’on nous témoigne. Or Dieu possède ces 3 titres à notre amour.
Et d’abord la beauté de cette nature bienheureuse et immortelle est une perfection infinie que rien ne peut surpasser, qui échappe à tout discours comme à toute pensée. Mais gardons-nous de croire que cette beauté ait rien de matériel, c’est une gloire toute spirituelle et une magnificence ineffable.
Le prophète veut nous donner une idée de cette beauté : « Des séraphins étaient autour du trône, de deux de leurs ailes ils voilaient leur face, de deux autres ils voilaient leurs pieds, et des deux dernières ils volaient. Et ils criaient : saint, saint, saint. » Isaie VI 2-3.
Étonnés, ravis par tant de gloire.
David lui-même s’écrie dans l’admiration où le jette la contemplation de la gloire : « Ceignez votre glaive à votre côté, vous qui êtes le Tout-puissant ; revêtez vous de votre gloire et de votre majesté. »
C’est encore ce qui faisait dire à l’apôtre Philippe : « Montrez-nous le Père et cela nous suffit. »
Et quoi que nous puissions dire, nous ne pourrons jamais donner, même une idée faible et imparfaite de cette immortelle beauté.
Voulez-vous du moins que nous énumérions ses bienfaits ?
La parole est également impuissante.
Car « L’œil n’a point vu, l’oreille n’a point entendu, et le cœur de l’homme n’a jamais compris ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment. » I Cor.
Et dans un autre endroit : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu, que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables ? » Rom.
Voulez-vous connaître comment Dieu exprime cet amour ardent qu’il a pour nous, écoutez ce qu’il dit par son prophète : « Une mère peut-elle oublier son enfant et n’avoir point pitié du fruit de ses entrailles ? Mais quand elle l’oublierait moi je ne vous oublierai jamais. » Isa. XLIX, 15.
Et Jésus-Christ semble rivaliser avec David lorsqu’il dit : « Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes, et tu ne l’a pas voulu ! » Matthieu. XXIII, 37.
Ou bien David : « Comme un père s’attendrit pour ses enfants, ainsi le Seigneur a pitié de ceux qui le craignent. » Psalm. CII,13.
Mais l’amour qu’il a pour nous est bien plus ardent que tout amour purement naturel.
Puisque rien n’est plus puissant pour établir une amitié vive et constante entre les hommes que le souvenir des bienfaits qu’ils ont reçus, considérons en nous-mêmes tout ce qu’il a fait pour nous, le ciel, la terre, la mer, l’air. Tout ce que la terre contient, les arbres, les fleurs, les animaux, les astres, le soleil, la lune, l’éclat de la lumière, l’ordre admirable des saisons, la succession du jour et de la nuit.
C’est lui qui a répandu en nous un souffle de vie, nous a donné l’intelligence et revêtus d’un empire presque absolu sur les créatures.
Il nous a délégué les anges, envoyé les prophètes, et après eux son Fils unique. Et après tant de bienfaits, il ne cesse de nous exhorter à travailler à notre salut.
« Son amour ne s’est pas arrêté là, il a fait asseoir les prémices de votre nature au-dessus de toutes les principautés, de toutes les puissances, de toutes les vertus et de tout ce qu’il y a de plus grand, soit dans le siècle présent, soit dans le siècle futur. » Ephes. I 21.
C’est donc maintenant que nous pouvons nous écrier en toute vérité : « Qui pourra raconter la puissance du Seigneur, qui pourra publier les louanges qui lui sont dues ? » Psalm CV, 2.
Que peut-on imaginer de plus glorieux que de voir les prémices de notre nature, qui s’était rendue coupable de tant de crimes, qui s’est déshonorée par tant d’actes ignominieux, élevée à cette hauteur et environnée d’une gloire si éclatante ?
Ne vous contentez pas de méditer ces bienfaits qui vous sont communs avec tous les hommes, repassez dans votre esprit ceux qui vous sont personnels, comme par exemple d’être sortis victorieux d’une action calomnieuse, d’avoir évité les pièges que les voleurs vous avaient tendus au milieu d’une nuit obscure, d’avoir échappé au dommage qu’on voulait causer à votre fortune, d’avoir guéri d’une maladie grave.
Rappelez-vous les bienfaits que vous avez reçus de Dieu au cours de votre vie et vous constaterez qu’ils sont innombrables. Et si Dieu voulait nous remettre sous les yeux toutes les grâces dont il ne cesse de nous combler, sans que nous y pensions, sans même que nous le sachions, nous ne pourrions pas seulement les énumérer. Que de démons sont répandus dans les airs ! Combien de puissances ennemies ? Or si Dieu leur permettait seulement de nous montrer leur affreuse et horrible figure, ne serions-nous pas saisis de crainte et d’épouvante et comme frappés de mort ? A cette considération, joignons la pensée des péchés volontaires ou involontaires que nous avons commis (car c’est encore une grâce signalée de Dieu qu’il ne tire pas tous les jours vengeance de nos péchés) et nous y trouverons un nouveau motif de l’aimer. Considérez que si Dieu eut voulu vous infliger chaque jour le châtiment que méritaient vos péchés il y a longtemps que vous auriez cessé d’exister. Comme l’atteste le Roi-prophète : « Si vous examinez Seigneur nos iniquités, qui pourra subsister devant vous ? » Psalm. CXXIX, 3.
Il n’est pas inutile de rechercher pourquoi David choisit le cerf car celui-ci est souvent altéré, et court fréquemment vers les sources d’eau vive et s’il est ainsi altéré, c’est parce qu’il dévore des serpents et se nourrit de leur chair.
Nourrissez-vous du serpent spirituel, abattez à terre le péché, et alors vous pourrez éprouver la soif du désir de Dieu.
De même qu’une conscience criminelle rend notre âme impure, ainsi lorsque nous aurons remporté une victoire complète sur nos péchés, elle pourra s’ouvrir à des désirs spirituels, invoquer Dieu avec ferveur, et chanter non seulement de bouche mais par toutes ses actions, les paroles du Roi-prophète. Gardez-vous de croire que vous entrez ici uniquement pour réciter des paroles ; en chantant les cantiques inspirés du prophète vous contractez un véritable engagement.
Si donc au sortir de ce lieu, une femme de mauvaise vie vous attire par l’appât séducteur de sa beauté, dites lui : je ne puis vous suivre, j’ai fait un pacte avec Dieu et en présence de mes frères, des prêtres, des docteurs, j’ai déclaré et promis en chantant ces paroles que j’aimais Dieu, que je soupirai vers lui comme le cerf après les sources d’eau vive.
Et si vous voyez de l’argent étalé sur la place publique, des vêtements brochés d’or, des hommes s’avançant fièrement suivis d’une foule de serviteurs, et conduits par des chevaux ayant des freins dorés, ne vous laissez pas impressionner par cette pompe mais dites à votre âme : comme le cerf soupire après les sources d’eau vive, ainsi mon âme soupire après vous mon Dieu.
Ceux donc qui aiment Dieu d’un amour digne de lui, pourront -ils encore être sensibles à ce que les hommes appellent prospérité ou revers de fortune ?
Qu’ils soient dans la pauvreté, dans l’ignominie, dans les chaînes, dans les tribulations, en proie à des maux extrêmes, ils estimeront leur sort préférable à celui des rois parce qu’ils goûtent cette consolation vraiment admirable de souffrir pour celui qu’ils aiment.
Voilà pourquoi saint Paul, au milieu des dangers qui menaçaient continuellement sa vie, dans les prisons, les naufrages, lorsqu’il était battu de verges, victime de mille persécutions, tressaillait d’allégresse et se glorifiait de ses souffrances: « Non content de nous glorifier dans l’espérance de la gloire des enfants de Dieu, nous nous glorifions encore dans nos afflictions. » ROM. V, 2-3.
Et dans un autre endroit : « Jésus-Christ nous a donné la grâce non seulement de croire en lui, mais encore de souffrir pour lui. » Phillip. I, 28.
Ce n’est pas seulement ce verset de David que les fidèles chantent ensemble, mais les paroles qui suivent nous font connaître l’étendue de son amour : « Mon âme a soif du Dieu fort et vivant ; quand viendrai-je, et quand paraîtrai-je devant la face de Dieu ? »
Il ne dit pas mon âme aime Dieu, mais pour mieux exprimer la vivacité de son amour, il le compare au besoin de la soif, car ce n’est pas pendant un jour ou quelques jours seulement que nous éprouvons ce besoin mais pendant toute notre vie.
Toutes les choses de cette vie ont une durée éphémère et avant même qu’elles aient frappé nos regards, elles ont cessé d’exister.
L’amour des biens spirituels est tout différent et ne connaît ni la vieillesse, ni les effets de la vétusté.
Ceux qui ont les richesses en partage et occupent des positions brillantes sont facilement accessibles au trouble, tandis que ceux qui préfèrent l’amour de la religion et l’étude de la sagesse supportent courageusement le poids de l’adversité.