Saint Jean Chrysostome
Homélie 67 sur la Genèse
Et Israël dit à Joseph : Voilà que je meurs. Et Dieu sera avec vous, et il vous ramènera de cette contrée dans la terre de vos pères. Et je te donne de plus qu'à tes frères la part que j'ai conquise sur les Sichémites par mon arc et par mon épée.
1. Quoique nous nous fussions promis naguère d'épuiser l'histoire de Jacob, le discours s’est tellement prolongé que nous n'avons pu exécuter jusqu'au bout notre dessein. Ce que je me propose aujourd'hui, c'est de vous expliquer ce que nous avons dû laisser de côté, et maintenant, si Dieu le permet, de terminer ce sujet. Mais auparavant il sera bon de rappeler à votre charité et de préciser le point où nous avons suspendu le discours et arrêté notre instruction.
Vous vous souvenez sans doute que Jacob, au moment de bénir les enfants de Joseph, fit passer Ephraïm avant Manassé, et qu'il répondit à l'honneur du père en ces termes : « Je le sais mon enfant; celui-ci sera également le chef d'un peuple, et il grandira beaucoup. Néanmoins son jeune frère sera plus grand que lui et sa postérité constituera des peuples nombreux. Et il les bénit en ce jour, et dit : En vous on bénira Israël, et l'on dira : Que Dieu vous traite comme Ephraïm et Manassé. Et il mit EphraÏm avant Manassé. »Genes., XLVIII, 19-20. Nous étions arrivé jusqu'à ce passage, et c'est là que nous avons interrompu notre explication, pour ne pas surcharger votre esprit : examinons-en la suite aujourd'hui, si vous le voulez bien.
« Et Israël dit à Joseph : Voilà que je meurs; et Dieu sera avec vous, et il vous ramènera de cette contrée dans la terre de mes pères. Et je te donne de plus qu'à tes frères la part que j’ai conquise sur les Sichémites par mon arc et par mon épée. » Ibid., 21-22. Après avoir béni les enfants et, devançant l'avenir, mis le jeune avant l'aîné, le saint Patriarche, pour con vaincre Joseph de l'esprit prophétique qui a inspiré et motivé sa conduite, prédit sa propre mort prochaine , le retour certain de sa race dans la terre de Chanaan, contrée qu'avaient habitée leurs pères, et lui donne des espérances propres à tempérer les ennuis de l'attente; car il n’est rien, pour adoucir les peines de la vie, de comparable à l'espérance. En même temps, il lui laisse à ses derniers moments une nouvelle preuve de sa tendresse. «Je te donne, lui dit-il, de plus qu'à tes frères, la part que j'ai conquise sur les Sichémites.» Compte sur l'accomplissement de ma parole : oui, vous reviendrez, ainsi que je vous l'annonce, dans la terre de vos pères, vous en serez les possesseurs; et la preuve c'est que je te donne en partage la ville de Sichem, de préférence à tes frères, « cette ville que j'ai conquise sur les Amorrhéens par mon arc et mon épée.» Que signifie ce langage ? Qu'il s'attribue à lui-même les actes de Siméon et de Levi envers les Sichémites, et voilà pourquoi il parle de ce qu'il a pris « par son arc et son épée.» Mais pour quelle raison, demandera-t-on ici fort à propos, Jacob s'attribue-t-il un acte que bientôt, dans ses dispositions dernières, il reprochera ouvertement à ses enfants? - Ce n'est point une contradiction du juste; c'est de sa part un acte de mansuétude; car Sichem avait été attaquée contre sa volonté, et, loin d'être satisfait de cette attaque, le saint Patriarche en avait reproché à ses fils l'accomplissement. Si, pour donner à Joseph une preuve nouvelle de son amour, il lui cède Sichem qu'il a prise par son arc et par son épée, il veut dire que Sichem est en sa puissance encore que ses fils l'aient conquise; car, si le père est le maître de ses enfants, à plus forte raison l'est-il de ce qu'ils possèdent; s'il en est le maître, il sera libre d'en disposer comme il l'entendra. Ainsi, comme témoignage de sa prédilection pour Joseph, Jacob non seulement bénit Ephraim et Manassé, mais de plus il lui laisse à lui-même Sichem à titre d'héritage choisi. «Et Jacob appela ses enfants et leur dit: Rassemblez-vous, que je vous fasse connaître ce qui doit vous arriver dans les derniers temps. Réunissez-vous et prêtez l'oreille à Israël votre père. » Genes., XLIX, 1-2.
Telle est l'intelligence de ce juste que, prévoyant l'heure de sa mort, il mande auprès de lui ses enfants, et leur dit : «Rassemblez-vous, que je vous fasse connaître ce qui doit vous arriver dans les derniers temps. Réunissez-vous et prêtez l'oreille à Israël votre père. » Venez apprendre de ma bouche, non pas le présent, non pas ce qui doit prochainement arriver, mais les événements des derniers jours. Si je vous les manifeste, ce n'est pas de moi même; j'obéis au souffle de l'Esprit, et voilà comment je vous prédis des faits dont les générations les plus reculées verront seules l'accomplissement. Au moment de quitter la terre, je veux en graver le souvenir dans vos âmes comme sur une colonne d'airain. - Considérez donc le saint Patriarche signifiant, suivant l'ordre de leur naissance, à ses enfants rassemblés, la bénédiction ou la malédiction qui leur revient, et montrant de la sorte l'excellence de sa propre vertu. « Ruben, dit-il, en commençant par le premier, Ruben, tu es mon premier-né, tu es ma force et le commencement de mes enfants. Tu es rude à supporter, tu es rude et présomptueux. » Ibid., 3.
Admirez la sagesse du juste. Il se propose de présenter dans toute sa gravité le crime de Ruben. A cet effet, il commence par énumérer les droits que ce fils tient de la nature, la primauté dont il jouit, étant le premier des enfants de Jacob, et la dignité que lui confère sa qualité de fils aîné. Ce n'est qu'ensuite qu'il grave en quelque manière ses crimes sur l'airain, montrant par là que les privilèges de la nature ne servent de rien là où ne se présentent pas les œuvres de la vertu, ces œuvres qui seules nous rendent dignes de louange ou de blâme. « Tu es rude à supporter, tu es rude et présomptueux. » Les privilèges que tu avais reçus de la nature , tu les a perdus par ton libertinage. - Et aussitôt il spécifie sa faute, et l'action qu'il va lui reprocher de la façon la plus formelle, il en fait une leçon propre à prémunir les générations à venir contre de semblables attentats. « Tu m'as outragé, et tu resteras froid comme l'eau; car tu es monté sur le lit de ton père, et tu as souillé sa couche. » Il parle des relations criminelles de Ruben avec Balla. Ibid. 4.
2. Voyez comment, en vertu des lumières qu'il reçoit de l'Esprit de Dieu, la défense que Moïse devait intimer dans ses lois à tout enfant, de n'avoir pas de rapports avec la même femme que son père, le saint Patriarche la proclame dans les reproches qu'il adresse à son fils. a Tu as souillé la couche de ton père, » en montant dans son lit, lui dit-il: aussi, parce que tu m'as outragé de la sorte, tu resteras froid comme l'eau. Tu ne retireras aucun avantage de ton audace à souiller, sans respect aucun, la couche de ton père. - De crainte que cet exemple n'eût dans les siècles à venir des imitateurs, l'Esprit saint a permis qu'il fût flétri et consigné dans un livre, de façon à ce que tous les hommes qui en seraient instruits fussent bien persuadés que les avantages de la nature ne leur seraient d’aucune utilité sans les mérites de la volonté. Ayant suffisamment stigmatisé par ce langage l'attentat de Ruben, Jacob s'occupe de Siméon et de Levi. « Siméon et Levi, leur dit-il, ont mis à exécution l'iniquité de leur cœur. » Ibid., 5. La querelle qu'ils avaient suscitée à l'occasion de leur sœur, il la qualifie d'iniquité. Il déclare ensuite qu'ils avaient agi à son insu. « Que mon âme ne prenne point de part à leur conseil; que mon cœur ne s'établisse point dans leurs assemblées.» Ibid., 6. Loin de moi la pensée d'approuver leur dessein, de les suivre dans leurs injustes procédés. « Car, dans leur fureur, ils ont versé le sang de leurs semblables. » Leur courroux a été criminel; et, bien que Sichem fût coupable, ils n'auraient pas dû faire de la ville entière un carnage horrible. « Dans leur vengeance, ils ont enlevé au taureau sa vigueur.» Ibid. Il désigne sous cette figure le fils d'Emmor, parce qu'il était alors dans la force de la jeunesse. Leur crime ainsi caractérisé, le saint Patriarche le maudit en ces termes : «Maudite soit leur fureur, parce qu'elle a été cruelle; et leur colère, parce qu'elle s'est prolongée.» Ibid., 7. Il fait allusion au stratagème dont ils usèrent pour assaillir leurs victimes. Cruelle a été leur fureur, sans mesure et sans raison. « Et leur colère, parce qu'elle s'est prolongée. » C'est au moment où les Sichémites comptaient sur leur amitié que les fils de Jacob les accablèrent de leur courroux et les traitèrent en ennemis. En même temps qu'il détermine leur péché, Jacob leur prédit le châtiment par lequel ils auront à l'expier. « Je les diviserai dans Jacob et je les disperserai en Israël. » Ils se répandront en tout lieu, peine manifeste à tous les yeux de l'attentat dont ils se sont rendus coupables.
« Juda, tes frères te loueront. » Ibid., 8. La bénédiction conférée à Juda présente un caractère mystérieux et nous prédit tout ce qui regarde le Christ. « Juda, tes frères te loueront. » Comme il était décrété par la Providence que le Sauveur naîtrait dans cette tribu, le saint Patriarche, éclairé par le divin Esprit, prophétise à l'occasion de Juda, avec la descente du Seigneur parmi les hommes, le mystère de la rédemption, la croix, la sépulture, la résurrection, en un mot, l'histoire complète du Sauveur. «Juda, tes frères te loueront; tes mains s'appesantiront sur le dos de tes ennemis; et les fils de ton père t'adoreront. » Par où il annonce à ses frères qu'ils devront lui être soumis : « Juda est un jeune lion. Tu t'es élevé sur ta tige, à mon fils. Ibid., 9. Cette prophétie concerne la royauté du Christ. Toujours, en effet, l’Écriture se sert de la métaphore du lion pour désigner le pouvoir royal. « Tu t'es couché et tu as dormi comme le lion et comme le petit du lion. Qui le réveillera ? » Allusion à la croix et à la sépulture. « Qui le réveillera ? » Personne n'oserait troubler le sommeil du lion ou de son petit; de là ces mots : « Tu as dormi comme le lion et comme le petit du lion. Qui le réveillera ? » Le Christ a dit: «J'ai le pouvoir de livrer ma vie, et j'ai celui de la reprendre. » Joan., X 18. Jacob détermine également l'époque à laquelle, conformément au décret providentiel, le Sauveur devait venir. « Le sceptre ne sortira pas de Juda, ni le prince de sa postérité jusqu'à ce que vienne celui auquel il est réservé; et celui-là sera l'attente des nations. » Genes., XLIX, 10. La nation et la royauté juives dureront jusqu'à sa venue. Expression très juste que celle-ci, « jusqu’à ce que vienne celui auquel il est réservé, » auquel est réservée la royauté. C'est pourquoi « il sera l'attente des nations. » C'est la prophétie claire de la vocation des Gentils au salut. « Et il sera l'attente des nations : » les nations soupirent après sa venue. « Il liera son ânon à la vigne, et au sarment le petit de son ânesse. » Ibid.,11.
Cette figure nouvelle désigne encore la conversion des Gentils. Car l'âne étant un animal en quelque manière impur, le Prophète tient ce langage : Ces nations impures seront ramenées aussi aisément que l'on attache un âne à une vigne. Il fait allusion à la fois à l’excellence de l'autorité qui les ramènera, et à l'obéissance admirable des Gentils. En effet, il faut à l’âme beaucoup de patience pour souffrir qu'on l'attache à un sarment. Du reste, le Sauveur compare sa doctrine à la vigne : « Je suis la vigne véritable, dit-il, et mon père en est le cultivateur. » Joan., XV, 1. Sous la figure du sarment Jacob désigne la facilité des préceptes et le caractère élémentaire de la loi, présageant déjà l’incrédulité des Juifs comparés aux Gentils. « Il lavera sa tunique dans le vin, et son manteau dans le sang du raisin. »
3. Remarquez ces paroles dont la portée s'étend à tout le mystère : les initiés comprennent ce dont je veux parler. « Il lavera sa tunique dans le vin. » La tunique désigne, à mon sens, le corps qu'il a daigné prendre pour notre salut. Et, pour que vous sachiez ce qu'il entend sous le nom de vin, il ajoute aussitôt : « Et dans le sang du raisin son manteau. » Le terme employé ici ne laisse aucun doute sur la croix, sur l'immolation, et sur l'économie des mystères dont il veut nous parler. « Ses yeux sont plus brillants que le vin, et ses dents plus blanches que le lait. » Genes., XLIX, 12. Cette nouvelle métaphore du vin et des yeux a pour but de nous instruire de sa gloire. « Et ses dents plus blanches que le lait. » C'est l'image de l'équité et de la splendeur du juge : cette figure signifie évidemment qu'il en sera de l'éclat du jugement comme de l’éclat naturel aux dents et au lait. « Zabulon, continue Jacob, habitera le rivage de la mer, et il demeurera près du port où abordent les navires, et il s'étendra jusqu'à Sidon: » Ibid.,13. A Zabulon aussi il fixe par avance le lieu de son domicile, et il lui prédit qu'il s'étendra jusqu'à Sidon. « Issachar a désiré le bien, tout en se reposant au milieu de son héritage. Voyant que le repos est bon et la terre fertile, il a soumis son épaule aux fardeaux et il est devenu cultivateur. Ibid., 14-15. Il le félicite d'avoir choisi le travail de la terre et d'avoir préféré à toute autre cette condition. « Dan jugera son peuple comme une seule tribu en Israël. Dan sera semblable au serpent caché dans la voie, étendu sur le sentier et mordant le sabot du coursier; et le cavalier tombera en arrière, attendant le salut du Seigneur. » Ibid., 16-17.
C'est une chose étrange et digne d'admiration de voir ce saint Patriarche lire dans l'avenir des yeux de l'esprit, et prédire à ses enfants ce qui devait leur arriver; car ce qu'il leur annonce se rapporte à un temps fort éloigné. « Pour Gad, poursuit-il, l'épreuve l'assaillira; et il renversera son ennemi à ses pieds. Le pain d'Aser sera bon, et il donnera leur nourriture aux puissants. Nephthali est un rejeton vigoureux dont les rameaux se déploient avec beauté. »Ibid., 19-21.
Après cette mention rapide des frères de Joseph, il vient à ce dernier et s'exprime ainsi : Joseph est un fils puissant, jalousé; Joseph est un fils puissant, mon fils le plus jeune. » Dès le berceau tu as été en butte à l'envie. « On s’est concerté contre lui, et on l'a outragé. » Ibid.. 22-23. Allusion au complot tramé par ses frères. Ce que l’Écriture disait peu auparavant d’une dénonciation calomnieuse présentée à Jacob contre Joseph, le père le répète en cet endroit : « On s'est concerté contre lui, et on l'a outragé; ils ont dirigé sur lui leurs flèches, ces possesseurs d'arcs et de carquois;» expression relative à leurs projets sanguinaires. « Et leurs ares ont été violemment brisés. » Ibid., 24. Il vient de mentionner leurs attentats contre Joseph; il en précise maintenant le résultat. « Et leurs arcs ont été brisés; et les nerfs de leurs bras et de leurs mains ont été rompus. » Ibid. Ils ont bien essayé de te mettre à mort, et de leur côté ils se sont en effet souillés de ce crime; néanmoins leurs arcs ont été brisés et leurs nerfs ont été rompus. Comment n'en eût-il pas été ainsi, quand ils entendirent ces mots sortir de la bouche de Joseph : « Je suis Joseph, votre frère, que vous avez vendu pour l’Égypte ?» Genes:, XLV, 3. Alors surtout, oui alors leurs nerfs furent rompus, «par la main du Dieu puissant de Jacob. Car celui qui t'a fortifié, c'est le Dieu d'Israël ton père ; c'est mon Dieu qui t'a prêté assistance. » Ibid., XLIX, 24-25.
Quelle tendresse dans le juste pour le Seigneur ! Le Souverain de l'univers, il l'appelle son Dieu à lui, non pour limiter la puissance divine, non pour lui soustraire l'empire de toute chose, mais pour manifester son amour. « Et il t'a béni de la bénédiction du ciel, de la bénédiction d'en haut; » car il ne s'est pas borné à te venir en aide. « Il t'a donné les bénédictions de la terre avec tout ce qu'elle renferme, les bénédictions des mamelles et des entrailles, les bénédictions de ton père et de ta mère. Et les bénédictions l'emporteront sur celles des montagnes impérissables, et sur les désirs des collines éternelles. »Ibid., 25-26. Le saint Patriarche fait ici allusion à la gloire et à la splendeur temporelles, et au gouvernement de l’Égypte; les montagnes et les collines sont, dans sa prophétie, le symbole de l’élévation et de la force, et rappellent le haut degré de puissance auquel Joseph était monté. « Ces bénédictions resteront sur la tête de Joseph et sur le front de tes frères dont tu es le prince.» Ibid. Elles seront sur ta tête. « Benjamin est un loup ravisseur; le matin il dévore sa proie, et le soir il partage ses dépouilles. » Ibid., 27. Ce que prédit ici Jacob se rapporte à un temps éloigné, à savoir que Benjamin rappellera le loup par ses fureurs, ravissant, immolant et exerçant des milliers de ravages. Jacob ayant donné à chacun de ses fils sa bénédiction prophétique, l’Écriture conclut en ces termes : « Et il les bénit l'un après l'autre des bénédictions propres à chacun d'eux. » lbid., 28. Il découvrit à chacun ce qui l'intéressait et ce qui devait arriver en chaque tribu. Quand il leur eut ainsi communiqué les instructions qu'il recevait de l'Esprit divin, il ajouta :«Pour moi, je vais me réunir à mon peuple, et vous m'ensevelirez avec mes pères. » Ibid., 29.
4. Cette prescription du saint Patriarche fut extrêmement douce à leur cœur. Ils songeaient en effet, qu'il ne leur eût jamais parlé delà sorte s'il n’eut su à n'en pas douter leur retour futur, leur délivrance de la servitude d’Égypte. Après cela Jacob désigne le lieu de sa sépulture. Vous m'ensevelirez, leur dit-il, « dans la caverne située au milieu du champ d'Ephron de Chet. Et, quand il eut dit ces choses, il ne recommanda plus rien à ses fils. Et Jacob souleva ses pieds sur sa couche, et il expira, et il fut réuni à son peuple Ibid. , 32-33. Jusque dans la mort du saint Patriarche vous remarquerez des circonstances vraiment merveilleuses. Dès qu'il eut signifié à ses enfants ses dernières volontés, « il soulève ses pieds sur sa couche,» comme s'il était heureux du trépas qui survenait. Ayant donc tout ordonné «il souleva ses pieds, » il les étendit, et il expira : à savoir, il termina sa vie : « et il fut réuni à son peuple. Et Joseph se précipita sur le visage de son père, et il le baigna de ses larmes, et il le baisa. » Voyez-vous sa tendresse filiale, son ardent amour ? Jacob n'eut pas plus tôt rendu l'esprit que « Joseph se précipita sur son visage, et il le baigna de ses larmes, et il le baisa. »
Ensuite, il s'empressa de faire exécuter les dernières volontés de son père. « Et il ordonna aux ensevelisseurs d'ensevelir son père; et il le pleura quarante jours, et l’Égypte entière soixante-dix jours. » Genes., L, 1-3. Ces devoirs remplis, il communiqua à Pharaon et à ses officiers les ordres qu'il avait reçus du saint Patriarche. « Mon père, leur dit-il, m'a fait jurer, disant : tu m'enseveliras dans le sépulcre que je me suis creusé dans la terre de Chanaan. Maintenant que donc j'irai ensevelir mon père, et je reviendrai. »Ibid., 5. Il est convenable que je remplisse ses volontés. Du reste, je m'empresserai de revenir dès que je les aurai exécutées. - Pharaon lui accorda sa demande. « Et Joseph monta pour aller ensevelir son père, et tous les serviteurs de Pharaon montèrent avec lui. Et ils laissèrent leur famille, leurs bœufs et leurs brebis. Et avec lui montèrent des chars et des cavaliers; et ce fut une troupe extrêmement nombreuse.» Ibid., 7-9. Quel dévouement et quel honneur pour Joseph de la part des Égyptiens ! Et ils accompagnèrent Joseph en grande multitude.« Arrivés en un certain lieu, ils célébrèrent le deuil de Jacob avec grand éclat. Et Joseph célébra les funérailles de son père durant sept jours. Et les habitants de Chanaan le virent, et ils dirent : Il y a un grand deuil chez les Égyptiens. C'est pourquoi l'on nomma ce lieu, qui est au-delà du Jourdain, deuil des Égyptiens.» Ibid, 10-11.
Pour vous, mon bien-aimé, n'écoutez pas et ne traitez pas ces faits sans réflexion : songez plutôt à l'époque où ils se sont accomplis, et n'incriminez en rien Joseph. Les portes de l'enfer n'avaient pas encore été brisées, les liens de la mort n'avaient pas été rompus, on n'appelait pas encore la mort un sommeil. On craignait la mort en ces temps; et voilà pourquoi on se livrait à ces pratiques. Maintenant, grâces à Dieu, la mort n'est plus qu'un sommeil, le trépas qu'un repos; maintenant nous avons des gages nombreux de la résurrection, et en conséquence nous nous livrons à la joie et à l'allégresse, comme destinés à passer d'une vie dans une autre. Que dis-je, d'une vie dans une autre ? D'une vie misérable dans une vie bien meilleure, d'une vie temporelle dans une vie éternelle, de la vie de la terre dans la vie du ciel. - Quand tout cela fut terminé, « Joseph retourna en Égypte, et avec lui ses frères, et tous ceux qui étaient montés au même endroit que lui. » Ibid., 14. Mais voici que la frayeur envahit l'âme des frères de Joseph, et que la crainte ébranla leur cœur. « Dès que les frères de Joseph virent que leur père était mort, ils dirent : Peut-être Joseph va se souvenir de notre crime, nous traiter comme nous l'avons traité lui-même, et nous punir des maux que nous lui avons faits. » Ibid., 15. La terreur jette le trouble dans leur esprit; la conscience les aiguillonne, et ils ne savent à quoi se résoudre. C'est pourquoi, dès que leur père eut rendu le dernier soupir, dans la crainte que Joseph ne tirât une juste vengeance de leur conduite à son égard, « ils vont le trouver et lui disent : Votre père nous a fait jurer avant de mourir, disant : Dites à Joseph : Pardonnez-leur l'iniquité et le crime qu'ils ont commis. » Ibid., 16. Remarquez une fois encore les frères de Joseph devenus leurs propres accusateurs, tant la voix du remords est puissante !
Vous convenez donc d'avoir fait le mal et agi avec perversité ? « Et maintenant, pardonne cette justice aux serviteurs du Dieu de ton père. » Voyez-vous comment, sans que personne les y contraigne, ils s'accusent eux-mêmes en ces termes : « Votre père vous a dit : Pardonne-leur les maux qu'ils t'ont faits; oublie cette injustice des serviteurs du Dieu de ton père ? » Mais bien loin de garder quelque souvenir de la conduite de ses frères, cet admirable et parfait jeune homme ne put entendre leurs paroles sans en être ému. « Et Joseph, dit l'écrivain sacré, pleura tandis que ses frères lui parlaient. Et ils vinrent, et ils lui dirent : Nous voici, nous vos serviteurs. » Ibid., 17-18. Que la vertu a de puissance, qu'elle est forte et redoutable, et combien d'autre part l'iniquité a de faiblesse ! Après des souffrances sans nombre, voilà Joseph sur le trône; tandis que ses frères, les auteurs de ses maux, sollicitent la grâce de servir celui qu'ils avaient réduit en esclavage.
5. Apprenez cependant la clémence de Joseph envers ses frères et le soin avec lequel il s’applique à les consoler et à leur faire oublier leur faute passée. « Ne craignez rien, leur dit-il, car Dieu pour moi est tout. Vous avez fait le mal contre moi, et Dieu m'a préparé le bien, et il a disposé les choses comme vous les voyez aujourd’hui, afin que des peuples nombreux fussent sauvés de la famine. » Ibid.,19-20. Point de frayeur ni d'angoisses. « Dieu pour moi est tout; » c'est lui que je m'efforce d'imiter en comblant de bienfaits ceux qui ont machiné le mal contre moi. « Car Dieu pour moi est tout.» Et, pour leur montrer avec quelle bonté le Seigneur l'a traité, il ajoute : Vous avez obéi en tout ceci à des intentions perverses; mais Dieu a changé le mal en bien. « Pour ceux qui aiment Dieu, disait Paul, tout concourt à leur bien. » Tout... Remarquez-le, je vous prie. Qu'est-ce à dire, tout ? L'adversité elle-même et les événements les plus fâcheux, le Seigneur les change en bien. Rom., VIII, 28. Ainsi en fut-il de Joseph : la persécution de ses frères contribua singulièrement à lui donner le souverain pouvoir, la sagesse inépuisable du Très-Haut ayant converti en avantages toutes les épreuves de son serviteur.
« Afin que des peuples nombreux fussent sauvés de la famine. » Dieu n'a pas changé seulement pour vous ces choses en bien; il a voulu encore que ce peuple si nombreux fût préservé de la disette. « Et il poursuivit : Ne craignez rien ; je prendrai soin de vous et de vos familles. Et il les consola, et ses paroles pénétrèrent dans leurs cœurs. » Genes., L, 21. Que redouteriez-vous ? C'est moi qui pourvoirai à vos besoins et aux besoins de ceux qui vous accompagnent. « Et il les consola, et ses paroles pénétrèrent dans leurs cœurs. » Tels furent l'empressement et l'affection qu'il mit à les consoler, qu'il dissipa entièrement leur tristesse. « Et Joseph habita en Égypte, lui et ses frères et toute la maison de son père. Et Joseph vit les enfants d'Ephraïm jusqu'à la troisième génération. Et il parla en ces termes à ses frères : Voici que je meurs. Un jour viendra où le Seigneur vous visitera, et vous emporterez d'ici mes ossements. » Ibid. 22-24. Comme son père, il se préoccupe d'ordonner la translation de ses restes mortels. En même temps, il confirme le courage des Israélites et leur espérance de retour, d'abord par cette prédiction : « Vous reviendrez; » puis par cette autre : « Vous emporterez mes ossements avec vous, à votre retour. » En cela il était loin d'agir sans raison, et il se proposait deux choses principales : en premier lieu; d’empêcher que son corps ne devint pour les Égyptiens reconnaissants de ses bienfaits, et enclins à diviniser les hommes avec une extrême facilité, une occasion d'idolâtrie; en second lieu, de leur donner l'assurance certaine de leur futur retour. Car si ce n’eut point été une chose indubitable, il ne leur aurait point recommandé d'emporter ses ossements. Spectacle vraiment admirable et merveilleux pour l'avenir que celui des enfants d'Israël guidés à leur retour et introduits dans la terre promise par ce même Joseph qui les avait nourris en Égypte.
« Et Joseph mourut âgé de cent-dix ans. » Ibid., 23. Pourquoi désigner ainsi son âge ? Pour vous apprendre le nombre d'années pendant lequel il gouverna le royaume de Pharaon. Il avait dix-sept ans à son arrivée en Égypte; il en avait trente lorsqu'il comparut devant le monarque et expliqua ses songes. D'où il suit qu'il passa quatre-vingts ans à gouverner l’Égypte entière. Voyez-vous combien les épreuves sont au-dessous de la rétribution, et combien en est riche la récompense ? Joseph lutte durant treize ans contre l'affliction; il supporte successivement l'esclavage, une accusation calomnieuse et les horreurs de la captivité. Mais, comme il les supporte avec générosité et religion, il en est magnifiquement récompensé, même dès cette vie; et, tandis que le temps de la servitude et de la captivité n'embrasse qu'un petit nombre d'années, il reste quatre-vingts ans en possession du pouvoir suprême. Que la foi lui ait inspiré ces dispositions et les recommandations qu'il fit touchant la translation de ses ossements, c'est un point que Paul nous affirme. « C'est par la foi, dit-il, que Joseph mourant parla du retour des enfants d'Israël. » Hebr., XI, 22. Paul ne s'arrête pas là, et, pour que vous n'ignoriez pas le motif qui lui dicta sa conduite, il ajoute : « C'est par la foi qu'il donna des ordres pour la translation de ses ossements. »
Je me suis peut-être trop étendu sur ce sujet; pardonnez-le moi. Étant arrivé à la fin de ce livre sacré, nous avons voulu terminer avec notre discours ce que nous avions à vous en dire, et en même temps vous engager, comme nous le faisons habituellement, à ne point oublier ce que vous avez entendu, à imiter la vertu de ces justes, à ne point nourrir de ressentiment contre ceux qui vous oppriment, à supporter patiemment les persécutions du prochain, et à pratiquer une chasteté irréprochable. Tels sont les moyens par lesquels Joseph gagna la faveur divine.
Voulons-nous de notre côté acquérir des droits à la protection du Seigneur, ayons en haute estime la vertu. C'est ainsi que nous ferons descendre en nos âmes la grâce de l'Esprit, et qu'après une vie sans orages nous entrerons en possession des biens à venir. Puissions-nous tous les obtenir par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire, puissance, honneur, en même temps qu’au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.