Saint Jean Chrysostome

Homélie 65 sur la Genèse

Et ils montèrent de l’Égypte, et ils vinrent dans la terre de Chanaan, vers Jacob leur père, et ils lui dirent : Votre fils Joseph vit, et il gouverne tout le royaume d’Égypte. Et Jacob fut dans le ravissement; et il ne les crut pas.

1. Notre entretien d'hier a mis sous vos yeux la philosophie de Joseph et la perfection admirable avec laquelle il pratiqua vis-à-vis de ses frères l'oubli des injures; car il ne se borna pas à ne pas leur parler du passé, il y ajouta le conseil d'éviter toute querelle entre eux à son sujet, tandis qu'ils retourneraient vers leur père, et de cheminer ensemble sans dissentiment aucun et dans une complète harmonie. Il nous reste à vous entretenir aujourd'hui des événements subséquents, du retour des enfants de Jacob auprès de leur père, de la descente du saint Patriarche en Égypte, de l'épanouissement que lui causèrent les nouvelles concernant Joseph, nouvelles à la suite desquelles le vieillard recouvra pour ainsi parler la vie de sa jeunesse. Comment en vérité exprimer le bonheur dont il fut rempli en apprenant que Joseph vivait encore et qu'il vivait dans l'éclat de la puissance ? Vous le savez, ce sont principalement les biens auxquels on ne s'attend pas qui portent au comble le bonheur. Eût-il été possible à Jacob d'apprendre l'élévation au gouvernement suprême de l'Egypte de celui qu'il croyait avoir été dévoré depuis longues années par des bêtes féroces, sans être ravi hors de lui-même et accablé en quelque sorte de joie ? Il en est bien souvent des effets d'une immense joie comme des effets d'une immense tristesse : il n'est pas rare de voir une joie excessive arracher aux uns des larmes, stupéfier les autres, quand on vient à se trouver en présence de résultats inespérés, à revoir tout à coup pleines de vie dès personnes que l'on croyait mortes. Mais pour plus de clarté, écoutons le texte lui-même.

« Et ils montèrent de l’Égypte, et ils vinrent dans la terre de Chanaan vers Jacob leur père, et ils lui dirent : Votre fils Joseph vit, et il gouverne tout le royaume d’Égypte. Et Jacob fut dans le saisissement, et il ne les crut pas. » Genes., XIV, 25-26. Ainsi, je le répète, voilà Jacob qui ne peut croire ce qu'on lui raconte de Joseph, et qui, l'âme bouleversée, ne peut se décider à prendre le récit de ses enfants pour la vérité. Quoi donc ! ceux-là mêmes qui lui avaient présenté autrefois la robe de leur frère souillée de sang et l'avaient induit à penser que des bêtes féroces avaient dévoré Joseph, viennent dire maintenant que Joseph est plein de vie et règne sur l’Égypte ! Dans un trouble profond, il se demandait comment ces choses pouvaient se concilier entre elles : si le premier récit exprimait la vérité, celui-ci ne méritait aucune confiance, et, s'il fallait regarder ce dernier comme véritable, le premier n'était donc qu'une imposture: la cause principale du trouble qu'il éprouvait, c'était le rapprochement de ce que lui avaient autrefois raconté ses fils et de ce qu'ils lui apprenaient actuellement. Ceux-ci s'apercevant du trouble de leur père, pour l'amener à croire à leur parfaite et entière véracité, « lui rapportèrent tout ce que Joseph leur avait dit et tout ce qu'il leur avait recommandé. » Ibid. 27.

Après qu'ils lui eurent montré les choses et les présents que Joseph lui envoyait, ils parvinrent  enfin à grand peine à lui persuader que leur récit n'était point un mensonge. Quand Jacob eut vu les chars qui devaient le conduire en Égypte, «il sentit une vigueur nouvelle animer ses membres. » Tout vieux, tout affaibli, tout courbé par l’âge qu'il est, le bonheur le rajeunit en quelque manière. Que signifient ces mots : « Il sentit une vigueur nouvelle animer ses membres ?» Telle on voit la flamme d'une lampe dont l'huile va être consumée jeter un éclat nouveau au moment où elle est prête à s'évanouir, dès qu'on a renouvelé la provision d'huile nécessaire; tel le saint Patriarche, qui naguère allait succomber à la tristesse dont il était accablé, « car il ne voulait pas de consolation, disant : Je descendrai en pleurant au tombeau. » Genes. XXXVII, 35, n'apprend pas plus tôt que son fils est vivant et qu'il règne en Égypte, n'a pas plus tôt vu les chars, « qu'une vigueur nouvelle anime ses membres.» Ce n'était plus un vieillard, c'était un homme plein de jeunesse; les nuages de la tristesse étaient déchirés, les orages du cœur avaient disparu, le calme renaissait pour toujours.

Ainsi l'ordonnait la divine Providence, afin que ce juste fût dédommagé de tant de peines, qu'il jouit de la prospérité de son fils, et surtout afin que fût justifiée l'interprétation donnée par Jacob lui-même du songe de Joseph en ces termes :« Est-ce que ta mère et moi, et tes frères, nous viendrons t'adorer? » Genes., XXXVI, 10. Et il crut devant le langage de ses enfants et devant ce qu'on lui montrait. « Et il s'écria : Ce sont là pour moi de grands événements, si Joseph vit encore; j'irai donc et je le verrai avant de mourir. » Genes., XIV, 28. « Ce sont là pour moi de grands événements, » ils sont au-dessus de toute pensée, ils laissent bien loin toute joie humaine; « si mon fils Joseph vit encore, j'irai donc et je le verrai. » Hâtons-nous, que je l'entretienne avant de mourir. Cette nouvelle a relevé mon âme, elle a fait évanouir la faiblesse de l'âge et fortifié mon cœur. Que je le voie seulement, et mon bonheur sera complet, et je mourrai content. - Le saint Patriarche se met donc en route sans délai aucun; il lui tardait, il avait hâte de revoir son bien-aimé, celui qu'il avait cru dévoré depuis longtemps par des bêtes féroces, de le voir, dis-je, à la tête de toute l’Égypte. « Et, étant arrivé au puits du serment, » il offre à Dieu des prières d'actions de grâces, « et il offrit un sacrifice au Dieu de son père Isaac. » Genes., XLVI, 1.

2. Que cet exemple de Jacob nous enseigne à placer nos actes, nos entreprises, nos voyages sous la protection du Seigneur, en lui offrant un sacrifice de prières et en invoquant son assistance : c'est ainsi que nous nous rapprocherons de la piété de ces justes. « Il offrit un sacrifice au Dieu de son père Isaac; » preuve qu'il marchait sur les traces paternelles, et qu'il rendait à Dieu le même culte qu'Isaac. La religion que le saint Patriarche montra dans ce sacrifice de reconnaissance fut aussitôt récompensée par des marques non équivoques du secours divin. A la vue du long chemin qu'il avait à faire, et craignant à cause de son âge avancé qu'une mort inattendue ne le prive de revoir son enfant, il supplie le Seigneur de prolonger suffisamment ses jours pour que son bonheur soit complet. Le Seigneur répond largement dans sa bonté à la confiance du juste. « Et le Dieu d'Israël lui dit pendant une vision nocturne : Jacob, Jacob. Je suis le Dieu de tes pères; ne redoute pas de descendre en Égypte; car j'y ferai sortir de toi un grand peuple. J'y descendrai avec toi, et un jour je t'en ramènerai. Et Joseph mettra sur tes yeux ses mains. » Ibid., 2-4. Ainsi, non seulement Dieu accorde au saint Patriarche ce que celui-ci lui a demandé, mais encore bien davantage telles sont sa générosité et sa miséricorde, qu'il va toujours au-delà de nos supplications. «Ne redoute point de descendre en Égypte. » La longueur du voyage inspirant à Jacob des appréhensions, le Seigneur lui dit : N'aie point égard à la faiblesse de l'âge; « car je ferai sortir de toi un grand peuple, et je descendrai avec toi en Égypte.» Moi-même je t'accompagnerai et te rendrai toute chose favorable. Remarquez comment dans ces paroles il se prête à notre faiblesse : « Je descendrai avec toi en Égypte.»

Quel bonheur d'avoir Dieu même pour compagnon de voyage ! Après cela vient l'annonce de la circonstance après laquelle soupirait le plus le vieillard. « Et Joseph mettra sur tes yeux ses mains.» Ton enfant chéri te pressera dans ses bras et mettra ses mains sur tes yeux. Pars donc plein de confiance et sans crainte. - Aussi, avec quelle joie ce juste entreprit ce voyage, après avoir ouï de la bouche du Seigneur de si belles promesses ! « Et Jacob se leva, et ses enfants; et ils prirent tout ce qu'ils possédaient, et ils allèrent en Égypte. Et ils étaient au nombre de soixante-six lorsque Jacob descendit en Égypte. Et Joseph et les enfants qui lui étaient nés en Égypte étaient au nombre de neuf : et ils étaient de la sorte tous ensemble avec Joseph au nombre de soixante-quinze personnes. » Ibid., 5, 7, 27. Pourquoi l’écriture précise-t-elle les nombres avec tant d'exactitude ? Pour nous faire apprécier l'accomplissement de la promesse suivante du Seigneur : « Je ferai sortir de toi un grand peuple. » Exod., XI, 37. Car les enfants d'Isaac s'élevèrent du nombre de soixante-quinze à celui de six cent mille. Ce n'est donc pas sans raison ni sans but que l'on nous détermine le nombre de ceux qui descendirent en Égypte : c'est, je le répète, pour nous apprendre dans quelle proportion la race de Jacob se multiplia, et fortifier notre foi aux divines promesses. Songez, en effet, aux moyens de toute sorte mis en œuvre par le roi d’Égypte, après la mort de Jacob et de Joseph, pour arrêter la population croissante des Hébreux, à l'inutilité de ses efforts, à l'accroissement de plus en plus rapide de ce peuple, et vous serez saisi d'admiration et de stupeur devant l'action de la Providence, et vous comprendrez que ses décrets ne sauraient rester sans efficacité, quelques obstacles que l'on suscite.

Mais reprenons la suite du texte afin d'apprendre les circonstances de l'entrevue de Joseph et du saint Patriarche. « Quand il approcha de la terre d’Égypte, il envoya devant lui Juda vers Joseph pour lui faire part de l'arrivée de son père. Dès que Joseph l’eut appris, il fit atteler son char, et il accourut au-devant de Jacob. Et, dès qu'il le vit, il se jeta à son cou et pleura à chaudes larmes. » Genes., XLVI, 28, 29. Comme je le disais précédemment, bien souvent l'excès de joie nous fait répandre les larmes. « Il se jeta à son cou et il pleura; » non point d'une façon ordinaire, mais «à chaudes larmes.» Il se représentait en ce moment ce qu'il avait souffert lui-même, ce que son père avait enduré à son sujet; et, à la pensée des années écoulées dans l'intervalle et de cette entrevue inespérée du fils et du père, il ne put retenir ses larmes, témoignant ainsi et l'excès de sa joie et sa reconnaissance envers le Seigneur. « Et Jacob dit à Joseph : Maintenant je puis mourir; car j'ai vu tes traits, et tu vis encore. » Ibid., 30. Me voici au comble de mes vœux : j'ai été exaucé au delà de ce que j'attendais; ce que je n'avais jamais espéré s'est accompli, je ne demande pas une plus longue vie. J'ai vu celui que j'aimais; et il me suffit pour être pleinement heureux de voir que tu vis encore, toi que je supposais mort depuis longtemps et dévoré par les bêtes féroces. - Langage bien propre à un père plein de tendresse et bien capable de faire comprendre les sentiments dont son cœur était animé. «Or, Joseph dit à ses frères : J'irai et j'annoncerai à Pharaon que mes frères sont arrivés et qu'ils sont pasteurs. Ils s'occupent de troupeaux, et ils ont amené avec eux des brebis et des bœufs. Et si Pharaon vous appelle et vous demande quelles sont vos occupations, vous répondrez : Nous sommes pasteurs. Car les bergers des troupeaux de brebis sont un objet d'horreur pour les Égyptiens.» Ibid.; 31-34.

3. Admirez la sagesse de Joseph et le conseil qu'il donne si prudemment à ses frères, afin de sauvegarder leur tranquillité, et de les mettre à l'abri de tout rapport avec les Égyptiens. Ces derniers méprisant et détestant la vie pastorale, et se consacrant exclusivement au culte de leur sagesse, Joseph prévient les enfants de Jacob de prendre occasion de leur propre profession pour obtenir qu'une contrée fertile leur soit donnée en partage, de manière à y vivre dans une paix profonde. « Et il introduisit cinq de ses frères en présence de Pharaon. Et le roi leur demanda : Quelles sont vos occupations ? Et ils répondirent : Nous nous occupons du soin des troupeaux. Nous habiterons dans la terre de Gessen. Et Pharaon dit à Joseph : Qu'ils y habitent. Si tu en connais parmi eux qui soient intelligents, confie-leur la surveillance de mes troupeaux. » Genes., XLVII, 2-6. Les frères de Joseph répondent conformément à ses avis, et ils obtiennent de s'établir dans le pays de Gessen. De son côté, Pharaon, pour donner à Joseph une marque nouvelle de sa bienveillance, lui dit : « Si tu en connais parmi eux qui soient intelligents, confie-leur la surveillance de mes troupeaux. » - « Et Joseph introduisit aussi son père en présence de Pharaon. Et Pharaon dit à Jacob : Quels sont les jours des années de votre vie ? » Ibid., 7-8. C'est la vue des cheveux blancs de Jacob qui lui inspire cette question. « Et Jacob dit : Les jours des années de ma vie qu'a remplis mon pèlerinage... » Ibid., 9. Ainsi, tous ces justes se regardaient comme de véritables voyageurs sur la terre. Plus tard vous entendrez David s'écrier : « Je ne suis ici-bas qu'un voyageur et un étranger. » Psalm. XXXVIII, 13. C'est dans le même esprit que Jacob répond à Pharaon : «Les jours des années de ma vie qu'a remplis mon pèlerinage.» De là ce passage dans lequel Paul rappelle que ces saints personnages reconnaissaient tous leur condition de voyageurs et d'étrangers sur la terre. « Les jours des années de ma vie qu'a remplis mon pèlerinage forment cent trente années; ils ont été courts et mauvais; et ils n'ont point égalé les jours de mes pères. » Genes, XLVII, 9. Ces paroles, «ils ont été courts et mauvais, » font allusion, soit aux années de la servitude qu'il dut subir chez Laban après sa fuite à l'occasion de son frère, soit, après qu'il en fut revenu, à la douleur qu'il ressentit si longtemps de la mort de Joseph, soit à d'autres épreuves.

Ainsi il ne fut pas sans angoisses lorsque Siméon et Lévi, pour venger leur sœur, massacrèrent les habitants d'une ville, et emmenèrent, captifs tous ceux qui se trouvaient à Sichem. Il leur disait alors, pour exprimer l'anxiété où il se trouvait : « Vous m'avez rendu odieux aux habitants de cette terre, et fait passer pour méchant à leurs yeux. Nous sommes en petit nombre. Et ils se rassembleront contre moi, et ils m'accableront. Et je périrai, moi et ma maison. » Genes., XXXIV, 30. C'est là ce qui lui dicte ces paroles : « Les jours des années de ma vie ont été courts et mauvais.» « Et Joseph installa son père et ses frères, et il leur donna un établissement en Égypte dans une contrée excellente, dans le pays de Ramessès, comme l'avait ordonné Pharaon. Et Joseph distribuait du blé à son père et à ses frères, et à toute la maison de son père, à chacun selon ses besoins. » C'était la justification de ce qu'il disait précédemment : « Dieu m'a envoyé devant vous afin qu'il vous restât des subsistances sur la terre..... Il m'a envoyé devant vous pour votre salut. » Genes., XIVII, 11-12; XLV, 5-7. « Et il leur distribuait du blé, à chacun selon ses besoins; » le texte porte, « à chacun selon son corps, » parce que dans l’Écriture l'homme entier est désigné tantôt par l'âme, tantôt par le corps. Ainsi, le texte sacré disait plus haut que Jacob descendit en Égypte avec soixante-cinq âmes,» Genes., XLVI, 27, pour désigner soixante-cinq personnes de l'un et l'autre sexe. Dans le cas présent, il parle également du corps pour désigner les personnes. Et, tandis que l’Égypte entière et la terre de Chanaan étaient désolées par la famine, les enfants de Jacob ne manquaient de rien, et le blé abondait autour d'eux, comme si la source en eût été intarissable. « Et il n'y avait pas de blé sur toute la terre; car la famine sévissait au delà de toute mesure. Et la terre d’Égypte et la terre de Chanaan étaient désolées à cause de la famine. » Genes., XLVII, 13.

4. Remarquez cette sollicitude ineffable du Seigneur amenant le saint Patriarche en Égypte avant que la famine exerçât toutes ses rigueurs, de manière à ce qu'il ne connût point les malheurs qui allaient fondre sur Chanaan. Et, comme on accourait de toute part vers lui, « Joseph rassembla tout l'argent et de ceux qui étaient en Égypte, et de ceux qui venaient de Chanaan, et à cette condition il leur distribuait du froment. Et l'argent vint à manquer; car il était tout entré dans la maison de Pharaon. Et tous les Égyptiens vinrent et dirent : Donnez-nous du pain. Pourquoi mourrions-nous sous vos yeux ? Nous n'avons plus d'argent. » Ibid., 14-15. Il ne nous reste plus de quoi acheter du pain, et nous périrons de faim. Ne soyez donc pas indifférent à des malheureux que la mort assiège, et donnez-nous du pain, afin que nous vivions et ne mourions pas. « Et Joseph leur dit : Amenez vos troupeaux, et je vous donnerai du pain. » Ibid., 16. Si vous n'avez pas d'argent, je me contenterai de vos troupeaux. Si l'argent vous fait défaut, amenez vos troupeaux et vous aurez du pain. « Et ils amenèrent leurs troupeaux; et il leur donna du pain en retour de leurs chevaux, de leurs brebis, de leurs bœufs, de leurs ânes; il les nourrit en échange de leurs troupeaux.

L'année suivante, ils vinrent également le trouver et lui dirent : Nous allons donc périr, car nous n'avons ni argent, ni troupeaux; et tout ce que nous avions est en possession de notre seigneur. Il ne nous reste plus rien que notre corps et nos terres. Afin donc que nous ne mourions pas, acceptez nos personnes et nos champs pour du pain, et nous appartiendrons nous et nos terres à Pharaon. Donnez-nous aussi de la semence, pour que nous la répandions, que nous vivions et ne mourions pas, et pour que la terre ne soit pas réduite en solitude. » Ibid., 17-19. Ils se réduisirent donc en servitude, et ils vendirent leurs champs pour avoir de quoi subsister; tant la famine était pressante et horrible. « Et Joseph acquit à Pharaon la terre des Égyptiens; car ils la vendirent, contraints par la faim. Et la terre appartint à Pharaon. Et tous ses sujets devinrent ses esclaves, depuis une extrémité du pays jusqu'à l'autre; la terre des prêtres fut seule exceptée. A ceux-ci Pharaon donna des vivres, et ils mangèrent; et voilà pourquoi ils ne vendirent pas leurs terres. » Ibid., 20-22. Telles furent la sagesse et la prudence de Joseph. Tout en préservant les Égyptiens des horreurs de la famine, il fit de l’Égypte entière la propriété de Pharaon, et de ses habitants autant d'esclaves du monarque. Considérez maintenant une autre preuve de sa sollicitude à leur égard. « Et il dit aux Égyptiens; Voilà que vous êtes devenus aujourd'hui vous et vos terres la propriété de Pharaon. Prenez donc de la semence et répandez-la sur la terre; et s'il y a des fruits, vous en donnerez la cinquième partie à Pharaon, et vous garderez les quatre autres pour ensemencer la terre et pour votre entretien à vous et à toute votre maison. » Ibid., 23-24. Proposition pleine de générosité, de sollicitude et de bienveillance. Aussi les Égyptiens comprirent-ils sa bonté, et ils lui répondirent : « Vous nous avez sauvés; nous avons trouvé grâce devant notre seigneur, et nous serons les serviteurs de Pharaon. » Ibid. 25. Avez-vous vu sa libéralité ? Frappé de l'indigence à laquelle le malheur les a réduits, et de la fatigue et des souffrances inséparables de la culture de la terre, il leur dit : Je vous fournirai la semence; à vous d'exécuter les autres travaux indispensables. Et, si la récolte réussit, vous en donnerez une part, et vous garderez les quatre autres pour prix de vos sueurs et pour suffire à votre nourriture. « Et Joseph leur imposa cette condition de donner la cinquième partie à Pharaon : les terres des prêtres seuls en furent exceptées. » Ibid., 26.

Les prêtres des Égyptiens étaient mieux traités que ceux d’aujourd’hui

Qu'ils entendent, les hommes de notre siècle, avec quelle faveur les prêtres des idoles étaient traités dans l'antiquité; et qu'ils apprennent à traiter au moins avec les mêmes égards les ministres du Dieu de l'univers. Quoique dans l'erreur et adonnés à l'idolâtrie, parce qu'ils s'imaginaient se rendre en cela plus agréables à leurs idoles, les Égyptiens environnaient leurs prêtres d'attentions. Ne sont-ils pas bien coupables ceux qui aujourd'hui veulent dépouiller le sacerdoce de tout honneur ? Ignorez-vous donc que cet honneur remonte jusqu'à Dieu ? Ne regardez pas celui que vous honorez de la sorte; ce n'est pas en considération de l'homme qu'il vous faut accomplir ce devoir, mais en considération de Celui dont l'homme est le ministre, et puis en vue de la récompense précieuse que vous en recevrez. C'est lui effectivement qui a dit : « Celui qui aura ainsi traité l'un de ces hommes l'aura fait à moi-même..... Celui qui reçoit un prophète comme un prophète recevra la récompense du prophète. » Matth., XXV, 40 ; id., X, 41. Est-ce que le Seigneur se fixera sur la dignité ou l'indignité de ses ministres pour déterminer votre récompense ?  C'est votre zèle qui décidera ou de votre couronne ou de votre condamnation. L'honneur que vous rendez à ses prêtres sera pour vous un légitime sujet de confiance, le Seigneur estimant fait à lui-même ce qu'on leur aura fait; d'un autre côté, les châtiments du ciel vous puniront du mépris que vous leur témoignerez; car il sera atteint par le mépris aussi bien que par les égards. Ne négligez donc jamais vos devoirs envers les prêtres du Très-Haut; ce que je dis est moins dans leur intérêt que dans celui de votre charité et pour votre plus grand avantage. Donnerez-vous jamais autant que vous donne le Seigneur ? Que sont les égards dont vous faites les frais ? Et pourtant ces simples attentions que mesure la vie présente vous procurent des récompenses éternelles et les trésors les plus précieux.

5. Que ces considérations nous portent à supporter volontiers les sacrifices de ce genre, et à tenir compte non de la dépense qu'ils nécessitent, mais des avantages et du profit que nous en retirerons. Lorsque nous venons à rencontrer un de ces hommes qui vivent dans la familiarité des grands du siècle, nous avons pour lui la plus grande déférence, dans la pensée que ces égards remonteront du client jusqu'au patron, et que l'un ne saurait en faire part à l'autre sans que nous recueillions le bénéfice d'une faveur plus grande. A plus forte raison en sera-t-il ainsi de la part du Souverain de l'univers. Il a déclaré que la compassion et la charité témoignées à un malheureux quel qu'il soit, serait-il un de ceux qui gisent sur la place publique, il les estimerait témoignées à lui-même, et il a promis d'introduire les auteurs de pareils actes dans le royaume des cieux, en leur disant: « Venez, les bénis de mon Père; car j'ai eu faim et vous m’avez donné à manger. » Matth., XXV, 34. Certainement quiconque traitera avec la considération convenable les hommes honorés du sacerdoce et dans l'épreuve à cause de Dieu, recevra une récompense encore plus belle, le Seigneur ne se laissant jamais vaincre par nous en générosité. Ne restez donc pas au-dessous des infidèles qui, dans leur fureur idolâtrique, traitaient avec tant de respect les serviteurs des idoles : au contraire, autant l'erreur est éloignée de la vérité, autant les prêtres des faux dieux le sont des prêtres du Dieu véritable, autant l'honneur rendu à ceux-là doit différer de l'honneur rendu à ceux-ci; à cette condition, nous mériterons du Ciel une plus riche rétribution.

« Et Jacob habita en Égypte; et ils s’accrurent, et ils se multiplièrent extrêmement. » Genes., XLVII, 27. C'était l'accomplissement de la promesse du Seigneur : « Je ferai sortir de toi un peuple considérable. Et Jacob vécut encore dix-sept ans. Et les jours de Jacob s’élevèrent jusqu'à cent quarante-sept années.» Ibid., 27-28 Dieu prolongea sa vie jusqu'à cette limite pour le dédommager avant sa mort des épreuves qui avaient traversé le reste de sa vie. Mais, si vous le voulez bien, afin de ne pas surcharger votre mémoire par un trop long entretien, nous renverrons la suite à une occasion prochaine et nous nous bornerons à ce qui précède. Nous recommanderons seulement à votre charité de mettre fidèlement en pratique les enseignements qui vous ont été donnés, d'en conserver un continuel souvenir, de vous en entretenir sans cesse en votre âme; de réfléchir à la patience déployée par ces justes , à leur foi et à leur confiance dans les promesses divines. Jamais ils n'étaient ébranlés par les événements qui suivaient les promesse du Seigneur : appuyés sur la puissance de Celui dont ils avaient la parole, ils enduraient tout avec égalité d'âme, et c'est ainsi qu'ils arrivèrent au faîte de la gloire. Voilà Jacob qui, après avoir pleuré la mort de son Joseph de longues années, le retrouve à la tête de Egypte; en sorte que cet héroïque jeune homme, après avoir souffert l'esclavage, la prison et une infinité d'autres épreuves, se trouve investi du gouvernement du royaume tout entier.

Si nous prenions la peine de parcourir les histoires contenues dans l’Écriture, nous trouverions que tous les saints ont dû cheminer au milieu des tribulations et n'ont obtenu qu'à ce prix la faveur du Très-Haut. Désirons-nous donc attirer sur nous la bienveillance du Seigneur, ne perdons jamais confiance dans les épreuves, et ne murmurons pas contre les événements : réjouissons-nous et félicitons-nous plutôt à la lumière de cette foi qui nous soutient, et n'oublions pas que l'assistance divine nous sera acquise si nous nous appliquons à tout souffrir avec actions de grâces. 

Puissions-nous tous, après une vie consacrée à la vertu, obtenir les biens à venir, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire, puissance, honneur, en même temps qu'au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. 

Ainsi soit-il.