Saint Jean Chrysostome

Homélie 63 sur la Genèse

 Et le chef de la prison ne s'occupait de rien à cause de Joseph.

1. Compléter notre instruction d'hier, et nous occuper encore de l'histoire de Joseph, tel est notre dessein aujourd'hui. Vous le savez, bien que notre discours se soit fort prolongé hier, nous n'avons pu aller jusqu'au bout de cette histoire, et nous nous sommes arrêtés au point où, sur les calomnies de l’Égyptienne, Joseph venait d'être jeté en prison. Aujourd'hui, nous avons à présenter à votre charité les événements qui s'accomplirent durant sa détention. Une fois jeté dans les fers et livré entre les mains du chef de la prison, il ne fut pas privé de la protection divine, il en fut tellement favorisé que la surveillance de la prison entière lui fut confiée. « Et le chef de la prison ne s'occupait de rien à cause de Joseph.» C'est ainsi que, parmi les tribulations dont il était assailli, le serviteur de Dieu n'en éprouvait rien de fâcheux, la sagesse toute-puissante du Seigneur transformant pour lui l'adversité en prospérité. Du reste, on a beau souiller une perle de fange, elle conserve l'éclat qui lui est propre : de même, dans quelque milieu que se trouve la vertu, dans l'esclavage, dans la captivité, dans la tentation comme au sein du repos, elle brille partout d'une ineffaçable clarté. Joseph obtint donc les bonnes grâces du chef de la prison auquel il avait été remis, et il fut établi par lui au-dessus de tous les habitants de ce lieu; voyons maintenant comment s'exerça l'influence bienfaisante qui était en son pouvoir,

« Et il arriva après es paroles….» Genes., XL,1. Après quelles paroles ? - Après celles qui, dans l'écrivain sacré, se rapportent à la condamnation de Joseph, sur la dénonciation calomnieuse de sa maîtresse, puis encore à l'assistance que le Seigneur lui continua dans la prison; et à la surveillance générale que le chef remit entre ses mains. « Après ces paroles il arriva que le grand échanson et le grand panetier ayant offensé le roi, furent jetés en prison. Et ils furent recommandés à Joseph par le chef de la prison.» Ibid., 2-3-4. Celui-ci ne traita plus Joseph comme un prisonnier, mais comme le compagnon de ses sollicitudes, ou plutôt comme un homme capable d'adoucir les malheurs des captifs. « Et il les assista.» Que veut dire par ces mots l'historien : il les assista ? Il les consola, il releva leur courage, il fortifia leur cœur et les empêcha d'être accablés par la tristesse. « Et ils étaient depuis beaucoup de jours dans la prison. Et ils eurent un songe l'un et l'autre la même nuit, le grand échanson comme le grand panetier.» Ibid., 5. Dès que notre bienheureux, dont le principal souci était de les consoler, les vit troublés et agités par le souvenir de ces songes, il leur dit : «Pourquoi donc votre visage est-il obscurci de la sorte aujourd'hui ? » Ibid., 7.

Naturellement le trouble de leur âme se trahissait sur leur visage. « Le cœur est-il dans la joie, a dit le Sage, le visage est radieux; le cœur est il dans le chagrin, le visage est morne.» Prov., XV, 13. A peine donc Joseph eut-il remarqué leur tristesse qu'il les interrogea pour en savoir la cause, montrant de la sorte sa charité et son désir de soulager la douleur du prochain. Et ils lui répondirent: « Nous avons eu un songe, et il n'y a personne qui puisse nous l'expliquer. » Genes., XL, 8. Ils ne connaissent pas la sagesse de celui auquel ils s'adressent; ils ne voient en lui qu'un homme de condition obscure; et voilà pourquoi ils ne lui racontent pas leur songe et se contentent de lui dire qu'ils ont eu un songe et qu'il n'y a personne pour le leur expliquer. Et cet admirable jeune homme leur dit: «Est-ce que l'interprétation-ne vient pas de Dieu ? Racontez-moi vos songes. » Je ne vous promets pas de vous les expliquer par moi-même; c'est Dieu qui en dévoile le sens. « Racontez-les moi.»

Remarquez sa sagesse et son humilité profondes. Il ne leur dit pas : C'est moi qui vous les expliquerai; c'est moi qui vous en donnerai la clef; mais au contraire : Racontez-les moi; car Dieu seul en révèle la signification. « Et le grand échanson commença son récit. Dès que Joseph l'eut entendu, il dit : En voici l'explication : les trois branches signifient trois jours ; encore trois jours et Pharaon se souviendra de votre ministère et il vous rétablira dans votre charge, et vous lui donnerez la coupe selon votre office, comme vous le faisiez auparavant, en y versant le vin. Mais souvenez-vous de moi quand vous serez heureux, faites-moi miséricorde, parlez de moi à Pharaon et tirez-moi de cette prison. Car j'ai été enlevé par fraude de la terre des Hébreux; je n'ai fait ici aucun mal, et pourtant on m'a jeté dans ce cachot. » Ibid., 9-15. Comme il lui prédit un avenir prospère et sa réconciliation avec le roi, il le prie de se souvenir de lui en son cœur, lorsqu'il sera remonté à son rang d'autrefois; de ne pas oublier celui qui lui prédit ces choses, et de lui faire miséricorde.

2. N'allez pas néanmoins, mon bien-aimé taxer Joseph de pusillanimité; admirez plutôt le courage à toute épreuve avec lequel il supporte sa captivité et toutes ses horreurs. Sans doute, le chef de la prison lui avait confié son autorité; mais cela ne brisait pas ses fers et ne le dispensait pas de vivre au milieu de gens couverts de haillons infects et repoussants. Telle est la philosophie de son âme qu'il endure tout sans faiblir, et s'y résigne avec une humilité parfaite. « Et vous me ferez miséricorde, et vous parlerez de moi à Pharaon, et vous me tirerez de cette prison. » Observez, je vous prie, qu'il ne dit pas un mot contre son impudique maîtresse, qu'il n'accuse point son maître, qu'il ne raconte pas la barbarie de ses frères : -il dissimule ces griefs et dit seulement : Souvenez-vous de moi, tirez-moi de cette prison; « car j'ai été enlevé par fraude de la terre des Hébreux; je n'ai fait ici aucun mal, et pourtant l'on m'a jeté dans ce cachot. » Ne prêtons pas à ces paroles une attention superficielle; rendons-nous compte de l'énergie de cette grande âme. C'était une excellente occasion pour informer le roi de ce qui le concernait, grâce à la fortune prochaine du grand échanson; et pourtant, je le répète, il ne s'emporte pas contre l’Égyptienne, il ne met en cause ni son maître, ni ses frères : il ne révèle pas le motif de sa captivité et ne se hâte point de mettre au jour l'iniquité dont il a été victime: une chose l'occupe principalement, de n'accuser personne et de ne parler que de lui seul. La conduite de ses frères, il la laisse dans l'ombre quand il dit : « J'ai été enlevé par fraude de la terre des Hébreux. » L'attentat de l’Égyptienne, il n'en dit pas une parole, pas plus que du courroux injuste de son maître envers lui. « Je n'ai fait ici aucun mal, dit-il, et pourtant l'on m'a jeté dans ce cachot. » Apprenons, par cet exemple, à ne point répondre aux persécutions par des injures. lorsque nous traverserons des conjonctures semblables, et à ne pas affiler notre langue pour déchirer ensuite le prochain. Agissons plutôt avec une douceur et une mansuétude inaltérables, et imitons ce merveilleux jeune homme qui ne consentit même pas, au fort du malheur, à flétrir en paroles l'attentat de l’Égyptienne.

Tandis que bien des fois des hommes chargés de crimes s'appliquent effrontément à reporter sur le prochain la responsabilité de leurs crimes propres, Joseph, plus pur que le soleil, quand il lui serait facile de tout découvrir sans blesser la vérité, de mettre à nu la scélératesse de son ennemi, et de démontrer victorieusement son innocence refuse d'employer aucun de ces moyens. C'est qu'il ne cherchait point à capter les louanges des hommes, et qu'il lui suffisait de la faveur d'en haut. Celui dont il souhaitait les louanges était le Seigneur; et voilà pourquoi malgré le silence de son serviteur, ce bon Maitre dont l'œil ne se ferme jamais, récompense la fermeté indomptable de son athlète par une gloire éclatante. En attendant, nous allons voir sa patience portée au plus haut point, et la durée de ses épreuves ne lui arracher ni plainte ni murmure : toujours prêt à les supporter, il ne songe qu'à rendre grâces à Celui dont la volonté se manifeste de la sorte. Cependant le grand panetier n'eut pas sitôt ouï l'explication de Joseph que, prêtant à son propre songe une signification de même nature, il s'empresse de le lui raconter. Mais Joseph, instruit par une révélation supérieure du sens de ce songe, dénonce au prisonnier la mort qui va le frapper. « Encore trois jours, lui dit-il, et Pharaon vous fera trancher la tête, et il vous attachera à un gibet, et les oiseaux du ciel dévoreront votre chair. » Ibid.,19. Je vous disais tout à l'heure que je ne vous parlerais pas de moi-même. Par conséquent, que le songe vous présage un événement heureux ou malheureux, comme je vous l'annonce d'après ce que Dieu me révèle, ne m'en faites point responsable. Car, encore une fois, je ne parle pas de mon propre fond, mais d'après ce que me découvre la lumière d'en haut. - La prophétie de Joseph s'accomplit au temps marqué; et selon sa parole l'un des prisonniers recouvra son ancienne faveur, tandis que l'autre subit le dernier supplice.

« Mais le grand échanson, malgré son bonheur inespéré, ne se souvint pas de Joseph, et l'oublia complètement. » Ibid., 23. Nouvelle épreuve pour le juste, nouveau sujet de déployer comme dans une palestre sa vertu; et, en effet, chez lui point de trouble, de découragement, de murmure. Avec une âme vulgaire, il se serait dit à lui-même : Eh quoi ! le grand échanson n'a pas plus tôt appris de ma bouche la signification du songe, qu'il est rendu à sa première fortune et il ne se souvient plus de celui qui lui a prédit ce retour ! Il est au comble du bonheur; et moi qui n'ai point commis de mal, me voici emprisonné avec des homicides, des brigands, des scélérats, des hommes coupables d'une infinité de crimes. — De la part de Joseph, aucun propos, aucun sentiment de ce genre; il n'ignorait pas que ces épreuves n'étaient prolongées que pour lui préparer une plus brillante couronne.

3. Deux années, en effet, s'écoulèrent encore après la fortune inespérée du grand échanson. Il fallait une occasion propice pour que Joseph sortit avec éclat de son cachot. Si l'officier de Pharaon se fût souvenu de son ancien compagnon de captivité et l'eût rendu à la liberté par son influence, la vertu de Joseph n'eût probablement pas brillé aux yeux de la foule d'un aussi vif éclat. Mais le Seigneur, qui savait, dans son infinie sagesse, combien de temps il convenait de laisser l'or dans le feu et à quel moment il serait bon de l'en retirer, permit que le grand échanson ne songeât plus à Joseph pendant deux ans, afin que, le temps des songes de Pharaon étant venu, la nécessité elle-même répandît le nom du juste dans le royaume entier. En effet, « deux ans après, Pharaon eut des songes; et le matin étant arrivé son âme fut troublée. Et il envoya, et il manda tous les devins de l’Égypte et tous ses sages, et il leur raconta ses songes; et aucun d'eux ne put les expliquer à Pharaon. » Genes., XII, 1-8. Remarquez la conduite du Seigneur envers lui. D'abord il suggère au monarque la pensée de mettre à l'épreuve tous ses prétendus sages; l'ignorance de ces derniers mise au jour, c’est alors que ce captif, l'esclave hébreu, amené devant Pharaon, doit révéler ces mystères cachés à tous les regards, et découvrir de la sorte aux Égyptiens la faveur dont il jouissait auprès de Dieu. Les sages étant donc venus et dans leur impuissance n'ayant même pas ouvert la bouche, le grand échanson se souvint du passé et raconta sa propre histoire à Pharaon : « Je comprends aujourd'hui ma faute, » lui dit-il; Ibid., 9; et sur-le-champ il lui exposa comment Joseph leur expliqua au grand panetier et à lui-même les songes qu'ils avaient eus durant leur captivité, et comment sa prédiction s'était réalisée de tout point. « Et le roi ayant ouï ces choses envoya chercher Joseph; et on le fit sortir de la prison, et on lui coupa les cheveux, et on changea ses vêtements, et il comparut devant Pharaon. » Ibid., 14. Quel honneur tout à coup pour Joseph ! Après avoir été merveilleusement purifié par la patience, il sort de sa prison plus resplendissant que l'or pur, et il est conduit à Pharaon.

Comprenez-vous maintenant l’ordre des desseins providentiels sur la destinée de Joseph ? Comprenez-vous ce qu'a de précieux pour nous la protection divine ? Lorsque le serviteur de Dieu eut triomphé des assauts de l’Égyptienne et évité les filets de cette femme impudique, voilà que, dans la prison où on le plonge, on jette également le grand échanson et le grand panetier de Pharaon, afin que l'interprétation de leurs songes fit connaître la sagesse du jeune Hébreu, et que l'un de ces officiers se souvenant à propos de cette circonstance, Joseph comparût en présence du roi. « Et Pharaon dit à Joseph : J'ai eu un songe, et personne ne peut me l'expliquer. Or, j'ai ouï des gens dire de toi que tu n'as qu'à entendre raconter un songe pour l'expliquer aussitôt. » Considérez maintenant dans la réponse du jeune homme sa prudence et sa piété. Ne supposez pas, lui dit-il, que j'aille parler de moi-même, ou puiser cette interprétation dans l'humaine sagesse. Impossible à quiconque n'est point éclairé d'en haut d'en comprendre la portée. Sachez-le bien, c'est Dieu seul qui me permettra de vous répondre. « Sans lui, je ne saurais répondre de manière à satisfaire Pharaon. Ibid., 16. Et , puisque Dieu seul dévoile ces secrets, ne demandez point à l'homme ce que le Maître de l'univers s'est réservé à lui-même. En parlant de la sorte au monarque, il l'instruit et de l'impuissance de ses sages et de la puissance infinie du Seigneur. Je vous ai fait connaître maintenant que la sagesse humaine est étrangère à ce que je dirai, ainsi que mes propres raisonnements ; à vous maintenant de m'exposer ce que le Seigneur vous a manifesté. Alors Pharaon lui raconte ses songes l'un après l'autre, et il ajoute: « Je les ai racontés aux devins, et il n'y a eu personne qui ait pu me les expliquer. » Ibid.; 24. Mais ne vous ai-je pas dit que la sagesse de l'homme est incapable de donner une pareille explication ? Ne vous irritez donc pas contre  eux; jamais ils ne comprendront les mystères que la lumière divine peut seule expliquer.

« Et Joseph poursuivit : Le songe de Pharaon est un. Et, pour que vous croyiez à l'accomplissement sûr et prochain de ce que Dieu vous a signifié, vous avez eu le même songe une seconde fois. » Ibid., 25-32. Cette répétition du songe en est une confirmation et la preuve évidente qu'on en verra l'accomplissement. Indiquant ensuite ce que désignait le nombre des sept vaches et des sept épis, il prédit l'abondance et la disette qui devaient avoir lieu successivement et il termine par cet excellent conseil : « Mettez à la tête de l’Égypte un homme qui puisse recueillir l'excédant des sept années d'abondance, et le ménager de façon à servir de ressource au temps de la famine et à préserver le peuple d'une ruine complète. Ce langage plut à Pharaon et à tous ses serviteurs. » Ibid., 37. De son côté, Pharaon allait concourir à l'accomplissement des songes qu'avait eus Joseph sous le toit paternel : et c'est ainsi que, Joseph expliquant les songes de Pharaon, Pharaon à son insu assurait la réalisation des songes de Joseph. En effet, il ne l'eut pas plus tôt entendu qu'il dit à ses serviteurs : Où trouverons-nous un homme qui ait comme celui-ci en lui-même l'esprit de Dieu ? » Ibid.,38.

4. En s'exprimant de cette manière, il reconnaissait l'inspiration de Joseph. Où trouver, s'écria-t-il, un homme comme lui, assez favorisé du ciel pour avoir l'esprit de Dieu en lui ? « Et il dit à Joseph : Puisque le Seigneur t'a révélé toutes ces choses, il n'y a point d'homme plus éclairé que toi. » Ibid., 39. Vous le voyez maintenant, lorsque Dieu veut réaliser quelques-uns de ses conseils, il n’y a point d'obstacle qui puisse l'en empêcher. Voilà Joseph échappant à grand-peine à la tentative homicide de ses frères, vendu, calomnié, exposé au plus grand péril, plongé longtemps dans un cachot, et néanmoins, après toutes ces épreuves, élevé ou peu s'en faut jusqu'au trône royal lui-même. « Puisque le Seigneur t'a révélé toutes ces choses, il n’y a point d'homme plus éclairé et plus prudent que toi. Tu seras donc chargé de ma maison, et à ta parole tout mon peuple obéira; il n'y aura d'autre différence entre toi et moi que celle du trône. » Ibid., 40. Le voyez-vous, ce prisonnier transformé en souverain d’Égypte ? cet esclave jeté dans les fers par le chef des cuisiniers, élevé par le roi lui-même au faîte des honneurs ? En sorte que, sous les yeux de son maître d'autrefois, de celui qui l’avait condamné à la captivité comme coupable d'adultère, il reçoit en main le gouvernement du royaume. Tels sont les résultats des épreuves endurées avec piété. Aussi Paul disait-il: « La tribulation produit la patience, la patience l'épreuve, l'épreuve l’espérance; or l'espérance ne cause jamais de confusion. » Rom., V, 3-5. En effet, Joseph supporta la tribulation avec patience; la patience rendit sa vertu éprouvée; avec une vertu éprouvée, il ne cessa de maintenir ferme son espérance; et son espérance ne fut pas confondue.

« Et le roi lui dit : Voilà que je te mets aujourd'hui à la tête de tout le royaume d’Égypte. Et Pharaon ôtant l'anneau de son doigt le mit à la main de Joseph, et il le fit revêtir d'une robe de fin lin, et mettre autour de son cou un collier d'or; et il le fit monter sur le deuxième de ses chars; et devant lui un héraut proclama sa grandeur; et il fut établi gouverneur de toute la terre d’Égypte. » Gènes., XII, 11-43. Dieu, qui était avec Joseph, avait lui-même préparé les voies à cette gloire dont il combla son serviteur. «Et Pharaon lui dit : Sans toi, personne ne lèvera la main dans toute la terre d’Égypte. Et Pharaon appela Joseph du nom de Psomthomphanech » afin de perpétuer par ce nom le souvenir de sa sagesse. Ibid. 44-45. Effectivement, ce nom signifie : celui qui connaît les choses sacrées; parce que Joseph avait expliqué des mystères inaccessibles aux autres, Pharaon lui impose donc un nom qui rappelle sa science. Pour mettre le comble à ces honneurs, il lui donne pour épouse la fille de Petephra; et, comme ce nom était le même que celui de l'ancien maître du jeune Hébreu, le texte ajoute qu'il était prêtre d'Héliopolis. Quant à l'âge de cet admirable jeune homme dont les luttes avaient été si rudes et dont la récompense était si belle, le passage suivant le détermine : « Or Joseph avait trente ans lorsqu'il parut devant Pharaon. » Ibid., 46.

Ce n'est pas sans raison que l’Écriture nous apprend son âge : elle veut nous montrer que la jeunesse ne donne pas le droit de négliger la vertu, et que, lorsqu'il s'agit de la pratiquer, vainement représenterait-on son jeune âge. Joseph était jeune lui aussi; il était beau de visage et ravissant à voir. Or il arrive bien des fois que l'on ait la jeunesse sans avoir aucune beauté. Pour Joseph, il avait en même temps que la jeunesse les séductions de la beauté. C'est à la fleur de son âge qu'il fut successivement esclave et captif. Quand on le conduisit en Égypte, il avait dix-sept ans. A cet âge où les passions ressemblent à une fournaise embrasée il est sollicité au mal par une Égyptienne impudique, sa maîtresse, laquelle échoue devant l'énergie de son esclave. A cette épreuve succèdent les longues souffrances de la captivité : n'importe, il reste ferme comme le diamant, et loin d'en être amolli, il n'en retire que plus de vigueur, fortifié qu'il est par la grâce d'en haut. Enfin, après avoir fourni cette carrière de tribulations, il passe de son cachot au gouvernement de toute l’Égypte.

5. Que ces exemples nous apprennent à ne jamais perdre courage dans les tribulations, à ne pas nous abandonner aux murmures qui naissent des raisonnements humains. Que notre patience soit inébranlable comme notre espérance. Ne connaissons-nous pas la sagesse insondable de notre Seigneur ? Quand il nous laisse faire l'expérience de l'adversité, ce n'est pas qu'il nous abandonne; au contraire, c'est qu'il veut ceindre de la couronne notre front vainqueur. Tous les saints ont eu les épreuves en partage; ce qui faisait dire aux apôtres : « C'est à travers des afflictions nombreuses qu'il nous faut entrer dans le royaume de Dieu. » Actes., XIV, 22. Et le Sauveur disait lui-même à ses disciples : « Vous trouverez dans le monde bien des afflictions. » Joan., XVI, 33. Ne vous attristez donc pas dans les peines; écoutez plutôt ces paroles de Paul : « Tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ Jésus souffriront persécution. » II Tim., III, 12. N'ayons donc ni surprise ni mauvaise humeur en présence de l'adversité, mais patience et courage; considérons, au lieu de l’épreuve elle-même, le bien qui nous en reviendra. C'est, en effet, un vrai négoce spirituel; or, de même que les gens adonnés au négoce temporel et désireux de faire fortune, ne parviennent à augmenter leurs richesses qu'à la condition d'affronter mille dangers sur terre et sur mer, de braver les attaques des brigands et les embûches des pirates; de même aussi qu'ils se résignent à cette condition de gaieté de cœur, l'espérance du succès les rend insensibles aux difficultés; de cette manière, nous qui avons à recueillir ici-bas des richesses et des trésors spirituels, nous devrions n'y jamais penser sans tressaillir de joie et de bonheur, et sans considérer, au lieu des biens visibles, les biens invisibles, conformément à l'avis de Paul : « Ne regardons pas les biens qui se voient. » II Corinth., IV, 18.

C'est précisément en cela que consiste la foi, à ne pas se contenter des yeux corporels, à se représenter les choses qui ne se voient pas, à l'aide des yeux de l'intelligence : d'autant plus que ces dernières méritent notre créance à meilleur titre que les choses que distinguent les yeux de notre corps. Le Patriarche fut agréable à Dieu, mais parce qu'il crut à la promesse divine et qu'il s'éleva de la sorte au-dessus de la nature et des considérations humaines : et voilà pourquoi « sa foi lui fut imputée à justice. » Rom., IV, 3. Observez que la justice est une conséquence de la foi en la parole du Seigneur. Aussi, dès qu'il vous promet une chose, ne l'examinez pas au point de vue de l'ordre purement naturel, placez-vous au-dessus de ces raisonnements, et reposez-vous sur la puissance de Celui qui vous a donné sa parole. Cette épreuve a été celle de tous les justes, elle a été celle de notre magnanime Joseph; car, malgré les difficultés sans nombre qui surgirent subséquemment à ses victoires, il n'en fut ni ému, ni troublé; persuadé de l'inévitable accomplissement des divins décrets, il supporta toutes ces traverses avec une fermeté inébranlable : c'est à cause de cela que l'esclavage, la captivité, la calomnie le conduisirent comme autant de degrés à l'empire de l’Égypte. Sous l'influence de ces considérations, résignons-nous avec courage aux maux qui surviendront, rendons grâces en toute circonstance à notre miséricordieux Seigneur, et comptons sur sa récompense. 

Puissions-nous l'obtenir, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui gloire, puissance, honneur, soient au Père ainsi qu'au Saint-Esprit maintenant et toujours, et dans les siècles siècles. 

Ainsi soit-il.