Saint Jean Chrysostome

Homélie 59 sur la Genèse

Et Jacob vint à Salem, cité de Sichem, et il acheta, au prix de cent agneaux, d'Hémor, père de Sichem, un champ, et il y éleva un autel, et il invoqua le Dieu d'Israël.

1. Vous avez vu hier la merveilleuse clémence de notre Dieu, la sagesse de ses disciples et l'ingratitude des Juifs. Vous avez vu avec quelle patience il força ces derniers à faire taire leur criminelle audace, excusant ses disciples et montrant que ceux qui revendiquaient la loi ignoraient le but de la loi, et qu'en plein soleil de la vérité ils recherchaient les ombres de l’erreur. Vous avez vu comment il s'appliquait à abroger les observances légales, enseignant que, devant les splendeurs du soleil de justice de faibles et  pâles clartés n'étalent plus rien, et que l’astre qui se levait les confondait dans ses rayons et ne permettait pas de les apercevoir. Vous avez appris comment il est possible d’être toujours en fête, et d'être délivrés de l'observation des temps. Est-ce que le Seigneur n'est pas venu sur la terre pour opérer cette délivrance ? Est-ce qu’il n'est pas venu pour nous élever plus haut que ce monde, pour que dès ici-bas nous eussions déjà notre conversation dans les cieux, pour que, tout en étant des hommes, nous vécussions de la vie des anges, et nous prissions en pitié les choses humaines ? 

Aujourd'hui, si vous le voulez bien, nous continuerons d'expliquer le texte du bienheureux Moïse, nous parlerons de choses qui font suite à ce que nous avons dit dans les derniers jours. Vous vous souvenez de l’endroit où nous nous sommes arrêtés. Nous avons vu que Jacob, à son retour de la Mésopotamie, rencontra son frère Esaü, qu'ils se séparèrent qu'Esaü dirigea ses pas vers la montagne de Seir, que Jacob dressa ses tentes et qu'il appela le lieu où il s'arrêta : le Tabernacle. Il nous faut aujourd'hui continuer le récit et vous laisser une doctrine spirituelle. Le juste, rassuré et débarrassé de toute crainte, « vint en la cité de Sichem, et il acheta, au prix de cent agneaux, d'Hémor, père de Sichem, un champ, et il y éleva un autel et il invoqua le Dieu d'Israël. » Genes., XXXIII, 18-20. Ne passons pas à la légère sur ce que renferme la sainte Écriture. Si les chercheurs d'or n'épargnent aucune peine et supportent aisément les plus grandes fatigues pour séparer de la terre le précieux métal, combien plus ne nous faut-il pas scruter les oracles de l'Esprit saint, et ne sortir d'ici qu'après avoir compris les grands enseignements qu'ils renferment ? Voyez d'abord la grande philosophie de cet homme éminent. Il a vu, par la grâce de Dieu, ses richesses, c'est-à-dire ses troupeaux, augmenter considérablement; autour de lui s'agite une nombreuse famille; et cependant il ne se préoccupe pas de construire des édifices larges et somptueux, il ne prend pas soin d'acheter des champs et des habitations pour les distribuer ensuite à ses fils.

Les richesses sont souvent acquises par la ruse et la violence

Ceux qui parmi nous sont les plus riches sont loin de l'imiter : tel qui n'a qu'un fils cherche à thésauriser jusqu'à dix mille talents pour acquérir des propriétés ou construire de belles maisons. Plût à Dieu même que ces richesses fussent le fruit de justes travaux, et qu'elles eussent été acquises sans injustice; mais hélas ! souvent elles sont le prix de la violence, de la ruse, de vingt procès, et les dépouilles du prochain. Dites à cet homme : Vous n'y pensez pas ? pourquoi cette fureur de ramasser et d'acquérir ? Aussitôt il prétextera son enfant et il dissimulera son avidité sous le masque de l'amour paternel. Vient un jour cependant où, malgré son enfant, il maudit ce qu'il a fait, mais inutilement et sans résultat. Il en est d'autres qui, quoique sans famille, ressentent aussi cette ardeur frénétique de devenir riches; ils préféreraient tout supporter que de donner aux indigents une obole.

Que la conduite de ce juste est différente, et que ses pensées sont opposées ! Il avait besoin d'un petit champ, et il l'achète au prix de cent agneaux à Hémor, père de Sichem. Oh ! la profonde piété ! Ô l’admirable religion qui le pousse à acquérir cette portion de terre. « Et il y éleva un autel, et il invoqua le Dieu d'Israël; » et il acheta une partie du champ uniquement pour rendre grâces au Seigneur, notre maître commun. Tous ceux qui vivent sous la grâce devraient imiter ce juste qui vivait avant la loi, et ne pas se laisser aller à cette fureur d'amasser des richesses. Car pourquoi, dites-moi, entasser ainsi des épines qui vous déchireront, et ne pas remarquer que vous laissez à vos enfants l'occasion et la matière de beaucoup de péchés ? Ne savez-vous pas que le Seigneur prend plus de soin de votre enfant que vous n'en prenez vous-même ? Et comme si vous aviez les intérêts de votre fils plus à cœur qu'il ne les a lui-même, vous semblez chercher à lui laisser des occasions de perdre son âme. Est-ce que vous ignorez que la jeunesse est portée à se perdre, et qu'un moment suffit pour l'incliner au mal ? Or, plus elle est dans l'abondance, plus facilement elle glisse sur la mauvaise pente. Le feu qui trouve un aliment redouble d'intensité et de force : ainsi en est-il de la fortune qui tombe entre les mains d'un jeune homme, elle allume en lui une fournaise ardente qui dévore peu à peu toute l'âme de cet infortuné. Cet homme-là, je vous le demande, pourra-t-il être continent, fuir l'intempérance, embrasser les austérités de la vertu, rien faire pour son âme ?

2. N'entendez-vous pas le Christ qui vous dit : « Les soins de ce siècle et l'illusion de ce siècle étouffent la parole, et elle ne porte pas ses fruits ? » Matth., XIII, 22. Ces soins, ces illusions, il les compare aux épines sur lesquelles tombe la semence. Il venait dans une parabole d'expliquer le mystère de la semence, et, après avoir dit qu'une partie de cette semence était tombée au milieu des épines, il ajoute, indiquant à ses disciples quelles étaient ces épines : « La sollicitude de ce siècle et l'illusion des richesses étouffent la parole, et elle demeure stérile.» La comparaison était juste : de même que les épines ne laissent pas germer la semence mais empêchent par leur épaisseur le grain de se développer; de même les sollicitudes temporelles empêchent la semence spirituelle qui tombe sur nos âmes de produire ses fruits : elles la dessèchent, elles l'étouffent, elles arrêtent son accroissement. Le Christ parle ensuite de l'illusion des richesses, et l'expression est bien trouvée; car c'est bien là le caractère et la portée de la fortune. A quoi bon, dites-moi, tous ces trésors, tout cet argent ? Je vous entends me répondre que cette possession procure à l’âme une grande joie. Voyons, quelle est cette joie ?

Que dis-je ? N'est-il pas plus vrai de dire qu'elle engendre la tristesse et les chagrins ? Encore même je ne veux pas parler de ce grand châtiment réservé aux richesses dans l'autre monde, et, n'envisageant que la vie présente, je trouve que, loin de donner à l'âme aucun plaisir véritable, elles sont la source de troubles et d'inquiétudes sans fin. La mer, avec l'agitation de ses flots, ne donne qu'une imparfaite image de l'état de cette âme désolée par ses affections et ses pensées, si mal disposée envers les siens et pour les étrangers. Supposez maintenant qu’on lui enlève une partie de ce qu'elle possède, et comment serait-elle à l'abri des accidents, des pièges que lui tendent à la fois et la méchanceté des serviteurs et la violence des étrangers, et vous verrez si la vie est sans amertume. Oh ! qui plaindra jamais comme ils le méritent ces insensés qui travaillent ainsi contre eux et qui se donnent tant de peines pour ramasser des trésors si meurtriers ?

Mais ne poussons pas plus loin ces considérations, et poursuivons, si vous le voulez bien, l'histoire du juste. « Il éleva un autel dans une portion du champ qu'il avait acheté, il invoqua le nom du Seigneur; » et il résolut de demeurer dans la terre de Sichem. Or qu'arriva-t-il ? « Dina, fille de Lia, sortit pour voir les filles de cette contrée. Sichem, fils d'Hémor, l'ayant vu, coucha avec elle, et son cœur s'attacha à elle et il lui parla selon ses désirs. » Genes., XXXIV, 1-3. Oh ! que la jeunesse est mauvaise quand elle n'est pas soumise au joug de la raison ! Sichem n’a pas plus tôt vu Dina qu'il est séduit par ses charmes, qu'il l'aime, qu'il ne recule pas devant un crime pour assouvir sa passion. « Et il lui parla selon ses désirs. » Qu'est-ce à dire ? C'est que Dina étant jeune, il lui adressa de douces paroles pour se concilier son cœur. Puis il dit à son père : « Donnez-moi cette fille pour épouse. » Cependant Jacob apprit ce qui s'était passé, et il garda le silence jusqu'à l'arrivée de ses enfants, occupés à faire paître leurs troupeaux.

« Or Hémor, père de Sichem, vint trouver Jacob; et voilà que les frères de Dina arrivèrent et furent remplis de douleur en apprenant ce qui avait été fait à leur sœur. » Ibid., 4-7. Ils furent remplis de douleur, c'est-à-dire ils furent profondément attristés, et , regardant ce qui s'était passé comme un outrage sanglant, ils s'en affligeaient beaucoup. « Ils étaient accablés de tristesse parce que Sichem avait commis un outrage contre Israël, en couchant avec la fille de Jacob. » Voyez-vous la continence des fils de Jacob ? Ils estiment une honte suprême la violence qui a été faite à leur sœur. Voyez-vous comment le juste a enseigné la vertu à sa famille ? Voyez-vous comment le fils d'Hémor, par son action détestable, devient pour son père et sa cité tout entière une cause de malheur ? Mais entendons d'ahord ce que leur dit Hémor, nous verrons ensuite l'habileté des frères de Dina, et la manière dont ils tirèrent vengeance de l'injure faite à leur sœur. « Hémor leur parla ainsi : « Mon fils Sichem s'est attaché à votre fille plus qu'à son âme. » Ibid., 8. Déjà il fait pressentir le dommage qui résultera de cette affection coupable.

« Mon fils, dit-il, a aimé plus que son âme, » c'est-à-dire, il a exposé son âme pour votre fille. Il exprimait ainsi l'amour que son fils ressentait pour la jeune fille, et bientôt il devait apprendre que cet amour allait être l'occasion de sa perte, et de la perte de tous ceux qui étaient là. Puis donc que mon fils aime ainsi votre enfant, « donnez-la lui pour épouse, unissons-nous par des mariages les uns aux autres, donnez-nous vos filles, et prenez les nôtres pour vos fils, et habitez avec nous. Voici que la terre s'étend devant vous, habitez-la, cultivez-la, possédez-la. » Ibid. 9-10. 

Admirez la bonté avec laquelle ce père, guidé par l'amour de son fils, traite les étrangers. Il va, pour se concilier leur affection, jusqu'à mettre en leur pouvoir toute la terre qui lui appartient. Mais, après le père, voyez le fils. Quand il vit tout l’intérêt qu'il inspirait à Hémor, quand il le vit disposé à tout faire pour satisfaire ses vœux, il intervint à son tour, et s'adressant à Jacob et à ses fils : « Que je trouve grâce devant vous, dit-il, et ce que vous me demanderez, je le donnerai. Augmentez la dot, et je donnerai selon vos paroles ; seulement donnez-moi cette fille pour épouse.» Ibid. 11-12. Ainsi, aux supplications du père, dictées par l'amour et la sollicitude qu'il porte à son fils, le fils ajoute ses promesses et consent joyeusement à tout donner afin de recevoir en échange celle qu'il aime.

3. C'est que, sous l'empire de cette détestable passion, il n'est rien qu'on n'entreprenne, jusqu'à ce que l'enfer devienne le partage de ceux qu'elle possède. Voyez, je vous en conjure; le vieux Jacob entend en silence ce qui a été fait, sa douceur l’empêche de se plaindre; il supporte avec résignation la violence dont sa fille a été victime. « Mais les fils de Jacob répondirent à Sichem et à Hémor des paroles trompeuses, à cause de l'outrage commis envers leur sœur.» Ibid 13. 

Considérez ici le grand châtiment infligé à ce crime : l'intempérance d'un seul fit peser sur la cité tout entière de redoutables fléaux. Quand le feu prend à un bûcher, ceux qui sont près courent de grands dangers à cause des progrès de l'élément destructeur; de même la conduite déréglée de ce jeune homme perdit non seulement son père, mais encore tous ses concitoyens. Que firent donc les enfants de Jacob ? Ils leur répondirent avec astuce. Et certes leur douleur était grande et bien digne de vous être racontée. « Or, Siméon et Lévi, frères de Dina et fils de Lia, dirent : nous ne pouvons faire ce que vous demandez, ni donner notre sœur à un homme incirconcis; mais, si vous vous faites circoncire, nous vous donnerons nos filles, et nous prendrons les vôtres, nous demeurerons avec vous et nous ne ferons plus qu'un peuple. » Ibid., 14-15. C'était une proposition honnête et conforme à la raison; ici néanmoins elle était dictée par la ruse. « Si vous ne voulez pas être circoncis, nous reprendrons notre fille et nous nous retirerons. » Ibid., 17. En parlant ainsi, Siméon et Lévi méditaient en eux-mêmes un massacre général.

Cependant Hémor et Sichem, ne perdant pas de vue l'objet de leur démarche et désirant obtenir la jeune fille, consentirent à ce qu'on demandait et agréèrent la proposition. Entendez, en effet : « Cette offre leur fut agréable, et le jeune homme ne différa pas de faire ce qu'on lui avait dit; car il aimait cette fille avec passion; » c'est-à-dire qu'elle était tout pour lui. «Sichem et son père vinrent donc à l'entrée de la ville et parlèrent au peuple. » Ibid., 18-20. Ils l'engagèrent à accepter les conditions qui leur avaient été posées par les étrangers, à se faire circoncire et à les recevoir parmi eux. Conformément aux conseils d'Hémor et de Sichem tous se firent circoncire. Siméon et Lévi ne tardèrent pas à l'apprendre, et ce fut pour eux l'occasion de faire ce qu'ils projetaient depuis longtemps. « Ils prirent chacun leur glaive et pénétrèrent dans la ville en toute sécurité. »

Qu'est-ce à dire « en toute sécurité ?» C'est que n'étant que deux, ils purent braver une multitude, protégés qu'ils étaient par les plaies encore fraîches de ceux qui venaient d’être circoncis. L’Écriture d'ailleurs nous le révèle d'une manière éclatante : « Il arriva; dit-elle, que le troisième jour, lorsqu'ils étaient dans la douleur. » Ibid., 25. Voilà la cause de leur sécurité, voilà ce qui rendit deux hommes plus forts qu'une multitude. « Ils tuèrent tous les mâles», c'est-à-dire tous les hommes affaiblis par la circoncision, et prêts, en quelque sorte, à être mis à mort; entr'autres ils tuèrent le jeune homme qui avait abusé de leur sœur. Non contents de cette vengeance  ils prirent les brebis et les troupeaux, menèrent tous les autres habitants en captivité, et s'en retournèrent après avoir saccagé la ville et tué tous les hommes. Avez-vous vu, mon bien-aimé, les désastreux effets de la témérité d'un adolescent ? Avez-vous vu les maux qu'elle attira sur toute une cité ?

Nous devons imposer un frein à l’appétit sensuel de nos enfants

Instruits par cet exemple, réprimons les appétits désordonnés de nos enfants, imposons un frein à la jeunesse, et par la crainte et par la persuasion faisons en sorte que la modestie y soit en honneur; mettons tout en œuvre, ne négligeons rien pour que cet âge si dangereux soit mis à l'abri de ces aveugles emportements. Voilà dans quel but notre commun Seigneur, prenant pitié de la faiblesse humaine, établit la loi du mariage, comme un moyen pour détourner l'homme des funestes entraînements. Ne négligeons donc pas les intérêts de la jeunesse ; voyant plutôt la fureur de l'incendie, prévenons les catastrophes en ménageant à  temps une alliance qui soit selon la loi de Dieu, et qui devienne alors la sauvegarde de la chasteté, une protection contre les attraits de la concupiscence, un asile pour échapper aux tyranniques emportements de la chair, et par là même aux supplices qui en seraient la conséquence.

Voyons maintenant de quelle manière le vieillard fut affecté par les désordres de ses enfants. « Jacob dit, ajoute l’Écriture : Siméon et Lévi, vous avez fait de moi un objet de répulsion et d'horreur pour les habitants de cette contrée.» Ibid., 30. Pourquoi soulever une telle vengeance ? Ce que vous avez fait va déchaîner contre moi la haine de tous ceux qui nous entourent. - Puis, il laisse encore mieux parler la frayeur dont il est saisi : « Peu nombreux comme nous le sommes, nous serons accablés s'ils se réunissent, ils nous écraseront de leur nombre. » Il est aisé de comprendre sa pensée : Ne voyez-vous pas combien il leur est facile, à raison de cette différence, de nous rendre les maux que vous leur avez faits ? A cause de vous, je serai l'objet d'une haine implacable; de même que Sichem fut la cause de la mort de son père et de tous les habitants de cette ville, de même vous le serez pour moi : votre audace me livre à l'extermination. « Ils répondirent : Traiteront-ils notre sœur comme une femme perdue? » Ibid., 31. Vous le voyez, ils ont tiré vengeance de l'outrage fait à la pudeur; c'est ainsi qu'ils s’excusent auprès de leur père. Ces hommes, disent-ils, nous ont fait une insulte mortelle en outrageant notre sœur ; de là ce que nous avons fait contre eux, afin d'apprendre à ceux qui viendront dans la suite à ne plus commettre de pareils attentats.

4. Mais remarquez encore ici l'ineffable sollicitude que Dieu témoigne au juste. Voyant combien il redoute la colère des habitants de cette contrée, à cause de la conduite de ses enfants. « Dieu lui dit : Lève-toi et monte au lieu nommé Béthel pour y fixer ton séjour. » Genes., XXXV, 1. Puisque tu n'as plus ici de sécurité, éloigne-toi, va fixer ton séjour à Béthel, « et là dresse un autel au Seigneur qui t'apparut lorsque tu fuyais la présence d'Esaü, ton frère. Et Jacob dit à sa famille et à tous ceux qui étaient avec lui : Enlevez les dieux étrangers que vous avez au milieu de vous, purifiez-vous et changez vos vêtements; levez-vous et montons à Béthel; nous dresserons là un autel au Seigneur, qui m'a exaucé dans le jour d’affliction, qui m'a accompagné et sauvé dans la voie que j'ai parcourue. » Ibid., 2-3. Remarquez de nouveau l'obéissance du juste et son amour pour Dieu. Sur l'ordre qu'il vient de recevoir : « Monte à Béthel et dresse un autel., » il appelle tous les siens; et leur dit : « Enlevez les dieux. »

Quels dieux ? me dira-t-on peut-être. Nous ne voyons nulle part que le juste ait eu des dieux étrangers; dès l'origine il a servi le vrai Dieu. - Il fait sans doute allusion aux dieux de Laban, que Rachel avait soustraits; et voici le sens de cette parole : Comme nous devons rendre grâces au vrai Dieu, qui m'a toujours couvert de sa protection, s'il reste parmi vous des idoles, enlevez-les, « et purifiez-vous, et changez vos vêtements. » C'est ainsi que nous nous rendrons à cette ville, renouvelés au dedans comme au dehors. Ne vous contentez pas de manifester la pureté de vos âmes par l'éclat de vos vêtements, mais purifiez aussi vos pensées en rejetant les idoles, et montons de la sorte à Béthel. « Et ils donnèrent à Jacob les dieux étrangers ( ce n'étaient pas leurs dieux) et les ornements d'or qu'ils portaient à leurs oreilles. » Ibid., 4. On peut supposer que ces ornements étaient empreints d'idolâtrie, et c'est pour cela qu'ils les remirent à Jacob avec les idoles. « Et il les cacha sous le térébinthe qui est à Sichem, et il les fit disparaitre jusqu'à ce jour. » Il les cacha donc et les fit disparaître, afin que les esclaves de l'erreur en fussent désormais affranchis et ne pussent pas en infecter les autres.

Après ces préparatifs le juste « s'éloigna de Sichem, » Ibid., 5, et se dirigea vers Béthel. Vous remarquerez encore le soin que la Providence a de lui et l'attention que met l’Écriture à nous en donner tous les détails. Quand le juste fut sorti de Sichem, « une terreur religieuse se répandit dans toutes les villes d'alentour et l'on ne poursuivit pas les enfants d'Israël. » Quelle protection visible et quel puissant secours ! Voilà donc que la terreur se répand sur ces peuples, et qu'ils ne songent plus dès lors à poursuivre la famille de Jacob. Cette circonstance est signalée comme un remède à la crainte exprimée par le juste : « Nous sommes peu nombreux, nous serons accablés. » Quand le Seigneur a résolu de nous secourir, il rend les faibles supérieurs aux forts, il fait que le petit nombre l'emporte sur le grand; rien ne saurait être plus heureux que d'être ainsi l'objet de la protection divine. L’Écriture poursuit : « Et Jacob se rendit à Luza qui est situé en la terre de Chanaan, et qui n'est autre que Béthel; il était suivi de tout son peuple. Là il dressa un autel, et c’est lui-même qui donna le nom de Béthel à ce lieu : car Dieu lui avait apparu là lorsque Jacob fuyait la présence d'Esaü, son frère. » Ibid., 6-7. Etant, en effet, parvenu à ce lieu, il fit ce qui lui était ordonné, il dressa l'autel et nomma ce lieu Béthel. « Déborra, nourrice de Rébecca, mourut et fut ensevelie au pied de Béthel, sous un chêne, que Jacob appela le chêne du deuil, » Ibid., 8. Vous voyez comme il nomma chaque lieu d'après les événements afin d'en perpétuer la mémoire. Comment, me dira-t-on, la nourrice de Rébecca fut-elle avec Jacob la première fois qu'il revenait de Mésopotamie et lorsqu'il n'avait pas encore rejoint son père ?- Il faut répondre, je pense, qu'elle désira partir avec Jacob quand celui-ci s'éloignait de Laban, poussée qu'elle était par le désir de revoir Rébecca après un temps aussi long, mais qu'elle mourut avant de la rencontrer.

5. Arrêtons là notre discours, si vous le voulez bien, et contentons-nous de ce qui a été dit. Je ne veux pas néanmoins finir sans conjurer votre charité de redoubler de zèle pour la vertu et de veiller à la modestie de la jeunesse. L'habitude du mal, qui dérive toujours ou presque de l'excessive tolérance qu'on a pour ce premier âge, cause de tels désastres en se prolongeant, que toutes les exhortations deviennent désormais inutiles; car une fois que les hommes se sont rendus les esclaves de l'iniquité, ils se laissent mener comme des esclaves, ils obéissent à tous les caprices du démon. C'est lui désormais qui commande, il leur donne les ordres les plus funestes; et les jeunes gens se hâtent de les accomplir, ne voyant que la volupté présente et ne songeant pas aux douleurs qui viennent après. Je vous en prie donc, tendons à nos enfants une main secourable, afin que nous n'ayons pas à subir aussi le châtiment du mal qu'ils auront fait. Ignorez-vous quel fut le sort du grand-prêtre Héli dans sa vieillesse pour n’avoir pas corrigé ses enfants comme il le devait ? Un médecin voulant guérir avec des liniments une plaie qui réclame le fer, ne tarde pas à la rendre incurable, parce qu'il n'a pas employé le remède proportionné à la gravité du mal : tel ce vieillard, alors qu'il devait corriger ses enfants selon la gravité de leurs désordres, ne les ayant repris qu'avec mollesse, fut lui-même enveloppé dans le sort qui les frappa.

Tremblons à la vue de cet exemple, et, si nous avons des enfants, occupons-nous sérieusement de leur éducation, que notre sollicitude s'étende à notre maison tout entière; regardons comme le plus grand bien celui que nous aurons fait à notre prochain; que chacun soit ainsi formé à la pratique de la vertu, ait le courage de s'éloigner du vice, et par l'abondance de ses bonnes œuvres obtienne avec la même abondance les célestes secours. Puisse-t-il en être ainsi de nous tous, par la grâce et l'amour de Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, en même temps qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. 

Ainsi soit-il.