Saint Jean Chrysostome

Homélie 57 sur la Genèse

Or Joseph étant né de Rachel, Jacob dit à Laban: laisse-moi retourner dans ma patrie et ma terre.

1. Il nous faut aujourd'hui vous exposer la suite de ce que nous disions hier; puissions-nous, en voyant dans ces paroles la providence de Dieu pour le juste et la piété de ce juste envers Dieu, imiter la vertu de Jacob. Ce n'est pas en vain que l'Esprit saint nous a laissé ses souvenirs par écrit; il a voulu par là exciter notre ardeur et nous encourager à marcher sur de si grands exemples. N'est-il pas vrai qu'en entendant célébrer tour à tour l'obéissance de ce juste et la continence de celui-là, l'hospitalité de cet autre, la grande vertu de tous, le chemin par lequel ils sont arrivés à la gloire et à la célébrité, nous nous sentons portés à marcher sur leurs traces ? Arrivons donc sans plus tarder à l'histoire du juste et poursuivons-en l'exposé. « Or, quand Rachel eut mis au monde Joseph, Jacob dit à Laban : Laissez-moi retourner en ma patrie et en ma terre. Donnez-moi mes femmes et mes enfants pour qui je vous ai servi. » Genes., XXX. 25-26. Voilà les bonnes dispositions de l'esprit du juste; il voit d'une manière certaine que Dieu prend soin de lui, et cependant il dit à Laban, sans orgueil et avec une douceur admirable : « Laissez-moi m'en aller. » Rien de plus fort, rien de plus puissant que la douceur. Voyez, en effet, ce qu'elle valut à Jacob; il n’a pas plus tôt parlé que Laban lui répond avec bienveillance : « Que je trouve grâce devant toi; j'ai connu par mon expérience que le Seigneur m'a béni depuis que tu es avec moi; dis-moi ce que tu désires et je te le donnerai. » Ibid., 27-28.

Ton arrivée parmi nous m'a valu de la part de Dieu une plus grande bienveillance, je ne l'ignore pas; aussi, en retour de tous les bienfaits que ta présence m'a valus, dis-moi quelle récompense tu désires, et tes vœux seront vite exaucés. Admirez combien grande était la modération du juste, et soyez attentifs à ses paroles.

Vous croyez qu'il va songer à demander beaucoup, qu'il va réclamer le prix de tout ce qu'il a fait; eh bien, détrompez-vous; il se contente de dire : « Donnez-moi mes femmes et mes enfants pour lesquels je vous ai servi, afin que je parte. » Et alors, étonné de tant de réserve, Laban lui répond : « Dis-moi quelle récompense tu veux avoir, et je te la donnerai aussitôt. » Est-ce que ses femmes et ses enfants n'étaient pas avec lui ? Pourquoi donc dit-il : « Rendez-moi mes femmes et mes enfants ? » Ah ! c'est qu'il veut combler d'honneur son beau-père, c'est qu'il veut être fidèle en toute chose à son caractère, c'est qu'il veut partir librement.

Voyez comme il amène Laban par ses paroles à lui promettre spontanément une récompense et même à lui en laisser le choix. Que faut-il donc ? Admirez sa grande douceur, qui fait qu'en cela même il n'est pas à charge à Laban. Que fait-il ? Il lui rappelle simplement son attachement, ses travaux, la bienveillance dont il n'a cessé de faire preuve tout le temps qu'il est demeuré à son service : « Vous savez, dit il, comment je vous ai servi et combien vos troupeaux ont prospéré avec moi. Ils étaient peu nombreux quand je les ai pris, maintenant ils sont devenus considérables ; Dieu vous a béni à mon arrivée. Maintenant n'est-il pas juste que je pourvoie aussi à ma maison ? » Ibid., 29-30.

Je vous prends à témoin de mes travaux. Vous savez avec quel zèle, quelle conscience j'ai administré vos affaires; vous savez que, quand vous m’avez confié vos troupeaux, ils étaient bien peu nombreux et que par mes soins, par ma vigilance, ils sont devenus innombrables. Montrant ensuite sa religion, il ajoute : « Dieu vous a béni depuis mon arrivée; quand donc pourvoirai-je moi-même à ma maison ? » Ma présence vous a valu de grandes grâces, et Dieu a multiplié vos richesses. Maintenant donc que j'ai fait avec empressement tout ce que j'ai pu pour vous, maintenant que j'ai rempli mon devoir et que la grâce de Dieu s'est manifestée, il est bien juste que je pourvoie à ma maison, c'est-à-dire que je vive désormais en liberté et que j'aie soin de ma famille. - Laban l'eut à peine entendu qu'il dit : « Que te donnerai-je ? » Que veux-tu de moi ? Je le confesse, je ne le nie pas ; je sais tout ce que Dieu m'a donné et je n'ignore pas qu'il m'a béni depuis que tu es avec moi. « Or Jacob lui dit : Vous ne me donnerez rien; mais, si vous faites ce que je demande, je conduirai encore vos troupeaux dans leurs pâturages. » Je ne veux pas de récompense, faites seulement ce que je demande, et « je deviendrai encore pasteur de vos troupeaux. » Ibid., 31. Or voici ce qu'il demande. Le juste espérait dans le secours de Dieu, entendez aussi ce qu'il propose à Laban. « Parcourez tous les troupeaux, séparez les brebis bigarrées et tachetées, et tout ce qui naîtra d'un noir mêlé de blanc parmi les chèvres et parmi les brebis sera ma récompense. Et ma justice répondra demain pour moi, parce que c'est le temps de ma récompense devant vous; tout ce qui ne sera pas tacheté et mêlé de blanc parmi les chèvres, et tout ce qui ne sera pas roux parmi les agneaux, je ne pourrai le prendre sans larcin. » Ibid., 32-33.

2. Considérez la prudence du juste. Il savait bien qu'à ne s'en tenir qu'aux lois de la nature, ce qu'il demandait était très difficile et même impossible à avoir. Il est très rare, en effet, que la toison des agneaux nouveau-nés soit de différentes couleurs; mais il comptait sur la grâce, et il fit à Laban sa proposition, qui fut, on le pense bien ; immédiatement acceptée. « Qu'il soit fait selon ta parole, dit Laban; et il sépara ce jour-là les chèvres et les brebis et les boucs et les béliers bigarrés et tachetés; tout ce qui était d'une seule couleur, c'est-à-dire dont la toison était blanche ou noire, il le confia aux mains de ses fils; et il mit l'espace de terrain qu’on parcourt en trois jours entre lui et Jacob. »lbid., 34-36. Il sépara ses troupeaux , comme Jacob l'avait proposé, et il en donna une part à ses fils : « Quant au reste, Jacob les faisait paître. » Quelles étaient les brebis de Jacob ? C'étaient celles dont la toison était d'une même  couleur. Tout cela arrivait par la volonté de Dieu, qui voulait découvrir au juste sa providence, et faire voir à Laban combien Jacob pouvait compter sur son secours. « Jacob, prenant donc des branches vertes de peuplier, d'amandier et de platane, en enleva l'écorce et découvrit la couleur blanche sous la surface verte qu'il fit disparaître; ces branches privées de leur écorce offraient donc une couleur blanche variée. Et il les plaça dans les canaux où l’eau coulait, afin que les troupeaux, lorsqu'ils venaient boire, conçussent en les regardant. Et les brebis concevaient en regardant les branches, et mettaient bas des agneaux bigarrés, tachetés et mêlés ça et là de couleur cendrée. » Ibid., 37-39.

Le juste n'agissait pas ainsi de lui-même : il obéissait à une inspiration d'en haut. Ce qu'il faisait n'était pas selon l'ordre de la nature; il y avait là quelque chose d'admirable qui dépassait tout ce que la nature pouvait suggérer. « Et il sépara les agneaux, et il plaça devant les brebis un bélier mêlé de blanc, et il sépara tout ce qui était varié parmi les brebis, et il garda ses brebis sans les mêler aux brebis de Laban. » Ibid., 40. Puis, comme tous les animaux qui naissaient étaient conformes au désir de Jacob, il les gardait pour lui et se faisait des troupeaux séparés. « Or , quand les brebis concevaient, Jacob plaçait les branches sous leurs yeux dans les canaux, afin qu'elles conçussent en les regardant. Mais, quand c'était le temps de la naissance, il ne les y plaçait pas.Et les brebis non tachetées appartenaient à Laban, et celles qui l'étaient devenaient la propriété de Jacob. Ainsi Jacob prospéra beaucoup. » Ibid., 41-43. L'Ecriture insiste là-dessus, elle parle d'une grande prospérité; pourquoi ? Pour signifier l'abondance dont jouissait Jacob et pour montrer qu'il ne s'agissait pas seulement d'un accroissement ordinaire, mais d'une grande fortune. « Jacob, dit-elle, eut une multitude de troupeaux et de bœufs, de nombreux serviteurs et beaucoup de servantes. » Mais la prospérité du juste va bientôt exciter l'envie; car Laban entendit les paroles de ses fils, disant : « Jacob a pris tous les biens de notre père, il s'est enrichi de ses possessions. » Genes., XXXI, 1. La jalousie rend les fils de Laban ingrats, et non pas seulement eux, mais Laban lui-même. « Jacob. en effet, s'aperçût au visage de Laban qu'il n'était plus pour lui comme auparavant. » Ibid., 2. Le langage qu'avaient tenu par ses fils avait jeté le trouble dans son âme et lui avait fait oublier qu'il avait dit naguère à l’époux de sa fille : « Dieu m'a béni depuis que tu es avec moi; » Gen., XXX, 27, qu'il avait rendu grâces au Seigneur de ce que ses richesses s'étaient accrues par la seule présence de Jacob; et maintenant il n'était plus le même : en même temps que ses fils parlaient, la jalousie pénétrait dans son cœur, et peut-être parce qu'il voyait le juste dans l'abondance, il ne se montrait pas avec lui tel qu'il était auparavant.

« Jacob vit le visage de Laban, et voilà qu'il n'était plus pour lui comme hier et avant-hier.» Quelle douceur dans l'âme du juste ! Mais quelle ingratitude chez les fils de Laban; ne pouvant contenir leur envie, ils jetèrent le trouble dans le cœur de leur père. Dieu alors intervint en faveur de son serviteur. Voyez, je vous en conjure, son ineffable miséricorde, voyez comme il use de bonté en vers ceux qui s'efforcent de lui plaire ! Il n'a pas plus tôt vu Jacob sous le coup de la haine, qu'il vient à lui et lui dit : « Retourne en la terre de tes pères et vers ta nation, et je serai avec toi. » Ibid., XXX, 3. Tu es assez longtemps demeuré sur la terre étrangère; ce que je te promis autrefois en te disant : «Je te ramènerai dans ton pays, » Gen., XXVII, 15, je vais le tenir maintenant. Retourne-t'en donc sans crainte « car je serai avec toi.» Il ne veut pas que le juste retarde son départ; il faut qu'il se mette en route sur-le-champ, et c'est pour l'exciter à la confiance qu'il lui dit : «Je serai avec toi » moi qui jusqu’ici ai pris soin de ce qui te concerne, moi qui ai multiplié ta race dans le passé, « je serai avec toi» à l'avenir. Dès que le juste eut entendu ces paroles de Dieu, il se prépara à partir sans hésitation et sans délai. « Il envoya et fit venir Rachel et Lia dans le champ où il paissait les troupeaux et il leur dit. » Gen., XXXI, 4. Il veut annoncer à ses femmes le départ, et leur faire connaître à la fois et l'ordre de Dieu et la haine que leur père avait pour lui. « Il leur dit donc : Je constate au visage de votre père qu'il n'est plus pour moi comme auparavant; mais le Dieu de mon père est avec moi. Vous savez que j'ai servi votre père de mon mieux. Votre père m'a trompé, il a changé dix fois mon salaire; mais Dieu ne lui a pas permis de me nuire. Quand il a dit : Les brebis bigarrées seront ta récompense, toutes les brebis enfantaient des agneaux tachetés. Quand il disait au contraire : Les brebis blanches seront à toi, toutes les brebis enfantaient des agneaux blancs, et Dieu a ôté à votre père tous ses troupeaux et me les a donnés. » Ibid., 5-9.

3. Voyez comme Jacob révèle à ses femmes l'ingratitude de leur père envers lui, malgré le dévouement qu'il avait mis à le servir pendant longtemps. « Vous savez, leur dit-il, que je me suis efforcé de servir votre père de mon mieux.» Il leur déclare ensuite que Dieu a cessé de veiller sur Laban, que tout ce qui s'est fait a eu lieu par la permission du Ciel, et que les richesses de Laban sont devenues sa possession. «Dieu, continue-t-il, a ôté à votre père ses troupeaux et me les a donnés; car, lorsque les brebis concevaient, je levais les yeux et je voyais un songe, et voilà que les boucs et les béliers s'approchaient des brebis et des chèvres, et ces mâles étaient mêlés de blanc, bigarrés, et avaient des taches couleur de cendre. Et l'ange de Dieu me dit en songe : Jacob. Et je répondis : Que voulez-vous ? Et il dit: lève les veux et vois les boucs et les béliers mêlés de blanc, bigarrés, ayant des taches couleur de cendre, s'approcher des brebis et des chèvres; car j'ai vu tout ce que t'a fait Laban. » Ibid., 10-12. Vous le savez, c'est Dieu qui conduit tout, c'est Dieu qui veut récompenser les travaux du juste. Laban s’était montré ingrat envers Jacob; le Seigneur veut le récompenser lui-même abondamment : «J'ai vu, lui dit-il, tout ce que t'a fait Laban.»

La douceur face aux injures nous voudra de vastes récompenses

Qu'est-ce à dire ? Ah ! c'est que notre douceur dans les injures, la résignation devant les outrages, nous vaudront de la part de Dieu une généreuse et large protection ! N'usons donc pas de représailles envers ceux qui nous persécutent ou qui veulent nous calomnier; supportons sans nous plaindre leurs attaques, et n'oublions pas que Dieu se souviendra de nous si nous savons être bienveillants et bons. «La vengeance est à moi et c'est moi qui l'accomplirai, dit le Seigneur.» Rom., XII, 19. C'est ainsi que Jacob disait : « Dieu n'a pas permis à Laban de me nuire.» Deut., XII, 35. Parce que Laban voulait me frustrer de ma récompense, le Seigneur a usé envers moi d'une grande miséricorde, et voilà que toutes ses richesses m'ont été données. Il sait avec quel zèle j'ai servi mon beau-père, et, quand il a su l'ingratitude, il a lui-même pris soin de moi.

Comme vous pourriez croire que je me plains sans motifs et que j'énonce une accusation téméraire, Dieu lui-même a rendu témoignage de la conduite de votre père envers moi : « J'ai vu, dit-il tout ce que t'a fait Laban ;» non seulement il t'a frustré de ton salaire, mais encore il n'est plus disposé pour toi comme auparavant, ses sentiments ont bien changé. « Moi je suis le Dieu qui t'ai apparu au lieu où tu as répandu de l'huile sur la pierre.» Gen., XXXI, 13. Dieu veut renouveler à Jacob ses promesses; il lui avait dit : « Je te ferai croître, j'augmenterai ta race, je te garderai, et je te ramènerai sur la terre. » Genes., XXVII, 14-15. Moi qui t'apparus alors et qui te fis de si grandes promesses, je t'ordonne, maintenant que le temps de les accomplir est venu, de t'en retourner sans crainte et sans angoisse. « Je serai avec toi. Je suis le Dieu que tu as vu à l'endroit où tu as répandu de l'huile sur la pierre et fait un voeu.» Il lui remet en mémoire le vœu et la promesse qu'il reçut. Quel vœu avait fait Jacob ? «Je vous offrirai, avait-il dit au Seigneur, la dîme de tout ce que vous me donnerez. » Genes., XXVIII, 22

Quand tu faisais cette promesse, tu ne possédai rien, tu marchais comme un exilé et un transfuge, et cependant je t'apparus et tu me dis« Je vous donnerai la  dîme de tout ce que vous m'accorderez, » confessant à l'avance ma puissance par ton engagement, et entrevoyant déjà des yeux de la foi l'abondance qui t'était réservée; ce que je t'avais promis se trouve aujourd'hui réalisé, il est juste que tu remplisses ton vœu. «Lève-toi donc, sors de cette terre, retourne au pays où tu as vu le jour, je serai avec toi.» Je t'accompagnerai partout, je te rendraI la voie facile, tu ne recevras de dommage de personne; car ma droite te protégera toujours «Rachel et Lia l'ayant entendu, répondirent N’aurons-nous pas notre part dans les biens et l'héritage de notre père ? Ne nous a-t-il pas considérées comme des étrangères ? Il nous a vendues et il a dissipé notre lot. Mais Dieu lui a enlevé ces richesses et cette gloire et vous les a données; faites donc tout ce que Dieu vous a ordonné. » Genes., XXXI, 14-16. Lia et Rachel obéissent à Dieu et donnent à leur époux des raisons qu'il ne peut contredire. Qu'y a-t-il de commun entre notre père et nous ? Ne nous a-t-il pas vendues ? « Les richesses et la gloire que Dieu lui a enlevées pour vous les donner, nous en jouissons nous et nos fils. » Courage donc, ne différez plus, et faites ce que Dieu vous a ordonné. «Tout ce que Dieu vous a dit de faire, faites-le. C'est pourquoi Jacob se leva, prit ses femmes et ses enfants, les fit monter sur des chameaux et s'en alla, emportant toutes ses richesses, ses troupeaux et tout ce qu'il avait acquis en Mésopotamie, se rendant vers Isaac son père.» Ibid., 17-18.

4. Considérez, je vous prie, la force d'âme du juste, et voyez comment, laissant de côté toute anxiété et toute crainte, il obéit aux ordres de Dieu. Quand il vit les mauvaises dispositions de Laban, il ne continua pas à l'interroger comme il faisait auparavant, mais il fit ce que Dieu lui commandait et il se mit en route avec ses femmes et ses enfants. « Or Laban était allé tondre ses brebis, et Rachel déroba les idoles de son père. » Ibid., 19. Savez-vous pourquoi il est fait mention de cette dernière circonstance ? C'est pour nous apprendre que les femmes de Jacob suivaient les coutumes de leur père et adoraient encore les idoles. Voyez, en effet, avec quel empressement Rachel dérobe celles de sa maison ; la seule chose qu'elle veut prendre, ce sont les idoles, mais en ayant soin de cacher à son mari ses projets, parce qu'il ne lui aurait pas permis de les réaliser. « Et Jacob ne voulut pas avouer à son beau-père qu'il fuyait. Il s'éloigna donc avec tout ce qu'il possédait, et , après avoir traversé le fleuve, il s'avançait vers la montagne de Galaad. » Ibid., 20-21. Ici encore la providence de Dieu intervient, elle ne permet pas que Laban connaisse le départ de son gendre avant que celui-ci se trouve déjà loin. « Ce fut le troisième jour seulement qu'on annonça à Laban la fuite de Jacob. Laban prit avec lui tous ses frères et le poursuivit durant sept jours, et il l'atteignit en la montagne de Galaad. » Ibid., 22-23. J’appelle encore votre attention sur la providence dont Dieu couvre le juste.

Quand il vit que Laban indigné le poursuivait avec colère et se proposait de châtier son départ si furtif, il lui apparaît pendant la nuit et en songe. «Dieu vint donc trouver Laban le Syrien, pendant la nuit et en songe, et lui dit. » Ibid., 24. Quelle bonté de la part de Dieu ! Comme il veille attentivement sur le juste ! C'est à cause de lui qu'il parle à Laban. C'est pour frapper l'esprit de son beau-père et détourner de Jacob la colère dont il est menacé. « Prends garde, lui dit-il, de parler à Jacob avec rudesse.» Voyez comme le Seigneur est bon. Laban, il le sait, court au combat, il veut s'insurger contre le juste; d'un mot il apaise son esprit : «Prends garde, lui dit-il, de parler à Jacob avec rudesse; » comme s'il lui disait : Ne dis rien qui puisse offenser Jacob; veille bien sur toi-même, domine cette mauvaise passion dompte ta fureur, calme ta colère et garde-toi de le contrister même par tes paroles.

Quelle clémence encore une fois ! Dieu n'ordonne pas à Laban de retourner chez lui, il lui défend seulement de parler au juste avec rudesse et de manière à lui faire de la peine. Pourquoi, pour quelle cause ? Afin que le juste sache bien par ce qui se passe, par les événements mêmes, combien Dieu prend soin de lui. Si Laban eût regagné sa demeure, qu'eût pensé Jacob ? comment ses épouses auraient-elles pu apprécier cette vigilance dont Dieu les couvrait ? C'est pourquoi Laban ira vers Jacob, il lui confessera de sa propre bouche ce que Dieu lui a dit, et le juste se trouvera encouragé à précipiter son départ, il sentira sa confiance s’accroître, et les épouses du juste, en voyant tout ce que Dieu fait pour Jacob, abjureront l'erreur paternelle imiteront le juste, et seront dès lors à même de connaître le vrai Dieu. Quand Jacob parlait, elles pouvaient douter de ce qu'il disait; mais comment n'avoir pas foi aux paroles de Laban, qui était idolâtre ?

Les témoignages des ennemis de la religion en sa faveur sont plus facilement acceptés

Les témoignages des infidèles et des ennemis de la religion sont plus facilement acceptés; et Dieu l'a voulu ainsi dans sa sagesse afin de rendre ses ennemis mêmes témoins de la vérité et de la faire affirmer par leurs propres paroles. « Et Laban atteignit Jacob, qui avait tendu ses tentes sur la montagne. Laban établit ses frères sur le mont Galaad, puis il dit à Jacob : Pourquoi as-tu agi ainsi ? » Ibid., 25-26. Voyez comment la parole de Dieu a refroidi son ardeur et contenu sa colère. Il s'adresse à Jacob avec douceur, il a l'air de s'accuser, on dirait un père qui parle à son enfant ! Ah ! c'est qu'avec le secours d'en haut nous n'avons rien à craindre des embûches des hommes; que dis-je ? quand mème nous tomberions en la puissance des animaux féroces, il ne nous arriverait aucun mal.

Le Seigneur, en effet, ne tarde pas à faire éclater l'excellence de sa vertu, il transforme la cruauté des bêtes farouches elles-mêmes et les rend douces comme des agneaux, non pas qu'il change leur nature, car il les laisse ce qu'elles sont, mais parce qu'il les contraint à se montrer douces et bonnes comme des agneaux. Les éléments, comme les animaux , offrent sous la main de Dieu le même spectacle. Si Dieu le veut, les éléments oublient leur puissance : le feu n'agit plus comme du feu. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à se souvenir des trois enfants dans la fournaise, et de Daniel dans la fosse aux lions. Les lions entouraient le Prophète comme des agneaux, sans lui faire aucun mal, tant l'intervention de Dieu avait éteint leur férocité. Cependant leur naturel n'avait pas disparu, il n'était qu'enchaîné pour un moment, et les méchants. au cœur plus sauvage que les bêtes féroces elles- mêmes, en firent bientôt une rude expérience.  

5. Or tout ceci arrivait pour la plus grande condamnation de ces barbares, qui, malgré leur raison, se montraient plus cruels que des animaux sans raison. L'événement pouvait leur apprendre tout le soin que Dieu prenait de son juste, puisque les lions le respectèrent et n'osèrent toucher son corps; mais ils les surpassèrent en férocité, et alors, pour qu'on ne regardât pas ce qui s'était passé dans la fosse comme une illusion, voilà que tous purent connaître, par l'exemple de ceux qui y furent jetés après le Prophète et qui éprouvèrent tous les effets de la férocité des animaux qui s'y trouvaient, que ceux-ci, en montrant pour le juste la douceur des agneaux, n'avaient fait qu’oublier leur nature. Il se passa aussi quelque chose de pareil dans la fournaise : le feu respectait ceux qu'on y avait jetés et ne les brûlait pas; sa puissance semblait enchaînée; il me faisait aucun mal au corps de ces enfants et il n'osa même pas toucher à leurs cheveux; on aurait dit qu'un commandement souverain défendait cet élément de montrer sa puissance. Mais en même temps le feu consumait ceux qui se trouvaient en dehors de la fournaise. Dans les deux cas Dieu manifesta également sa vertu, car dans les deux cas, ceux qui étaient livrés au péril furent sauvés, tandis que ceux qui semblaient en être le plus à l'abri périrent. C'est ainsi qu'avec l'aide de Dieu nous échappons non seulement aux embûches des ennemis, mais encore à la férocité des bêtes sauvages, supposé que nous ayons à la redouter. Dieu est plus fort que tous les dangers; quand il nous protège, il nous rend invincibles, et on le vit bien par l’exemple du juste qui nous occupe aujourd'hui. Laban était parti avec le dessein arrêté de prendre Jacob et de lui faire payer chèrement sa fuite; et voilà que non seulement il n'a pour lui ni un reproche, ni une parole rude, mais encore qu'il lui parle avec douceur comme un père à son fils, qu'il l'aborde par ces termes amis : « Pourquoi as-tu agi ainsi ? Pourquoi t'en es-tu allé à mon insu ?» Ses dispositions ont bien changé : naguère il était furieux comme les animaux farouches maintenant il est doux comme un agneau.« Pourquoi es-tu parti en cachette ? Pourquoi as-tu emporté furtivement ce qui m'appartenait ?

Pourquoi as-tu emmené mes filles comme une conquête faite par le glaive ? » Pourquoi agir ainsi ? Quels ont été tes projets ? Pourquoi ce départ si furtif ? « Ah! si tu m'avais fait part de tes résolutions, je t'aurais accompagné en triomphe et avec joie, au milieu des chants, des tambours et des cithares. Tu ne m'as pas laissé embrasser mes filles; tu as mal agi envers moi. » Ibid., 26-28. - Voyez comme il s’accuse lui-même, comme il avoue à la fois et son ressentiment contre le juste, et l'intervention de Dieu, qui l'a empêché de réaliser ses mauvais desseins. « Ma main, dit-il, pourrait te rendre le mal; mais le Dieu de ton père m'a dit hier : Garde-toi de parler à Jacob avec rudesse.» Ibid. 29. Oh ! que ces paroles durent paraître douce à l'oreille du juste. Laban confesse tous les projets coupables qu'il avait contre lui, et le dessein qu'il avait formé de le prendre; mais en même temps, il reconnaît que Dieu l'a frappé de terreur et qu'il a renoncé à assouvir son ressentiment. Il parle du Dieu de Jacob et de ses pères, et ce n'est pas sans en retirer quelque utilité pour lui, car ce que Dieu lui a dit lui démontre sa puissance. Puisque tu l'as donc résolu, et que Dieu veille si attentivement sur toi, va-t-en; car tu as désiré avec ardeur de retourner dans la maison de ton père. Mais pourquoi me dérober mes dieux ? » Ibid., 30. Pars, j'y consens; tu as résolu de revoir la maison de ton père; mais pourquoi me dérober mes dieux ?

Ô étrange folie ! Que sont tes dieux, ô Laban, pour qu'on songe à te les dérober ? Eh quoi ! tu ne rougis pas en disant : « Pourquoi m'as-tu-volé mes dieux ? » Oh ! erreur grossière, que des créatures intelligentes adorent des idoles de pierre et de bois ! Voilà bien tes dieux, o Laban qui n'ont pas su se défendre contre ceux qui devaient les enlever ! Et comment l'auraient-ils fait, eux façonnés et formés d'une vile matière ? Le Dieu de Jacob, au contraire, a dompté ta colère à ton insu. Et tu ne vois pas l'énormité de ton erreur ? Et tu accuses le juste de larcin ? Mais pourquoi le juste t'aurait-il dérobé ces idoles qu'il avait en abomination, qu'il savait n’être que des pierres inertes et sans vertu ? Jacob l'écoute avec patience, puis il se défend avec douceur des accusations dont il est l'objet et il donne ordre aussitôt de rechercher les idoles. « Si je suis parti à votre insu, dit-il, c'est de peur que vous ne m'enlevassiez vos filles et mes richesses. » Ibid., 31. Je vous voyais mal disposé à mon égard et je craignais que vous ne me fissiez ravir vos filles et mes richesses, me privant ainsi de ce qui m'appartenait, comme vous l'aviez fait d'autres fois. C'est cette crainte qui m'a fait partir à la dérobée. Au reste : «que celui qui a vos dieux soit mis à mort. » Vous le voyez, Jacob ignore que le larcin a été commis par Rachel, et il fait peser sur la tête du coupable un châtiment bien rigoureux. « Celui près de qui vos dieux seront trouvés ne vivra plus en présence de nos frères; » non pas seulement parce qu'il a volé, mais parce qu'en commettant le larcin il a donné une preuve de sa perversité. « Recherchez donc tout ce que vous trouverez vous appartenant parmi les miens, et emportez- le.» Voyez si j'ai rien emporté qui ne m'appartienne. Vous ne pourrez me reprocher qu'une chose, d’être parti à votre insu; encore même ne l'ai-je pas fait de moi-même, mais uniquement de peur que vous ne fussiez injuste en vers moi, et que vous ne m'enlevassiez vos filles et mes richesses en apprenant mes résolutions. « Et Laban ne trouva rien près de Jacob. Or, Jacob ignorait que Rachel, sa femme, avait enlevé les idoles.

Laban, ayant fouillé dans la tente de Lia, ne trouva rien. Il entra alors dans la tente de Rachel, qui se hâta de prendre les idoles et de les cacher sous la litière des chameaux, sur laquelle elle s'assit. Et elle dit à son père : Ne vous fâchez pas, o mon Seigneur, je ne puis me lever en votre présence, car ce qui arrive ordinairement aux femmes m'est advenu; et Laban cherchant dans toute la tente, ne trouva rien. » Ibid., 32-35.

6. Rachel fit preuve d'une grande habileté et parvint à tromper Laban. Ô vous tous qui êtes encore enchaînés par l'erreur, et qui estimez l'idolâtrie, prêtez l'oreille. « Rachel cacha ses idoles sous la litière des chameaux et s'assit dessus. » Quoi de plus ridicule que ces idoles ? Des créatures intelligentes, des hommes qui avaient déjà éprouvé tant de bons effets de la miséricorde de Dieu, se mettre à genoux devant des doles de pierre ! et cela, sans rougir, sans songer à l'absurdité d'une telle conduite, mais se laissant emporter par la coutume, comme des troupeaux ! Voilà pourquoi l'apôtre Paul écrivait : « Vous vous souvenez lorsque vous étiez païens que vous alliez vers des idoles muettes selon que vous vous laissiez conduire. » I Corinth., XII, 2. C'est justement qu'il appelle ces idoles « muettes. » Vous qui pouvez parler et entendre, vous qui êtes éclairés des lumières de la raison, vous vous laissez conduire, comme des animaux sans raison, vers des dieux sans intelligence. Quel pardon peuvent mériter ceux qui sont dans ce cas ? Mais revenons au juste.

Sa confiance se ranime, soit à cause des aveux de Laban, soit encore parce que Laban n'a rien trouvé à lui reprocher. Aussi entendez ce qu'il dit : «Jacob alors s'indigna, et dit à Laban avec amertume. » Même en se plaignant, il fait briller la vertu de son âme. « Pour quelle faute, pour quelle injustice vous êtes-vous ainsi enflammé contre moi ? » Genes., XXXI, 36. Pourquoi m'avez-vous poursuivi avec tant d'acharnement ? Quel crime pouvez-vous me reprocher ? quelle faute ai-je commise ? Mais cela ne vous a pas suffi; vous n'avez été satisfait qu'après m'avoir couvert de honte en fouillant toute ma maison. «Qu'avez-vous trouvé qui vous appartienne ? Parlons ici devant mes frères et vos frères, et qu'ils jugent entre vous et moi. » Ibid., 37. Vous avez tout visité avec soin: eh bien ! avez-vous rien découvert qui ne m'appartienne ou qui soit à vous ? Si vous avez découvert quelque chose, montrez-le afin que vos frères et les miens puissent juger. - Maintenant que Jacob se voit disculpé sur tous les points, il s'enhardit, il énumère tous les bons services qu'il a rendus à Laban : « Voilà vingt ans que je vous sers, lui dit-il. » Ibid., 38. Est-ce pour me récompenser de tous mes travaux que vous me traitez ainsi ? J'ai passé vingt ans révolus dans votre maison. « Vos brebis et vos chèvres n'ont point été stériles, je n'ai point mangé les moutons de votre troupeau, je ne vous ai point montré les ravages des bêtes féroces, moi-même j'ai porté le poids du jour et celui de la nuit. Le jour j'étais brûlé par le soleil, et la nuit j'étais saisi par le froid et le sommeil s'en allait loin de moi. » Ibid., 39-40. Avez-vous oublié tout ce que j'ai souffert en paissant vos brebis et vos chèvres ? Pouvez-vous me reprocher que vos brebis et vos chèvres aient jamais été stériles ?

Voyez comme il fait ressortir que la bienveillance de Dieu a été acquise à la maison de Laban depuis son arrivée. Il lui avait dit déjà : « Dieu vous a béni depuis que je suis avec vous.» Et qui oserait s'en prendre au pasteur si le troupeau était stérile ? Son art n'y peut rien, c'est la nature qui fait tout. C'est pourquoi la première chose dont parle Jacob est la fécondité du troupeau qu'il paissait, afin de montrer qu'il fallait l'attribuer au secours de la Providence.

« Je n’ai point mangé les moutons de votre troupeau. » Beaucoup de pasteurs ont cette habitude ; pouvez -vous me la reprocher ? «Je ne vous ai point montré ce qui avait été pris par les bêtes sauvages. » Je n'ai point mangé les moutons de votre troupeau, et jamais aucune bête féroce n'a pu en ravir aucun. « Vous ai-je jamais porté quelque chose qui ait été pris par une d'elles ? » Est-ce que chaque jour vous ne voyez pas les pasteurs des troupeaux porter à leur maître la proie des animaux féroces ? Pour vous, vous ne pouvez pas alléguer un reproche de ce genre durant les vingt ans pendant lesquels je vous ai servi. Que dis-je et que parlé-je des ravages des animaux féroces ? Si jamais quelque larcin avait diminué le nombre de vos brebis, est-ce que je ne vous l'ai pas toujours tenu caché ? Est-ce que je n'en ai pas toujours souffert le dommage, à quelque moment, à quelque heure qu'il fut commis ? Je supportais la chaleur du jour, je supportais le froid de la nuit afin qu'il n'arrivât pas de mal à vos troupeaux, et même mon ardente sollicitude éloignait le sommeil de mes paupières. Oh! la ferme vigilance ! Oh ! la vive sollicitude ! Quelle excuse pourront-ils alléguer ceux qui sont chargés de veiller sur des troupeaux intelligents, et qui, par une coupable négligence, immolent chaque jour leurs brebis, selon la parole du Prophète, ou méprisent celles qui sont devenues la proie des bêtes féroces, ou enfin ne relèvent pas celles qui sont dispersées alors surtout que la peine est moins grande et les soins plus aisés. Ici c'est l'âme qu'il faut préserver; là au contraire il y a pour l'âme et pour le corps un grand travail.

7. Entendez encore comment s'exprime Jacob: « Le jour, la nuit, j'étais exposé à la chaleur et au froid, et le sommeil fuyait de mes yeux. » Ah ! qui peut dire maintenant qu'il supporte tant de travail, qu'il s'expose à tant de dangers pour le salut de ceux sur lesquels il est chargé de veiller ? Nul n'oserait le faire. Paul est le seul, Paul, le maître de l'univers, qui puisse s'en glorifier avec confiance, restant même au-dessous de la vérité. Vous demanderez peut-être quand est-ce qu'il a eu de pareils dangers à courir ? Ecoutez-le s'écrier : « Qui est faible sans que je sois faible avec lui?  Qui est scandalisé sans que je brûle ? » I Corinth., XI, 29. Ô amour ardent de ce pasteur ! Les désastres des autres, dit-il, augmentent mes douleurs; les scandales d'autrui entretiennent le feu de ma sollicitude.

- Nous donc, à qui sont confiées des brebis intelligentes, ne nous laissons pas dépasser par ce pasteur d'animaux grossiers qui veille si bien et si longtemps sur des troupeaux sans raison. Les pasteurs ordinaires n'ont rien à redouter de leur incurie : quand il s'agit de brebis intelligentes, c'est-à-dire des âmes, si une seule périt, si une seule tombe sous la dent des bêtes féroces, il y a un grand préjudice causé, on encourt un grand châtiment, de grandes peines. Eh quoi ! Notre-Seigneur n'a pas dédaigné de répandre son sang pour sauver cette âme; sera-t-il digne de pardon , celui qui la méprisera après tant d'honneurs , et qui n'emploiera pas tout son pouvoir pour sauvegarder la plus petite des brebis qu'il a reçues en garde ?

Mais revenons à la suite de notre discours. « Durant vingt ans, dit Jacob, je vous ai servi ainsi dans votre maison, quatorze ans pour vos filles et six pour vos troupeaux, et dix fois vous avez changé mon salaire. Si le Dieu de mon père Abraham, le Dieu d'Isaac, ne m'avait protégé peut-être m'auriez-vous renvoyé nu. Dieu a regardé mon affliction et le travail de mes mains, et il vous a fait hier des reproches. » Genes., XXXI, 41-42. Voyez comme les aveux tombés de la bouche de Laban ont enhardi le juste ! Il ose maintenant reprendre son beau-père avec assurance. Vous savez bien, lui dit-il, que je vous ai servi quatorze ans pour vos filles et six ans pour vos troupeaux, et cependant vous avez voulu me priver de mon salaire sans me permettre de vous faire aucun reproche. Maintenant vos propres aveux m'ont appris que , si le Dieu d'Abraham et de Jacob ne fût venu à mon secours, vous m'auriez renvoyé nu et sans rien m'enlevant tous mes biens et réalisant l’injustice que vous aviez projetée. Mais Dieu connait « mon humilité et le travail de mes mains; » c'est-à-dire , le Seigneur n'ignore pas avec quelle ardeur je me suis acquitté de mon service, il sait tout ce que j'ai supporté et la nuit et le jour en paissant vos troupeaux, et c'est à mes mérites qu'il a eu égard dans sa bonté lorsqu'il vous a réprimandé hier, déjouant ainsi les trames que vous ourdissiez contre moi et toutes vos perfides tentatives. - Jacob en se défendant portait à son beau père des coups sensibles, et, après lui avoir reproché son injustice envers lui, il lui rappelait tous les services qu'il lui avait rendus. Laban rougit alors de ce qu'avait dit, la crainte remplit son âme, il veut faire alliance avec le juste. Voyez la providence de Dieu : Laban partit avec des projets de vengeance, et saisi de terreur il demande à traiter avec celui qu'il poursuivait. « Laban répondant à Jacob lui dit : Tes filles sont mes filles, et tes fils sont mes fils, tes troupeaux sont mes troupeaux, tout ce que tu vois m'appartient et appartient à mes filles; que puis-je faire pour elle maintenant et pour les fils qui sont nés d'elles ? Je sais qu'elles sont mes filles, et tout ce que tu as t'est venu par mon entremise. « Que ferai-je aujourd'hui pour elles et pour les fils qui sont nés d'elles ? Viens donc et formons une alliance qui soit un témoignage entre nous. » Ibid., 43-44. Faisons un pacte, dit-il.« Que ce pacte soit un témoignage entre moi et toi; » qu'il serve à nous juger et à nous condamner, si quelqu'un transgresse ce dont nous conviendrons, « nul n'est avec nous; mais que Dieu soit témoin entre toi et moi.»

8. Considérez comme Laban est amené peu à peu à la connaissance de Dieu. Naguère il reprochait au juste de lui avoir dérobé ses idoles et il se livrait pour les trouver à d'actives recherches; maintenant écoutez comme il parle : Puisqu'il n'y a personne avec nous qui puisse, si quelque chose de nouveau survient, être témoin de notre pacte, que Dieu voie et soit témoin entre nous; Dieu est avec nous, Dieu qui voit tout, qui connaît tout, qui lit dans l'âme de chacun de nous. « Et Jacob érigea un monument, et il fit une élévation, et ils mangèrent sur cette élévation. Et Laban dit à Jacob : Cette élévation sera aujourd'hui un témoignage entre moi et toi.» Qu’est-ce à dire : « Cette élévation ?» C'est-à-dire : le pacte que nous jurons sur cette élévation sera perpétuellement gravé dans notre mémoire. « Et il appela ce lieu : l’Élévation du témoignage. » Puis il ajouta : « Que le Seigneur voie entre toi et moi. » Entendez Laban invoquer encore Dieu comme vengeur du pacte qu'il conclut. « Que Dieu voie entre moi et toi, lorsque nous nous serons éloignés l'un de l'autre. » Ibid., 45-49. Nous allons nous séparer, toi pour retourner dans ton pays, moi pour regagner ma maison. « Si tu affliges mes filles, si tu prends de nouvelles épouses, nul n'est témoin de nos paroles, excepté Dieu, qui voit tout. » Ibid., 50. Il ne se lasse pas d'appeler Dieu à témoin de son alliance, il y revient plusieurs fois; l'exemple de Jacob éprouvant les effets de la providence de Dieu lui avait révélé la puissance de Celui qui veillait sur lui : il avait appris que rien ne peut demeurer caché à l'œil qui ne dort pas. C'est pourquoi il dit : Quand même nous serions séparés, encore que nul ne puisse rendre témoignage de nos paroles, celui-là sera notre témoin qui est présent partout. - C'est ainsi qu'à chaque parole il proclame le Seigneur maître de la terre entière. « Et Jacob dit : Que cette élévation rende témoignage entre nous; et Laban ajouta : Si je ne franchis pas cette élévation, en marchant contre toi, tu ne la dépasseras pas non plus en méditant le mal contre moi; que le Dieu d'Abraham et le Dieu de Nachor soit juge entre nous. » Ibid., 1-53. Il ne sépare pas de son père son aîné, qui fut le frère du Patriarche, et par conséquent son grand-oncle. « Que le Dieu d'Abraham et le Dieu de Nachor soit juge entre nous. Et Jacob jura donc par la crainte d'Isaac son père, et il offrit un sacrifice sur la montagne, et il appela ses frères, et ils mangèrent, burent et dormirent sur la montagne. » Ibid., 54. « Il sacrifia sur la montagne; » c'est-à-dire qu'il rendit grâces à Dieu pour tout ce qui lui était arrivé de bien; « et ils mangèrent, burent et dormirent là. Laban s'étant ensuite levé de bon matin, embrassa ses fils et ses filles, et les bénit, et s'en retourna dans son pays. » Ibid., 55. Avez-vous vu, mon bien-aimé, combien est grande la sagesse de Dieu ? Avez-vous vu comment du même coup il fait briller sa providence envers le juste, comment il détourne Laban de ses projets coupables, en lui défendant de parler à Jacob avec rudesse, et se manifeste peu à peu à son esprit plongé dans l'idolâtrie ? Avez-vous vu enfin comment Laban, qui accourait avec la fureur dans l'âme pour s'emparer de Jacob et le tuer, finit par le défendre, par embrasser ses fils et ses filles, et s'en retourner ainsi dans sa demeure ?

J'ai peut-être abusé de votre attention; mais pardonnez-le moi : si j'ai été long, c'est la faute des choses que je vous ai exposées. En finissant, je vous encouragerai à tout faire pour vous concilier la bienveillance d'en haut. Si nous avons Dieu pour ami, tout nous sera facile, et rien dans cette vie, si désagréable que vous le supposiez, ne pourra contrister notre âme. Telle est, en effet, l'excellence de la vertu, qu'elle donne des charmes aux choses les plus tristes. Voyez Paul : il se réjouissait, il tressaillait de joie dans la tribulation, soutenu par l'espérance des biens qu’il attendait. «Dans les angoisses, s’écriait le Prophète, vous m'avez dilaté; » Psalm. IV, 2; nous enseignant ainsi que Dieu l'avait maintenu libre et tranquille au sein des plus vives afflictions.

Pour nous donc qui avons un Seigneur si puissant, si sage, si miséricordieux, appliquons-nous de tout notre pouvoir à la pratique de la vertu, afin d'obtenir non seulement tous les biens du temps, mais encore ceux de l'éternité, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, en même temps qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.

Ainsi soit-il.