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1. 

Dieu a inscrit dans notre nature la notion du bien et du mal

Ce qui nous distingue des brutes, c'est la raison que Dieu nous a donnée et la science du et bien et du mal qu'il a gravée au fond de notre nature. Ne dites donc pas que vous négligez de pratiquer la vertu parce que vous ne la connaissez pas ou parce que vous manquez, pour vous conduire, de guide et de conseil. Notre conscience suffit à nous diriger et il est impossible que nous soyons privés de son secours. L'homme, en effet, porte en naissant, cachée au fond de sa nature, la science de ce qu'il doit faire. Et savez-vous pourquoi ? Afin que dans cette vie, où il est placé comme dans une palestre, pour s'y former aux rudes labeurs de la vertu, il ait le courage de se déclarer bon et de mériter ainsi les récompenses de sa probité; afin qu'après avoir combattu les rapides combats de ce monde qui passe, il gagne les couronnes qui ne passent pas; afin qu'ayant embrassé la vertu dans ce siècle si éphémère, il jouisse des biens éternels dans les siècles infinis.

Courage donc, mes bien-aimés, et maintenant que nous savons ces choses, ne trahissons pas notre noblesse, gardons-nous d’être ingrats après un tel bienfait, ne poursuivons pas des plaisirs éphémères qui nous prépareraient d'éternelles douleurs; ayons plutôt et sans cesse présent à notre esprit cet œil qui ne dort jamais, qui pénètre le secret des cœurs ; réglons et modérons là-dessus notre conduite, prenons en main les armes de l'Esprit et montrons-nous généreux et sages : nous mériterons ainsi la protection du Ciel, nous pourrons, appuyés sur ce secours, triompher de notre redoutable ennemi et rendre vaines toutes ses manœuvres, nous jouirons enfin de ces biens que Dieu promet à ceux qui l’aiment. Ne considérez pas les difficultés de la vertu, voyez plutôt les grands avantages qu'elle vous assure et mettez-vous bien vite à l'œuvre pour la pratiquer. Est-ce que rien décourage ceux qui, plongés dans les intérêts terrestres, se sentent au cœur un désir effréné de faire fortune ? Les dangers de la mer, les naufrages, les pièges des pirates, ils envisagent tout sans sentir leur résolution ébranlée, et, malgré l'incertitude du succès, ils travaillent avec un indomptable courage à parvenir à leur fin. Eh bien ! quelle excuse aurons-nous, je vous le demande, après cela, si nous n'embrassons pas, dans l'espérance de ces biens éternels, vite et courageusement les travaux et les luttes qu’exige la vertu ?

Pourquoi cette ingratitude envers notre bienfaiteur ? Pourquoi cet oubli des dons reçus et ce dédain des biens promis ? Pourquoi, dans cet oubli universel, vivre inutilement et sans profit, comme les animaux sans raison, ne prenant aucun soin de notre âme, ne nous préoccupant uniquement que de fatiguer notre ventre par des excès de nourriture qui finissent même par altérer la santé de nos corps ? Pourquoi tant entreprendre, pourquoi nous donner tant de peine dans le vil but d'assouvir notre gourmandise et notre intempérance, tandis que nous laissons notre âme mourir de faim, notre âme mille fois plus noble que notre corps, dont elle est la vie, car sans elle et quand elle est partie, le corps ne vit plus ? Il nous fallait donner au corps et à l'âme des aliments suffisants et conformes à leur nature réciproque; et voilà qu'en ne gardant de mesure réciproque; et voilà qu'en ne gardant de mesure ni envers l'un, ni envers l'autre, nous nuisons à tous les deux : au corps, par l'excès du boire et du manger; à l'âme, que nous laissons mourir de faim ! Autrefois, le Dieu de l'univers adressait au peuple juif ces paroles, comme la suprême menace de son indignation : « Voilà que je vous enverrai, non pas la faim du pain, ni la soif de l'eau, mais la faim de la parole de Dieu, » Amos, VIII, 11 ; nous enseignant par là que, si la faim et la soif matérielles peuvent exténuer le corps, la faim de la parole tue l'âme.

Cette menace que Dieu faisait autrefois peser sur les Juifs comme un châtiment redoutable, nous l'attirons nous-mèmes sur nos têtes; et cela, après tous les soins que le Seigneur a eus de nous, après qu'il s'est efforcé de nous donner avec la lecture des saintes Écritures les enseignements des docteurs. Je vous en conjure donc, secouez cette torpeur, réveillez-vous et travaillez sans relâche au salut de votre âme. Votre ardeur attirera sur vous la protection de Dieu, et nous excitera à vous instruire, parce que nous vous verrons dociles à notre voix. Quand le laboureur recueille dans une abondante moisson le fruit de ses peines et de ses sueurs, il se sent encouragé à travailler davantage la terre qui lui donne ces fruits : ainsi en sera-t-il de nous; si nous vous voyons faire des progrès sans cesse plus considérables dans les choses de Dieu, et mettre votre conduite en rapport avec nos conseils, nous ne regretterons pas nos peines, nous apporterons tous les jours plus de zèle à vous instruire, persuadé que notre semence ne tombera pas sur un sol pierreux et stérile, mais dans une terre riche et féconde.

2. Vous faire du bien en effet, accroître et développer vos vertus, donner à notre âme la joie de vous voir plus fervents, voilà le but de ces entretiens quotidiens. Qu'aurions-nous donc en vue et quelle serait notre ambition autrement ? Parler en l'air pour captiver vos louanges ou mériter vos applaudissements? Loin de nous ces ridicules prétentions. Vous être utile, voilà ce qui nous guide. Notre meilleure louange, les applaudissements auxquels nous tenons le plus, voulez-vous les connaître ? La conversion de quelqu'un d'entre vous, son retour à la vertu, une généreuse résolution prise par lui, sur nos exhortations, de devenir courageux et ardent après avoir été lâche et timide. Dieu sait que c'est là ce qui nous console et nous récompense, ce qui vous est utile et vous enrichit de richesses spirituelles. Mais je ne doute pas de votre ardeur et de votre zèle; je sais que Dieu lui-même vous a instruits et que vous pouvez instruire les autres. C'est pourquoi je n'irai pas plus loin sur cette matière, je continuerai l'explication ordinaire des paroles de Moïse, ou plutôt de l’Esprit-Saint parlant par la bouche de son serviteur; et, après quelques considérations rapides, ma tâche pour aujourd'hui sera terminée, et la nourriture offerte à votre âme.

Vous avez vu naguère comment Jacob, suivant en tout point les conseils de sa mère, avait détourné à son profit la bénédiction de son père; vous vous souvenez de son heureux larcin, vous savez comment il mérita le secours de Dieu et vit son entreprise couronnée de succès, et vous n'avez pas oublié non plus qu'Esaü, jaloux, se préparait à le mettre à mort. C'est le propre de cette mauvaise passion de n'être assouvie que lorsqu'elle a poussé celui qu'elle possède aux dernières extrémités, au point d'en faire un homicide. L'envie est la racine naturelle de l'homicide, qui en est le fruit. Voyez ce qui se passa dès le commencement entre Caïn et Abel. Caïn N'avait rien à reprocher à son frère; cependant le Seigneur avait pour agréables les offrandes d'Abel, tandis que Caïn était rejeté à cause de sa négligence. Alors la haine s'allume dans le cœur de Caïn, et, comme la haine est la racine de l'homicide, elle ne tard pas à produire son fruit : Caïn fut homicide. Pour Esaü, ce fut la même chose : quand il voit que son frère avait reçu la bénédiction de son père, la colère et l'envie le poussent à l'homicide, et il médite déjà la mort de celui qu’il déteste. Mais son admirable mère, qui comprend tout, manifeste de nouveau l'amour qu'elle pour son plus jeune fils : elle l'appelle et cherche par ses conseils à l'arracher aux mains de son frère. « Rébecca ayant fait appeler son plus  jeune fils lui dit : Voilà qu'Esaü ton frère menace de te tuer; maintenant donc obéis à ma voix. » Genes., XXVII, 42. Puisse l’expérience t'apprendre que je ne parle que dans ton intérêt ! Déjà tu dois à mes conseils d'avoir pu recevoir les bénédictions de ton père; entends encore ma voix, et tu ne tomberas pas entre les mains de ton frère; tu échapperas ainsi aux périls qui t'attendent et tu m'épargneras de grandes douleurs. Probablement que si ton frère met à exécution ses criminels projets, le châtiment de son audace ne se fera pas attendre, et ainsi de tout côté mes douleurs seront grandes et mes peines amères. « Obéis donc à ma voix, lève-toi et fuis à Charran, vers Laban mon frère; demeure avec lui quelques jours jusqu'à ce que la colère et l'indignation de ton frère ayant cessé, il ait oublié ce que tu as fait. J'enverrai ensuite et te ramènerai ici, afin de n'être pas privée de mes deux fils en un jour. » Ibid., 43-45. « Retire-toi, lui dit-elle, chez mon frère Laban, et demeure avec lui. » L'absence et le temps, je l’espère, pourront vraisemblablement beaucoup pour calmer la colère de ton frère, apaiser son envie et lui faire oublier ce qui s'est passé quand tu as ravi la bénédiction de ton père. « Demeure chez Laban jusqu'à ce que la colère de ton frère se soit dissipée. » Ton frère, je n'en saurais douter, est irrité contre toi; c'est pourquoi tu feras bien de laisser tomber l'ardeur de sa colère. Le temps amènera l'oubli, et tu pourras alors habiter ce pays en toute liberté.

Remarquez toute la délicatesse du cœur de Rébecca et tout ce qu'elle fait afin de rendre à son fils son exil moins pénible et de consoler son âme. « Retire-toi chez Laban mon frère, » lui dit-elle. Ce n'est pas chez un étranger que je t'envoie, c'est chez mon frère. « Va le trouver et demeure quelques jours chez lui; » pas longtemps, quelques jours seulement, tout juste ce qu'il faut pour que la colère de ton frère soit éteinte. Maintenant son indignation l'aveugle; sous les inspirations de la colère, il n’aura pas de respect pour son père et il ne pensera pas à tout ce qu'il doit aux liens fraternels; assouvir sa fureur, tel est le seul soin qui l'agite. « J'enverrai vers toi et te ramènerai ici. » Je te rappellerai. Pars donc en toute confiance, mes messagers t'iront trouver et te ramèneront. En ce moment un grand combat agite mon âme : ma sollicitude porte sur mes deux enfants, et je crains d’être privée de l'un et de l'autre. Quelle sagesse dans cette mère, qui d'elle-même ou plutôt comme un instrument prophétique entre les mains de Dieu, donnait à son enfant ce conseil que le Christ devait renouveler plus tard à ses disciples, de ne pas s’exposer de façon téméraire au danger, mais d'adoucir par la fuite la colère et la fureur des méchants ! Par ce conseil, elle soutient son fils contre les pusillanimité et les rigueurs de l'éloignement, elle explique naturellement son départ par une cause légitime qui n'en laisse pas paraître le motif véritable et qui le cache à Isaac, l'indignation et la colère d'Esaü. « Rébecca alla trouver Isaac et lui dit : Je suis lasse de la vie à cause des filles de Heth ; si Jacob prend une femme de cette contrée, pourquoi vivrai-je ? » Ibid., 46.

3. Admirez comment Rébecca trouve vite un prétexte plausible. C'est que, lorsque nous sommes soutenus par la grâce, les choses difficiles deviennent faciles et les plus grands chagrins sont légers. Dieu approuva la résolution et les projets de cette femme : aussi lui suggéra-t-il tout ce qui pouvait les faire réussir et amener le salut de son fils. « La vie m'est à charge, dit-elle, à cause des filles de Heth. Si Jacob prend une femme de cette contrée, pourquoi vivrai-je encore ? » Rébecca semble vouloir marquer ici les mœurs détestables des épouses d'Esaü, qui furent pour elle la cause de tant de chagrin et d'amertume. L'Ecriture, en effet, a dit plus haut qu'Esaü avait pris des femmes Héthéenne et Evéenne, qui irritaient Isaac et Rébecca. Rébecca voulant le rappeler à Isaac, lui dit à peu près ces paroles : Vous savez comment les femmes d'Esaü ont empoisonné ma vie, vous n'ignorez pas que leur caractère m’a fait prendre en aversion toutes les filles des Héthéens, et qu'à cause d'elles je déteste toute leur nation : si Jacob prend l'une d’elles pour épouse, quel espoir de salut me restera-t-il ? « Pourquoi vivrai-je encore ? » Si nous ne pouvons les supporter ni l'un ni l'autre, et si Jacob s'unit encore à quelque fille de cette contrée, c'en est fait de notre vie. Aussitôt frappé de ces paroles et se souvenant de la malice de ces femmes, « Isaac appela Jacob, le bénit et lui dit : Ne prends pas une femme de la terre de Chanaan; mais lève-toi, vas en Mésopotamie, vers la maison du père de ta mère et prends pour femme une des filles du frère de ta mère. » Genes., XVIII, 1-2. Il ne se contente pas de ces paroles, et, afin de lui donner plus de courage pour faire sa route, il renouvelle ses bénédictions et ajoute : « Mon Dieu te bénira et te fera croître et multiplier, et tu deviendras le chef d'un grand peuple; il te donnera la bénédiction d'Abraham mon père, et à ta postérité après toi, afin que tu possèdes la terre de ton pèlerinage qu'il a promise à Abraham. » Ibid., 3-4. Vous le voyez, le juste annonce à son fils tous ces grands événements et lui donne ainsi un puissant viatique et un grand secours. Il lui prédit son retour dans son pays et la possession de la terre, en lui disant que non seulement sa postérité sera nombreuse mais que de lui naîtront des réunions de peuples.

Aussi dès que son fils l'eut entendu, il s'apprêta à lui obéir et partit pour la Mésopotamie, vers Laban, frère de sa mère. Esaü sut bientôt ce qui se passait; quand il apprit donc que Jacob avait été béni par son père et qu'il avait reçu la défense de prendre une épouse parmi les filles des Chananéens, comme s'il eût voulu réparer son erreur et apaiser son père, « il prit pour femme, outre celles qu'il avait déjà, une fille d'Ismaël, fils d'Abraham. » Ibid., 9. Vous avez vu, mon bien-aimé, avec quelle prudence cette mère si aimante arracha son fils Jacob aux périls prêts à fondre sur lui, alléguant à son départ une cause supposée, dissimulant la malice d'Esaü, et se gardant bien de rien révéler au père; elle se contenta de donner à son fils un conseil sage et prudent, pour dissiper ses craintes et l'amener à suivre ses indications, pendant qu'elle cachait à Isaac le véritable motif de sa conduite. Le juste donna son assentiment à ces paroles et renvoya Jacob fortifié du viatique de sa bénédiction. Au reste, si vous le voulez bien et si vous n'êtes pas trop fatigués, voyons ensemble comment Jacob accomplit accomplit son voyage. Ces considérations pourront nous être d'un très grand profit. La vie des justes est féconde et offre un résumé de toute philosophie. En voici un tout jeune, qui n'avait jamais encore connu les hasards des voyages, qui n'était jamais sorti de son pays, qui ne connaissait ni les difficultés, ni les épreuves; il faut voir comment il se met en route pour la première fois, et connaître l'excellence de sa sagesse. « Jacob donc partit de la fontaine du Serment et dirigea sa course vers Charran, et il arriva en un lieu où il dormit, car le soleil se couchait; et il prit des pierres qui étaient là, il les mit sous sa tête et dormit en ce même lieu. » Ibid. 10-11. Quelle ineffable sagesse ! Avez-vous vu comment les anciens poursuivaient leur chemin ? Voilà un homme élevé dans sa maison, je ne crains pas de le répéter, habitué dès lors à avoir de nombreux serviteurs; L’Écriture dit cependant qu'il était simple et qu'il habitait sous la tente; et la première fois qu'il s'éloigne de chez lui, il part sans chevaux, sans serviteurs, sans provisions de route; il s'en va , comme plus tard les apôtres; puis, lorsque le soleil se couche, il dort à l'endroit où la nuit le surprend. « Il prit une pierre, et la mit sous sa tête. » Quelle force dans ce jeune homme ! Il se contente d'une pierre pour oreiller, et le sol lui sert de couche.

Aussi, en récompense de sa sagesse et de son courage, en retour de sa force dégagée de toutes les vanités du siècle, il mérita d’être favorisé d'une vision sublime. Telle est, en effet, la conduite de notre Dieu : quand il rencontre une âme remplie de mépris pour les biens présents, Il lui vient en aide et l'entoure de ses soins les plus assidus.

4. Voyez donc ce juste étendu sur le sol et favorisé d'une vision sublime, ou plutôt jugé digne de la vision du Seigneur. Entendez l’Écriture : « Jacob s'endormit et vit en songe une échelle posée sur la terre, et dont le sommet touchait le ciel, et des anges qui montaient et descendaient. Et le Seigneur , appuyé sur l'échelle, lui dit : Je suis le Seigneur, Dieu d'Abraham et d'Isaac, ton père; ne crains rien. » Ibid., 12-13. 

Admirez, je vous en conjure, le soin et le tendre amour avec lesquels Dieu veille sur Jacob. Guidé par les conseils de sa mère et désireux d’échapper à la colère de son frère, celui-ci avait entrepris une longue route; il s'en allait, comme un exilé, sans consolations et sans secours d'aucune sorte, mettant dans le Ciel toutes ses espérances. Mais voici que Dieu, pour affermir son courage, lui apparaît et lui dit : « Je suis le Dieu d'Abraham et le Dieu d’Isaac, ton père. » C'est moi qui ai fait au Patriarche et à ton père cette célébrité à laquelle ils sont parvenus. Ne crains rien; mets en moi toute ta confiance; n'ai-je pas tenu les promesses que j'avais faites à tes pères ? Ne les ai-je pas jugés dignes de mes faveurs et de ma protection ? Courage donc et ne crains rien; aie foi en mes paroles.« Je te donnerai à toi et à ta postérité la terre sur laquelle tu dors, et ta postérité sera comme le sable de la mer. » Ibid., 14. Parce que tu t'en vas maintenant vers une terre étrangère, tu pourrais te croire privé de celle où tu es né, où tu as été élevé, où tu as grandi, eh bien ! garde-toi de le penser. Cette terre, je te la donnerai, je la donnerai aussi à ta postérité, qui sera plus nombreuse que les grains de sable de l'Océan; « je multiplierai ta race à l’Orient et à l’Occident, au septentrion et au midi c'est-à-dire partout, et toutes les tribus de la terre seront bénies en toi et en ta postérité. » Ibid., 14. Vous le voyez, Dieu prédit à Jacob des événements qui ne lui doivent arriver que dans un temps très éloigné.

Telle est en général la conduite du Dieu de l'univers envers ses justes : il leur fait des promesses; mais il tarde souvent de les accomplir, et pendant ce temps il exerce leur obéissance et leur résignation, afin de tenir ensuite sa parole avec une grande libéralité. Dieu donc découvrit l'avenir aux yeux du Patriarche; mais il comprit que dans cette occurrence son serviteur avait besoin de grandes consolations, et il faut voir aussi avec quelle bonté il s'efforce d'augmenter sa foi en ce qu'il lui promet, par le cours même de la conduite qu'il tient envers lui. Ne crois pas, lui dit-il, que mes promesses touchent seulement l'avenir; dès maintenant , « je suis avec toi et je te garderai partout où tu iras. » Ibid., 15. Tu ne marcheras pas en solitaire dans tes voies, voici que tu m'auras pour compagnon et pour protecteur, et je te rendrai faciles les choses les plus difficiles. Puis, afin de le consoler davantage, il lui prédit son retour dans son pays. « Je te ramènerai, lui dit-il, en cette terre : » ne te regarde pas comme exilé pour toujours; « je te ferai retourner en cette terre, et je ne te délaisserai point jusqu'à ce que j’aie accompli tout ce que j'ai dit. » Ibid., 15. Je ne t'abandonnerai pas, et, tout ce que je t’ai promis, je le tiendrai fidèlement. Qui pourra jamais admirer comme il convient la bonté de Dieu et son étonnante condescendance ?

Quelles promesses il fait au juste et comme il s'efforce de soutenir son courage ! D'un autre côté, la reconnaissance de Jacob envers Dieu ne fut pas moins magnifique. Dès que Dieu lui eut parlé, il se retira chez Laban, où il demeura vingt ans, soumis et travaillant, sans se plaindre, sans se décourager jamais dans ce long espace de temps, mais supportant courageusement toutes les épreuves, attendant la réalisation des promesses , persuadé que les paroles de Dieu s'accomplissent toujours, surtout lorsque nous en attendons la réalisation avec foi et patience,  et que nous croyons à ce que le Seigneur nous promet comme s'il l'avait déjà tenu. Ne pas s’arrêter aux apparences alors même qu'elles semblent contraires à la promesse, et ne se fier qu'à la puissance de Celui qui promet, voilà bien en quoi consiste la vraie foi. Mais voyons maintenant la reconnaissance du juste. « Et Jacob fut éveillé de son sommeil et il dit : Véritablement le Seigneur est en ce lieu-ci, et je ne le savais pas. Et, plein d'effroi, il dit : Que ce lieu est terrible ! C'est ici la maison de Dieu et la porte du ciel !» Ibid., 16-17. Le juste s'étonne de la grandeur de la miséricorde de Dieu, il se sent pénétré de crainte et il s’écrie : « Non, ce lieu n'est autre que la maison de Dieu et la porte du ciel !» Je le tiendrai toujours pour tel dans la suite. Maintenant que j'ai vu cette grande vision, et que j'ai pu contempler, pour ainsi dire, la porte du ciel elle-même, il est juste que je me montre reconnaissant envers Dieu de ses bienfaits et que je lui rende mes actions de grâces. « Et Jacob, se levant, prit la pierre qu'il avait mise sous sa tête, et l'éleva comme un monument, et y répandit de l'huile. Et il appela ce lieu la maison de Dieu; auparavant il portait un autre nom. » Ibid., 18-19. Ainsi, vous le voyez, après tout ce que lui a valu cette vision sublime, Jacob veut perpétuer la mémoire de ce bienfait et il donne au lieu où il l'a eue un nom commémoratif qui le rende célèbre dans la postérité, il érige une pierre en monument, et , y ayant répandu de l'huile, qu'il portait probablement avec lui comme unique provision de voyage, il fait au Seigneur un vœu très grand et très sage.

5. Entendons, si vous le voulez bien, les termes de cette grande résolution. «Jacob fit un vœu, disant : Si le Seigneur Dieu est avec moi et me préserve en cette voie dans laquelle je marche.» Dieu avait dit : « Je suis avec toi et je te garderai partout où tu iras; » Genes., XXVIII, 20; voilà pourquoi le Patriarche reprend : Si ce que vous m'avez promis se réalise. Ensuite il continue on formulant une demande : « Si le Seigneur, poursuit-il, me donne du pain pour me nourrir et des vêtements pour me couvrir. » Il ne demande ni les richesses, ni l’abondance, mais seulement du pain et des vêtements; encore même ne réclame-t-il absolument que ce qu'il lui faut pour couvrir son corps et soutenir sa vie. Quelle sagesse étonnante dans l'âme de ce juste ! Comme sa demande est marquée au coin de l'esprit apostolique ! « Ne possédez ni or, ni argent, n'ayez pas deux tuniques, » Matth., X, 9, disait le Christ à ses disciples, et, longtemps avant, sans l'avoir appris de personne. mais uniquement guidé par ce maître intime que la nature a mis au dedans de nous-mêmes Jacob avait entendu ce conseil et il demandait seulement au Seigneur du pain pour manger et des vêtements pour se couvrir. Si cela m'arrive en la terre étrangère, continue le Patriarche, « si le Seigneur me fait retourner sain et sauf à la maison de mon père, comme il me l'a promis, le Seigneur sera toujours mon Dieu, et cette pierre que j'ai élevée comme un monument sera pour moi la maison de Dieu , et je vous offrirai, Seigneur, la dîme de toutes les choses que vous m'aurez données. » Genes., XXVIII, 21-22.

Voyez les bonnes dispositions du juste. Il demandait sans doute, mais rien de précieux, du pain et des vêtements : en retour il promettait ses biens au Seigneur, sachant bien qu'il l'emporte sur nous en générosité, et que la magnificence de ses dons dépasse toutes nos pensées, et il disait : « Cette pierre sera pour moi la maison de Dieu et je vous donnerai , Seigneur, la dîme de toutes les choses que vous m'aurez données.,

Quelle piété et quels religieux sentiments ! Jacob n'avait encore rien reçu et il s'engageait déjà à donner au Seigneur la dîme de tout ce qu'il lui plairait de lui accorder. Oh ! mes bien-aimés, ne passons pas à la légère sur ce que nous venons de dire, mais efforçons-nous d'imiter le juste; nous sommes venus sous la grâce, rivalisons avec cet homme venu avant la loi, et ne demandons au Seigneur aucun bien temporel. Il n'attend pas que nous nous adressions à lui, et, sans que nous les lui demandions, il nous accorde les choses qui sont utiles à notre usage. « Il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et il fait tomber sa pluie sur les justes et les injustes. » Matth., V, 45. Entendons-le nous prévenir et nous dire: « Cherchez d'abord le royaume de Dieu, et tout le reste vous sera donné par surcroît. » Matth., VI, 33. Vous le voyez, le don qu'il nous prépare c'est le royaume de Dieu; quant au reste, c'est comme complément et comme surcroît qu'il promet de nous le donner.

Gardez-vous donc de demander comme essentiel ce qui ne doit vous revenir qu'en dernier lieu; n’intervertissons pas l'ordre légitime, mais cherchons d'abord les dons spirituels, afin de jouir en même temps des biens de la terre. Voilà pourquoi sans doute le Seigneur, dans la prière qu'il nous a apprise, a marqué lui-même à quelles limites devaient s'arrêter nos demandes quand il s'agissait de ces derniers biens. Les paroles qu'il met sur nos lèvres sont l'expression de la plus haute philosophie : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour, » l'aliment de la journée. N'était-ce pas là ce que disait ce juste ? Cette prière, qu'il n'avait pas apprise, ne la faisait-il pas lorsqu'il disait : «Si le Seigneur me donne du pain pour manger et des vêtements pour me couvrir ? » Matth.; VI, 11. En fait de biens temporels n'en sollicitons pas d'autres de Dieu. Il ne convient pas de demander à un être si libéral et si puissant des choses qui disparaissent avec la vie présente, et qui sont soumises à mille vicissitudes, à mille changements. Les richesses, la puissance, la gloire, tous les biens humains, en un mot, rentrent dans cette catégorie. Demandons ce qui demeure toujours, ce qui suffit, ce qui est à l'abri du changement.

Exhortation morale

Donnons aux pauvres le superflu de nos richesses, soyons pour tous de véritables modèles de sagesse, méprisons  la vaine gloire, repoussons tout faste, toute vanité, soyons charitables les uns pour les autres, et nous mériterons ainsi de jouir à la fois des biens du temps et des biens de l'éternité par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, en même temps qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. 

Ainsi soit-il.