Saint Jean Chrysostome
Homélie 49 sur la Genèse
Voici les générations d'Isaac fils d'Abraham.
1. Je me propose de vous conduire encore aujourd'hui à la table accoutumée, et de me servir pour votre réfection des paroles de Moïse, ou plutôt des paroles de l'Esprit lui-même. En effet, Moïse n'a pas écrit ces choses de son propre fonds, mais bien sous l'inspiration du Saint-Esprit. Examinons donc ce qu'il veut nous enseigner aujourd’hui. S'il nous raconte la vie des justes, ce n'est pas sans raison ni sans but; il veut que nous marchions sur les traces de leurs vertus et que nous devenions les imitateurs de leurs belles actions. Après nous avoir raconté l'histoire du saint Patriarche, et l'épreuve suprême du sacrifice de son fils; après nous avoir appris que ce sacrifice, quoique inachevé en réalité, avait été consommé aux yeux de Dieu par la volonté d'Abraham, l’Écriture met fin à ces récits pour nous exposer ce qui se rapporte à cet Isaac qui avait été immolé et qui ne lavait pas été; car il y avait dans ce fait une sorte de mystère. « C'est par la foi, dit Paul à ce sujet, qu'Abraham sacrifia Isaac, lorsqu'il fut éprouvé; et il offrit son fils unique, l'héritier des promesses divines. » Hebr., XI, 17. Pour nous apprendre ensuite comment la foi avait présidé à tous ces actes, et comment Abraham ne fut pas troublé par l'opposition qui existait entre les ordres de Dieu et les promesses qu'il en avait reçues, l'Apôtre ajoute : « Aussi lui fut-il rendu comme une figure de l'avenir. » Ibid., 19.
Que signifient ces mots : « comme une figure de l'avenir? » Le saint Patriarche ayant conduit Isaac au sacrifice et montré la perfection de son obéissance, reçut la couronne qu'il avait méritée, et s'en revint avec l'enfant qui lui avait été rendu et à la place duquel un bélier avait été immolé; or, toutes ces particularités découvrent la bonté sans mesure du Créateur de toute chose, et son dessein d’éprouver la soumission de son serviteur en lui ordonnant ce sacrifice dont il ne voulait pas l'accomplissement. Après avoir contemplé cette vertu du saint Patriarche, laquelle ne s'est jamais obscurcie, abordons aujourd'hui l'histoire d'Isaac, et voyons éclater également en toute circonstance sa piété en vers le Seigneur. Prêtons donc l'oreille aux paroles de l’Écriture : « Voici, dit-elle, les générations d'Isaac, fils d'Abraham. Abraham engendra Isaac. Or Isaac avait quarante ans lorsqu'il prit pour épouse Rébecca, fille de Bathuel, Syrien de Mésopotamie, sœur du Syrien Laban. » Gene., XXV, 19. Notez, je vous en prie, mon bien-aimé, la précision de la sainte Écriture et la portée de tout ce qu'elle renferme. Pourquoi nous marque-t-elle l'âge d'Isaac et nous dit-elle: « Or, Isaac avait quarante ans lorsqu'il prit pour épouse Rébecca ? » Ibid. 20.
Assurément ce n'est ni sans raison ni sans dessein. Comme elle nous entretiendra bientôt de la stérilité de Rébecca, et de la fécondité dont l'épouse d'Isaac fut redevable aux prières de son époux, l’Écriture se propose de nous éclairer sur l'admirable patience d'Isaac et de déterminer exactement le nombre d'années durant lequel il fut privé d'enfants : exemple bien capable de nous encourager à offrir dans nos besoins de persévérantes prières au Seigneur. Voilà ce juste, en effet, dont la vertu et le crédit auprès de Dieu étaient si grands, qui ne cesse de demander avec une ferveur soutenue la fin de la stérilité dont était affligée Rébecca; et nous qui, accablés du poids de nos péchés, avec une vertu bien au-dessous de la vertu du Patriarche, après quelques instants de prière, nous livrons au découragement et à la torpeur si nous ne sommes pas exaucés sur-le-champ, que dirons-nous ?
Que l'histoire de ce juste nous instruise : ne cessons pas, je vous en conjure, d'implorer du Seigneur le pardon de nos prévarications, déployons une ferveur qui ne se démente pas, et ne tombons ni dans la négligence, ni dans le mécontentement lorsque nous n'obtiendrons pas de suite ce que nous demanderons. Sans doute, le Seigneur n'éprouve notre persévérance et ne diffère ses dons que pour nous réserver le prix dû à la patience, et de plus parce que lui seul connaît le temps où il sera bon de nous octroyer notre demande; car certainement nous ne le savons pas, nous, aussi clairement que Celui aux yeux duquel les secrets des cœurs ne sauraient avoir de voile. Loin de nous donc toute curiosité vaine, toute recherche indiscrète à l'endroit des décrets divins. Acceptons-les en toute simplicité, et admirons la conduite des Patriarches.
Après nous avoir instruits de l’âge d'Isaac, l’Écriture nous apprend la stérilité de Rébecca. Or, voyez la piété de son époux. En présence de l'infirmité de la nature, il recourt à l’Auteur même de la nature, et il s'efforce de briser par la prière les obstacles que la nature lui oppose. « Isaac pria pour Rebecca sa femme, parce qu’elle était stérile. » Ibid., 21. Ce qui sollicite avant tout nos recherches, c'est de savoir pour quelle raison Rébecca, dont la chasteté et la vie, de même que celles d'Isaac, étaient si admirables, avait été frappée de stérilité. Nous n'avons rien à reprendre dans leur vie, nous ne pouvons pas dire que cette stérilité soit la punition de leurs péchés. Et voyez quelle chose étonnante : la mère du juste, Sara, avait été stérile, comme l'était maintenant sa femme, comme le fut ensuite Rachel, sa bru. Pourquoi cet étrange concert de stérilité chez des hommes qui tous cependant étaient justes, tous adonnés à la vertu, tous loués et proclamés tels par Dieu même ? C'est d'eux qu'il disait : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob.» Exod., II, 6. Le bienheureux Paul dit à son tour : «C'est pour cela que Dieu n'hésite pas à se déclarer leur Dieu. » Hebr., XI, 16. Leur éloge est partout, dans le Nouveau comme dans l'Ancien Testament. Ils réunissent tous les genres d'illustration et de gloire; et tous néanmoins ont eu des femmes stériles, ont pendant longtemps été privés d'enfants.
2. Lors donc que vous verrez des époux vivant dans la pratique de la vertu, pleins de religion, professant la piété, n'avoir pas de famille, gardez-vous d'attribuer cette privation à leurs péchés. Les vues de la divine Providence nous sont bien souvent cachées; il faut en toute chose rendre grâces à Dieu, et reconnaître que le vrai malheur, c'est de vivre dans l'iniquité et non de n'avoir pas d'enfants. L'économie du plan divin tourne constamment à notre avantage, sans que nous sachions comment. Partout et toujours il faut donc admirer sa sagesse et glorifier son ineffable amour pour les hommes. Je l’ai dit pour votre bien, pour que vous ne cessiez de témoigner à Dieu votre reconnaissance, en vous abstenant de scruter ses desseins; il importe toutefois que je vous donne la raison pour laquelle ces femmes étaient stériles. Quelle est donc cette cause ? C'est pour corroborer votre foi devant le mystère d'une vierge enfantant notre commun Seigneur.
Les maternités miraculeuses de Sara, Rébecca et Rachel, figures de la maternité de Marie
Exercez ici votre intelligence, et, quand vous aurez compris comment des femmes stériles et chez lesquelles tout espoir le postérité était éteint, sont néanmoins devenues fécondes par un effet de la grâce divine, vous ne vous étonnerez plus en apprenant qu'une vierge enfanta; ou mieux, vous serez dans l'étonnement et l'admiration mais parce que vous croirez au miracle. Ainsi donc, lorsque le Juif vous dira : Comment une vierge a-t-elle pu enfanter ? répondez-lui par cette question : Comment une femme stérile et décrépite a-t-elle enfanté ? De ce côté je vois deux obstacles, l'âge et l'infirmité; de l'autre je n'en vois qu'un, qui n'est après tout que l'absence d'un moyen. Que les stériles servent donc à préparer la venue de la vierge. Et, pour vous convaincre que telle était bien leur mission, écoutez les paroles que l'ange Gabriel adresse à la Vierge. Dès qu'il a paru et qu'il a dit : « Vous concevrez dans votre sein et vous mettrez au monde un fils à qui vous donnerez le nom de Jésus, » elle demeure frappée d'étonnement, et prononce cette parole : « Comment cela pourrait-il avoir lieu, puisque je ne connais pas d'homme ? » Que lui répond alors l'Ange ? «L'Esprit saint surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. » Luc., I, 31-35. Ne cherchez pas la marche ordinaire de la nature quand tout doit être au-dessus; ne songez pas aux tribulations du mariage quand il s'agit d'un enfantement bien supérieur à tous ceux de la terre. - « Comment cela pourrait-il avoir lieu, dit-elle, puisque je ne connais pas d'homme ? » - C'est précisément pour cela que l'événement aura lieu; si vous étiez dans la condition des femmes communes, vous n’auriez pas été jugée digne de prêter votre concours à ce mystère. C'est donc la cause de votre incertitude, qui doit être celle de votre foi.
Je ne peux pas dire que le mariage soit un mal, je dis seulement qu'il est inférieur à la virginité, et que l'entrée de notre divin Sauveur dans ce monde devait être de beaucoup supérieure à la nôtre, comme celle d'un roi dans son palais. Il fallait qu'il eût la mème origine que nous sans doute, mais avec des caractères différents, et ces deux choses se réalisèrent également. Voici de quelle manière : ce qu'il a de commun avec nous, c'est d’être sorti du sein d'une femme; ce qu'il a de supérieur à nous, c'est d’avoir pour mère une vierge. Son séjour dans le sein maternel le rattache à la nature humaine; le mode de sa conception le met au-dessus : là vous voyez clairement ce qui le rapproche de vous et ce qui l'en distingue. Considérez l'admirable économie du plan divin dans ce mystère : ni sa supériorité n'altère la ressemblance et l'identité même de sa nature avec la nôtre; et ni cette communauté d'origine ne jette une ombre sur sa supériorité. Les faits eux-mêmes le montrent sous ce double aspect, et dans sa ressemblance parfaite avec nous et dans sa dissemblance. Les femmes stériles dont nous avons parlé disposaient donc les hommes à croire en l’enfantement d'une vierge; elle-même était ainsi conduite à croire sans hésiter à la promesse de l'ange, à l'assurance qu'il lui donnait de la part de Dieu. Écoutez encore la parole du divin messager : «L'Esprit saint surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre.» Ibid. C'est ainsi que vous pourrez être mère; ce sera par excellence l'œuvre de l'Esprit saint. Ne regardez donc pas du côté de la terre; l'œuvre vient du ciel : C'est à la grâce de l'Esprit qu’il faut tout attribuer; ne cherchez donc pas là l’ordre de la nature, les lois des unions humaines, - Comme de telles paroles cependant étaient trop élevées il veut les rendre plus intelligibles par un autre moyen.
3. Remarquez avec attention, mon bien-aimé, comment une femme stérile conduit en quelque sorte par la main une vierge à la foi de sa maternité future. Puisque la première démonstration l'emportait sur l'intelligence de cette vierge, voici que l'ange a recours à des paroles plus simples, à des objets tombant mieux sous les sens. « Élisabeth votre parente, lui dit-il, a elle même conçu dans sa vieillesse , et c'est maintenant le sixième mois de celle qu'on appelle stérile.» Luc., I, 36. N'est-il pas évident que la stérilité vient rendre témoignage à la virginité ? Pourquoi parler autrement de cette parente qui va devenir mère, pourquoi dire en particulier : « Celle qu'on appelle stérile? » Le céleste messager emploie tous les moyens pour accréditer sa parole : il signale l'infirmité de l'âge et celle de la nature. C'est encore pour cela que l’époque de la conception est différée; le message n'est accompli qu'au bout de six mois, pour que le doute ne soit plus possible. Et voyez la sagesse avec laquelle procède Gabriel : il ne cite pas l'exemple de Sara, de Rébecca ou de Rachel. Qui l’en empêche ? Sans doute ces femmes avaient eu la double infirmité de l'âge et de la nature, et toutes avaient été l'objet d'une éclatante merveille; mais comme c'était là d'anciens souvenirs, il lui cite un exemple encore existant, afin de mieux captiver son intelligence.
Il faut cependant revenir au sujet de notre discours, il faut que nous vous montrions quelle fut la vertu du juste et comment par ses prières il guérit la stérilité de Rébecca, comment la grâce triompha de la nature. « Il priait pour Rébecca sa femme, et Dieu l'exauça. » Gene., XXV, 21. De ce que l'effet suit de si près la demande, dans la narration sacrée, ne pensez pas qu'il ait si promptement obtenu ce qu'il désirait. Il persévéra pendant vingt ans dans la prière, et c'est alors seulement que Dieu se rendit à ses désirs. Comment pouvons-nous le savoir ? En examinant de près le texte; car il ne nous cache pas le temps écoulé, bien qu'il fasse planer là-dessus quelque ombre, dans le but de stimuler notre ardeur et de nous exciter à l'étude. C'est en nous disant l’âge qu'avait Isaac lorsqu'il épousa Rébecca, que l’Écriture nous éclaire encore sur ce point. « Isaac avait quarante ans, nous dit-elle, quand il épousa Rébecca fille de Bathuel le Syrien».
Après avoir ainsi déterminé son âge pour sa femme stérile, elle détermine aussi le temps que dura cette prière, en nous apprenant l'âge qu'il avait lorsque Rébecca lui donna ses deux fils : « Isaac avait soixante ans quand Rébecca fut mère. » Ibid., 26. S'il avait donc quarante ans lors de son mariage, et soixante à la naissance de ses enfants, il est manifeste qu'il passa vingt ans à prier pour obtenir que Dieu guérit l'infirmité de Rébecca et la rendît féconde. La puissance de la prière vous est-elle assez clairement montrée, ne voyez-vous pas comme elle triomphe de la nature ? Imitons tous ce modèle, prions avec la même assiduité, la même vigilance, la même humilité de cœur; obéissons à cette leçon de Paul : « Levez au ciel des mains pures, exempts de tout emportement et de toute dispute.» I Tim., I, 8.
Tenons-nous soigneusement à l'abri de toute agitation, faisons que notre âme soit tranquille, surtout dans le temps où nous devons prier et quand nous avons besoin que Dieu nous témoigne une plus grande bienveillance. Dès qu'il verra que nous accomplissons ce devoir selon les lois qu'il nous a lui-même prescrites, il répandra sur nous l'abondance de ses dons. Puissions-nous tous jouir d'une telle faveur, par la grâce et l’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire, empire, honneur, en même temps qu'au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.