Saint Jean Chrysostome

Homélie 48 sur la Genèse

Et les enfants de Chet, répondant à Abraham lui dirent : Vous êtes pour nous un roi venu de Dieu ; ensevelissez dans nos sépulcres les plus beaux celle que vous avez perdue.

1. 

Abraham n’avait pas de lieu où disposer une sépulture

Vous avez admiré hier, mes bien-aimés, la force d’âme du saint Patriarche, vous avez admiré ce cœur plus ferme que le diamant, ce père qui, par amour envers son Dieu, est devenu autant qu'il a dépendu de lui le sacrificateur de son fils, et qui, par la volonté du moins, n'a pas hésité à rougir sa main de sang et à consommer le sacrifice. Mais la miséricorde du Seigneur voulut qu’il s’en retournât avec son enfant sain et sauf, après avoir reçu les éloges et la brillante couronne que méritaient ses sentiments, après avoir soutenu cette lutte suprême sans faiblir, et témoigné ainsi en toute manière de sa religion inaltérable. Examinons aujourd'hui avec quelle tendresse il s'occupa désormais de son fils. Revenu de ce sacrifice aussi nouveau que merveilleux, il eut à pleurer la mort de Sara. A cette occasion il demanda aux fils de Chet de lui céder un sépulcre, et leur ayant acheté un lieu convenable, il y déposa sa femme; il devait ainsi à la mort de Sara de posséder pour la première fois une propriété. Toutes les circonstances servent à la divine Écriture pour nous édifier sur la vertu du juste; après nous l'avoir montré menant la vie d’un étranger et d'un voyageur, elle nous mentionne cette dernière particularité, nous apprenant de la sorte que cet homme dont le crédit auprès du Seigneur était si considérable, la renommée si éclatante, dont les rejetons étaient si nombreux, n'avait même pas de lieu qui lui appartint, bien différent en cela des hommes de ce jour, qui la plupart acquièrent à l'envi des champs, des domaines et des biens sans nombre. Abraham avait assez de trésors dans son cœur pour dédaigner des trésors de la terre.

Qu'ils prêtent ici l'oreille, ces hommes qui voudraient posséder en un instant les biens de leurs semblables, et qui ne mettent aucune borne aux désirs de leur cupidité; et qu'ils prennent exemple sur le saint Patriarche, qui n'avait même pas de sépulcre où déposer les restes de Sara, et qui attendit d’être contraint par la nécessité à faire auprès des fils de Chet l'acquisition d'un champ et d'une caverne convenables. Ce qui prouve la considération dont Abraham jouissait chez les Chananéens, c'est le langage que lui tiennent les enfants de Chet : « Vous êtes pour nous un roi venu de Dieu; ensevelissez dans nos sépulcres les plus beaux celle que vous avez perdue. » Gene., XXII, 6, Toutefois Abraham, leur inculquant par ses œuvres la sagesse qui les caractérisait, refuse d'accepter un sépulcre avant d'en avoir payé le prix. - Quelque bienveillants que vous soyez à mon égard, je prétends vous en donner auparavant la juste valeur; à cette condition seulement, je prendrai possession du tombeau.

En conséquence il paya le tombeau, et il en prit possession. « Et ensevelit Sara sa femme dans la double caverne d'un champ en face de Mambré. » Ibid., 19. Ainsi donc, cet homme si remarquable et si renommé, cet homme qui jouissait d'une si grande faveur auprès de Dieu, et d'une telle considération auprès de tous les habitants de la contrée, que les enfants de Chet lui donnaient le titre de roi; cet homme ne possédait même pas un pied de terrain. C'est là ce qui dictait au bienheureux saint Paul le magnifique éloge qu'il faisait de la vertu de ce Patriarche en ces termes : « C'est par la foi qu'Abraham vécut en voyageur sur la terre de la promesse comme sur une terre étrangère, et qu'il habita dans des tentes avec Isaac et Jacob, les héritiers de la même promesse. » Hebr., XI, 9. Et pour nous expliquer en quel sens sa foi lui avait inspiré de vivre en voyageur, il ajoute : « Car il attendait la cité dont les fondements sont inébranlables, et dont l'architecte et le fondateur est Dieu même. » Ibid., 10. L'espérance des biens à venir lui faisait mépriser les biens présents; l'attente de biens plus précieux lui faisait dédaigner les biens grossiers de cette vie; et cela, bien avant la loi, bien avant la grâce.

Nos propriétés ne nous apporteront que des inconvénients dans le ciel

Quelle est donc notre excuse à nous qui, malgré tant de promesses, malgré les biens ineffables assurés à nos efforts, soupirons néanmoins après les biens d'ici-bas, multiplions nos possessions, cherchons de toutes les manières à nous faire remarquer, et recourons aux rapines et aux injustices pour accroître notre fortune ? Ce que le Prophète déplorait dans le passage qui suit, nous le mettons en œuvre : « Malheur, s'écriait-il, à ceux qui ajoutent les maisons aux maisons, les champs aux champs, et dépouillent ainsi le prochain. » Isa., V, 8. Ne voyons-nous pas tous les jours se réaliser ces iniquités? Ne voyons-nous pas les veuves dépouillées, les orphelins spoliés, les faibles opprimés par les forts ?

Le saint Patriarche n'agit pas de cette manière : lorsqu'il voulut faire l’acquisition d'un sépulcre, bien qu'il vit les enfants de Chet disposés à le lui donner, il ne consentit à le prendre qu'après l’avoir payé à sa juste valeur. Pénétrons-nous de ces sentiments, mes bien-aimés, marchons, nous qui vivons sous la grâce, à la suite des justes antérieurs à la loi , et prenons garde, en laissant nos cœurs s'embraser du désir de posséder toujours davantage, d'augmenter les ardeurs de ce feu inextinguible, de ces flammes intolérables qui nous seraient réservées. A nous aussi, dans le cas où nous persisterions à vivre de rapines et d'injustices pareilles, conviendraient ces paroles adressées au riche de l’Évangile : « Insensé, cette nuit même, on te demandera ton âme; et ces biens que tu a mis en réserve, qui les possédera ? » Luc., XII, 20. Pourquoi, mon bien-aimé, tant de sollicitude à ramasser ces richesses qu'il vous faudra bientôt laisser sur la terre, d'où vous serez vous-même enlevé, non seulement sans retirer de ces richesses un avantage quelconque, mais chargé en outre du poids de vos prévarications et vous consumant en regrets inutiles ? Plus d’une fois d’ailleurs ces biens que vous avez réunis avec tant d'avidité tomberont entre les mains de vos ennemis, tandis que vous n'en retirerez que châtiments. Ne serait-ce donc pas le comble de la folie de vous épuiser pour autrui, et de ne garder pour vous que le supplice ?

2. 

Seuls les pauvres pourront faire fructifier notre épargne

Si jusqu'à présent nous avons trop négligé nos intérêts les plus chers, du moins prenons maintenant des résolutions sérieuses, et, au lieu de songer uniquement à l'accroissement de notre fortune, appliquons-nous de tout cœur à la pratique de la justice. Notre destinée n'est pas bornée à la vie de ce monde; nous ne resterons pas toujours sur la terre étrangère, avant peu nous retournerons dans notre patrie. Que tous nos efforts aient donc pour but de n’être pas alors dans le dénuement. A quoi nous servirait-il de laisser à l'étranger des biens considérables, sauf à manquer dans la patrie même du nécessaire ?

Hâtons-nous donc, tandis qu'il en est temps, de transporter dans la patrie ce que nous possédons sur la terre étrangère. Encore que l'une soit bien éloignée de l'autre, il est facile d'opérer cette translation. Les personnes chargées de l'opérer sont prêtes, elles ne redoutent en chemin aucun danger, et ce que nous leur confierons, elles le déposeront dans un asile inviolable; car ce sont les pauvres dont les mains transportent dans les trésors célestes les offrandes que nous leur avons confiées. Puisque cette translation nous présente autant de facilité que de sécurité, pourquoi hésiterions-nous encore, et ne nous presserions-nous pas d'envoyer nos biens là où nous en aurons le plus besoin ? Le Patriarche habitait le pays de Chanaan comme une terre étrangère, parce qu'il « attendait la cité dont l'architecte et le fondateur est Dieu même.» Hebr., XI, 10. Imitons ses vertus, et nous habiterons un jour cette même cité, et nous serons repus dans le sein d'Abraham. Là où les œuvres sont les mêmes, la récompense est aussi la même.

Revenons cependant, si vous le jugez opportun, à la suite de notre discours, et considérons avec quelle sollicitude l'époux de Sara s'occupe, après la mort de son épouse, de leur fils Isaac. Prêtons donc l'oreille au récit de la divine Écriture : «Abraham était vieux et avancé en âge. Or le Seigneur bénit Abraham en toute chose. » Gene. XXIV, 1. Pourquoi ces détails du texte sacré ? C'est que le Patriarche allait se préoccuper de choisir une épouse à Isaac, et voilà pourquoi l'on indique son âge. Quand il fut parvenu à une grande vieillesse, comme il ne voulait pas que son fils prit une épouse parmi les filles des Chananéens, il manda son serviteur le plus sûr et le chargea de cette mission en ces termes : « Pose ta main sous ma cuisse. » Ibid., 2. Le mot hébreu signifie : sous mes reins. Et dans quel but ce langage ? Sans doute que telle était la manière de s'exprimer des hommes de ces temps, où bien encore il parlait de la sorte par allusion à la génération d’Isaac. Ce qui prouve qu'il se conformait en cela aux usages du temps, c'est qu'après avoir donné cet ordre à son serviteur, Abraham ajoute aussitôt : « Et je t'adjurerai au nom du Dieu seigneur du ciel et du Dieu de la terre. » Ibid., 3. Remarquez comment il instruit son serviteur à connaître l'Auteur de toute chose; car ces expressions : Dieu du ciel et Dieu de la terre embrassent la création entière.

Et quel serment lui impose-t-il ? « De ne pas prendre pour épouse à mon fils Isaac une des filles des Chananéens, au milieu desquels j'habite; mais d'aller dans la contrée où je suis né, vers mes parents et d'y choisir une épouse pour mon fils Isaac. » Ibid., 3-4. Tel est l’ordre qu'il donne à son serviteur.

Les habitants de Chanaan manquaient de piété

N’accordez pas à ce langage une légère attention, rendez-vous compte de la pensée du Patriarche, et remarquez bien qu'à cette époque reculée on était bien loin de rechercher une grande fortune, des richesses considérables, de nombreux esclaves, de vastes domaines, la beauté corporelle, mais plutôt la beauté de l’âme et la noblesse des sentiments. Témoin de la perversité des habitants de Chanaan, et comprenant l'importance de choisir pour son fils une épouse qui partageât sa piété, Abraham exige de son serviteur, sous la foi du serment, la promesse d'amener de sa famille une épouse à son fils. Ni la distance des lieux, ni les difficultés de la route ne le refroidissent à cet endroit, et, parce qu'il comprend la nécessité de la mesure, il ne néglige rien et il intime à son serviteur l'ordre de partir. Ainsi agit le saint Patriarche, qui, ayant en horreur les vices des indigènes, ne se préoccupait que des vertus du cœur. Telle ne serait pas aujourd'hui opinion de la plupart des hommes.

Peu importe la présence de vices sans nombre, ils ne courent qu'après une seule chose, la richesse; tout le reste ne vient pour eux qu'en seconde ligne, car ils ne comprennent pas que là où le cœur est gâté, si considérable que soit la fortune, on sera bientôt réduit à la dernière indigence, et que les biens temporels ne sont d'aucune utilité lorsqu'il n'y a pas une intelligence capable d'en régler sagement l'emploi.

3. Telle est donc la mission dont le Patriarche chargea son serviteur, tout en le liant par un serment. Considérons maintenant la loyauté de ce dernier, et sa piété formée sur celle de son maître. Quand il eut vu l'importance qu'Abraham attachait à cet ordre, il lui dit : « Et si la jeune fille refuse de me suivre, devrai-je ramener votre fils dans le pays d'où vous êtes sorti ? » Ibid., 5. Je ne voudrais pas, si quelque difficulté imprévue survenait, déroger à vos instructions; c'est pour cela que je vous demande quelle conduite il me faudra tenir.

Quelle est la réponse du juste ? Il le détourne de ce dessein et lui dit : « Garde-t’en bien; ne conduis pas là-bas mon fils. » Ibid., 6. Au reste, ce ne sera pas nécessaire. Celui sur la parole duquel je me repose et qui m'a promis de multiplier à l'infini la postérité d'Isaac, conduira lui-même cette entreprise. « Garde-toi donc bien de conduire mon fils en ce pays. Le Seigneur Dieu du ciel et Dieu de la terre.» Ibid. 7. Vous l'avez vu tout à l’heure, en adjurant son serviteur, lui faire connaître l'auteur de l'univers; maintenant qu'il lui donne ses instructions, il répète les mêmes paroles, et de toute façon il l'instruit à mettre dans le Seigneur sa confiance pleine et entière, et à compter, après avoir commencé son voyage avec ces sentiments, sur une heureuse issue. Dans ce but il lui rappelle quelle bienveillance le Maître de toute chose lui avait manifestée dès le principe : or ce Dieu qui l'avait appelé hors de sa patrie, qui jusque-là lui avait accordé la plus efficace protection, qui lui avait donné Isaac, mènerait assurément à bonne fin cette entreprise nouvelle. « Le Seigneur Dieu du ciel et de la terre, dit-il, qui m'a tiré de la maison de mon père et de la maison dans laquelle je suis né; lui qui m’a dit expressément : Cette terre, je la donnerai à toi et à ta postérité; » ce Dieu qui m'a témoigné tant de sollicitude, «lui-même il enverra devant toi son ange, et tu ramèneras à coup sûr de ce pays une épouse à mon fils. » Pars sans crainte; ne doute pas que celui de qui j'ai reçu tant de grâces n'ajoute un nouveau bienfait aux bienfaits passés, et n'envoie devant toi son ange. Il te préparera lui-même les voies en toute chose; lui-même te désignera l'épouse que tu devras amener à mon fils. S'il arrivait, ce que je ne crois pas, que la jeune fille refuse de te suivre, tu ne resteras plus sous le poids de ton serment. « Dans tous les cas, ne conduis pas mon fils en ce pays. » Ibid., 8. Pour moi , je suis certain que le Seigneur te dirigera lui-même. C'est ainsi qu'Abraham découvre à quel point il compte sur Dieu, et qu'il défend à son serviteur de conduire Isaac en ces contrées.

Quand il eut donné ses ordres et dissipé les préoccupations d'Eliézer, car celui-ci craignait de ne pas accomplir la volonté de son maître et de se rendre coupable par là de parjure, « le serviteur mit sa main sous la cuisse d'Abraham, et fit le serment demandé, » Ibid., 9, à savoir qu’il n'emmènerait pas Isaac hors de la contrée. Vous avez vu se trahir dès le commencement l’affection du serviteur pour son maître; vous allez voir maintenant le profit qu'il retira des avis du Patriarche et comment il imita sa piété. « Prenant dix chameaux et des présents précieux parmi les biens de son maître, Eliézer partit pour la Mésopotamie vers la ville de Nahor; sur le soir, il fit reposer ses chameaux hors la ville, près d'un puits, à l'heure où les jeunes filles vont puiser de l'eau. Et il dit : Seigneur Dieu d'Abraham mon maître. » Ibid.,10-12. Remarquez la fidélité du serviteur; c’est par son maître qu'il désigne le Souverain de univers. « Seigneur Dieu de mon maître Abraham, » de celui que vous avez comblé de bienfaits. - Ne vous étonnez pas qu'un serviteur donne au Seigneur le nom de Dieu d'Abraham; car Dieu lui-même, pour montrer à quel point il estime la vertu des justes, s'exprime de la sorte : « Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. » Exode, II, 6. Eliézer poursuit donc en ces termes : « Seigneur Dieu de mon maître Abraham, secondez-moi je vous prie, aujourd'hui, et usez de miséricorde envers Abraham mon maître. » Qu'est-ce à dire, usez de miséricorde ? Exaucez-le. « Me voici près de la fontaine, continue-t-il, et les filles des habitants de la ville sortent pour puiser de l'eau. La jeune fille à laquelle je dirai : Inclinez votre vase afin que je boive, et qui me répondra : buvez et je donnerai à boire à vos chameaux jusqu'à ce qu'ils soient désaltérés, sera celle que vous aurez préparée à votre enfant Isaac; par là je connaîtrai que vous avez fait miséricorde à mon maître Abraham. » Gene., XXIV, 12-14. Langage plein de sagesse. Comme Eliézer connaissait les sentiments hospitaliers du saint Patriarche, comprenant d'ailleurs que la jeune fille à lui présenter devait être douée des vertus semblables aux siennes, il ne s'enquiert pas d'un autre indice, et il lui suffit de trouver dans une jeune fille le même cœur hospitalier pour y reconnaître celle qu'il cherche. De là son langage. Si la jeune fille à laquelle je demanderai à boire m'offre son vase, et, découvrant la générosité de son âme, dit en outre : J'abreuverai aussi vos chameaux, cet acte de sa part attestera suffisamment sa vertu et sa candeur.

4. 

Vertu de Rébecca

En effet, mon bien-aimé, ce n'était point une chose ordinaire qu'une jeune et tendre vierge, loin de repousser la demande qui lui était adressée, déposât le vase dont ses épaules étaient chargées, l'offrit à celui qui le lui demandait, c'est-à-dire à un étranger, à un inconnu, et de plus qu'elle abreuvât tous les chameaux, révélant par cette conduite la noblesse de son âme. Ne savez-vous donc pas que bien des hommes repoussent des demandes de cette nature ? Je ne parle pas seulement de l'eau qu'on peut leur demander. Mais, plus d'une fois, quand ils portent quelque flambeau, on les priera d'attendre un peu et de nous laisser prendre de leur lumière, ils n'y consentiront pas, encore que leur flambeau ne dût rien perdre en éclat alors même qu'il eût servi à rallumer une infinité d'autres flambeaux. Ici, nous voyons une femme, une jeune fille qui porte un vase sur ses épaules, non-seulement écouter avec douceur la demande qui lui est faite, mais encore s'y prêter, donner à boire à celui qui l'implore, et s'offrir d'elle-même à en donner aux bêtes de somme.

C'est que le bon Dieu avait exaucé les supplications du saint Patriarche, et avait disposé toute chose conformément aux désirs du serviteur, devant lequel il avait envoyé son ange. La suite des événements démontra ainsi à Eliézer l'efficacité de la prière d'Abraham; car il rencontra une vierge telle qu'il la souhaitait et il découvrit en elle les sentiments de la plus parfaite hospitalité. « Elle s'empressa, raconte l'Ecriture, et répandant son vase dans les canaux, elle courut le remplir au puits et en abreuva tous les chameaux. » Ibid., 20, Quelle vivacité dans cette obligeance ! car ces mots : «Elle s'empressa, répandit le contenu de son vase, et courut au puits, » prouvent l'ardente charité de la jeune fille; sans se retirer en sa qualité d'étrangère, sans décliner la demande d'Eliézer par raison de convenance, elle lui dit au contraire avec la bienveillance la plus grande : «Buvez, seigneur. » Ibid., 18, Quelles richesses ces vertus ne surpasseraient-elles pas ? à quels trésors ne seraient-elles pas préférables ? Voilà une dot vraiment grande, des biens vraiment précieux, des trésors vraiment inépuisables.

Eliézer reconnut à ces marques l'action providentielle du Très-Haut. « Il la contemplait et gardait le silence, pour savoir si le Seigneur avait béni son voyage ou non. » Ibid. , 21. Qu'est-ce à dire, Il la contemplait ? Il considérait tour à tour avec la plus grande attention sa physionomie, sa démarche, son maintien, et tout son extérieur, pour savoir « si le Seigneur avait, ou non, béni son voyage. » Quant à ce qui venait de se passer, c'était une preuve éclatante de la vertu remarquable de la jeune fille.

Pour la remercier de sa complaisance, Eliézer lui présenta « deux pendants d'oreille en or et deux bracelets. » Ibid., 22. En même temps il la questionna sur ce qui la regardait et lui dit: « De qui êtes-vous la fille ? Y aurait-il dans la maison de votre père un lieu pour me recevoir ?»Ibid., 23. Remarquez la réponse de la jeune vierge : tout à l'heure, quand on lui demandait de l'eau, elle en donna au serviteur d'Abraham et à ses bêtes de somme. De même à la question qui lui est adressée sur le nom de son père et sur la facilité de trouver un asile, elle répond : « Je suis la fille de Bathuel, fils de Melcha et de Nachor; » Ibid., 24; elle désigne à la fois et son père et son aïeul, pour inspirer à Eliézer plus de confiance. Telle est la simplicité de cette enfant. On lui demande quel est son père, et non seulement elle le fait connaître, mais elle fait connaître aussi le père de son père. On lui demande s'il y a un lieu où l'on puisse être reçu, et non seulement elle répond affirmativement, mais elle ajoute : « Il y a chez nous du foin et de la paille en abondance. » Ibid., 25. A cette réponse,  Eliézer fut saisi d'admiration pour les sentiments hospitaliers de la jeune fille ; et, apprenant qu'il s'agissait d'aller, non chez des étrangers, mais chez Nachor, le frère du saint Patriarche; « il adora Dieu profondément. » Ibid.,26. Heureux de ce qu'il venait d'apprendre et du langage qu'avait tenu la jeune fille, il se prosterna devant le Seigneur et lui rendit grâces de la protection qu'il avait visiblement répandue sur Abraham et sur lui-même, et de la bonté avec laquelle il avait favorablement disposé toute chose. « Béni soit, s'écrie-t-il, le Seigneur Dieu d'Abraham mon maître, qui n'a point détourné de mon maître sa miséricorde et sa vérité. » Ibid., 27. 

Maintenant qu'il est édifié sur les sentiments de l'enfant et suffisamment renseigné par elle, il se fait lui-même connaître et lui apprend, par sa prière d'action de grâces, qu' il vient, non de la part d'une famille étrangère, mais pour remplir une mission dont l'a investi le frère même de Nachor. Dès que la jeune fille eut appris ces choses , « elle se mit à courir, pleine de joie. » Ibid., 28. Voyez comment chacun de ses actes révèle ses sentiments hospitaliers : la vivacité de sa course comme ses paroles, comme son ingénuité. « Elle se mit à courir et annonça dans la maison de sa mère ce qu'elle avait appris. » Ibid. Tout ce que lui avait dit Eliézer, elle le communiqua à ses parents. « Et Laban courut en toute hâte vers l'homme, du côté de la fontaine. » Ibid. 29. La précipitation de sa marche montre également l’ardeur de Laban. Dès qu'il aperçut Eliézer debout près de la fontaine avec ses chameaux, il lui dit : « Venez, entrez, béni soit le Seigneur. Pourquoi êtes-vous resté dehors ? J'ai préparé la maison et un lieu pour les chameaux. » Ibid., 31. Laban aussi bénit Dieu de l'arrivée de l'étranger; et, avant d'exercer l'hospitalité, il montra à ce dernier combien ce devoir lui était agréable : « Venez, entrez, car jai déjà préparé la maison et un lieu pour les chameaux. » Et quand Eliézer fut entré, « il déchargea les chameaux, leur donna de la paille et du foin, et présenta de l'eau à Eliézer pour laver ses pieds. » Ibid., 32.

5. Voilà le zèle avez lequel ces hommes, captifs encore de l'erreur, exerçaient les devoirs de l'hospitalité. «Et il lui donna de l'eau pour laver ses pieds, et pour laver les pieds de ceux qui l'accompagnaient. Et il mit devant eux des pains à manger. » Ibid., 32-33. Observez ici le grand sens d'Eliézer. « Pour moi, dit-il, je ne mangerai pas tant que je n'aurai pas dit ce que j'ai à dire. » Vous avez rempli votre devoir à mon égard; de mon côté, je n'aurai pas de repos que je ne vous aie communiqué le motif pour lequel j'ai entrepris ce voyage, j'ai quitté le pays de Chanaan, et suis arrivé dans votre maison.

Lorsque je vous aurai tout raconté, il dépendra de vous de montrer les sentiments dont vous êtes animé envers mon maître. Il commence donc son récit en ces termes : « Je suis serviteur d'Abraham. Or le Seigneur a comblé mon maître de bénédictions, et il lui a donné des brebis et des taureaux, de l'or et de l'argent, des serviteurs et des servantes, des ânes et des chameaux. Et Sara, la femme de mon maître, a mis au monde un fils, quoique Abraham fût déjà vieux; et le père a donné à ce fils tout ce qu'il possédait. » Ibid., 34-36. Remarquez l'exactitude de tous ces détails. Je suis au service de cet Abraham que vous connaissez, leur dit-il. Or, le Maître de toute chose l'a comblé de tant de bénédictions que les richesses de mon maître sont extrêmement considérables.

Et pour leur en donner une juste idée, il ajoute : Des brebis et des taureaux, de l'or et de l'argent, des serviteurs et des servantes, des ânes et des chameaux , telle est sa fortune. Prêtez ici l'oreille, riches qui ajoutez chaque jour les arpents de terre aux arpents, qui bâtissez des bains, des portiques et de somptueux édifices; et voyez ce en quoi consistait la fortune du saint Patriarche. Chez lui point de domaine, point de maison, point de faste et de luxe; mais des brebis et des taureaux, des chameaux et des ânes, des serviteurs et des servantes. Et, pour que vous n'ignoriez pas l'origine de ce grand nombre de serviteurs, on lit ailleurs qu'ils étaient tous nés chez Abraham.

Or, poursuit Eliézer, mon maître, dont les richesses sont si grandes, et dont la faveur auprès de Dieu ne l'est pas moins, eut un fils de Sara, quoique parvenu lui-même aux limites de la vieillesse; ce fils unique, il l'a fait déjà son héritier universel, car « il lui a donné tout ce qu'il possède. » Après avoir parlé de l'éclat de son maître et de la naissance d'Isaac, il expose les ordres qu'il a reçus avant de partir pour Charran. « Et mon maître, dit-il, m'a fait jurer en sa présence, disant : Tu ne prendras pas d'épouse à mon fils Isaac parmi les filles des Chananéens, au milieu desquels j'habite; mais va dans la maison de mon père, vers mes proches, c'est là que tu prendras une épouse pour mon fils. » Ibid., 37-38. Tels furent les ordres d'Abraham. Après avoir examiné la difficulté de la mission, je lui demandai ce qu'il faudrait faire si la jeune fille refusait de venir avec moi. « Et il me répondit : Le Seigneur Dieu, à qui j'ai eu le bonheur de plaire, enverra lui-même son ange devant toi, et il dirigera ta voie, et tu trouveras une femme pour mon fils dans ma parenté, dans la maison de mon père.» Et, si tu ne peux décider la jeune fille à venir avec toi , tu seras à l'abri de ma malédiction. » Ibid., 40-41. Voilà les instructions et la mission que je reçus de mon maître. Je me suis donc mis en route, et, plein de confiance en ses prières, dès que je fus arrivé près de la fontaine, je me suis écrié : « Seigneur Dieu d'Abraham mon maître, si vous me dirigez vous-même dans le chemin où je marche, me voici près de la fontaine ; à l’heure où les filles des habitants de la cité viennent y puiser de l'eau; et la fille à laquelle je dirai : Donnez-moi un peu de l'eau de votre cruche; et qui me répondra : buvez, je vais également abreuver vos chameaux, sera l'épouse que vous avez préparée à votre serviteur Isaac; et en cela je connaitrai que vous avez fait miséricorde à mon maitre Abraham. » Ibid., 42-44. J'adressais au fond de mon cœur cette prière à Dieu, et je ne l'avais pas terminée que déjà elle était exaucée. «Car je n'avais pas encore fini de parler que Rébecca parut avec un vase sur ses épaules. Et je lui demandai : Donnez-moi à boire. Et , déposant son vase avec empressement, elle me répondit : buvez; je vais aussi abreuver vos chameaux. » Ibid., 45-46. A la vue de cette providentielle intervention du Seigneur, je lui demandai de qui elle était la fille; et dès que je sus par sa réponse que, loin d’être venu vers des étrangers, j'allais me trouver dans la maison de Nachor, frère de mon maître, plein de confiance, «je lui présentai des pendants d'oreille et des bracelets. Ensuite j'adorai avec reconnaissance le Seigneur, et je bénis le Dieu de mon maître Abraham de m'avoir conduit vers une fille du frère de mon maître. » Ibid., 47-48.

Tout cela au reste était l’œuvre de Dieu et l'accomplissement des prières de mon seigneur. Et maintenant, vous qui avez fait si bien votre devoir jusqu'ici, « agissez en toute miséricorde et justice avec mon maître; sinon, dites-le moi.» Ibid., 49. Dites-moi votre sentiment, afin que, s'il est favorable, je sache quel parti je dois prendre; et, s'il ne l'est pas, afin que je dirige mes pas d'un autre côté, « et que j'aille soit à droite, soit à gauche. » Mais, comme Dieu conduisait tout ceci  conformément aux prières du saint Patriarche, le père et la mère de la jeune fille répondent : « Cette parole vient du Seigneur; nous ne pourrions vous dire rien de contraire; soit en bien, soit en mal. » Ibid., 50. Votre récit nous montre clairement dans ces événements la main divine. N'allez pas croire que nous voulions nous opposer aux desseins du Seigneur; nous ne pouvons en avoir la pensée. «Voilà la jeune fille; Prenez-la; partez, et elle sera l’épouse du fils de votre maître, comme l'a dit le Seigneur. » Ibid., 51.

6. Voyez-vous avec quelles précautions ces hommes de l'antiquité choisissaient une épouse à leur fils, préférant aux richesses la noblesse du cœur. Point d'actes, point de contrats, point de ces mesures ridicules d'aujourd'hui, ni de ces clauses qu'on insère dans les contrats, par exemple , si elle vient à mourir sans enfants, si telle ou telle chose arrive. En ce temps-là rien de pareil; l'on avait pour contrat, et c'était le meilleur et le plus sûr, les mœurs de la jeune fille. Point de cymbales non plus, ni de chœurs de danses. Vous vous en convaincrez lorsque vous verrez la fiancée se présenter à son fiancé. «Le serviteur ayant oui le langage du père et du frère, se prosterna et adora. » Ibid., 52. Voyez-le, à chacune de ces circonstances, rendre grâces au Maître de l'univers. Car c'était Dieu qui préparait ainsi les voies et qui avait envoyé, conformément à la parole du Patriarche, son ange devant Eliézer, pour lui faciliter toute chose. Certain alors du succès de sa mission, celui-ci « prit des vases d'or et d'argent et des vêtements, et les donna à Rébecca.» Ibid., 53. Il s'applique à gagner son cœur, la considérant engagée de parole avec Isaac. Il honore également de semblables présents la mère et le père; et ce n’est qu’après avoir terminé la mission dont l'avait chargé Abraham qu'il songe à réparer ses propres forces.

Et ils mangèrent et ils burent, lui et les hommes qui l'accompagnaient, et ils allèrent dormir. Et, s'étant levé le matin , Eliézer leur dit : Laissez-moi partir, afin que je revienne vers mon maître.» Ibid., 54. Maintenant que tout est heureusement terminé, qu'il ne me reste plus rien à faire et que la chose vous est à vous-même agréable, «laissez-moi partir, afin que je retourne vers mon maître. Et les frères et la mère lui répondirent Que la jeune fille reste au moins dix jours avec nous; après quoi vous partirez. Et il leur dit : Ne me retenez pas, puisque le Seigneur a béni mon voyage; laissez-moi partir et m'en retourner vers mon maître. » Ibid., 54-56. Pourquoi des hésitations et des délais, quand le Seigneur m'a protégé d'une façon si visible et si complète ? « Laissez-moi donc partir et m'en retourner vers mon maître. Et ils dirent : Appelons la jeune fille et interrogeons-la. Et ils l’appelèrent, et ils lui dirent : Iras-tu avec cet homme ?

Et elle répondit : J'irai. Et ils laissèrent partir Rébecca leur sœur avec ce qui lui appartenait, et le serviteur d'Abraham et ses compagnons. Et ils bénirent Rébecca et lui dirent : Tu es notre sœur; puisses-tu grandir jusqu'à mille et mille générations; et tes descendants puissent-ils posséder en héritage les cités de leurs ennemis. » Ibid., 56-60. Ils annoncent, sans le savoir, ce qui devait se réaliser un jour pour Rébecca; leur pensée obéissait à l'action du Seigneur. En effet, selon leur prophétie, la postérité de la jeune fille devait se perpétuer jusqu'à mille générations; et ses descendants devaient hériter des cités de leurs ennemis. Ainsi éclate à vos yeux en toutes ces circonstances la providence irrésistible du Très-Haut; des infidèles deviennent sous sa main les prophètes de l'avenir. « Et Rébecca et ses suivantes se levant, montèrent sur des chameaux.» Ibid., 61. Remarquez la condition de la fiancée du Patriarche. Naguère elle allait chercher de l'eau avec un vase sur ses épaules; maintenant elle monte sur un chameau. Vous n'y voyez point ces mules dont la tête est couverte d'argent, ces essaims de serviteurs et ce luxe que l'on voit aujourd'hui. Telle était la vigueur des femmes de ce temps qu'elles montaient sur des chameaux, et affrontaient ainsi le voyage. « Et elles partirent avec Eliézer. Or, Isaac était sorti pour méditer dans la campagne à l'heure du crépuscule; et, levant les yeux, il aperçut les chameaux qui venaient. » Tout en se promenant dans les champs, il vit ces bêtes de somme. « Et, dès que Rébécca eut aperçu Isaac, elle descendit de son chameau, et elle demanda au serviteur : Quel est donc cet homme qui vient dans la campagne à notre rencontre ?» Ibid., 62-65. Admirez les nobles sentiments de la jeune fille : à la vue d'Isaac, elle demande quel est cet homme; et quand on lui a répondu que c'était son futur époux, elle ramène son voile sur sa tête. Et le serviteur raconta tout ce qui s'était passé à Isaac. En vain, mon bien-aimé, chercheriez-vous ici nos coutumes vaines et dangereuses: point de pompe diabolique, point de cymbales, de flûtes, de danses, point de ces banquets sataniques et de ces propos hideux d'obscénité; vous n’y découvrirez que pudeur, sagesse et modestie. « Et Isaac entra dans la maison de sa mère, et il prit Rébecca, et elle fut son épouse, et il l'aima, et il fut consolé de la mort de sa mère Sara.» Ibid., 67. 

Femmes, prenez Rébecca pour modèle; hommes, prenez Isaac : imitez tous la simplicité de ces noces. Pourquoi, je vous le demande, souffrez-vous que, tout d'abord et dès le commencement, des chants lubriques viennent frapper les oreilles de la jeune fille, au milieu d'une pompe pernicieuse ? Ignorez-vous donc combien la jeunesse glisse aisément sur la pente du mal ? Pourquoi profaner les saints mystères du mariage ? Ne faudrait-il pas plutôt repousser tous ces usages, et former dès le principe la jeune fille à la pudeur, appeler les prêtres, unir les deux époux au milieu des prières et des bénédictions, afin que l'amour de l'un gagnât en force, la modestie de l'autre en durée; afin que toutes les particularités du mariage concourussent à introduire la vertu dans cette maison nouvelle, à chasser au loin les embûches du démon, qu'ainsi les deux époux passassent leur vie dans une félicité due à la protection de Dieu. Puissions-nous tous en être favorisés par la grâce et la charité en Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur soient au Père et au Saint -Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.

Ainsi soit -il.