Saint Jean Chrysostome

Homélie 47 sur la Genèse : le sacrifice d’ISAAC

Et il arriva qu'après ces mots Dieu tenta Abraham.

1. Le texte que vous venez d'entendre, bien que contenant peu de paroles, va nous découvrir un trésor également précieux et considérable.
Ainsi en est-il des divines Écritures : ce n’est point sous la multitude des mots, mais sous un langage précis qu'elles cachent leurs richesses.

A nous donc de pénétrer le sens du passage en question et de chercher à comprendre toute la force du texte dont il a été fait lecture. Ce sera pour nous un nouveau moyen de constater, et l'admirable vertu du Patriarche, et l'infinie bonté de Dieu. « Et il arriva qu'après cela Dieu tenta Abraham. » Genes.,XXI
Que signifient ces paroles : « Et il arriva qu'après cela Dieu tenta Abraham ? » Remarquez, je vous prie, le moment indiqué par les saintes Lettres dans ce nouveau témoignage rendu à la vertu de ce juste. Ayant à raconter l'épreuve à laquelle Dieu le soumit, elles marquent le temps précis où il lui ordonna d'immoler Isaac, pour vous faire apprécier la parfaite obéissance de cet homme aux yeux duquel la volonté du Seigneur prévalait sur toute autre considération. Quelle est donc la portée de ces paroles: « Et après ces mots il arriva..?» Lorsqu'Isaac fut venu au monde, Sara le voyant un jour en compagnie d'Ismaël, ainsi que je vous le racontais hier, fut choquée de ces rapports et dit à son époux: « Chassez la servante et son fils; car le fils de la servante ne sera pas héritier avec mon enfant. » Genes., XXI 10.

Pourquoi Sara voulut chasser Ismaël et sa mère

Cette proposition sembla dure au saint Patriarche; et ce fut pour calmer sa douleur que le Seigneur lui tint ce langage : « Prête l'oreille à Sara ta femme, et suis le conseil qu’elle te donne.» Ne t'alarme pas de ce qui a été dit touchant la servante et son enfant. «C’est Isaac qui doit être le chef de ta postérité.» Ibid., 12. Néanmoins, je ferai d'Ismaël, parce qu'il est également sorti de toi, le chef d'un grand peuple. Évidemment, d'après ce langage et cette promesse du Seigneur, les enfants d'Isaac devaient former une multitude considérable. Naturellement Abraham se nourrissait de ces espérances, il avait pour ainsi dire reçu le prix des nombreuses et rudes tribulations par lesquelles il était passé, et, heureux de contempler le fils auquel devait être transmis son héritage, il vivait dans une sécurité sans nuages. Mais celui qui connaît les secrets de la pensée voulut nous mettre sous les yeux la vertu du saint Patriarche et le dévouement sans bornes qu'il portait à son Créateur.

C'est pourquoi, après ses nombreuses promesses, et en particulier après celle dont nous venons de parler et dont le souvenir absorbait l'âme d'Abraham, lorsqu'Isaac déjà grandi se trouvait dans la fleur de sa jeunesse, à ce moment où la tendresse de son père croissait en quelque manière sans mesure, après cette assurance : « C'est lui qui sera le chef de ta postérité , » c'est lui qui héritera de toi; « après ce langage, dis-je, Dieu tenta Abraham.»

Pourquoi le tenta-t-il ? Ce n'est pas qu'il ignorât ce qu'était Abraham; s'il l'éprouva, ce fut pour instruire les hommes d’alors, aussi bien que ceux des siècles à venir, de la charité du saint patriarche et de sa parfaite soumission aux ordres du Seigneur. « Et il lui dit: Abraham, Abraham, et Abraham répondit : Me voici. » Pourquoi cette répétition ? C'est le signe de la faveur très grande dont ce juste jouissait et le présage certain d'un commandement important. Pour stimuler son attention, son zèle à mettre les ordres d'en haut à exécution, Dieu l'appelle par deux fois : « Abraham , Abraham, et Abraham répondit : Me voici. Et Dieu dit : Prends ce fils que tu aimes tant, ton Isaac chéri; et va sur un lieu élevé, et offre-le moi en holocauste sur l'une des montagnes que je t'indiquerai. » Genes., XXII, 2. 

Ordre bien terrible et bien au-dessus des forces humaines. « Prends ce fils que tu aimes tant, ton Isaac chéri. » Ces paroles elles-mêmes redoublent les ardeurs de ce foyer, raniment la tendresse dont ce juste brûlait pour son enfant. « Prends ce fils que tu aimes tant, ton Isaac chéri. » Chacun de ces mots suffisait à briser le cœur de ce père. Il n’y a pas seulement : « Isaac ; » il y a de plus, « ton fils, » celui que tu as obtenu contre toute espérance, qui t'a été donné dans ta vieillesse, « ce fils chéri, » adoré, que tu aimes d'un si grand amour; cet Isaac que tu attends pour héritier, celui qui doit multiplier ta postérité et la rendre assez nombreuse pour être comparée à la multitude des étoiles et aux grains de sable du rivage.

Eh bien, cet enfant, « prends-le; va sur un lieu élevé, et offre-le-moi en holocauste sur l'une des montagnes que je t'indiquerai. » Ce qui m'étonne, c'est qu'Abraham ait pu entendre ce langage. On lui dit : Prends ce fils chéri, et offre-le-moi sur une montagne en holocauste. Et que se passe-t-il dans l'âme du Patriarche ? Elle n'en est pas troublée, son coeur n'en est pas confondu; il n'est point déconcerté en présence d'un ordre si extraordinaire; il ne pense pas et ne se dit pas en lui-même : Eh quoi Ie Seigneur qui m'a donné un fils contre tout espoir, qui dans sa miséricorde a fécondé le sein de Sara auparavant stérile, maintenant que ce fils est grand et dans la fleur de son âge, il m'ordonnerait de l'immoler et de le lui offrir en holocauste ? Lui qui me disait naguère: « C'est Isaac qui sera le chef de ta postérité » me prescrirait en ce moment un acte contraire à ces paroles ! Et comment alors ces promesses s'accompliront-elles ? Est-il possible que des rameaux s'élancent d'une racine arrachée, que des fruits naissent sur un tronc coupé, que des fleuves jaillissent d'une source desséchée ?
Sans doute ces choses sont impossibles au point de vue humain. Mais que Dieu le veuille, et elles deviendront possibles.

2. Aucune pensée de ce genre ne germa dans l'esprit d'Abraham: laissant de côté tout raisonnement, il ne se préoccupa en bon serviteur que d'une seule chose, exécuter l'ordre qui lui était imposé; et comme s'il eût été étranger aux sentiments de la nature, faisant passer la volonté du Seigneur avant sa tendresse et sa sensibilité, il s'empressa de l'accomplir. « Et s'étant levé de grand matin, il prépara son âne; il prit avec lui deux serviteurs et son fils Isaac. Et lorsqu'il eut coupé du bois pour l’holocauste, il partit et il arriva le troisième jour au lieu que Dieu lui indiqua. » Gen., XXI, 3.

Ainsi la distance de ce lieu fut encore un moyen d'éprouver la vertu du juste. Songez à ce qui dut se passer dans l’âme de ce dernier durant ces trois jours, absorbé par cette pensée qu'il allait immoler de ses propres mains son enfant bien-aimé, sans communiquer son dessein à personne. N'y a-t-il pas de quoi être ravi par une âme aussi religieuse et aussi forte ? Comprenant l'importance du commandement, il n'en dit rien à personne, pas plus à Isaac qu'à ses serviteurs. Il était seul à soutenir en lui-même cette lutte, et comme le diamant il ne put être entamé; d'une indomptable énergie, il écarta tout prétexte pour obéir à la volonté de Dieu. Étant arrivé à l'endroit voulu, « Abraham leva les yeux et vit de loin cet endroit. Et il dit à ses serviteurs : Restez ici avec l'ânesse. » Ibid., 4-5. Nouvelle preuve de la sagesse du Patriarche : il veut que ses serviteurs ignorent tout, et il témoigne ainsi de son ardeur et de son empressement sans égal à se conformer au bon plaisir du Seigneur. Connaissant à quel point était extraordinaire et étrange ce sacrifice, d'autant plus que personne avant lui n'en avait offert de semblable, il n'en parla pas à ses serviteurs, et les laissant avec l’ânesse, Il leur dit : « Restez ici. L'enfant et moi marcherons jusque-là, et quand nous aurons adoré, nous reviendrons près de vous. » Ibid.,5. Il ne se doutait pas que sa parole s'accomplirait, et il prophétisa sans le savoir. Apparemment le langage qu'il tint à ses serviteurs avait pour but de leur donner le change et de les déterminer à rester en ce lieu : de la sorte le Patriarche demeurait seul avec son enfant.

« Abraham prit donc le bois pour l’holocauste, et en chargea son fils Isaac. Il prit lui-même en ses mains le feu et le glaive, et ils poursuivirent ensemble leur chemin. » Ibid., 6. Quelle force dans cette âme ! Quelle énergie dans ce cœur ! Il chargea Isaac du bois de l'holocauste; il prit lui- même le feu et le glaive, et ils poursuivirent ensemble leur chemin. » De quels yeux le père considérait-il son enfant chargé de ce même bois sur lequel il devait dans un instant l'immoler ? Et sa main comment pouvait-elle porter le glaive et le feu ? Ah ! tandis que la main portait ce feu visible, un feu invisible dévorait son âme, consumait son cœur, l’instruisait à tout surmonter pour l'amour de son Dieu, et lui représentait que, si Dieu avait pu le rendre père malgré les lois de la nature, il ne lui serait pas plus difficile dans la conjoncture actuelle d'accomplir des œuvres au-dessus de toute pensée humaine. Remarquez, je vous prie, indépendamment de ce feu sensible, cette fournaise intérieure qui envahit et embrase peu à peu l'âme de ce juste. « Et Isaac dit à son père Abraham : Père. » Ibid., 7. Il n'en fallait pas davantage pour déchirer les entrailles du saint patriarche. « Et il lui répondit : Qu'est-ce, mon fils ? » Tu m'appelles du nom de père, moi qui tout-à-l'heure n'aurai plus d'enfant. Je t'appelle du nom de fils, toi qui tout-à l’heure vas monter sur l'autel pour y recevoir de ma propre main le coup mortel. Et l'enfant ajoute : « Voilà le feu et le bois; mais où est la victime à immoler, où est la brebis pour l'holocauste ?»

Faites-vous une idée des tourments du juste : comment put-il supporter cette voix, répondre à son fils ? comment ne fut-il pas jeté hors de lui-même, et eut-il la force de cacher à Isaac ce qui allait se passer ? Au contraire, son âme  énergique, son cœur généreux lui inspirent cette réponse : « Dieu pourvoira lui-même à la victime de l'holocauste, ô mon fils. » Ibid. 8. Maintenant aussi, comme tout-à-l'heure, il prédit l'avenir sans le savoir. Tout en paraissant vouloir cacher à Isaac la vérité, ce langage satisfit pleinement son enfant. Pour lui, sa douleur n'en devint que plus vive, et, tandis que ces paroles occupaient sa pensée, il songeait à la beauté physique de son fils, à la beauté de son âme, à sa docilité, à ses charmes, à son âge si tendre. « Et après avoir cheminé ensemble, ils arrivèrent au lieu dont avait parlé le Seigneur, » à cette montagne élevée que Dieu lui avait indiquée : « Et Abraham y éleva un autel. » Ibid. 9. Je ne puis m’empêcher d’admirer encore une fois cette énergie du saint Patriarche : comment a-t-il pu construire cet autel; comment en a-t-il eu la force, comment l'angoisse où il est ne lui a-t-elle pas ravi tout sentiment ? Mais non, il élève l'autel, il y place le bois; « et liant son fils Isaac, il le met sur l’autel. Et Abraham étendit sa main pour saisir le glaive et frapper son enfant. » Ibid., 9-10.

3. Ne passons point rapidement, mes bien-aimés, sur ces paroles. Comprenons-nous bien pourquoi l’âme de ce juste ne s'envole pas de son corps ? Comprenons-nous bien la fermeté avec laquelle il garrotte son enfant de ses propres mains et dépose sur le bois cet Isaac, son fils unique, si gracieux et si aimé ? « Et Abraham étendit sa main pour saisir le glaive et frapper son enfant. » Quel amour de Dieu, quel dévouement pour lui ! Quelle énergie dans cette âme dont la volonté triomphe de la nature ! « ll saisit le glaive pour frapper son enfant. » Qu'admirer ici davantage ? la fermeté du père ou la docilité de l'enfant ? car Isaac n'oppose aucune résistance, il ne proteste pas contre le sacrifice, acceptant sans murmure tout ce qui paraît bon à son père, il monte avec la douceur d'un agneau sur l'autel, et attend que son père le frappe. Lorsque le sacrifice eut été consommé sans retour dans ces âmes, le Seigneur voulut montrer qu'il désirait par tout ceci faire éclater la vertu du saint Patriarche, bien loin d'exiger l'immolation de son fils. En conséquence, agréant le sacrifice qu'Abraham avait consommé dans sa volonté, et décernant à son obéissance intérieure la couronne qu'elle lui avait méritée, il va maintenant découvrir sa propre bonté.

« Et l'ange du Seigneur l'appela du haut du ciel, et lui dit : Abraham, Abraham. » Ibid., 11. C'est qu'Abraham est tout décidé et prêt à donner le coup fatal pour accomplir la volonté du Seigneur; et à cause de cela un ange l'appelle du haut du ciel en ces termes « Abraham, Abraham. » Il le nomme avec raison par deux fois pour arrêter l'élan du Patriarche, et retient en quelque sorte par ce cri sa main prête à frapper l'enfant. « Et Abraham répond : Me voici. Et l'ange reprend : Ne porte pas ta main sur l'enfant, et ne lui fais absolument rien. Car je vois maintenant que tu crains Dieu, et que tu n'as même pas épargné ton fils bien-aimé à cause de moi. » Ibid., 11-12. Ne porte pas ta main sur l'enfant; car si je t'ai donné cet ordre, ce n'était pas pour qu'il fût entièrement exécuté; ce que je voulais, ce n'était pas la mort de ton fils, mais que ton obéissance éclatât à tous les regards. Ne lui fais donc pas de mal. Il me suffit de tes sentiments, et dès maintenant je te décerne la couronne et les éloges qui te sont dus; car je vois maintenant que tu crains vraiment Dieu. Remarquez la condescendance du Seigneur dans ce langage. Quoi donc ? ignorait-il auparavant la vertu de son serviteur, et ne la connut-il qu'à partir de ce moment ? Assurément telle n'est pas sa pensée.

La voici la pensée du Seigneur : Maintenant tu as fait voir à tous les hommes combien est parfaite la crainte que tu as de Dieu. Je connaissais bien, moi, mon serviteur; mais ta conduite dans les conjonctures actuelles servira de modèle et aux générations présentes et aux générations à venir. Elles sauront maintenant à quel point tu as poussé le respect à l’égard du Seigneur, et le zèle que tu mets à remplir ses commandements. « Car tu n'as pas même épargné ton fils bien-aimé, à cause de moi. » Ce fils qui t'est si cher, que tu aimes si vivement, tu ne l'as pas préféré à ma volonté et à mes ordres : tu as préféré, au contraire, ma volonté à ton fils. Reprends-le donc cet enfant. Et voilà pourquoi je t'avais promis de propager ta race : retire-toi avec la couronne qu'a méritée ton obéissance. Pour moi, c'est la volonté que je couronne, et c'est d'après les sentiments que je distribue mes récompenses. Il convient que le langage tenu par toi à tes serviteurs et à Isaac se réalise. « Lorsque nous aurons adoré, disais-tu aux premiers, nous reviendrons; » ce point va être réalisé tout-à-l'heure. De plus, à cette question de ton fils : « Où est la brebis pour l'holocauste ? » tu as répondu : «Dieu pourvoira lui-même à la victime de l'holocauste. » Eh bien, regarde autour de toi, et tu verras une brebis que tu sacrifieras au lieu de ton enfant. « Et Abraham regarda autour de lui; et voilà qu'un bélier était retenu par les cornes à un arbre de Sabec. 

Et Abraham s'approcha, et il prit le bélier, et il l’offrît en holocauste, au lieu de son fils Isaac. » ., 13. Connaissant ta piété, j'ai pris soin de te préparer le moyen de justifier ta parole à ton fils. « Et il prit le bélier, et il l’offrit en holocauste, au lieu de son fils Isaac. » Telle est la bonté de Dieu ! Ainsi, le sacrifice fut achevé, le Patriarche découvrit la religion profonde dont il était animé, et reçut la récompense que ses sentiments lui avaient méritée, et outre cette récompense il put ramener avec lui Isaac.

Figure anticipée de la Passion du Christ

Toutes ces choses étaient une figure de la croix; et de là ce mot du Christ aux Juifs: « Abraham votre père a souhaité vivement de voir mon jour; il l’a vu, et il a été transporté de joie. » Joan., VIII, 56. Comment l'aurait-il vu lui qui vivait tant d'années auparavant ? En ombre et en figure. De même qu'un bélier fut immolé à la place d'Isaac, de même l’agneau spirituel a été offert à la place des hommes; car il convenait que l'ombre figurât à l'avance la vérité. Remarquez, en effet, mon bien-aimé, la fidélité de la figure. Ici un fils unique, et là un fils unique; ici un fils légitime et chéri, là un fils légitime et chéri. « Celui-ci est mon fils bien-aimé en qui j'ai mis toutes mes complaisances. » Matth. III, 17.

L’un est offert par son père en holocauste, l’autre est livré par le Père. Et c’est ce que nous enseigne saint Paul en ces termes : «Il n'a point épargné son propre fils, et il l'a livré pour nous tous; comment après cela ne nous donnerait-il pas toute chose avec lui ? » Rom., VIII, 32. Voilà jusqu'où s'est étendue l'ombre; mais la vérité l'emporte ensuite beaucoup en excellence. Cet agneau spirituel qui a été offert pour le monde entier a purifié le monde entier; il a délivré les hommes de la servitude de l'erreur et les a ramenés à la vérité, il a fait de la terre un ciel, sans transformer les éléments, et en instruisant seulement les hommes à mener sur la terre une vie céleste. Grâce à lui, le culte des démons a été anéanti; grâce à lui, les hommes n'adorent plus des pierres et du bois, et des êtres honorés de la raison ne se prosternent plus devant des objets privés de sentiment; enfin, grâce à lui, l'erreur s’est enfuie et le flambeau de la vérité a illuminé la terre.

4. Voyez-vous la supériorité de la vérité ? Voyez-vous en quoi consiste la vérité, en quoi la figure ? «Et Abraham appela cet endroit : le Seigneur a vu. C'est pourquoi l'on dit aujourd'hui : Le Seigneur s'est montré sur la montagne.» Genes., XXII, 14. L'âme du serviteur de Dieu était si profondément religieuse qu'il donnait aux divers lieux des noms pris des événements dont ils avaient été le théâtre. C'est pour perpétuer la visite qu'il avait reçue de Dieu, qu'il donna à ce lieu pour nom : Le Seigneur a vu, le gravant en quelque sorte sur une colonne d'airain. Sans doute c'était pour le saint Patriarche une récompense suffisante de s'en retourner avec Isaac vivant et d'avoir mérité ce magnifique éloge : « Maintenant je vois que tu crains vraiment Dieu.» Néanmoins le Seigneur, dont les bienfaits surpassent toujours notre attente, et qui ne se laisse jamais vaincre en générosité, veut combler de nouvelles faveurs l’âme du juste. En conséquence, il lui adresse la parole une fois encore. «Et l'ange du Seigneur appela une seconde fois Abraham du haut du ciel et lui dit : Je l'ai juré par moi-même, dit le Seigneur, parce que tu as fait cela, et que tu n'as pas épargné ton fils unique à cause de moi, je te comblerai de bénédictions, et je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel et comme le sable du rivage de la mer; et ta postérité sera maîtresse des cités de tes ennemis; et en celui qui sortira de toi toutes les nations de la terre seront bénies, parce que tu as écouté ma voix.» Ibid., 15-18. Tu as exécuté mes ordres, tu as montré une obéissance sans bornes; en conséquence prête l'oreille. J'ai juré par moi-même dit le Seigneur. Remarquez cette condescendance du Très-Haut; «J'ai juré par moi-même,» afin que tu comptes en toute confiance sur l'accomplissement de ma parole. Comme parmi les hommes on estime plus solides les promesses faites sous la foi du serment, Dieu se plie à nos usages humains et tient ce langage : « Je l'ai juré par moi-même, parce que tu l'as fait et que tu que tu n'a pas épargné ton fils chéri à cause de moi.»

Admirez, je vous en prie, cette bonté : «Tu n'as pas épargné ton fils chéri; » et pourtant Abraham le ramenait plein de vie. Mais vous ne devez pas regarder le dehors des choses, mon bien-aimé, il vous faut avoir égard au sentiment qui portait le Patriarche à exécuter aveuglément les ordres de son Maître. Car certainement, en ce qui dépendait de la volonté, la main d'Abraham avait répandu le sang de la victime, le glaive avait frappé la tête de l'enfant, le sacrifice avait été consommé. Voilà pourquoi le Seigneur, considérant les choses de cette manière, en attribue le mérite à son serviteur et lui dit : « Tu n'as pas épargné ton fils chéri à cause de moi.» Tu ne l'as pas épargné à cause de mon commandement; moi je l'ai épargné à cause de ton obéissance. Et pour te récompenser de cette obéissance, «je te comblerai de bénédictions, je multiplierai ta postérité. » Remarquez ce surcroit de bénédiction, lequel revient à ceci : Je rendrai ta postérité encore plus nombreuse. Et cet enfant dont ton cœur a consommé le sacrifice aura une descendance comparable par le nombre aux étoiles du ciel et au sable du rivage.
« Et toutes les nations seront bénies en celui qui sortira de toi, parce que tu as écouté ma voix.»
Toutes ces choses seront la récompense de ton obéissance.

Exhortation morale

Des biens sans mesure seront donc la récompense de notre soumission au Seigneur si, à l'exemple du Patriarche, nous accomplissons les ordres divins sans en rechercher indiscrètement les raisons, en nous bornant à les exécuter comme de fidèles serviteurs qui se reposent sur la sagesse de leur maître. Pénétrons-nous de ces sentiments, et il nous deviendra facile d'imiter l'obéissance de ce juste et par suite de mériter les mêmes couronnes. Comment l'imiterons-nous ? En pratiquant les commandements de Dieu; car «ce ne sont pas, dit l'Apôtre, les auditeurs mais les exécuteurs de la loi qui seront justifiés. » Rom., II, 13. A quoi bon prêter tous les jours une oreille attentive, si nous négligeons les œuvres ? Je vous en conjure donc, appliquons-nous à la pratique des bonnes œuvres, nous ne nous sauverons qu'à cette condition. De la sorte, nous effacerons nos péchés, nous attirerons sur nous la clémence de Dieu, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire soit au Père ainsi qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. 

Ainsi soit-il.