Saint Jean Chrysostome

Homélie sur Priscille et Aquila

1. 

Il en est je pense, plusieurs parmi vous qui s’étonnent du passage de l’Apôtre qu’on vient de vous lire, ou plutôt, qui considèrent cette partie de son épître comme accessoire et superflue, parce qu’elle ne contient qu’une succession continuelle de salutations. Aussi, quoique j’eusse aujourd’hui jeté mes vues d’un autre côté, je renonce à ce premier sujet, et je me dispose à aborder celui-ci, pour vous apprendre que dans les saintes Ecritures rien n’est superflu, rien n’est accessoire, fût-ce un seul iota, un seul accent, et qu’une simple salutation nous ouvre souvent un océan de pensées. Et que dis-je, une simple salutation ? Souvent l’addition d’une seule lettre de l’alphabet apporte avec soi tout un ensemble de pensées fécondes. C’est ce qu’on peut voir à propos de l’appellation d’Abraham. Celui qui reçoit une lettre de son ami ne se contente pas de lire le corps même de cette lettre, il lit aussi la salutation qui est au bas, et c’est par là surtout qu’il juge de la disposition de celui qui a écrit. 
 

Il n'y a rien de superflu dans l'Ecriture

Et quand c’est Paul qui écrit, ou plutôt, non pas Paul, mais la grâce de l’Esprit-Saint qui adresse une lettre à une ville entière, à un peuple si nombreux, et par eux à tout l’univers, n’est-il pas déplacé de croire qu’il y ait dans le contenu quelque chose d’inutile, et de passer légèrement à côté, sans réfléchir que c’est là ce qui a tout bouleversé ? 
 
Oui, ce qui nous a plongés dans cet abîme de tiédeur, c’est de ne pas lire les Ecritures dans leur entier, c’est de faire un choix de ce qui nous paraît le plus clair, sans tenir le moindre compte du reste. C’est ce qui a même introduit les hérésies que de ne pas vouloir étudier tout l’ensemble et de croire qu’il y avait du superflu, de l’accessoire. Aussi, tandis qu’en tout le reste nous avons poursuivi, non seulement le superflu, mais encore l’inutile et le nuisible, l’étude des Ecritures est restée négligée et méprisée. Ceux qui ont la frénésie d’assister aux courses de chevaux, savent bien vous dire avec la dernière exactitude le nom de chaque cheval, à quelle troupe il appartient, quelle est sa race, son âge, et sa force comme coureur ; ils vous diront lequel, attelé avec quel autre, enlèvera la victoire ; quelle bête enfin, partie de quelle barrière, et avec quel écuyer, aura le pas sur son concurrent, et obtiendra le prix de la course. Les gens qui ont fait de la danse l’objet de leur étude, nous offrent l’exemple d’une folie non moins grande, plus forte même encore, à l’égard de ceux qui exposent leur honte sur les théâtres, je veux dire les mimes et les danseuses : ils vous débitent leur famille, leur patrie, leur éducation, et tout le reste. 
nous, quand on nous demande combien il y a d’épîtres de saint Paul, et ce qu’elles sont, nous ne pouvons même pas en dire le nombre. 
 
Et s’il y a quelques personnes qui le sachent, on les embarrasse en leur demandant à quelles villes elles furent envoyées. Ainsi, un eunuque, un étranger, préoccupé d’une infinité d’affaires diverses, avait tant d’assiduité pour les livres, qu’il ne connaissait point de relâche, même en voyage, et qu’assis dans sa voiture il s’appliquait à une lecture fort attentive des divines Ecritures (Act. VIII, 27 et suiv.) ; et nous, qui n’avons pas la millième partie de ses occupations, nous sommes étrangers au nom même des épîtres, et cela, quand chaque dimanche nous nous rassemblons en ce lieu pour profiter de l’audition de la parole sainte. 
 
Eh bien ! car je ne voudrais pas employer tout mon discours à vous faire des reproches, voyons donc un peu ensemble cette salutation qui a l’air inutile et gênante. Car si nous l’expliquons, et si nous faisons voir tout le profit qui en revient à ceux qui y font bien attention, alors le reproche n’en sera que plus grand contre ceux qui négligent de pareils trésors et qui rejettent loin d’eux les richesses spirituelles qui sont entre leurs mains. Quelle est donc cette salutation ? Saluez, dit saint Paul, Priscille et Aquila, mes coopérateurs dans le Seigneur. (Rom. XVI, 3.) Ne trouvez-vous pas que voilà une bien insignifiante formule, et qui ne nous offre rien de grand, ni de noble ? Eh bien ! c’est pourtant à elle seule que nous consacrerons tout cet entretien, ou plutôt, nos efforts n’auront même pas assez d’aujourd’hui pour épuiser devant vous toutes les pensées renfermées dans ces quelques mots ; nous serons forcés de réserver pour un autre jour le surplus des méditations que cette brève salutation fera surgir. Car pour aujourd’hui, je n’ai pas en vue de la considérer tout entière ; je n’en examinerai qu’une partie, le commencement, le début : Saluez Priscille et Aquila.
 

Humble situation de Priscille et Aquila

Et d’abord, on a lieu d’être frappé de la vertu de Paul, aux soins de qui l’univers entier avait été remis, et qui, ayant à s’inquiéter de la terre et de la mer, de toutes les villes que le soleil éclaire, des Grecs et des Barbares, enfin d’un si grand nombre de peuples, montrait tant de préoccupation pour un seul homme et une seule femme ; puis, une autre chose encore est admirable, c’est ce qu’il fallait à son âme de vigilance et de sollicitude pour se souvenir non-seulement de tous en général, mais en particulier de chaque personne estimable et vertueuse. De nos jours, cela n’a rien d’étonnant de la part de ceux qui sont à la tête des Eglises, car les troubles d’alors sont apaisés, et les prélats ne sont plus chargés que du soin d’une seule ville ; tandis que, dans ce temps-là, non-seulement la grandeur des dangers, mais aussi les distances, les nombreuses préoccupations, le flux et reflux perpétuel des événements, l’impossibilité d’être toujours au milieu de tous, et bien d’autres inconvénients plus graves que ceux-là, étaient de nature à bannir de sa mémoire les gens même les plus recommandables. Mais non, il n’en perdit pas le souvenir. 
 
Et comment cela fut-il possible ? C’est que Paul avait l’âme grande et une charité ardente et sincère. Il avait ces personnes-là tellement présentes à sa pensée, qu’il en faisait souvent mention même dans ses lettres. Mais voyons quel était le caractère, la condition de ces fidèles qui captivèrent Paul à ce point, et s’attirèrent son affection personnelle. C’étaient peut-être des consuls, des préteurs, des procurateurs, d’autres dignitaires illustres, ou de ces grands, de ces riches qui mènent la ville comme ils veulent ? Non, rien de pareil, mais tout à fait le contraire : des pauvres, des indigents vivant du travail de leurs mains. Car leur état, dit l’Ecriture, était de fabriquer des tentes ; et Paul n’avait point honte et ne regardait nullement comme un opprobre pour la ville royale par excellence et pour ce peuple orgueilleux, de lui recommander de saluer ces artisans ; il ne croyait pas faire injure aux Romains par l’amitié qu’il portait à ces mêmes artisans : tant il avait appris alors la véritable sagesse à tous les fidèles. Et nous, quand nous avons dans notre famille des gens un peu plus pauvres que nous, souvent nous les excluons de notre familiarité ; nous nous croirions déshonorés, si l’on venait à découvrir qu’ils tiennent à nous par quelque parenté. Ce n’était pas ainsi que se comportait Paul : loin de là, il en tire gloire, et il proclame non seulement devant son époque, mais pour tous les âges à venir, que ces faiseurs de tentes occupaient un des premiers rangs dans son amitié. 
 
Et qu’on ne vienne pas me dire : Qu’y a-t-il donc de grand et d’admirable, qu’ayant lui-même cet état, il n’ait point rougi de ceux de son métier ? Comment ? C’est précisément là ce qu’il y a de plus grand, ce qu’il y a d’admirable ! Lorsqu’on peut citer des ancêtres illustres, on rougit moins de ceux dont la position est infime comparée à la nôtre, que lorsque, d’une condition jadis aussi humble que la leur, on s’est ensuite élevé tout d’un coup à un certain éclat, à un poste en vue. Or personne alors n’était plus illustre, ni plus en évidence que Paul, il était plus célèbre que les rois mêmes ; cela est reconnu de tout le monde. En effet , l’homme qui commandait aux malins esprits, qui ressuscitait les morts, qui pouvait d’une seule injonction rendre les gens aveugles et guérir ceux qui l’étaient, l’homme dont les vêtements et l’ombre elle-même dissipaient toute espèce de maladie, était bien évidemment regardé non plus comme un homme, mais comme un ange descendu des cieux. Malgré cela, avec toute cette gloire dont il jouissait, cette admiration qui le suivait en tous lieux, tous les regards se fixant sur lui n’importe où il se montrait, il ne rougissait point d’un faiseur de tentes, et il ne pensait pas avilir la dignité des personnages si haut placés. Car dans l’Eglise de Rome il y avait naturellement bien des personnages illustres, qu’il chargeait ainsi de saluer ces pauvres gens. C’est qu’il savait, il savait parfaitement que la noblesse ne vient pas de l’éclat de la fortune, de l’abondance des richesses, mais de la bonne conduite ; de sorte que si l’on est dépourvu de cette dernière, et que l’on s’enorgueillisse de la gloire de ceux auxquels on doit le jour, on se pare seulement du vain nom de la noblesse, sans en avoir la réalité ; disons mieux, il se trouve souvent que le nom même est dérobé, s’il prend idée à quelqu’un de remonter plus haut que ces nobles ancêtres. Tel en effet, illustre et en vue lui-même, peut encore nommer un père et un aïeul célèbres ; mais en cherchant bien, vous lui trouverez souvent un bisaïeul obscur et sans nom ; de même que si nous voulons scruter, en remontant par degrés, toute la généalogie de ceux que nous croyons de basse naissance, nous leur trouverons souvent pour aïeux éloignés des procurateurs, des préteurs, dont les descendants ont fini par devenir des éleveurs de chevaux, des engraisseurs de porcs. Rien de tout cela n’échappait à saint Paul : aussi faisait-il peu de cas de cette sorte d’avantages, mais il cherchait la noblesse de l’âme, et il apprit aux autres à admirer cette qualité. En attendant, nous tirons de là un fruit qui n’est pas médiocre, c’est de ne rougir d’aucun de ceux dont la condition est plus humble que la nôtre, de rechercher la vertu de l’âme, et de considérer comme superflues et inutiles toutes les circonstances qui nous sont extérieures.
 
Il y a encore un autre avantage non moins grand à en recueillir, et qui, mis à profit, exerce on ne peut plus d’influence sur la règle de notre vie. Quel est-il ? C’est de ne point accuser le mariage, c’est de ne pas regarder comme un empêchement et un obstacle au chemin qui mène à la vertu, d’avoir une femme, d’élever des enfants, d’être chef d’une famille, et d’exercer une profession manuelle. Voyez, dans l’exemple qui nous occupe, il y avait aussi un mari et une femme, ils étaient à la tête d’un atelier, ils travaillaient de leurs mains, et ils offraient le spectacle d’une vertu bien plus parfaite que ceux qui vivent dans des monastères. Et qu’est-ce qui nous le prouve ? Le salut que Paul leur adresse ; ou plutôt, non pas le salut seulement, mais ce qu’il atteste ensuite. Car après avoir dit : Saluez Priscille et Aquila, il ajouta aussi leur titre. Et quel titre ? Il n’a pas dit ces riches, ces personnages illustres, de famille noble ; qu’a-t-il dit ? Mes coopérateurs dans le Seigneur. Or, il ne saurait y avoir rien d’égal à cela comme recommandation de vertu ; et ce n’est pas là le seul trait qui nous fasse voir leur vertu, c’est encore qu’il ait demeuré chez eux, non pas un jour, non pas deux ou trois, mais deux années entières. En effet, de même que les puissants de la terre ne choisissent jamais pour y descendre les maisons des gens obscurs et de basse condition, mais qu’ils recherchent les splendides demeures de quelques personnes marquantes, de sorte que la bassesse du rang de leurs hôtes ne porte pas atteinte à la grandeur de leur dignité ; ainsi faisaient les apôtres : ils ne descendaient pas chez les. premiers venus, et si les grands s’attachent à la splendeur de la résidence, les Apôtres demandaient la vertu de l’âme, ils recherchaient avec soin les fidèles qui leur étaient dévoués et ils venaient loger dans leur maison. En effet, il y avait un précepte du Christ qui l’ordonnait ainsi. Quand vous entrerez, dit-il, dans une ville ou dans une maison, demandez qui de ses habitants mérite de vous recevoir, et demeurez-y. (Luc, IX, 4.) 
 
Ainsi, Priscille et Aquila étaient dignes de Paul ; et s’ils étaient dignes de Paul, ils étaient dignes des anges. Quant à moi, j’appellerais hardiment cette pauvre maisonnette une église, un ciel. Car où était Paul, là aussi était le Christ. Cherchez-vous, dit-il, une preuve du Christ qui parle en moi ? (II Cor. XIII, 3.) Et là où était le Christ, là aussi les anges se portaient continuellement en foule.
 

Pourquoi Priscille est citée avant son mari

Or ces fidèles qui, même auparavant, s’étaient montrés dignes des attentions de saint Paul, songez ce qu’ils durent devenir, en habitant deux ans avec lui, à même d’observer sa tenue, sa démarche, son regard, sa mise, toutes ses actions, toutes ses habitudes. Car, dans les saints, ce ne sont pas seulement les. paroles, ni les enseignements et les exhortations, mais encore tout le reste de la conduite de la vie qui est capable de devenir pour les gens attentifs une école complète de sagesse. Figurez-vous ce que ce devait être de voir Paul prendre ses repas, adresser des reproches ou des exhortations, prier, verser des larmes, enfin dans toutes ses démarches. Si nous autres, qui ne possédons de lui que quatorze lettres, nous les portons par tout l’univers, ceux qui possédaient la source de ces épîtres et là langue même de l’univers, la lumière des Eglises, le fondement de la foi, la colonne et la base de la vérité, quels ne seraient-ils pas devenus, dans le commerce d’un tel ange ? Et si ses vêtements étaient redoutables aux malins esprits, et avaient une si grande vertu, avec quelle abondance sa société intime n’aurait-elle pas attiré la grâce du Saint-Esprit. Voir le lit où Paul reposait, la couverture qui l’enveloppait, les sandales où il mettait ses pieds, cela n’aurait-il pas suffi pour leur inspirer une componction continuelle ? Car si les démons tressaillaient à la vue de ses vêtements, bien plus les fidèles qui vivaient avec lui devaient-ils se sentir contrits et humiliés à cet aspect.

Mais, une chose qui vaut la peine d’être examinée, c’est le motif qui lui fit nommer, dans cette salutation, Priscille avant son mari. Il ne dit pas : Saluez Aquila et Priscille, mais, Priscille et Aquila. Ce qu’il n’a point fait au hasard, mais, je pense, parce qu’il lui savait plus de piété que son mari. Et ce que j’avance là, vous pouvez vous convaincre, par la lecture même des Actes, que ce n’est pas une simple conjecture. Apollo, homme éloquent et très versé dans les saintes Ecritures, mais qui ne connaissait que le baptême de Jean, avait été recueilli par Priscille, qui l’avait initié à la voie de Dieu, et en avait fait un docteur accompli. (Act. XVIII, 24, 25.) Car les femmes du temps des apôtres ne s’inquiétaient pas comme celles d’aujourd’hui, d’avoir de belles toilettes, d’embellir leur visage avec du fard et des traits de couleur, elles ne tourmentaient pas leur mari pour lui faire acheter une robe plus chère que celle de leur voisine et de leur égale, pour avoir des mulets blancs avec des freins saupoudrés d’or, un cortége d’eunuques, un nombreux essaim de suivantes, et toutes les autres fantaisies les plus ridicules ; elles avaient secoué tout cela, rejeté loin d’elles le luxe du monde, et ne cherchaient qu’une chose, d’avoir part à la société des Apôtres, et de conquérir avec eux un même butin spirituel.

Aussi Priscille n’était pas la seule qui se comportât de la sorte ; toutes les autres faisaient de même. Car saint Paul parle d’une certaine Persis, qui, dit-il, a beaucoup travaillé pour nous (Rom. XVI, 12), et il admire Marie et Tryphène pour les mêmes labeurs, c’est-à-dire parce qu’elles travaillaient avec les Apôtres et s’étaient préparées aux mêmes luttes. Mais alors comment donc, écrivant à Timothée, lui dit-il :  Quant à la femme, je ne la charge pas d'enseigner, ni d’exercer l’autorité sur son mari ? » (I Tim. II, 12.) C’est dans le cas où l’homme aussi est pieux, où il possède la même foi, où il en partage la même sagesse ; mais lorsque le mari est hors de la foi, lorsqu’il vit dans l’erreur, saint Paul ne refuse pas à la femme cette autorité : ainsi, écrivant aux Corinthiens, il leur dit : Que la femme dont le mari est hors de la foi, ne se sépare pas de lui. Que sais-tu en effet, ô femme, si tu ne sauveras pas ton mari ? (I Cor. VII, 13,16.) Or, comment la femme qui a la foi aurait-elle pu sauver son mari qui n’avait point la foi ? Il est clair que c’est en le catéchisant, en l’instruisant, en l’amenant à la foi, exactement comme Priscille l’a fait pour Apollo. D’ailleurs, lorsqu’il dit : Je ne charge pas la femme d’enseigner, il parle de l’enseignement que l’on donne du haut de la chaire, du discours en public, de celui qui est dans les attributions du sacerdoce ; mais il n’a pas interdit à la femme de donner en particulier des exhortations et des conseils. Car si cela eût été défendu, il n’aurait pas donné des éloges à celle qui le faisait.

Les maris écoutent cela, que les femmes l’écoutent aussi : ces dernières, afin d’imiter une personne du même sexe et de la même nature qu’elles ; les premiers, pour ne pas se montrer plus faibles qu’une femme. En effet, quelle excuse sera la nôtre, quel pardon mériterons-nous, lorsqu’ayant l’exemple de ces femmes qui ont fait preuve d’un si grand zèle et d’une si haute sagesse, nous restons perpétuellement enchaînés par les affaires du monde. Que tous l’entendent, dignitaires et subordonnés, prêtres et laïques, afin que les uns au lieu d’admirer les riches et d’être à la piste des familles illustres, recherchent la vertu jointe à la pauvreté, qu’ils ne rougissent point de leurs frères plus dénudés qu’eux, qu’ils ne délaissent pas là le faiseur de tentes, le corroyeur, le marchand d’étoffes de pourpre, le forgeron, pour aller faire leur cour aux potentats ; afin aussi que les subordonnés ne s’imaginent point que rien les empêche de recevoir chez eux les saints, mais que, songeant à la veuve qui reçut Elie lorsqu’elle n’avait qu’une poignée de farine (III Rois, XVII, 10 et suiv.), et à ceux-ci, qui donnèrent deux ans l’hospitalité à saint Paul, ils ouvrent leurs maisons à ceux qui ont besoin, et que tout ce qu’ils possèdent, ils le mettent en commun avec leurs hôtes. N’allez pas me dire, en effet , que vous n’avez pas de domestiques pour vous servir.

Quand vous en auriez dix mille, Dieu vous ordonne de cueillir vous-même le fruit de l’hospitalité. C’est pourquoi saint Paul s’adressant à la femme veuve, et lui commandant d’exercer l’hospitalité, lui ordonnait de le faire non par d’autres, mais par elle-même. Car après avoir dit : Si elle a exercé l’hospitalité, il ajouta : Si elle a lavé les pieds des saints. (I Tim. V, 10.) Il n’a pas dit : si elle a dépensé de l’argent, ni : si elle a ordonné à ses domestiques de rendre aux saints ce service, mais : si elle l’a accompli elle-même. C’est pour cela aussi qu’Abraham, qui avait trois cent dix-huit serviteurs, courait lui-même au troupeau, portait le veau, et faisait tous les autres offices , associant sa femme aux fruits de cette hospitalité. C’est encore pour cela que Notre-Seigneur Jésus-Christ vient au monde dans une étable ; qu’une fois né, il est élevé dans sa famille, et que, devenu grand, il n’avait pas où reposer sa tête, pour vous enseigner de toutes les manières à ne pas soupirer après les splendeurs de cette vie, à aimer en tout la simplicité, à rechercher la pauvreté, à fuir le luxe, et à vous orner intérieurement.

 
Car, dit l’Ecriture, la gloire de la fille d’un roi est tout intérieure. (Ps. XLIV, 14.) Si vous avez l’intention de l’hospitalité, vous en avez le trésor tout entier, quand vous ne posséderiez qu’une obole ; mais si vous avez dans le coeur de l’aversion pour l’humanité et pour vos hôtes, nageriez-vous dans l’abondance de toutes choses, vos hôtes sont à l’étroit dans votre maison. Priscille ne possédait pas de lits à garnitures d’argent, mais elle possédait une grande chasteté ; point de couverture de parade, mais une intention de bonté et d’hospitalité ; point de balustres brillants, mais une éclatante beauté d’âme ; son logis n’offrait ni murs revêtus de marbre, ni dalles émaillées de marqueterie, mais elle était elle-même un temple du Saint-Esprit. Voilà ce que loua Paul, voilà ce dont il fut épris ; c’est pour cela qu’il resta deux ans sans quitter cette maison ; c’est pour cela qu’il se souvient toujours de ses habitants, et leur compose un éloge grand et admirable, non pour ajouter à leur gloire, mais pour amener les autres au même zèle, pour persuader aux autres de regarder comme bienheureux, non pas les riches ni les puissants, mais les hommes qui aiment leurs hôtes, qui exercent la miséricorde, qui ont de la charité pour leurs semblables, ceux enfin qui donnent la preuve d’une grande affection pour les saints.