Saint Jean Chrysostome

Comment il faut prier Dieu

Lorsque je l'invoquai, le Dieu de ma justice m'a exaucé (Psaume IV)

1. 

Si le prophète s'exprime de la sorte, ce n'est pas seulement pour nous apprendre que sa prière a été exaucée, mais pour nous enseigner à nous-mêmes ce que nous devons faire si nous voulons que Dieu nous exauce promptement, et nous accorde l'effet de nos prières avant même qu’elles soient terminées. Le Roi-prophète, en effet, ne dit pas : Lorsque je l'ai eu invoqué, mais : « Lorsque je l'invoquai, il m'a exaucé.»

C'est la promesse que Dieu lui-même a faite par son prophète à celui qui l’invoque : « Pendant que vous parlerez encore, je dirai : Me voici. » Isa., LVIII, 9. Car ce qui donne à la prière cette puissance de persuasion sur le cœur de Dieu, ce n'est point la multitude des paroles, c'est une conscience pure, et la pratique des bonnes œuvres. Voulez-vous savoir ce qu'il dit à ceux qui vivent dans le mal, et qui s'imaginent cependant le fléchir par la longueur de leurs prières ? « Lorsque vous multiplierez vos prières, je ne vous écouterai point ; lorsque vous étendrez vos mains , je détournerai mes yeux de vous. » Isa., I, 15.

[…]

La justice seule ne suffit-elle pas pour diriger toute ma vie, et l'auteur de tous les dons ne sait-il pas lui-même ce qui nous est nécessaire ? Je réponds que la prière est un lien puissant qui nous unit à Dieu, nous apprend à converser avec lui, et nous inspire l'amour de la sagesse. Celui qui fréquente habituellement un homme éminent, retire le plus grand fruit de cette société ; combien plus alors celui qui entretient avec Dieu un commerce assidu ?

Nous ne nous appliquons pas assez dans la prière

Mais nous ne comprenons pas suffisamment ces grands avantages de la prière, parce que nous n'y portons pas toute l'application d'esprit qu'elle exige, et que nous n'y suivons point les lois que Dieu nous prescrit. S'agit-il de présenter une requête à des hommes qui nous sont supérieurs, nous ne les abordons qu'après avoir composé notre attitude, notre démarche, nos vêtements, tout notre extérieur ; tandis que, si nous paraissons devant Dieu, c'est en affectant des airs d'ennui, avec un sans-gêne inconvenant, en nous retournant en tout sens, et en donnant des signes d'une nonchalance scandaleuse ; nous fléchissons les genoux devant lui, et notre esprit se promène sur la place publique. Si nous nous mettions en prière avec tout le respect convenable, et comme des hommes qui vont s'entretenir avec Dieu, les fruits les plus précieux nous seraient assurés avant même que nous eussions obtenu ce que nous demandons. Celui qui connaît les règles de ce divin entretien que Dieu permet à l’homme d'avoir avec lui, devient comme un ange sur la terre ; son âme est comme délivrée des liens du corps, sa raison se tient dans les plus hautes régions ; il s'élève de la terre aux cieux ; il regarde avec mépris toutes les choses de la vie ; cet homme s'approche du trône même de Dieu, fût-il d'ailleurs pauvre, au service des autres, d'une condition obscure et sans aucune science. Ce que Dieu recherche en effet, ce n'est ni une élocution brillante, ni un savant arrangement des mots, mais la beauté de l'âme, et, si elle lui tient le langage qui lui plaît, elle obtient l'entier accomplissement de ses désirs.

Dieu nous est beaucoup plus accessible que les hommes

Voyez donc comme la prière est chose facile ! Parmi les hommes, lorsqu'on veut obtenir quelque faveur, il faut être doué du talent de la parole, gagner par des flatteries tous ceux qui entourent le prince, avoir recours à mille autres moyens pour se rendre agréable. Ici, au contraire, la seule chose exigée, c'est une âme qui veille sur elle-même et qui éloigne soigneusement tous les obstacles qui l’empêchent de s'approcher de Dieu : « car, dit le Seigneur, je suis le Dieu qui est près et non pas le Dieu qui est loin. » Jerem., XXIII, 23. Quand il s'éloigne, c’est nous seuls qui en sommes la cause, car pour lui il est toujours près de nous. Mais que dis-je, nous n'avons pas besoin d'éloquence ? Bien souvent, la parole même est inutile. Que votre cœur seul lui parle et l'invoque avec ferveur, et vous serez aussitôt exaucés. C'est ainsi qu'il exauça la prière de Moïse et celle de la mère de Samuel. Point de soldat ici qui vous repousse, point de garde qui vous fasse perdre l'occasion favorable ; personne qui vous dise : Vous ne pouvez maintenant avoir audience, venez plus tard - En quelque temps que vous veniez, il est prêt à vous entendre. Quand même ce serait à l’heure du dîner, ou à celle du souper ; même au milieu de la nuit, sur la place, dans les chemins, dans votre lit, lorsque vous êtes au tribunal, près du magistrat, invoquez Dieu comme il le faut, et vous obtiendrez infailliblement l'effet de votre demande. Vous n'avez point à dire : Je crains de me présenter devant Dieu pour lui adresser ma prière, car mon ennemi est là. -- Dieu a pris soin d'écarter cet obstacle ; il ne prête aucune attention à votre ennemi, et n'interrompt point votre prière. Vous pouvez donc en tout temps et continuellement vous adresser à lui sans craindre la moindre difficulté.

Vous n'avez ici besoin ni de portier pour vous introduire, ni d'intendants, ni d'administrateurs, ni de défenseurs, ni d'amis ; présentez-vous seul devant Dieu, il vous écoutera d'autant plus que vous n'aurez recours à aucun intermédiaire pour le prier.

[…]

Quel objet faut-il se proposer dans l'étude de cette jurisprudence céleste? --La méthode ou la forme de la prière. Approchez-vous de Dieu avec une âme mortifiée ; avec un cœur contrit, les yeux inondés de larmes abondantes ; ne demandez rien de terrestre, ne désirez que les choses de la vie future ; que les biens spirituels soient l'unique objet de votre prière ; ne demandez pas à Dieu vengeance contre vos ennemis, oubliez toutes les injures qui vous ont été faites, chassez de votre âme toutes les passions qui la troublent, présentez-vous avec un cœur pénétré de componction,  rempli d’humilité et d'une grande douceur ; qu'il ne sorte de votre bouche que des paroles convenables, ne prenez part à aucune mauvaise action ; n'ayez aucun rapport avec l'ennemi commun du genre humain, c'est-à-dire avec le démon.

Car les lois civiles elles-mêmes punissent sévèrement celui qui plaide la cause des autres devant le souverain, et en même temps entretient des relations avec ses ennemis. Si donc vous voulez plaider à la fois votre cause et celle des autres auprès de Dieu, conduisez-vous avec la plus grande droiture et n'ayez pas le moindre rapport avec cet ennemi du genre humain. C'est ainsi que vous serez véritablement juste, et en ayant ainsi la justice pour avocat, vous ne pourrez manquer d’être écouté.