Saint Jean Chrysostome

Homélie 37 sur la Genèse

Et le Seigneur lui dit : Je suis le Seigneur qui l'ai fait sortir de la terre des Chaldéens, afin de te donner cette terre en héritage. Et il dit: Seigneur Dieu, à quoi connaîtrai-je que je la posséderai ?

1. 

Pourquoi on doit lire attentivement l'Ecriture

L'Ecriture est une mine inépuisable, et de grandes richesses sont cachées sous les paroles qu'elle renferme. Nous devons donc la parcourir et la scruter avec soin, afin d'en tirer un grand profit. « Scrutez les Ecritures,» Joan., V, 39 dit Jésus-Christ. Que signifie ce commandement, sinon qu'il ne faut pas nous contenter d'une lecture frivole de l'Ecriture, mais qu'il nous faut, en l'étudiant à fond, en comprendre le vrai sens ? L'Ecriture renferme souvent en peu de mots une grande multiplicité de pensées. Ses sentences sont divines et non humaines: c'est pourquoi elle s’exprime tout autrement que la sagesse humaine. De quoi se préoccupe la sagesse humaine ? Elle porte toute son attention sur la forme et la beauté du discours. L’Ecriture, au contraire, la néglige ; sa forme est sans recherche et ne vise pas à plaire ; car ses paroles ont en elles-mêmes un éclat divin, et toute leur beauté est substantielle.

Entendez la sagesse humaine, ce n'est qu'après être passé par beaucoup de frivolités que vous finirez par trouver un sens à ses paroles ; quant aux oracles de la sagesse divine, vous savez qu'ils nous fournissent en quelques mots la matière d'un discours. C'est ainsi qu'hier encore nous nous sommes trouvés en présence d'un passage de l’Ecriture tellement fécond, tellement riche dans le sens qu'il présentait, que nous avons senti le besoin de nous arrêter presque aux premières paroles pour ne pas fatiguer et surcharger votre mémoire.

Mais aujourd'hui, nous allons poursuivre et compléter ce que nous avons dit hier; en sortant, vous aurez ainsi l'explication entière de notre lecture. Je vous en conjure donc, prêtez à ce discours une attention sérieuse.
Si la peine est pour moi, les fruits seront pour vous, ou plutôt nous les cueillerons en commun. Mais que parlé-je de nos fatigues ? Nous n'y sommes pour rien, et c'est la grâce de Dieu seulement qui agit. Soyons donc attentifs à ce que Dieu va lui-même nous dire, et ne sortons d'ici qu'en ayant gagné quelque chose pour le salut de notre âme. Pourquoi croyez-vous que nous dressions tous les jours devant vous ce banquet spirituel, sinon pour vous aider, par ces conseils assidus et cette méditation sérieuse des Ecritures, à triompher des pièges de l’esprit malin ?

Entendez la suite du Livre saint : « Et le Seigneur dit à Abram : Je suis le Seigneur qui t'ai tiré de la terre des Chaldéens, afin de te donner cette terre en héritage. » Genes., XV, 7. Dieu s'abaisse; il veut affermir la foi de son serviteur et lui enlever jusqu'à l'ombre d'un doute au sujet des promesses qu'il lui a faites. Souviens-toi, semble-t-il lui dire, que c'est moi qui t'ai fait sortir de ta maison. Les paroles de Dieu sont identiques à celles où le bienheureux Etienne dit d'Abram qu'il quitta, sur l'ordre du Seigneur, et sa famille, et la terre des Chaldéens. Quant au père d'Abram, nous l'avons déjà dit. il suivit l’inspiration de ce dernier, tout infidèle qu'il était ; un grand lien, l'amour paternel, l’enchaînait et lui faisait entreprendre le même voyage. C'est pourquoi Dieu rappelle au Patriarche tout le soin qu'il a eu de lui dès l'origine, et lui assure qu'il ne lui a prescrit une si longue course que pour lui donner de magnifiques destinées, et le mettre en possession des biens qu’il devait lui promettre. « Je suis le Seigneur qui t'ai fait sortir de la terre des Chaldéens afin de te donner celle-ci en héritage. » Ah I ce n'est pas en vain que je t'ai appelé du pays que tu habitais. Ce n'est pas pour rien que je t'ai conduit ici. Si je t'ai ordonné de venir en Palestine, si je t'ai fait abandonner la maison paternelle pour habiter en cette terre, c'est que je veux te faire sortir de la terre des Ghaldéens afin de te donner celle-ci en héritage. » Ah l ce n' est pas en vain que je t'ai appelé du pays que tu habitais. Ce n'est pas pour rien que je t'ai conduit ici. Si je t'ai ordonné de venir en Palestine, je t'ai fait abandonner la maison paternelle pour habiter en cette terre, c'est que je veux te la donner en héritage. Songe à tout ce que tu doit à ma providence depuis que tu as quitté Chaldée jusqu'à ce moment, vois combien tu es illustre, combien tous les jours, par mes soins et mes secours, ta gloire grandit, ton éclat augmente, et crois à mes paroles. Quelle bonté de la part de Dieu, quelle condescendance !

2. 

L'alliance entre Dieu et Abraham

Mais voyez encore le Patriarche : ce qu'il vient d'entendre l'encourage, et il demande à Dieu des preuves plus certaines. « Seigneur, Seigneur, dit Abram, à quoi connaîtrai-je que je recevrai cette terre en héritage?» Genes. XV, 8.
Est-ce donc qu'Abram ne croirait pas aux paroles de Dieu ? Gardons-nous de le penser ; car l'Ecriture a déjà dit le contraire quand elle a affirmé que sa foi lui fut imputée à justice. Mais, en entendant Dieu lui dire : « Je t'ai fait venir de la Chaldée pour te donner cette terre en héritage,» il lui répond : Seigneur, il ne m'est pas possible de douter de vos paroles : seulement je voudrais bien savoir comment je serai mis en possession de cet héritage. Voilà que je suis déjà très avancé en âge, et jusqu'à présent j'ai porté partout mes pas sans m'arrêter nulle part. Livrée à elle-même, ma raison ne peut comprendre comment seront réalisées vos promesses ; néanmoins, je ne doute pas de vos paroles, parce que c'est vous qui les avez prononcées et que vous pouvez animer le néant, faire et transformer toute chose. Seigneur, ce n'est pas un incrédule qui vous interroge, c'est un homme à qui vous promettez un héritage, qui voudrait de votre parole des preuves plus manifestes pour se prémunir contre la faiblesse de ses pensées. _ Et alors Dieu se met à la portée de son serviteur, il veut fortifier son courage, et, après l'aveu plein d'humilité que celui-ci a fait de sa faiblesse, après le témoignage qu'il a donné de sa foi, et le désir qu'il a fait paraître d'avoir des preuves nouvelles et plus certaines de l'accomplissement des promesses reçues, Dieu lui dit : « Prends une génisse de trois ans, et une chèvre de trois ans, et un bélier de trois ans, et une tourterelle, et une colombe. » Ibid., 9.

Vous le voyez, Dieu s'allie avec lui comme s'allient les hommes. Quand nous faisons des promesses et que nous voulons en attester la sincérité, de manière à enlever à ceux à qui elles s'adressent tout sujet de crainte, nous donnons une marque, un gage qui indique que les choses promises seront réalisées : telle fut la conduite du Seigneur envers Abram. « Quelle marque me donnez-vous ? dit Abram au Seigneur. Ecoute: Prends une génisse de trois ans, et une chèvre de trois ans, et un bélier de trois ans, et une tourterelle, et une colombe. » Voyez, je vous en conjure, jusqu'où Dieu descend pour fortifier par des arguments plus certains la foi du Patriarche. Il emprunte aux hommes de ce temps leur manière de traiter et de s'allier; ce qu'ils faisaient, il consent à le faire aussi. « Abram les prit et les divisa en deux parts. » Ibid., 10.

Remarquez bien cette circonstance de l’âge des animaux; il n'en est pas fait mention sans raison et sans motif. Il faut qu’ils aient trois ans, c’est-à-dire qu'ils aient atteint leur développement parfait. «Or Abram les divisa en deux parts, qu'il plaça vis-à-vis l'une de l'autre; mais il ne divisa point les oiseaux.» Il était là, prenant bien garde que les oiseaux en volant ne touchassent aux parts qu'il avait faites, ce qu'il continua à observer tout le jour. « Et d'autres oiseaux descendirent sur les corps, et Abram se tenait assis à la même place. Et lorsque le soleil se coucha, le sommeil s'empara d'Abram, et il fut enveloppé de ténèbres et d'une sainte horreur. » Ibid. , 11-12. Pourquoi au coucher du soleil et vers le soir ? Ah ! c'est que Dieu veut user de tous les moyens pour le rendre plus attentif; aussi le plonge-t-il dans l'extase; il le pénètre de frayeur, il l'entoure de ténèbres, afin de lui faire bien sentir, par tout ce qui arrive, qu'il est en sa présence.

Telle est, en effet, sa manière d'agir. Quand il apparut plus tard à Moise sur le Sinaï, pour lui donner la loi et les commandements, « il y avait de profondes ténèbres et une grande obscurité, et la montagne fumait. » Exod., XIX, 18. C'est pourquoi l'Ecriture a dit : «Il touche les montagnes, et elles s'enveloppent de fumée.» Psaume CIII, 32. Comme il n'est pas possible de voir ce qui est incorporel avec les yeux de notre corps, il veut nous signifier son opération. Le juste était tout troublé de ce qui se passait ; la crainte s'était emparée de lui, et l'extase dans laquelle il était plongé avait saisi son âme, lorsque Dieu lui dit : Tu m'as demandé à quoi tu connaîtrais la vérité de mes paroles et tu as désiré voir un signe qui t'apprît comment tu entrerais en possession de cette terre. Eh bien ! voici ce signe ; car il te faut une grande foi pour apprendre que je peux faire tourner à bien les choses désespérées. Et il lui dit : Sache dès à présent que ta postérité habitera dans une terre étrangère et sera soumise à ses habitants, qui l'affligeront et l'humilieront durant l'espace de quatre cents ans. Cependant moi je jugerai la nation à laquelle elle sera assujettie, et puis elle sortira avec de grandes richesses.» Gen., XV, 13-14. Voilà des paroles qui demandent une âme forte, capable de s'élever et de fouler aux pieds tous les sentiments humains. Supposez Abram dépourvu d'un esprit généreux, fort et rempli de sagesse, il y a dès lors dans ce que Dieu lui annonce de quoi le troubler profondément. « Sache dès à présent, lui dit-il, que ta postérité habitera une terre étrangère et qu'elle sera soumise à ses habitants, qui l'affligeront et l’humilieront pendant quatre cents ans. Cependant moi, je jugerai la nation à laquelle elle sera assujettie, et puis elle sortira avec de grandes richesses.»

3. 

Patience et sagesse d'Abraham

Ah l semble-t-il lui dire, ne t'étonne pas en te regardant toi-mème ; ne songe ni à la vieillesse, ni à la stérilité de Sara, ni à son impuissance d'engendrer, et ne regarde pas comme extraordinaires ces paroles que je t'ai adressées : « Je donnerai cette terre à ta postérité. » Cette promesse; je te la renouvelle encore ; mais j'ajoute que ta postérité habitera une terre étrangère.

Remarquez bien qu'il ne nomme pas l'Egypte, qu'il ne prononce aucun nom ; il se contente de dire : ta postérité sera conduite sur une terre étrangère; elle y sera réduite en servitude, elle y supportera les rigueurs de la misère, non pas quelques jours seulement ou même quelques années, mais pendant quatre cents ans. Cependant je prendrai sa cause en main, je jugerai le peuple qui l'aura réduite en servitude, et, par mes soins, elle sortira du lieu de son exil avec de grandes richesses. C'est un tableau complet de tout ce qui doit arriver : Dieu prédit la servitude des Israélites, leur descente en Egypte, son indignation et sa colère, que les Egyptiens supporteront à cause d'eux, enfin leur glorieuse sortie de ces contrées. Il faut qu’Abram sache bien que les événements surnaturels dont il a été le sujet s'accompliront pour d'autres encore, que les promesses de Dieu se réaliseront malgré tous les obstacles, et que tout cela s'accomplira dans sa postérité. -- J'ai voulu, lui dit Dieu, en te parlant ainsi, te révéler avant ta mort ce qui arrivera à tes descendants, à ta famille. « Pour toi, tu iras en paix vers tes pères, mourant dans une heureuse vieillesse.» Ibid.,15. -Tu mourras, mais aussi « tu iras, » comme s'il s'agissait pour lui d'un pèlerinage, et d'un passage d'une patrie à une autre patrie. « Tu iras vers tes pères. » Evidemment il ne parle pas de ses pères selon la chair. Comment pourrait-il être question d'eux ? Son père était infidèle, et il ne pouvait se trouver au mème lieu que lui, «Entre vous et nous, est-il dit dans l'Evangile, il y a un abime. > Luc., XVI, 26.

« Vers tes pères, » qu'est-ce à dire, sinon vers les justes comme Abel, Noé et Enoch ? mourant dans une heureuse vieillesse. » Vous direz peut-être : Comment appeler heureuse une vieillesse à laquelle conduit une vie remplie de tant de chagrins et d'ennuis ? O homme, porte tes regards ailleurs ; vois la gloire dont cet homme a toujours été entouré, vois quel pèlerin illustre c'était que ce juste sans cité et sans demeure; considère-le sans cesse protégé par Dieu et soutenu par son secours. Ne juge pas comme on juge ici-bas; vivre dans le luxe les délices les plaisirs, la richesse, avoir des serviteurs nombreux et des troupeaux d'esclaves, ce n'est pas en cela que consiste une vieillesse heureuse, garde-toi de le penser. Tous ces biens ne font pas le bonheur de la vieillesse.
Quelle honte, en effet, au vieillard, dans son âge avancé, de ne pas mettre en pratique la modération, et de ne savoir pas, à la limite extrême de sa vie, comprendre ses véritables intérêts ! Quel sujet de condamnation pour lui, s'il ne songe qu'à satisfaire son ventre, s'il re- cherche les festins et l'ivresse, tout autant de choses dont il doit bientôt rendre un compte rigoureux ! Au contraire, celui qui a marché dans la voie de la vertu, celui-là meurt dans une vieillesse heureuse, et trouve là-haut la récompense de ses travaux d'ici-bas. Dieu lui dit aussi : Voilà ce qui arrivera à tes descendants ; pour toi, tu t'en iras, mourant dans une heureuse vieillesse.

Ah I si Abram n'eût point été doué d'une grande force et d'une remarquable sagesse , n'est-il pas vrai que ces paroles étaient capables de le troubler ? Un homme ordinaire aurait pu dire à sa place : Pourquoi me promettre une postérité innombrable, si mes descendants doivent être si malheureux, et sont destinés à une servitude aussi longue ? Quelle utilité puis-je y trouver ? --Mais non, le juste n'avait pas de telles pensées; il se soumettait à Dieu avec reconnaissance , et mettait les desseins divins au-dessus de sa volonté propre. Dieu lui fait connaître l'époque où sa postérité sortira de la servitude. Après avoir annoncé qu'elle servirait pendant quatre cents ans, il ajoute : « Mais, en la quatrième génération, elle reviendra ici. » Genes., XV, 16. Eh quoi ! Dieu parle d'une servitude de quatre cents ans, et c'est à peine si la postérité d'Abram passa en Egypte la moitié de ce temps ? Cela est vrai ; aussi n'est-il pas question d'un séjour en Egypte de quatre cents ans, mais bien d'une demeure « sur une terre étrangère, » de telle sorte qu'il faut aux années d'Egypte, joindre le temps écoulé depuis le jour où le Patriarche reçut l'ordre de sortir de Charran.

A partir de ce temps, l'Ecriture marque clairement le nombre des années, car elle dit qu'Abram avait soixante-quinze ans en sortant de Charran, et pour peu qu'on veuille compter, on trouve de ce moment à la sortie d'Egypte juste le nombre entier. On pourrait dire aussi que le Seigneur, qui est toujours miséricordieux qui proportionne sans cesse les épreuves à notre faiblesse, voyant les douleurs qui pesaient sur les enfants d'Abram, et la cruauté avec laquelle les Egyptiens les traitaient, hâta leur vengeance, et les rendit prématurément à la liberté. Dieu agit souvent de la sorte. Tout ce qu'il fait, il le fait pour notre salut, et, quand il nous menace de ses châtiments, nous pouvons, par un changement de vie et une conversion manifeste, révoquer ses décrets.

4. 

Prenons Abraham comme modèle

Vous venez de voir Dieu répondre à tous les désirs du Patriarche, afin de fortifier sa foi et de lui donner la confiance, par ce qu'il venait de lui dire, que ses promesses se réaliseraient pour sa postérité. Il fallait à Abram, pour que les prédictions qu'il avait entendues pussent lui inspirer une foi inébranlable, le spectacle de l'accomplissement de ce que Dieu avait dit de lui. Mais ensuite, la prophétie achevée, il eut un signe manifeste de ce qui lui arrivait. « Après que le soleil fut couché, une flamme se leva, un foyer qui répandait la fumée se leva, et une lampe de feu qui traversait les membres divisés.» Ibid. 17 Cette flamme, ce foyer, cette lampe étaient visibles; c’était pour le juste un signe de la stabilité de l’alliance et de l’action de Dieu. Puis quand tout fut fini, quand le feu eut consumé les offrandes, « le Seigneur fit en ce jour alliance avec Abram; disant : Je donnerai cette terre à ta postérité depuis le fleuve d'Egypte jusqu'au grand Neuve d'Euphrate, les Cinéens, les Génezéens, les Cedmonéens, les Héthéens, les Phérézéens, les Raphaites, les Amorrhéens, les Chananéens, les Gergéséens et les Jébuséens. » Ibid., 18, 19, 20.

Vous le voyez, Dieu insiste, il renouvelle encore ses promesses. « Le Seigneur fit alliance disant : Je donnerai cette terre à ta postérité. » Puis il fixe les limites pour et l'étendue de cette terre afin de faire comprendre au juste combien serait innombrable sa postérité : « Je lui donnerai cette terre, dit-il, depuis le fleuve d’Egypte jusqu’au fleuve d’Euphrate ». Mais n'allons pas encore prolonger ce discours plus qu'il ne convient ; en nous arrêtant, nous vous demandons de vous proposer le Patriarche pour modèle et de vous encourager à l'imiter. Vois, mon bien-aimé, à quel excès de condescendance Dieu descend envers lui, regarde comme il récompense magnifiquement la réponse qu'il fit au roi de Sodome, et aussi la vertu dont il donna tant de preuves pendant sa vie ! Prends courage en voyant Dieu agir de la sorte avec le Patriarche, et sache bien qu'il veut montrer par là son immense libéralité et nous enseigner à tous qu'il est sensible à la moindre de nos œuvres, et que nous ne tarderons pas à recevoir des faveurs signalées, si nous montrons la mème foi que ce juste, si nous chassons le doute de notre âme., si nous avons en Dieu une confiance constante et inébranlable. Ne sais-tu pas que c'est la foi qui a valu à Abram sa gloire et ses louanges ?

Entends le bienheureux Paul exalter la foi dont il fut animé dès le principe : « C'est par la foi que celui qui fut nommé Abram obéit à Dieu, entrant dans le pays qu'il devait recevoir pour héritage, et qu'il partit sans savoir où il allait. » Hebr., XI, 8. Ces paroles nous laissent entendre cet ordre donné par Dieu au Patriarche : « Sors de ta terre, et viens en celle que je te montrerai. » Genes., XII, 1. Quelle foi ferme ! Quelle âme sincère ! Vous venez d'admirer ce type de vertu, sachons donc l'imiter, échappons en esprit avec empressement aux sollicitudes de la vie présente, et volons au ciel. Nous pouvons, si nous le voulons, marcher vers le ciel, même sur la terre.

Qu'avons-nous à faire pour cela ? Nous rendre dignes du ciel par nos œuvres, mépriser les choses du monde , ne pas rechercher, dédaigner au contraire la vaine gloire de cette vie, désirer de tout notre cœur la gloire véritable qui ne doit jamais finir, ne pas nous laisser absorber par le luxe des vêtements, ou l’ornement du corps, donner aux soins de notre âme toute l’attention qu’on emploierait à ces soins extérieurs, ne pas la laisser nue et privée du vêtement des vertus. Mépriser les plaisirs, éviter les excès, ne pas courir après les banquets et les fêtes, obtenir une sobriété parfaite, selon ce conseil de l’Apôtre : « Si nous avons de quoi nous nourrir et de quoi nous couvrir, ne demandons rien d’autre. » I Tim. VI, 8. Voyons, dites-moi, quel avantage retirez-vous de tout ce superflu ? et cette voracité qui vous se donne un embonpoint redoutable , et cet usage immodéré du vin qui trouble votre jugement et votre raison, quel profit peut-il vous rapporter ? D'où viennent ces maladies innombrables et ces membres contrefaits qui affligent si souvent nos regards ? N'ont-ils pas leur origine dans les excès que nous signalons ? Et les adultères, les débauches honteuses, les rapines, les cupidités, les meurtres, les brigandages, et les corruptions de toute sorte, d'où procèdent toutes ces choses ? Est-ce qu'elles ne viennent pas de ce désir immodéré de posséder plus que nous n'avons ? De même que Paul appelle l’avarice « la racine de tous les maux, » de mème on peut dire en toute assurance que tous les maux ont leur source dans ces désirs immodérés qui nous font toujours dépasser la limite de nos besoins. Si nous voulions retrancher le superflu de nos aliments, de nos vêtements, de nos maisons, de tous nos besoins corporels, et nous contenter du nécessaire, le genre humain serait délivré d'une foule de maux.

5. 

Contentons-nous du strict nécessaire

Mais je ne sais comment il se fait que nous soyons tous, chacun selon nos forces, travaillés de ce mal secret de l'avarice. Jamais nous ne savons nous borner au nécessaire, et dans toutes nos œuvres nous violons ce précepte de l'Apôtre :« Si nous avons de quoi nous nourrir et nous vêtir, ne demandons pas autre chose, » sans penser qu'il nous faudra rendre compte de l’usage immodéré que nous aurons fait des choses, parce que c'est un abus des dons de Dieu. Dieu en nous donnant ces biens ne nous les a pas uniquement donnés pour nous ; il a voulu que nous vinssions aussi au secours de nos frères malheureux. Quel pardon méritent ces insensés qui font servir leurs vêtements à satisfaire leur vanité, qui s'inquiètent pour mettre sur leurs épaules les tissus des vers, ou qui même, chose plus déplorable, s'enorgueillissent d'en être couverts ?

Ah ! ils devraient plutôt rougir, trembler, et craindre de se vêtir ainsi sans utilité et sans besoin , uniquement par vanité et vaine gloire, pour étaler leur faste en public et capter l'admiration de tous ! A côté d'eux leur frère est nu, il n'a mème pas un vil haillon pour se couvrir, et la nature ne peut attendrir leur âme ; et la conscience ne peut les décider à venir au secours du prochain ; et ni le souvenir des terreurs du dernier jour, ni la crainte de la damnation, ni la grandeur des promesses, ni la pensée que Notre-Seigneur regarde comme fait à lui-même ce que nous faisons pour les infortunés, rien ne peut les ébranler ; ils semblent avoir un cœur de pierre, on les dirait d'une autre nature; ils se croient, à cause de ces habits recherchés, supérieurs aux autres hommes. Les insensés ! ils oublient à quels châtiments épouvantables s'exposent ceux qui ne dépensent pas comme il convient les biens qu'ils ont reçus, et qui refusent d'en faire part à leurs frères; ils l'oublient, ils préfèrent laisser dévorer par les vers des vêtements dont ils ne se servent pas, et ils se préparent pour l'avenir des supplices atroces dans un feu éternel.

La coquetterie des femmes se fait au détriment des pauvres

Quand même les riches distribueraient aux pauvres tout ce qu'ils entassent chez eux, ils n'éviteraient pas le châtiment des fautes qu’ils ont commises par leurs vêtements et dans les festins. Et quel supplice ne méritent pas ceux qui sont toujours préoccupés de se couvrir de soie, de parader sur les places publiques, de briller sous des tissus d'or, tandis qu'ils laissent passer, sans le secourir, le Christ nu, n'obtenant pas la nourriture dont il a besoin ? Ceci s'adresse spécialement aux femmes. C'est chez elles surtout que se montrent l'amour et la recherche exagérée de la parure ; ce sont elles qui mettent de l’or à leurs habits, à leur tête, à leur cou, aux autres parties du corps ; ce sont elles enfin qui se font une gloire et un orgueil de paraitre dans ces atours. Que de pauvres affamés elles auraient pu nourrir, que de corps sans vêtements elles auraient pu couvrir avec le prix des bijoux qui ornent seulement leurs oreilles et qui ne serviront qu'à perdre leur âme ? Voilà pourquoi le Docteur de l'univers, après avoir dit : « Soyons contents si nous avons de quoi nous vêtir et nous nourrir, » se tourne de nouveau vers les femmes et leur commande « de ne pas se parer avec des cheveux frisés, des ornements d'or, des perles, des habits somptueux. » ITim., I, 9. Vous le voyez, il ne veut pas que les femmes empruntent de pareils ornements, il leur défend de porter de l'or, des pierres précieuses, des habits somptueux; Il leur recommande d'orner avant tout leur âme, de faire ressortir sa beauté par de bonnes œuvres, et de ne pas s'exposer, par une vaine recherche de la parure, à mépriser leur sœur pauvre, amaigrie, couverte de haillons, mourant de faim ou raidie par le froid.

Une préoccupation trop grande des soins du corps trahit une difformité de l'âme ; si celui-là nage dans les délices, celle-ci est travaillée par la faim, et la somptuosité de la mise du premier déclare la nudité de l'autre. Non, il n'est pas possible qu'on se préoccupe de son âme, qu'on ait en grande estime sa beauté, et qu'on se laisse absorber par les soins du corps ; mais il est impossible aussi de s'adonner à ces soins extérieurs, de rechercher le luxe des vêtements, de rêver pour son corps à des habits tissés d'or, et d'avoir souci de son âme. Comment voulez-vous qu'elle pense à rien d'utile, qu'elle songe jamais aux choses spirituelles, cette âme plongée dans des soucis terrestres, rampant, pour ainsi dire, terre à terre, incapable de jamais élever la tête, et courbée sous le poids accablant de ses innombrables péchés ?

Un de ces ornements précieux vient-il à se perdre, aussitôt c'est une révolution et une tempête dans toute la maison ; un serviteur en a-t-il dérobé un autre, tous sont pris, fouettés, mis en prison ; des envieux ont-ils réussi par leurs embûches à s'emparer de quelqu'un de ces objets, voilà la source d'une grande et intolérable tristesse. Supposez que la détresse fonde sur ces amis du luxe et les réduise à une extrême indigence, la vie leur deviendra plus terrible que la mort; un incident, un rien est pour eux la cause d'un profond chagrin. En somme, cherchez une âme passionnée pour les parures et tranquille, vous ne la trouverez pas. Allons donc, je vous en conjure, gardons-nous de la cupidité et de l'usage immodéré des richesses. Désirer ce qui est nécessaire et dépenser avec sagesse ce qui est superflu, voilà les véritables richesses et les trésors qui ne tarissent pas. Agissez de la sorte, et vous n'aurez rien à craindre de la pauvreté, vous vous épargnerez des sujets de tristesse et de trouble ; la calomnie n'aura pas de prise sur vous, vous n'aurez pas de pièges à redouter, en un mot, vous jouirez de la tranquillité parfaite, d'un repos et d'une sécurité inaltérables. Mais il y a plus, et c'est ici la plus grande félicité et le bien le plus enviable, vous vous rendrez Dieu propice, et vous jouirez de la grâce céleste, comme un dispensateur fidèle des trésors du Seigneur : « Heureux le serviteur que le Seigneur, à son avénement, trouvera agissant de la sorte, » Luc., XII, 43, dispensant à ses frères ses richesses, ne s'enfermant pas derrière des portes et des verrous infranchissables, ne laissant pas dévorer par les vers ses vêtements, mais venant plutôt au secours des pauvres, et se montrant envers eux un dispensateur bon et fidèle des biens qui lui ont été confiés afin d’obtenir la récompense de sa sage dispensation et d’arriver à la possession des biens promis.