Saint Jean Chrysostome

Ne restons pas indifférents aux prévarications de notre prochain

Dans cette homélie sur la première Epître de St PAUL aux Corinthiens, St Jean Chrysostome évoque la manière dont nous devons reprendre nos frères tombés dans la péché.

1. [...]Quand vous voyez donc un frère tomber dans le péché, ne le reprenez pas en public; commencez par lui parler seul à seul, comme le Christ l'ordonne; gardez-vous de l'insulter et de l'accabler quand il est à terre; gémissez plutôt, témoignez une douleur sincère; montrez-vous vous-même prêt à recevoir une correction, si vous avez commis quleque faute. Pour mieux éclaircir ce que je dis, faisons une supposition qui nous le présente comme dans un miroir; à Dieu ne plaise qu'un tel exemple soit une réalité ! Supposons donc un frère qui demeure avec une vierge, mais dans la parfaite décence de moeurs, sans que cela le mette à l'abri des soupçons. Si vous apprenez qu'on se préoccupe de cette cohabitation, ne passez pas dessus avec dédain, ne dites pas : N'a-t-il pas assez de connaissance ? Ne sait-il pas ce qui convient ? Si vous êtes aimé sans raison, ne soyez pas haï de même.

A quoi bon irais-je de gaité de coeur m'exposer à la haine ? De tels propos sont dénués de sens; il y a là quelque chose de brutal et même de diabolique. Celui qui tente de remédier à ce mal ne peut encourir de haine gratuite; il méritera plutôt des biens infiniment précieux, d'incomparables couronnes. Si vous nous opposez l'intelligence et la sagesse du frère, nous vous répondrons qu'il en est actuellement dépourvu, parce que la passion l'enivre. Si, devant les tribunaux humains, les victimes d'une injustice n'ont pas le droit de parler à cause de l'indignation qui les transporte, bien qu'on n'accuse certes pas un tel sentiment, moins encore faut-il s'en rapporter à celui que captive une mauvaise habitude. Voilà pourquoi, je le dis, serait-il mille fois sage, son intelligence est maintenant endormie. Qui fut jamais plus sage que DAVID, lui qui pouvait dire : "Vous m'avez manifesté les mystérieux secrets de votre sagesse." ? (Psal. I, 8) Et cependant, quand il eut jeté sur la femme d'un de ses gardes un regard imprudent, il éprouva sans nul doute ce qu'éprouvent les navigateurs sur une mer furieuse; et de là cette parole qu'il a lui même prononcée : "Toute sa sagesse a été submergée" (Ibid. CVI, 27). Il eût alors besoin qu'un autre vînt le ramener au devoir, il ne comprenait pas la profondeur de sa misère intérieure. Plus tard il déplorait ainsi ses iniquités : "Elles ont pesé sur moi comme un accablant fardeau. La corruption s'est mise dans mes blessures, elles se sont envenimées par suite de ma démence." (Ibid. XXXVII, 5,6).

2. Celui qui pèche n'a donc pas l'usage de sa raison; il est ivre, il est aveuglé. A votre première excuse, n'ajoutez pas celle-ci : ce n'est pas mon affaire; "Chacun portera son propre fardeau." (Galat. VI, 5) Vous êtes déjà gravement répréhensible, du moment où, le voyant s'égarer, vous ne le ramenez pas au droit chemin. S'il était ordonné par la loi des juifs de ne pas laisser à l'abandon la bête de somme d'un ennemi, quelle indulgence peut espérer celui qui dédaigne, non la bête de somme, ni même l'âme d'un ennemi, mais l'âme d'un ami ? Il ne suffit pas pour notre justification que cet homme soit doué d'intelligence; car nous aussi, qui plus d'une fois avons donné de sages conseils, nous sommes en défaut pour nous mêmes, incapables de nous sauver. Comprenez donc que ce prévaricateur doit plutôt recevoir de vous que de lui-même un salutaire conseil, et n'allez pas dire : en quoi cela me regarde-t-il ? Souvenez-vous avec frayeur de celui qui le premier prononça cette parole. c'est bien la même en effet : "Est-ce que je suis le gardien de mon frère ?"( Genes. IV, 9). De là viennent tous les maux, que nous regardions comme nous étant étranger ce qui touche à notre corps. Que dites-vous ? Vous ne devez avoir aucun souci de votre frère ? Et qui donc s'occupera de lui ? Sera-ce l'infidèle, qui ne voit là qu'un sujet de contentement, un but à ses sarcasmes ? Sera-ce le démon, qui précisément pousse à la ruine du malheureux ? - Je n'avance à rien, me direz-vous peut être, par mes paroles et mes avertissements - Et comment savez-vous si bien que vous n'obtiendrez aucun résultat ? Mais c'est encore une démence extrême de se rendre certainement coupable de négligence, parce que le résultat est incertain.

Dieu lui-même, quoiqu'il connaisse l'avenir, a souvent parlé sans en obtenir davantage; et même ne s'est-il pas désisté, sachant néanmoins qu'on n'écouterait pas sa parole. Si Celui dont la science embrasse tout ne suspend pas ses corrections qu'il sait devoir être inutiles, quelle excuse aurez-vous en demeurant ainsi dans l'inaction et dans l'indifférence, alors que l'avenir vous est pleinement inconnu ? A force de revenir à la charge, beaucoup ont fini par réussir, et c'est quand ils n'avaient plus d'espérance, qu'ils obtenaient un plein succès. Ne feriez-vous pas d'ailleurs autre chose, vous aurez fait ce qui dépendait de vous. Ne soyez donc pas inhumain, sans entrailles, indifférent à tout. Que de telles paroles soient empreintes d'indifférence et de cruauté, un simple raisonnement le prouve. Pour quelle raison, lorsqu'un membre de votre corps est malade, ne dites-vous pas : que m'importe, et comment savoir s'il guérira si j'en ai soin ? Vous ne négligez aucun moyen, vos efforts seraient-ils inutiles; vous ne voulez pas avoir à vous reprocher sur ce point une négligence quelconque. Or, quand nous déployons une telle sollicitude pour les membres de notre corps, pourrions-nous n'en témoigner aucune pour les membres du Christ ? De quelle indulgence, encore une fois, serions-nous dignes ? Si je ne vous touche pas en vous disant : ayez soin de votre membre, j'essaie de vous rendre meilleur par le sentiment de la crainte, en vous rappelant le corps mystique du Christ. N'est-ce pas une chose qui vous fait frissonner, que vous demeuriez insensible loreque la corruption dévore votre chair ? Mais si vous aviez un serviteur ou même un âne atteint du même mal, vous ne resteriez pas dans cette indifférence : et,voyant le corps du Christ attaqué par la pourriture, vous passez avec dédain, ne jugeant pas que vous méritez ainsi mille foudres ?

Ainsi tout est dans le bouleversement complet par suite d'une pareille inhumanité, d'une pareille indolence. Je vous supplie donc de vous arracher à cet état; allez trouver ce frère, qui partage l'habitation de la jeune vierge; commencez par louer d'une manière succincte les autres qualité qu'il a, amolissez la tumeur comme avec de l'eau tiède; dites-lui que vous n'êtes vous-même qu'un misérable; accusez notre pauvre humanité; reconnaissez que nous sommes tous sujets à bien des fautes; demandez-lui pardon d'oser aborder un sujet au-dessus de vos forces, en ajoutant toutefois que la charité ne recule devant aucune entreprise. Faites tout cela comme une personne qui commande, mais sur le ton d'un frère qui donne un conseil. Quand vous aurez, par toutes ces précautions adouci la tumeur et rendu moins vive la douleur de la ponction, du reproche que vous allez faire, tâchez, par vos prévenances et vos prières, d'obtenir qu'il ne s'irrite pas ; quans vous l'aurez ainsi lié, enfoncez le fer, sans exagérer l'affaire et sans la dissimuler, de peur d'inspirer la révolte et le mépris. Si vous n'allez pas jusqu'au fond, votre démarche est inutile; si vous frappez trop vivement, vous n'obtiendrez que la répulsion. Je sais bien, direz-vous que vous agissez ainsi pour Dieu, que vous accordez votre protection à cette personne parce que vous l'avez vue mallheureuse, dans l'isolement et l'abandon. N'aurait-il pas agi dans ce but, parlez toujours de la sorte.