Saint Augustin

Elie et la veuve de Sarepta

Alors la parole de l'Éternel lui fut adressée en ces mots :
Lève-toi, va à Sarepta, qui appartient à Sidon, et demeure là. Voici, j'y ai ordonné à une femme veuve de te nourrir.

Il se leva, et il alla à Sarepta. Comme il arrivait à l'entrée de la ville, voici, il y avait là une femme veuve qui ramassait du bois. Il l'appela, et dit : Va me chercher, je te prie, un peu d'eau dans un vase, afin que je boive. Et elle alla en chercher. Il l'appela de nouveau, et dit : Apporte-moi, je te prie, un morceau de pain dans ta main.

Et elle répondit : L'Éternel, ton Dieu, est vivant ! je n'ai rien de cuit, je n'ai qu'une poignée de farine dans un pot et un peu d'huile dans une cruche. Et voici, je ramasse deux morceaux de bois, puis je rentrerai et je préparerai cela pour moi et pour mon fils ; nous mangerons, après quoi nous mourrons. Élie lui dit : Ne crains point, rentre, fais comme tu as dit. Seulement, prépare-moi d'abord avec cela un petit gâteau, et tu me l'apporteras ; tu en feras ensuite pour toi et pour ton fils. Car ainsi parle l'Éternel, le Dieu d'Israël : La farine qui est dans le pot ne manquera point et l'huile qui est dans la cruche ne diminuera point, jusqu'au jour où l'Éternel fera tomber de la pluie sur la face du sol. Elle alla, et elle fit selon la parole d'Élie. Et pendant longtemps elle eut de quoi manger, elle et sa famille, aussi bien qu'Élie. La farine qui était dans le pot ne manqua point, et l'huile qui était dans la cruche ne diminua point, selon la parole que l'Éternel avait prononcée par Élie. Après ces choses, le fils de la femme, maîtresse de la maison, devint malade, et sa maladie fut si violente qu'il ne resta plus en lui de respiration. Cette femme dit alors à Élie :
Qu'y a-t-il entre moi et toi, homme de Dieu ? Es-tu venu chez moi pour rappeler le souvenir de mon iniquité, et pour faire mourir mon fils ?

Il lui répondit :
Donne-moi ton fils. Et il le prit du sein de la femme, le monta dans la chambre haute où il demeurait, et le coucha sur son lit. Puis il invoqua l'Éternel, et dit :
Éternel, mon Dieu, est-ce que tu affligerais, au point de faire mourir son fils, même cette veuve chez qui j'ai été reçu comme un hôte ?

Et il s'étendit trois fois sur l'enfant, invoqua l'Éternel, et dit : Éternel, mon Dieu, je t'en prie, que l'âme de cet enfant revienne au dedans de lui ! L'Éternel écouta la voix d'Élie, et l'âme de l'enfant revint au dedans de lui, et il fut rendu à la vie. Élie prit l'enfant, le descendit de la chambre haute dans la maison, et le donna à sa mère.

Et Élie dit :
Vois, ton fils est vivant.
Et la femme dit à Élie :
Je reconnais maintenant que tu es un homme de Dieu, et que la parole de l'Éternel dans ta bouche est vérité.

1. Le seigneur notre Dieu ne veut laisser périr aucun de nous; il cultive son Eglise comme une vigne; il demande du fruit à ses arbres avant que le temps soit venu où la hache doit abattre ceux qui n’en portent pas. C’est pourquoi il ne cesse de nous avertir de faire le bien, tandis que nous en avons le temps et que nous le pouvons avec son secours. Une fois le moment de l’action passé, il n’y a plus qu’à en recevoir la récompense.

Après la résurrection, en effet, personne dans le royaume de Dieu ne te dira : partage ton pain avec celui qui a faim; personne n’y souffrira de faim : revêts celui qui est nu; puisqu’on aura pour vêtement l’immortalité : accueille l’étranger, puisque tous serons dans leur patrie; car maintenant nous en sommes éloignés. Personne ne dira : visite le malade; car la santé y sera éternellement inaltérable : ensevelis les morts, car il n’y en aura pas. Ces devoirs de charité ne seront aucunement nécessaires dans cette éternelle vie où tu ne connaîtra que la paix et une éternelle joie. Mais aujourd’hui, pour nous faire savoir combien il nous recommande instamment les oeuvres de miséricorde, Dieu laisse au besoin ses plus fidèles serviteurs; et ceux qui deviennent leurs amis en partageant avec eux les richesses d’iniquité, seront à leur tour reçus dans les tabernacles éternels : en d’autres termes, si les riches du siècle soulagent de leurs aumônes les serviteurs de Dieu qui tombent quelquefois dans l’indigence en s’appliquant continuellement à son service, ils méritent de partager avec eux la vie du ciel, comme eux ils ont partagé les biens de la terre.

2. Ces réflexions sont amenées par la première lecture qu’on vient de nous faire dans le livre des Rois. Dieu avait-il manqué de nourrir son serviteur Elie ? Les oiseaux, à défaut d’homme, ne le servaient-ils pas ? Un corbeau ne lui apportait-il pas un pain chaque matin et de la chair le soir ? Dieu voulut montrer ainsi qu’il peut fournir aux besoins de ses serviteurs quand et comme il veut. Et cependant, pour donner à une pieuse veuve l’occasion de le nourrir, il réduisit son prophète à l’indigence. Mais l’indigence du saint enrichit la veuve. Quoi ! Elie ne pouvait-il, pas la miséricorde divine, faire pour lui-même ce qu’il fit pour une burette d’huile ? Vous le voyez donc et la chose est évidente, les serviteurs de Dieu sont parfois dans le besoin pour éprouver ceux qui n’y sont pas.
Cette veuve toutefois n’avait rien; ses dernières ressources étant épuisées, elle allait mourir avec ses enfants. Pour faire cuire son dernier pain, elle alla donc ramasser deux morceaux de bois; Elie la vit alors. Remarquez : l’homme de Dieu la vit quand elle cherchait deux morceaux de bois. Cette femme représentait l’Eglise; et comme la croix est formée des deux morceaux de bois, cette femme mourante cherchait à vivre toujours. Contentons-nous d’indiquer ce mystère. Elie parle ensuite à la veuve comme Dieu le lui avait ordonné. Celle-ci lui fait connaître ses dispositions dernières, elle annonce qu’elle va mourir après avoir épuisé ce qui lui reste.

Mais que sont devenues ces paroles du Seigneur : « va à Sarepta des Sidoniens; là en effet, j’ai commandé à une veuve de te nourrir » ? Observez comment Dieu donne des ordres ; ce n’est pas à l’oreille, mais au coeur. Avons-nous lu qu’aucun prophète ait été envoyé vers la veuve et qu’il lui ait dit : voici ce que veux le Seigneur : vers toi viendra mon serviteur souffrant de la faim, donne-lui ce que tu as; ne crains pas la disette, je te dédommagerai de ce que tu auras fait pour lui ? Nous ne lisons pas que ce langage lui ait été adressé. Nous ne lisons pas non plus qu’un Ange lui ait été envoyé en songe, qu’il l’ait prévenue qu’Elie allait venir souffrant de la faim, ni que personne l’ait avertie de le nourrir. Dieu parle à la pensée et il a des moyens admirables pour donner des ordres. Si donc il commanda à cette veuve, ce fut, croyons-nous, en lui parlant au coeur, en lui inspirant ce qu’il fallait faire, en lui persuadant ce qui était bon.
Ne lisons-nous pas dans un prophète que le Seigneur commanda à un ver de ronger un arbrisseau ? Que signifie : il commanda, sinon : il le disposa ? L’inspiration du Seigneur avait donc préparé le coeur de cette femme à obéir à Elie et telle était sa disposition quand elle vint et s’entretint avec lui. Celui qui inspirait à Elie de commander, inspirait à la veuve d’obéir. « Va lui dit le prophète, donne-moi d’abord du peu qui te reste »; tes provisions ne manqueront pas. Cette femme n’avait plus en effet qu’un peu de farine et un peu d’huile. Ce peu ne s’épuisa point. Qui possède autant ? Cette infortunée, dont tout le bien pouvait être suspendu à un clou, avait plaisir à apaiser la faim du serviteur de Dieu. Quoi de plus heureux que sa pauvreté ? Si elle reçoit tant en cette vie, que ne doit-elle pas espérer dans l’autre ?

3. Aussi, je vous l’ai dit, n’attendons point le fruit de notre travail dans ce temps où nous semons. Maintenant nous ensemençons avec fatigue le champ des bonnes oeuvres ; plus tard, nous en recueillerons les fruits avec joie. N’est-il pas écrit :  « ils allaient et pleuraient en répandant leurs semences, mais ils reviendront avec joie portant leurs gerbes dans leurs mains » ? Ce que fit Elie pour la veuve était un emblème, non la vraie récompense. Car si cette veuve fut alors récompensée d’avoir nourri l’homme de Dieu, il faut avouer qu’elle n’avait pas semé beaucoup puisqu’elle recueillit peu. Qu’était-ce que cette farine qui ne s’épuisa point et cette huile qui ne se tarit point avant que Dieu fit tomber la pluie sur la terre ? Ce n’était que du temporel ; et après que le Seigneur eut daigné envoyer la pluie, cette femme sentit davantage le besoin : il lui fallut alors cultiver la terre, attendre et faire la moisson ; au lieu que pendant la sécheresse, sa nourriture était toute facile à préparer.

Le miracle que Dieu faisait en sa faveur pendant quelques jours rappelait donc cette vie future où la récompense ne saurait finir. Notre pain sera Dieu lui-même ; et comme les aliments de la veuve furent inépuisables pendant quelques jours, ce pain nous rassasiera durant l’éternité. Telle est la récompense qu’il nous faut espérer en faisant le bien. Gardez-vous de céder à la tentation et de dire : je nourrirai quelque serviteur de Dieu dans le besoin, et ma coupe ne tarira point, et je trouverai toujours du vin dans ma cuve. Ne cherche pas cela. Sème tranquillement : plus tard viendra la moisson, mais elle viendra, et tu en jouiras sans fin.