Saint Jérôme

Commentaire sur saint Matthieu 17

Et six jours après Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, son frère. Il les mena à l'écart sur une haute montagne.

1. "Pourquoi en certains endroits de l'Evangile, Pierre, Jacques et Jean sont pris séparément des autres, et quel privilège les distingue des autres apôtres, nous l'avons dit souvent. Une question se pose maintenant : c'est six jours après qu'il les a pris avec lui et amenés à l'écart sur une haute montagne, alors que l'évangéliste Luc donne le chiffre de huit. La réponse est facile : ici il est fait mentiondes six jours intermédiaires, là sont ajoutés le premier et le dernier. En effet, Luc ne dit pas "Huit jours après, Jésus prit Pierre, Jacques et Jean" mais "le huitième jour".

Conduire les disciples sur les hauteurs fait partie de son pouvoir royal. Ils y sont menés à l'écart "parce qu'il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus".

Et il fut transfiguré devant eux.

Tel il sera au temps du jugement, tel il apparût à ses apôtres. Quant à ces paroles : "il fut transfiguré devant eux", que personne ne pense qu'il se soit dépouillé de la forme et du visage qu'il avait auparavant, ni qu'il ait abandonné son corps réel pour en revêtir un spirituel ou aérien. La nature de cette transformation nous est montrée par l'évangéliste en ces termes :

Et son visage resplendit comme le soleil et ses vêtements devinrent blancs comme neige.

Lorsqu'on évoque la splendeur du visage, lorsqu'on décrit la blancheur des vêtements, ce n'est pas que la substance disparaisse, c'est qu'elle est transformée par la gloire. "Sa face resplendit comme le soleil". Assurément, le Seigneur fut transformé en cette gloire où il viendra ensuite dans sa royauté. Sa transformation a ajouté la splendeur, elle n'a pas fait disparaître son visage. Admettons que son corps se soit spiritualisé, est-ce que ses vêtements aussi furent changés, eux qui étaient si blancs que, selon un autre évangéliste, "un foulon ne peut en faire de pareils sur terre". Mais ce qu'un foulon peut faire sur terre est matériel, tombant sous le sens et non point immatériel, aérien, illusion des yeux, vision purement imaginaire.

Et voici que leur apparurent Moïse et Elie qui s'entretenaient avec lui.

Quand les Scribes et Pharisiens voulurent le tenter et lui demandèrent des signes venus du ciel, il refusa de leur donner et l'habileté de sa réponse confondit la malignité de leur demande. Ici, au contraire, pour fortifier la foi des apôtres, il donne un signe venu du ciel : Elie descend d'où il était monté et Moïse remonte des enfers. Ainsi Isaïe invite Achaz à demander pour lui un signe issu d'en haut ou venu de l'enfer. Quant à ces mots : "leur apparurent Moïse et Elie qui s'entretenaient avec lui", dans un autre évangile il est rapporté qu'ils lui annoncèrent ce qu'il allait souffrir à Jérusalem; ainsi se manifeste la Loi et les prophètes dont les paroles ont annoncé si fréquemment la Passion du Seigneur et sa Résurrection.

Et Pierre prenant la parole, dit à Jésus : "Seigneur, nous somme bien ici. Si tu veux nous y dresserons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, une pour Elie"

Parce qu'il était monté sur les montagnes, il ne veut pas descendre vers les lieux terrestres, mais toujours demeurer sur les hauteurs. Tu te trompes Pierre, et un autre évangéliste en témoigne : tu ne sais pas ce que tu dis. Ne va pas chercher trois tentes : il n'y en a qu'une, celle de l'Evangile qui doit récapituler la loi et les prophètes. Mais si tu vas chercher trois tentes, ne va pas mettre en parallèle les serviteurs avec le Maître. Dresse donc trois tentes, ou plutôt une seule, pour le Père, le Fils et le Saint-Esprit : leur divinité est une, qu'ils n'aient aussi qu'une seule tente, en ton coeur.

Et comme il parlait encore, voici qu'une nuée lumineuse les couvrit et de la nuée sortit une voix disant : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toute mon affection, écoutez-le".

A cause de sa sottise, la question de Pierre ne mérite pas une réponse du Seigneur. Mais le Père répond pour le Fils afin que soit accomplie la parole du Seigneur : "Ce n'est pas moi qui me rend témoignage, mais le Père qui m'a envoyé. C'est lui-même qui témoigne pour moi." Une nuée lumineuse apparaît, les couvre. Ainsi ceux qui demandaient une tente matérielle faite de branchages et de toile étaient ombragés d'une nuée lumineuse. On entend aussi la voix du Père qui parle du haut du ciel pour rendre témoignage au Fils, dissiper l'erreur de Pierre, lui apprendre la vérité, et, par lui, l'apprendre également aux autres apôtres. "Voici, dit-il, mon Fils bien-aimé". C'est à lui qu'il faut élever une tente, à lui qu'il faut obéir. "Lui est mon Fils", eux ses serviteurs. Tout comme vous, Moïse et Elie doivent aussi préparer une tente au Seigneur au plus intime de leur coeur.

En entendant ces paroles, les disciples tombèrent face contre terre et éprouvèrent une grande frayeur.

Trois causes à cette peur qui les terrifie : la reconnaissance de leur erreur, la nuée lumineuse qui les avait couverts, la voix de Dieu le Père frappant leurs oreilles. La fragilité humaine ne soutient pas la vue d'une gloire si grande; tremblant de tout son esprit et de tout son corps, elle tombe à terre. Plus les aspirations ont été élevées, plus l'écroulement est profond quand on a méconnu sa mesure.

Et Jésus s'approcha d'eux et les toucha.

Etendus à terre, ils ne pouvaient se relever. Aussi s'approche-t-il avec bonté, les touche pour chasser leur terreur par cet attouchement et rendre à leurs membres leur vigueur perdue.

Et il leur dit : "Levez-vous et n'ayez point peur."

Après les avoir guéris par sa main, il les guérit par son ordre : "N'ayez point peur." Il commence par dissiper leur peur pour pouvoir donner ensuite son enseignement.

Levant alors les yeux, ils ne virent plus que Jésus seul.

C'est avec raison, qu'après s'être relevés, ils ne virent plus que Jésus seul : si Moïse et Elie étaient restés jusqu'au bout avec le Seigneur, on aurait pu se demander à qui précisément la voix du Père rendait témoignage. Une fois la nuée dissipée, ils voient donc Jésus debout. Moïse et Elie ont disparu, parce que, lorsque l'ombre de la Loi et des prophètes dont le voile avait recouvert les apôtres s'est retirée, on retrouve leur double présence dans l'Evangile.

En descendant de la montagne, Jésus leur fit cette recommandation : "Ne Parlez à personne de cette vision avant que le Fils de l'homme ne ressucite d'entre les morts".

La préfiguration de sa royauté future, la gloire du triomphateur avaient été manifestées sur la montagne. Il interdit donc de révéler cela aux peuples de peur que, à cause de son caractère prodigieux, la chose ne soit incroyable, et qu'après une si grande gloire, la croix qui va suivre ne vienne provoquer le scandale en des esprits grossiers.

Et les disciples l'interrogèrent en disant : "Pourquoi donc les scribes disent-ils qu'il faut qu'Elie vienne d'abord ?"

Quand on ne connaît pas les raisons de la question posée par les disciples au sujet d'Elie, elle semble sotte et déplacée. Quels rapport entre les faits racontés plus haut et cette question sur la venue d'Elie ? C'est qu'il y a une tradition des pharisiens qui s'appuie sur le prophète Malachie - le dernier des douze- selon laquelle Elie doit venir, avant la venue du Sauveur, ramener le coeur des pères aux enfants et celui des enfants aux pères et tout rétablir en son état. Donc les disciples estiment que cette transformation glorieuse est celle dont ils avaient été témoins sur la montagne et ils disent : si tu es déjà venu dans la gloire, comment se fait-il donc que ton précurseur n'apparaisse pas, d'autant plus qu'ils avaient vu Elie disparaître. Lorsqu'ils ajoutent : "Les scribes disent qu'il faut qu'Elie vienne d'abord", en disant "d'abord", ils montrent que sans la venue d'Elie, l'avènement du Sauveur ne se fait point conformément aux Ecritures.

Et Jésus leur répondit : "Certes, Elie doit venir et il rétablira toutes choses. Mais, je vous le dis, Elie est déjà venu."

Celui-là même qui doit venir en sa réalité corporelle au second avènement du Sauveur est venu maintenant en vertu et en esprit en la personne de Jean, mais ils ne l'ont point reconnu et ils l'ont traité comme ils l'ont voulu, c'est à dire qu'ils l'ont méprisé et décapité.