Saint Jean Chrysostome

Homélie 1 sur la Première Epître aux Corinthiens

Paul, apôtre de Jésus-Christ par la vocation et la volonté de Dieu, et Sosthènes son frère, à l’Eglise de Dieu qui est à Corinthe, aux fidèles sanctifiés en Jésus-Christ, à ceux qui sont nommés saints, à tous ceux qui, en quelque lieu que ce soit, invoquent le nom de Jésus-Christ leur Seigneur et le nôtre ; grâce à vous et paix de la part de Dieu notre Père et de Jésus-Christ notre Seigneur.

1. Voyez comme dès les premiers mots il abat tout leur orgueil, comme il jette à terre toute leur présomption, en se déclarant lui-même un appelé. Ce n'est pas de mon propre fond ni par ma sagesse que j'enseigne, je persécutais l'Église et je la dévastais quand je fus appelé. Tout vient ici de celui qui appelle, et rien de celui qui est appelé, si ce n'est l'obéissance. « Du Christ Jésus. » Le Christ est votre Maître; et vous donnez ce titre à des hommes ? « Par la volonté de Dieu. » C'est Dieu qui a voulu de la sorte procurer votre salut. Pour notre part, nous n'avons aucun mérite, seule la volonté de Dieu nous a mis sur la voie du salut; il n'a consulté que lui-même en nous appelant, et nous n'en étions nullement dignes. « Et Sosthènes son frère. » Encore un exemple de modestie puisqu'il se range avec un homme qui lui est de beaucoup inférieur. Quelle différence, en effet, entre Paul et Sosthènes ! S'il fait ainsi disparaître une telle inégalité, que pourront dire pour leur excuse ceux qui méprisent leurs égaux ? « A l'Eglise de Dieu. » De Dieu, entendez bien, et non d'un homme quelconque. « Qui est à Corinthe. » A chaque mot qu'il prononce, il rabaisse leurs prétentions, partent il familiarise l'âme avec la pensée du ciel. C'est de plus pour montrer qu'elle doit être unie qu'il désigne ainsi l’Eglise. Dès qu'elle est de Dieu, non-seulement elle doit être unie, mais une, à Corinthe et dans l'univers entier. Le nom même d'Eglise ne comporte pas la division, il affirme l'union et la concorde.

« A ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ Jésus. » Jamais le nom d'un homme, toujours celui de Jésus. Mais qu'est-ce que la sanctification ? Le bain sacré, la purification. Il leur remet en mémoire leur première impureté, dont il les a délivrés lui-même; il leur enseigne l'humilité, en leur rappelant que leur sanctification n'est pas le fruit de leurs bonnes oeuvres, qu'ils en sont uniquement redevables à la bonté de Dieu. « A ceux qui sont appelés saints. » Acquérir le salut par la foi, dit l'Apôtre, n'est pas même une chose qui vienne de vous; car vous n'êtes pas venus de vous-mêmes, et vous n'avez fait que répondre à l'appel. Ce serait peu et ce peu n'est pas même entièrement de vous. Fussiez-vous venus les premiers, sujets que vous êtes à tant de misères, c'est à Dieu et non à vous que vous en seriez redevables. — Aussi disait-il écrivant aux Ephésiens : « Vous avez été sauvés par la grâce au moyen de la foi, et cela ne vient pas de vous. » Ephes., II, 8. La foi n'est donc pas tout entière votre fait : vous n'avez pas prévenu Dieu par un acte de foi, vous avez obéi simplement quand il vous appelait. « Et à tous ceux qui invoquent le nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur. » Le nom du Seigneur, et pas un autre. « En quelque lieu que ce soit, leur Seigneur est le nôtre. » Bien que sa lettre soit écrite aux Corinthiens, il fait mention de tous les fidèles répandus sur la terre entière, montrant que l'Eglise doit être une dans l'univers, malgré les distances qui la séparent, à plus forte raison dans la seule ville dont il s'agit.

Séparés par l'espace, les fidèles se réunissent dans le Seigneur, le même pour tous; cette union que Paul exprime en disant : « Leur Seigneur et le nôtre. » Ceci est plus décisif que cela. De même que des hommes réunis dans un seul lieu, s'ils ont des maîtres multiples et divisés entre eux, seront divisés eux-mêmes et ne trouveront pas dans l'unité de Dieu un moyen de concorde, leurs différents maîtres leur donnant des ordres contraires et les attirant chacun de son côté, d'après cette parole : « Vous ne pouvez pas servir Dieu et l'argent; » Matth., VI, 24; de même des hommes habitant en divers lieux, dès qu'ils n'ont qu'un seul maître, se trouvent par là même unis, et leur éloignement ne nuit en rien à cette harmonie des âmes. Je ne dis donc pas que vous, Corinthiens, vous deviez être d'accord avec les autres Corinthiens seulement; vous devez l'être avec tous les fidèles sans exception, en quelque partie du monde qu'ils habitent, parce que vous n'avez tous qu'un même Seigneur. — Voilà pourquoi la répétition du mot « nôtre. » Comme il venait de dire : « Le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, » ne voulant pas que les insensés eux-mêmes pussent croire qu'il établissait une distinction, il déclare aussitôt que leur Seigneur est celui de tous. Pour rendre cette explication plus évidente, voici comment je lirais : Paul et Sosthènes à l'Eglise de Dieu qui est à Corinthe, et à tous ceux qui invoquent le nom du Seigneur, de leur Seigneur qui est aussi le nôtre, en tout lieu, soit à Rome, soit ailleurs : « Grâce à vous et paix de la part de Dieu notre Père et de Jésus-Christ Notre-Seigneur. » Peut-être serait-il encore mieux et plus conforme au sens de lire ainsi : Paul et Sosthènes aux sanctifiés qui sont à Corinthe, à ceux qui sont appelés saints et à tous ceux qui invoquent le nom de Notre-Seigneur dans toute leur contrée comme dans la nôtre. Cela revient à dire : Grâce et paix à vous sanctifiés et appelés qui demeurez à Corinthe, et non seulement à vous, mais encore à tous ceux qui, en quelque lieu que ce soit, invoquent le nom de Jésus-Christ, leur Seigneur comme le nôtre.

Si la paix vient de la grâce, pourquoi vous enorgueillir ? Doit-on avoir de si superbes pensées quand on est sauvé par grâce ? Si vous êtes en paix avec Dieu, pourquoi vous donnez-vous à d'autres ? C'est toujours se séparer. De quel avantage vous sera l'accord avec tel ou tel homme, et sa faveur ? Ce que je désire, c'est que ce soit Dieu qui vous accorde ces deux choses et qu'elles se rapportent à lui comme elles en viennent. Elles ne se maintiendront même pas sans le secours d'en haut; si ce n'est pas pour Dieu qu'elles existent, elles seront sans utilité pour nous. De quoi nous servira d'avoir la paix avec tout le monde si nous sommes en guerre avec Dieu ? Et quel mal avons-nous à craindre de la guerre que tout le monde nous ferait si nous sommes en paix avec Dieu ? Mais aussi, tous les hommes auraient beau nous donner des louanges, que nous n'y gagnerions rien si nous avions encouru la disgrâce du Seigneur ; ils auraient également beau nous avoir tous en aversion et nous poursuivre de leur haine, que nous n'aurions à courir aucun danger si Dieu nous approuve et nous aime : la grâce et la paix véritables ne viennent que de Dieu. Celui qui possède une telle grâce ne craint personne, quelques maux qu'il ait à souffrir ; non seulement il ne craint pas l'homme, mais il ne craint pas le diable lui-même. Quand on offense Dieu, c'est tout le contraire, on est en défiance vis-à-vis de tous, quelque sécurité qu'on puisse avoir. La nature humaine est variable et changeante ; ce n'est pas seulement les amis et les frères qui changent ainsi, les parents eux-mêmes, pour un bien léger motif souvent, se sont mis à détester ceux auxquels ils avaient donné le jour, leur ont fait une guerre implacable, les enfants à leur tour ont repoussé leurs parents.

2. Examinez plutôt : David était agréable à Dieu, Absalom était agréable aux hommes ; or, vous savez la fin de l'un et de l'autre, vous savez quel est celui des deux dont la gloire est restée. Abraham avait l'approbation de Dieu, Pharaon celle des hommes ; pour gagner la faveur de ce dernier, ses courtisans lui livrèrent la femme du juste : il n'est pas nécessaire de demander lequel des deux eut en partage la gloire et le bonheur. Et pourquoi citer les justes ? Les Israélites étaient aimés de Dieu, haïs par les hommes qui habitaient l'Egypte ; et voilà qu'ils triomphèrent de leurs ennemis, de cette manière éclatante que vous connaissez tous. Voilà donc ce que nous devons avoir uniquement à cœur ; serait-on esclave, ce qu'il faut demander, c'est d'obtenir la faveur de Dieu plutôt que celle de son maitre ; une femme doit préférer l'amour du Sauveur son Dieu à celui même de son mari ; un soldat, la divine bienveillance à celle de son chef ou même du monarque : au fond, c'est le plus sûr moyen d'être agréable aux hommes. Mais comment obtiendrons-nous de plaire à Dieu ? Et de quelle autre façon que par l'humilité ? « Dieu résiste aux superbes, est-il écrit, et donne sa grâce aux humbles.... Un esprit brisé par la componction est un sacrifice à Dieu ; Dieu ne rejettera pas un coeur humilié. » Prov., 34; Psalm. L, Ill. Si l'humilité plaît tant aux hommes, combien plus ne plaira-t-elle pas à Dieu ? C'est ainsi que les Gentils trouvèrent grâce, et que les Juifs furent disgraciés ; ces derniers « ne se soumirent pas à la justice de Dieu. » Rom., X, 3.

L'humble est aimé de tout le monde, il vit toujours en paix, ayant supprimé toute occasion de guerre. L'accablerez-vous d'insultes et d'affronts, qu'il gardera le silence et le supportera avec douceur ; quoi qu'on lui dise, il est d'un calme que rien ne saurait exprimer, si bien qu'il reste en paix avec tous, et surtout avec Dieu. Les divins préceptes ont pour but de faire régner la paix parmi les hommes, et notre vie tout entière est bien ordonnée quand nous passons dans l'union fraternelle. Il ne nous est pas possible de faire tort à Dieu : cette nature est trop au-dessus de nos atteintes et de toute passion. Rien ne rend le chrétien admirable comme l'humilité. Ecoutez ce que dit Abraham: « Je ne suis que terre et cendre. » Gen., XVIII, 27. Dieu rend à Moïse ce témoignage, qu'il était le plus doux des hommes. Nul ne l'emporta jamais en humilité sur un homme qui, mis à la tête d'un si grand peuple, ayant englouti dans la mer comme un essaim de mouches l'armée des Egyptiens et leur roi, après avoir accompli tant de merveilles dans l'Egypte et la mer Rouge, lorsque les événements attestaient sa grandeur, agissait comme l'un de ses frères, se montrait le gendre le plus soumis, acceptait avec docilité les conseils de son beau-père. Il fut loin de les repousser, il fut loin de dire : Qu'est ceci ? Après que j'ai fait tant et de si grandes choses, vous venez encore me donner des conseils ? — Beaucoup néanmoins tiennent ce langage et repoussent les conseils même les plus parfaits, à cause de l'humble condition de la personne qui les donne. Ainsi n'agissait pas Moïse, et son humilité le guidait sûrement en tout. Il dédaigna les palais des rois, parce qu'il était humble ; l'humilité rend un entendement sain et lui communique une grande élévation. N'était-ce pas d'une noble intelligence et d'un coeur généreux de fuir avec mépris la demeure et la table royales ? Chez les Egyptiens, les rois étaient honorés comme des dieux, ils avaient des richesses immenses. Voilà cependant un homme qui renonce à tout cela, qui tourne le dos au sceptre de l'Egypte, pour aller de préférence avec les captifs et les opprimés, sans cesse occupés à pétrir l'argile, et que tous les Egyptiens avaient en horreur, comme il nous l'apprend lui-même. On ne saurait donc pas douter que son humilité ne l'eût rendu grand et magnanime. L'orgueil provient d'un esprit bas et d'une âme sans générosité, tout comme la modestie, d'un esprit sublime et d'une âme supérieure.

3. Si vous le voulez bien, éclairons ces deux points par des exemples. Quelle âme plus haut placée, je vous le demande, que celle d'Abraham? Et c'était lui qui disait : « Je ne suis que terre et cendre ; » Genes., XVII, 27; il avait dit encore: « Qu'il n'y ait pas de lutte entre toi et moi. » Dans son humilité, il dédaigna les dépouilles des Perses, il ne fit aucun cas des trophées remportés sur les barbares. Or, cela ne peut s'expliquer que par sa grandeur d'âme et l'élévation de ses sentiments. Celui-là seul a de tels sentiments qui est vraiment humble ; ni la flatterie, ni la dissimulation ne peuvent y prétendre. Autre chose est la magnanimité, autre chose est l'arrogance ; et cela se comprend sans peine; supposez un homme qui méprise la boue parce qu'il n'y voit que de la boue ; supposez-en un autre qui l'estime et l'admire parce qu'il y voit de l'or. Quel est celui dont l'âme est élevée ? n'est-ce pas celui qui méprise la boue ? Quel est celui dont l'âme est abjecte et vile ? n'est-ce pas celui qui la tient pour digne d'admiration et d'estime ? Raisonnez de même ici ; regardez comme grand l'homme qui se déclare terre et cendre, bien qu'il parle ici par humilité ; regardez comme méprisable l'homme qui, bien loin de tenir ce langage, se glorifie dans ses paroles et ses pensées, puisqu'il attache du prix à des choses sans importance. C'est donc évidemment une noble inspiration que celle du Patriarche quand il s'écrie : « Je ne suis que terre et cendre; » c'est là de l'élévation, et nullement de l'orgueil.

De même que dans les corps il ne faut pas confondre la vigueur et l'embonpoint véritables avec l'enflure des humeurs, quoique la chair domine des deux côtés, l'une étant saine et l'autre corrompue ; de même il ne faut pas confondre l'arrogance, ce débordement de mauvaises humeurs, avec la sublimité de l'âme, expression de la véritable vigueur. Prenez encore un homme d'une taille élevée ; un autre, plus petit d'ailleurs, parvient à le dépasser par tout un système de chaussures; quel est celui que nous appellerons grand, dont nous admirerons la taille, dites-moi ? n'est-ce pas celui qui tient cet avantage de la nature ? L'autre n'a qu'une grandeur empruntée, il ne paraît grand que par un entassement de petites choses. Voilà ce que la plupart des hommes font, ils s'élèvent par-dessus les richesses ou la renommée, ce qui ne sera jamais de l'élévation personnelle. L'homme élevé, c'est celui qui n'a besoin d'aucun de ces moyens et qui les dédaigne tous, sûr qu'il est de lui-même.

Voulons-nous donc être grands, soyons humbles ; «car celui qui s'humiliera sera exalté,» est-il écrit. Matth., XXIII, 12. Tel n'est pas le superbe, il est le dernier des hommes, enflé comme un ballon, mais n'offrant rien de solide et de vrai. Aussi désignons-nous ces hommes par cette enflure même. Celui dont les sentiments sont modérés ne s'enorgueillit pas même dans la grandeur, connaissant bien sa bassesse, l'autre, celui dont la bassesse n'est que trop réelle, s'enorgueillit dans des choses de néant. Elevons-nous donc par les degrés de l'humilité; considérons les misères de la vie présente, pour allumer en nous le désir des biens futurs. On ne peut pas autrement devenir humble que par l'amour des choses de Dieu et par le mépris des choses présentes. Celui qui doit un jour monter sur le trône, estimera comme de nulle valeur toute distinction particulière qu'on pourrait lui présenter, parce qu'il a toujours la pourpre en perspective. Ainsi repousserons-nous avec dédain tout ce que nous offre la terre, si nous désirons sincèrement le bonheur du ciel. Voyez les enfants, jouant aux soldats, se rangeant en bataille, mettant en avant les hérauts et les licteurs : au milieu d'eux s'avance un général du même âge. C'est bien puéril, n'est-ce pas ? Non moins puériles sont les occupations des hommes, elles inspirent même plus de pitié ; elles frappent aujourd'hui, demain elles ne seront plus.

Soyons donc au-dessus de ces choses, et, loin de désirer les biens de ce monde, rougissons-en si l'occasion se présente de les acquérir. Rejetant de notre coeur une telle concupiscence, nous acquerrons le bonheur divin et la gloire immortelle. Puissions-nous tous y parvenir, par la grâce et la charité de notre Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire, puissance, honneur, en même temps qu'au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.