Saint Augustin
Sa vie
Cette biographie doit beaucoup à l'ouvrage de Peter BROWN : La vie de Saint Augustin.
1. Saint Augustin est né en 354 dans la ville de Thagaste (aujourd'hui Souk Ahras, Algérie) située dans la zone d'influence de Carthage, à plus de 300 kms de la mer. Nous connaissons bien sa vie par le récit qu'il en a fait dans" Les Confessions", ouvrage qu'il écrivit vers l'âge de 43 ans, alors qu'il était devenu évêque d'Hippone. Elle est tout entière placée sous l'influence de sa mère, Monique qui voulut lui donner une formation non seulement chrétienne mais aussi romaine.
C'est en 371 qu'il poursuit ses études à Carthage où, selon ses propres termes "Bouillonnait le fracas des honteuses amours". C'est là qu'il prend une concubine, dont le nom est resté inconnu, et aura un fils, Adéodat, qui mourra par la suite.
A 19 ans, il fait l'expérience d'une première conversion religieuse. Il l'explique ainsi dans les Confessions :
Que dit Cicéron dans l'Hortensius ? "... Plus un homme aura agi sans se détourner de sa voie, c'est à dire conformément à la raison et au désir d'approfondir ses recherches, et moins il se sera mêlé et aura pris part aux vices et aux égarements des hommes, plus l'ascension et le retour au ciel lui seront faciles." C'est vraiment une conception très différente de celle d'aujourd'hui, la philosophie étant conçue avant tout comme amour de la sagesse. A la différence, évidemment, que pour Augustin, une sagesse païenne ne signifiait rien, il lui fallait une sagesse dans le Christ. Car le Christ à cette époque n'était pas représenté comme un sauveur souffrant et humilié - il n'y avait pas de crucifix au IVè siècle - mais sous la forme d'un Maître enseignant la philosophie à un groupe de disciples, un philosophe formant d'autres philosophes...
Un manichéen
Mais parmi les groupes de chrétiens de l'intelligentsia de Carthage, un certain nombre, remarquablement cultivés, rejettaient l'Ancien Testament qu'ils jugeaient vide et dénué de spiritualité : ils prétendaient "mettre de côté la contrainte et l'autorité et par la pure et simple raison introduire auprès de Dieu ceux qui voudraient bien les écouter" et se considéraient comme un groupe de chrétiens intégraux, les catholiques n'étant que des demi-chrétiens.
Augustin fréquenta pendant 9 ans ces groupes dits "manichéens", du nom de leur prophète, Mani. Les manichéens formaient une petite secte : de passage dans une ville, leurs membres ne pouvaient séjourner que chez un autre manichéen. Mais ils répondaient à une question qui commençait à tourmenter Augustin : "Pourquoi faisons-nous le mal ?" Or si Dieu est bon, il doit être défendu contre le plus léger soupçon d'être, directement ou non, responsable du mal. D'où le dualisme des manichéens : il existe une force égale en puissance à Dieu mais qui appartient au royaume des ténèbres; il faut donc créer une barrière étanche entre la partie bonne de l'âme et la partie mauvaise. Mais les manichéens ont une conception passive du bien et c'est ce qu'Augustin, devenu évêque critiquera le plus dans le manichéisme : le royaume des ténèbres ayant envahi par effraction le royaume de lumières, il était la force active, l'autre étant envahi et passif, il n'y a plus de tension entre le bien et le mal, seul le mal est doté d'une énergie.
Départ pour Rome
En 375, Augustin revient dans sa ville natale comme professeur de lettres. Mais pour Monique, les manichéens étaient des hérétiques et elle le chassa de sa maison. C'est grâce à un rêve qu'elle s'apaisa, ayant acquis la certitude que son fils reviendrait vers la vraie religion.
En 376, Carthage était encore la 2ème ville de l'Empire d'Occident : "son magnifique port artificiel, ses avenues régulièrement ombragées d'arbres, son front de mer ouvert sur le vaste monde, s'offraient au regard d'Augustin qui y enseignait la rhétorique. Ses élèves étaient de turbulants jeunes gens envoyés par leur riches parents afin de faire de "bonnes études" et d'apprendre Cicéron". Dans cette ville, Augustin se lie d'amitié avec des personnages importants et entrevoit une carrière de haut fonctionnaire à Rome, tout en s'éloignant des manichéens, désormais persécutés par le pouvoir. Ses amis n'ont pas de mal à le convaincre de partir en lui promettant les meilleurs salaires et de grands honneurs, ce qu'il fait en 382. C'était compter sans Monique : "Elle pleura mon départ et me suivit jusqu'à la mer, mais je la trompais, alors qu'elle se cramponnait violemment à moi, soit pour me faire revenir, soit pour partir avec moi : je feignis de ne pas vouloir laisser seul un ami qui attendait le vent pour embarquer... Et j'ai menti à ma mère !". Mais il tombe malade peu après, le "châtiment par la maladie" comme il dira dans les Confessions, et connaît une grave désillusion sur ses ambitions romaines. Heureusement, il est recruté par Symmaque, préfet de Milan, qui recherche un professeur de rhétorique pour la ville. Comme la cour impériale résidait à Milan, le professeur de rhétorique était chargé de prononcer les panégyriques officiels de l'empereur et des consuls.
Brillante carrière à Milan
Une société brillante était née autour de la Cour. Des poètes venaient à Milan jusque d'Alexandrie et les oeuvres des philosophes grecs étaient lues à la fois par les clercs de l'Eglise et les grands propriétaires dans leurs villas face aux Alpes. Augustin se jeta avec frénésie dans la vie de la cité, avec toute l'énergie de sa nouvelle ambition. Mais c'est aussi la période où il fait connaissance avec Ambroise, évêque de la ville ("Et je vins à Milan et fus jeté aux pieds d'Ambroise, son évêque"). Ambroise avait 14 ans de plus que lui et était un représentant caractéristique de la classe dirigeante romaine de son temps; il était gouverneur de Ligurie, lorsqu'il se vit brutalement élu, malgré lui, évêque. Il allait avoir l'occasion de révéler sa forte personnalité : en février 386, Justine, mère de l'empereur, voulait livrer une des églises à l'usage des ariens de la Cour; Ambroise refusa tout net d'abandonner l'église en question et triompha de ce litige malgré les menaces, en ayant cette formule : "Lorsque je suis faible, c'est alors que je suis puissant". La religion d'Ambroise se détournait radicalement du monde sensible. A ses yeux, un homme s'identifiait à son âme, le corps n'étant qu'une simple guenille. Une pensée fondamentale s'exprime à travers toute la prédication d'Ambroise : sous la lettre opaque et rebutante de l'Ancien Testament, son seul sens caché, l'Esprit, appelle notre âme à prendre son essor et à s'envoler vers un autre monde.
Il est difficile aujourd'hui de comprendre à quel point une telle orientation hors du monde sensible a pu apparaître radicalement révolutionnaire à Augustin; excepté les platoniciens, la plupart des penseurs du monde antique étaient des matérialistes : pour eux, le divin, bien qu'infiniment plus beau, plus noble et moins changeant que le reste du monde, n'en était pas moins aussi un élément de celui-ci.
Le platonicien
C'est par Plotin et surtout Porphyre, son disciple qui traduisit ses oeuvres en latin, que les milanais ont découvert la doctrine authentique de Platon. Après une longue phase d'ésotérisme, la philosophie de Platon, réconciliée avec celle d'Aristote, était apparue comme "la seule culture philosophique parfaitement vraie".
Aux yeux d'un platonicien chrétien, le platonisme semblait converger tout naturellement vers le christianisme : tous deux visaient le même but, tous deux tendaient vers l'au-delà de l'univers empirique. Le Christ avait dit : "Mon royaume n'est pas de ce monde" et Platon avait dit la même chose de son royaume des idées. Pour Ambroise, les disciples de Platon représentaient "l'aristocratie de la pensée". Augustin, influencé par les sermons d'Ambroise qui "pillaient" littéralement l'oeuvre de Plotin, dévora les livres de Plotin, Platon et Porphyre.
Une question le taraude en particulier : pourquoi la beauté du monde physique est-elle si superficielle, si éphémère, si désolante par son impermanence ? N'était ce pas qu'elle était une émanation d'une source profonde et intérieure de beauté perceptible par l'esprit seulement ? Tel était le problème soulevé par Plotin. L'âme elle-même à ses yeux refléte ce processus de dégradation; car il y a une chute de l'âme, elle perd le contact avec son activité la plus profonde et cherche dans le monde extérieur la beauté qu'elle n'est plus capable de trouver en elle-même. L'un des ouvrages de Plotin était consacré à montrer que le monde spirituel était le fondement de l'univers de l'espace et du temps tout en demeurant bien distinct de lui, résolvant du même coup la difficulté soulevée par les manichéens. Plus encore, dans les Ennéades, Plotin soutient passionnément que la puisance du Bien conserve toujours l'initiative, allant à l'encontre de la vision manichéenne : "Le Mal n'existe pas isolément grâce au pouvoir et à la nature du Bien; il se montre nécessairement pris dans les liens de la Beauté comme un captif couvert de chaînes d'or; ces liens le cachent afin que sa réalité soit invisible aux dieux, afin qu'il ne soit pas toujours devant le regard des hommes et afin que ceux-ci, même lorsqu'ils le voient, puissent, grâce aux images qui le recouvrent, se souvenir de la Beauté et s'unir à elle."
Le catholique
Pour Augustin, c'est un bouleversement de la pensée et de la vie spirituelle : "J'ai découvert que j'étais loin de Toi dans la région de la dissemblance comme si j'entendais Ta voix me dire des hauteurs : 'Je suis l'aliment des grands, grandis et tu me mangeras et tu ne me changeras pas en toi, mais c'est toi qui sera changé en moi."
Pour autant, Augustin n'avait pas encore opté définitivement pour le catholocisme : il y avait des platoniciens païens qui considéraient le mythe chrétien de la rédemption - cette incarnation, cette crucifixion, cette résurrection - comme une innovation barbare surajoutée aux enseignements de leur maître. Ils acceptaient que l'on grave au fronton des églises "Au commencement était le verbe" mais ne pouvaient admettre que saint Jean ait poursuivi par : "le verbe s'est fait chair". Par ailleurs, une autre division, aussi grave, apparaissait sur l'autonomie spirituelle : dans quel mesure un homme était-il capable d'assurer son salut uniquement par ses propres moyens ? Les platoniciens s'étaient toujours sentis capables de proposer une vision de Dieu à laquelle l'homme puisse accéder de lui-même, sans aide extérieure, par la seule ascension "rationnelle" vers le royaume des idées, ce que refusaient les chrétiens.
Mais Augustin, sur les conseils d'un vieux prêtre, Simplicianus, entreprend le lecture de Saint Paul, qu'il avait déjà survolé à l'époque manichéenne, et est convaincu de se faire baptiser. Il est vrai qu'il pouvait méditer sur les homélies de Saint Ambroise : "Jusqu'à quand vos plaisirs ? Jusqu'à quand vos banquets ? Le jour du jugement est là qui vient : tandis que tu retardes la grâce (du baptème), la mort approche. Qui dira alors : Je n'ai pas le temps, je suis trop occupé ?".
Sous l'effet d'une nouvelle maladie, il démissionne de ses fonctions et se retire à la campagne avec sa mère et un groupe d'amis; il se sent las, malade et s'adonne longuement à la prière en versant "un flot de larmes". Après cette retraite, il décide de rentrer à Thagaste et d'appartenir au groupe de chrétiens dits "les serviteurs de Dieu".
Prêtre et évêque d'Hippone
Augustin est désormais un contemplatif et en 391 il se rend à Hippone pour y fonder un monastère. Mais tout se passe très vite à cette époque car l'Eglise doit recruter pour faire face aux besoins croissants des demandes de conversion qui affluent. Au cours d'un sermon, l'évêque de la ville, Valerius évoqua avec force ces besoins urgents; les fidèles présents, trouvant Augustin au milieu de la foule s'emparèrent de lui et l'amenèrent de force à l'évêque, assis sur un trône surelevé au fond de l'abside, qui accepta son "consentement" un peu forcé à devenir un des prêtres de la ville. Les catholiques d'Hippone était encore une minorité et devaient affronter une église rivale et puissante, celle des donatistes, soutenue par les riches propriétaires terriens de l'endroit. "
Je craignais tant la charge épiscopale, que, dès que ma réputation eut commencé à me compter parmi les serviteurs de Dieu, je me gardais d'aller là où on était à la recherche d'un évêque, j'y veillais avec soin et je faisais tout mon possible pour chercher le salut dans une humble position plutôt que de risquer de périr dans un rang élevé. Mais, comme je l'ai dit, un serviteur ne peut s'opposer à son maître. Je vins dans cette ville pour voir un ami que je pensais pouvoir gagner à Dieu et l'inviter à partager notre vie dans le monastère. J'étais tranquille puisque Hippone était pourvue d'un évêque. Je fus empoigné, fait prêtre, et cela me conduisit finalement à l'épiscopat."
Hippone est une ville portuaire qui sert à exporter les riches produits agricoles de la plaine fertile de la Seybouse : "Les habitants d'Hippone étaient prospères, non parce qu'ils se servaient de la mer pour le commerce, mais parce qu'ils produisaient plus de nourriture qu'il ne leur en fallait. Le long de la vallée de la Seybouse, les vignobles étaient soigneusement entretenus, les contreforts du Djebel Edough disparaissaient sous les vergers verts sombre d'oliviers et les champs de blé resplendissaient dans la plaine." [Peter BROWN La vie de saint Augustin. ]
Comme évêque, Augustin est confronté aux riches familles de propriétaires terriens qui dominent la vie de la cité romaine, et désormais chrétienne, mais encore tout imprégnée de paganisme. Il n'a pas seulement une fonction religieuse, mais aussi un rôle de juge civil dans les procès par son arbitrage incorruptible. Il mène aussi un combat perpétuel contre les jeux publics et le gaspillage qui en résulte en essayant de convaincre les habitants d'utiliser plutôt ces fonds à l'aumône. Son tempérament impétueux le porte à des jugements sévères sur la masse de ses contemporains et il doit réprimer en permanence cette tendance au dénigrement. La médisance, notamment à l'égard des donatistes, en perte de d'influence, est proscrite à l'évéché et il fait inscrire dans le réfectoire de la communauté : "Quiconque se plaît à médire de la vie des absents doit savoir que cette table n'est pas faite pour lui."
Les 15 dernières années de sa vie furent bien remplies : lutte contre le pélagisme, et notamment un de ses représentants les plus talentueux, Julien d'Eclane avec toujours présente cette controverse sur l'origine du mal dans le monde, fruit du péché originel pour Augustin. Or pour Julien d'Eclane, les tous petits doivent être considérés comme innocents et sa charge contre Augustin est féroce :
Augustin répond qu'il importe de "distinguer la justice de Dieu des conceptions humaines de la justice". La justice divine est insondable, la culpabilité d'Adam d'une gravité inexprimable, dépassant de loin l'expérience des hommes d'aujourd'hui : un péché échappant à la raison humaine et qui se transmettait d'une manière "il faut le dire, mystérieuse". Julien pouvait bien déclarer le nouveau-né innocent, mais l'oeil de Dieu voyait plus profond, la mince écorce d'équité humaine se craquelait en entendant Dieu déclarer : "Je ferai retomber les péchés des pères sur les enfants". Dieu dans son omniscience ne pouvait se tromper et voyait des choses que nous ignorions.
Il passe aussi beaucoup de temps à remettre en ordre sa bibliothèque et à classer ses oeuvres innombrables tout en continuant à écrire, résister à l'invasion de l'Afrique du nord par les vandales et assurer sa succession à l'épiscopat. Le 26 septembre 426, il officialise au cours d'une cérémonie solennelle la nomination à ce titre du prêtre Eraclius.
Il meurt le 28 août 430, juste avant qu'Hippone ne soit évacuée et en partie incendiée, mais la bibiothèque de ses oeuvres échappera miraculeusement à la destruction.