Saint Jean Chrysostome

Homélie 9 sur l'Epitre aux Corinthiens : l'éternité de l'enfer

1. Ce n'est pas une question de peu d'importance qui s’offre à nous ; elle touche à tout ce qu'il y a de plus nécessaire, à ce que les hommes désirent le plus savoir, si le feu de la géhenne doit avoir une fin. Qu’il ne doive pas en avoir, le Christ l’avait déjà dit en ces termes : « Leur feu de s'éteindra jamais : et leur ver ne mourra pas. » Marc., IX, 45. Je sais bien que de telles paroles nous donnent le frisson ; mais que faire ?
Dieu nous ordonne d'y revenir toujours : « commande à ce peuple » nous dit-il ; et nous sommes établis pour exercer le ministère de la parole ; il faut que je sois à charge à mes auditeurs, non de plein gré, sans doute, mais contraint par la nécessité. Si vous le voulez du reste, notre ministère ne vous pèsera pas. Vous n'avez qu'à faire le bien dit l’Apôtre, et vous ne craindrez pas. Il dépend de vous de nous entendre, non seulement sans peine, mais encore avec plaisir. Je le répète donc, le Christ s’est prononcé sur l'éternelle durée de la géhenne. Paul atteste la même vérité quand il déclare que les pêcheurs subiront de terribles continuels supplices. Il dit encore : « ne vous y trompez pas, ni les fornicateurs ni les adultères, ni les mous, n'auront jamais en partage le royaume de Dieu » I Cor.VI, 9-10. Aux hébreux il tenait ce langage : « Recherchez la paix avec tous ainsi que la sanctification en dehors de quoi nul ne verra le seigneur. » Hébr. XII, 14. A ceux qui diront au Christ : « En votre nom nous avons opéré beaucoup de prodiges » il répondra : « éloignez-vous de moi artisans d'iniquité, je ne vous connais pas. » Matth. VII, 22-23. Les vierges folles demeurèrent exclues et n’entrèrent pas. Il est dit de ceux qui ne le l’ont pas nourri : « Ceux-là iront à d’éternels supplices » Ibid., XXV, 46.

Ne me faites pas cette objection : où se trouve ici l’équité quand la peine ne doit pas avoir de fin ? - dès que Dieu fait une chose, ou dès qu'il a parlé, vous n'avez qu'à vous soumettre et vous ne devez pas discuter sa parole avec des raisonnements humains. Et d'ailleurs comment ne serait-il pas juste qu'un être comblé de bienfaits dès le commencement et qui commet ensuite des actes dignes de répression, sans qu'on puisse le ramener à la vertu, ni par les menaces, ni par de nouveaux bienfaits soit condamné au supplice. Si vous en venez au droit rigoureux, nous avions encouru notre perte au premier instant déjà : c'était l’arrêt de la justice. Disons mieux, ce n'eût pas été justice seulement, c’eût été miséricorde qu’un tel sort nous fût infligé. Quand on insulte quelqu'un qui ne nous a fait aucun mal, il est juste qu'on soit châtié.

Supposez maintenant un bienfaiteur qui n'avait lui-même rien reçu de nous et qui n'a cessé de nous faire du bien, un bienfaiteur qui est la cause première de notre existence, ce Dieu dont le souffle a créé notre âme, et qui nous a prodigué tout ses dons, qui n'a d'autre but que de nous introduire au ciel ; si nous l’outrageons après tant de bienfaits, si même par nos actes nous renouvelons chaque jour nos outrages, quelle indulgence mériterons-nous ? Ne voyez-vous pas comme il punit Adam pour un seul péché ? - Sans doute me répondrez-vous mais il l'avait placé dans le paradis il l’avait entouré de sa bienveillance ; et ce n'est plus la même chose d’offenser Dieu quand on jouit d’une profonde sécurité, et de commettre la même faute quand on vit au sein des tribulations.- Voilà précisément ce qui vous rend inexcusable, que vous commettiez le péché, non plus dans le paradis mais parmi les maux de la vie présente, et que la souffrance ne vous ait pas rendu plus prudent : on dirait un prisonnier que sa chaîne ne détourne pas du crime. Dieu vous a promis d'ailleurs mieux que le paradis. S’il n’a pas immédiatement réalisé sa promesse c'est pour ne pas vous amollir dans le temps des combats ; il n'a pas non plus gardé le silence pour que vous ne succombiez pas dans les labeurs. A cause d'un seul péché la mort épuisa tous ses coups sur le premier homme ; et nous commettons chaque jour d'innombrables péchés. Or s'il attira sur sa tête un si grand malheur et la mort même pour cet unique péché, que n’aurons-nous pas à souffrir, nous qui pêchons sans cesse, nous à qui le ciel était promis au lieu du paradis terrestre ?

Il est dur de l'entendre, ce discours vous fatigue ; je le sais bien, et je le sais parce que je souffre moi-même : mon cœur est dans le trouble et l’effroi ; plus la démonstration de l'enfer devient évidente pour moi, plus je tremble et recule d’horreur. C'est une nécessité pourtant de dire ces choses si nous ne voulons pas tomber dans l'enfer. On ne vous a pas donné le paradis avec ses arbres et ses plantes, mais le ciel et les biens célestes. Si celui qui avait moins reçu fût condamné et n’eût aucun moyen d'éluder sa sentence, à plus forte raison aurons-nous à subir d'intolérables châtiments, nous, beaucoup plus coupables et favorisés d’une plus haute vocation. Songez à ce long espace de temps pendant lequel notre race demeure plongée dans la mort à cause d'une seule faute. Cinq mille ans et plus se sont écoulés, et l'empire de la mort fondée sur cette étroite base n'est pas encore détruit. Nous n'avons pas à dire pour l'expliquer qu'Adam eut entendu quelque prophète, ou qu’il ait vu l'exemple d’un criminel puni et qu’il eût dû par là même devenir plus prudent et plus sage. Non ; il était le premier, il était seul et toutefois il n'échappa pas au supplice. Rien de pareil ne milite pour vous : c'est après des exemples sans nombre, après avoir reçu l'Esprit divin, que vous êtes tombés dans la dégradation ; commettant le péché, non une ou deux ou trois fois, mais un nombre incalculable de fois. Ne considérez pas que le péché ne dure qu'un instant et n’en concluez pas que la punition ne durera pas davantage. Ne voyez-vous pas des hommes qui, pour un seul vol, pour un adultère, pour un égarement instantané passent leur vie tout entière dans les prisons et les mines, consumés par la faim en butte à mille morts ? Et personne qui tente de les délivrer ou qui dise que la faute commise a très peu duré, qu'il faut mettre en rapport le temps de la faute et celui de la peine.