Saint Jean Chrysostome

Homélie 3 sur l'Epître aux Romains

« Là se révèle la colère de Dieu, qui fondra du haut du ciel sur toute impiété et sur l'iniquité des hommes qui retiennent la vérité dans l'injustice. »

1. Voyez la prudence de Paul, faisant ainsi succéder dans son discours de terribles pensées à des pensées consolantes. Après avoir dit que l'Évangile est une source de salut et de vie, la puissance même de Dieu, un principe actif de justification et de sainteté, il en vient à ce qui doit pénétrer de crainte les esprits indociles à de tels enseignements. Comme la plupart des hommes se laissent moins entraîner à la pratique de la vertu par des promesses que par des menaces, il met en jeu ce double ressort. Dieu lui-même ne se borne pas à promettre le royaume, il annonce aussi les tourments de l’enfer; et les prophètes, en parlant aux Juifs, ne cessent de rappeler la perspective du supplice à celle du bonheur. Ces mêmes aspects se retrouvent dans l’Apôtre, non point au hasard, mais avec cet ordre que nous avons remarqué : il passe de l’espérance à la terreur, nous faisant ainsi comprendre que notre bien est la première pensée Dieu, et que notre malheur est le résultat de la corruption et de la négligence. Telle était la marche suivie par le Prophète : « Si vous consentez à m'écouter, vous aurez en abondance les fruits de la terre; si vous ne voulez pas, si vous refusez de m'écouter, vous serez dévorés par le glaive. » Isa., I, 19-20. Paul procède ici de la même manière. Le Christ est venu, dit il, nous apportant le pardon, la justice, la vie, avec cette circonstance qu'il nous a tout donné par la croix; ce qu'il y a de plus grand et de plus admirable, c'est qu'il ait voulu subir tant de douleurs pour nous prodiguer tant de grâces. Si vous dédaignez donc sa générosité, n'attendez plus que des tortures. — Notez le ton d'élévation que prend son discours : « La colère de Dieu se manifeste du haut du ciel-. Comment le savez-vous ? nous dira-t-on. — Si c'est un fidèle qui parle, nous citerons les sentences mêmes du Christ; si c'est un infidèle, un Gentil, Paul leur ferme la bouche par ce qui suit, puisqu'il va traiter du jugement de Dieu, tirant un argument irréfragable de leurs propres actions. Chose étrange, il nous montre les adversaires de la vérité concourant à rendre la vérité plus évidente par ce qu'ils font et disent chaque jour.

Mais cela ne vient que dans la suite ; appliquons-nous maintenant au texte que nous avons sous les yeux : « La colère de Dieu se manifeste du haut du ciel. » On le voit fréquemment dans la vie présente : les famines, les pestes et les guerres en sont les instruments ; les individus et les peuples sont également frappés. Qu'y aura-t-il donc de particulier ? C'est que le châtiment sera plus terrible, tombera sur tous, ne s'exercera pas par les mêmes moyens; car notre amendement en est aujourd'hui le but, alors ce sera simplement une peine. Paul établit cette vérité quand il dit : « Nous sommes corrigés maintenant, pour n'être pas enveloppés dans la condamnation du monde. » I Cor., XI, 32. La colère de Dieu n'éclate pas ici-bas dans toute sa puissance, et les fléaux sont regardés comme un effet de la perversité des hommes; mais elle sera manifeste alors, quand le juge assis sur son redoutable tribunal fera jeter les uns dans la fournaise, les autres dans les ténèbres extérieures, infligeant à tous d'intolérables tourments auxquels nul ne pourra se dérober. Pourquoi ne dit-il pas ouvertement que le Fils de Dieu doit venir avec des myriades d'anges pour faire subir à chacun de nous son jugement ? Pourquoi dit-il : « La colère de Dieu se manifeste ? » Ses auditeurs étaient encore des néophytes; il cherchait donc à les attirer d'abord par les choses qui leur étaient le mieux connues et qui sont les plus évidentes.

Il me parait aussi s'adresser aux Gentils, et c'est pour cela qu'il commence de la sorte; en avançant, il touche au jugement du Christ. « Sur toute impiété et sur l'iniquité des hommes qui retiennent la vérité dans l'injustice. » Il nous fait voir là que l'impiété revêt bien des formes diverses, et que la vérité n'en a qu'une. Cela tient à la nature multiple, changeante et confuse de l'erreur, comme à la nature immuable de la vérité. De la doctrine il descend aux réalités de la vie en parlant de l'injustice des hommes. Il y a plusieurs genres d'injustice aussi : elle ne porte pas uniquement sur les biens matériels, et ce n'est pas le seul préjudice qu'elle puisse causer au prochain ; elle peut avoir pour objet les liens sacrés du mariage, ce qui a lieu quand un homme séduit la femme d'un autre. C'est ce que Paul appelle également une fraude, quand il dit : « Que nul de vous n'opprime et ne fraude son frère dans une chose quelconque. » I Thessal.,IV, 6. D'autres s'attaquent, non à la femme ou à l'argent, mais à la réputation du prochain : c'est encore une injustice ; car, « mieux vaut un nom sans tache qu'une grande fortune. » Prov., XXII, 21. Quelques interprètes pensent que Paul entendait alors parler de dogmes; mais rien n'empêche d'accepter ce sens sans renoncer au premier. Que signifie cette expression : « Retenir la vérité dans l'injustice ? » La réponse nous est donnée par la suite du texte. « Car ce que nous pouvons connaître de Dieu est pour eux chose manifeste ; Dieu même le leur a fait connaître. » Mais ils ont prostitué cette gloire au bois et à la pierre.

2. Représentez-vous un homme à qui sont confiées les finances du chef de l'Etat, et qui, devant les employer à son service et pour son honneur, les dépenserait pour entretenir des pillards, des femmes perdues et des charlatans, qu'il ferait ainsi briller aux dépens du monarque ; il serait assurément châtié comme ayant fait la plus grave injure à la majesté royale. Tels se sont montrés ces philosophes qui, possédant la connaissance de Dieu et de sa gloire, l'ont ensuite prostituée aux idoles, retenant ainsi la vérité dans l'injustice, et profanant cette science autant qu'il était en eux, par l'usage indigne qu'ils en ont fait. Comprenez-vous assez la parole de l'Apôtre, ou devons-nous l'expliquer encore plus clairement ? Peut-être sera-t-il utile d'insister. Que signifie donc cette parole ? Dieu, dès le principe, a gravé sa connaissance dans l'esprit humain, et les Gentils, en la transportant à des statues de bois et de pierre, se sont rendus coupables envers la vérité du tort le plus grave qui fût en leur pouvoir; car elle est immuable et sa gloire ne saurait être transférée. — Et comment savez-vous, ô Paul, que cette connaissance fut donnée primitivement aux hommes? — « Parce que ce qu'on peut découvrir de Dieu, ils le voyaient en eux-mêmes. » — Mais ce n'est là qu'une affirmation, ce n'est pas une preuve ; prouvez-moi donc et montrez-moi que la connaissance de Dieu leur était manifeste, et qu'ils l'ont volontairement profanée. D'où leur venait-elle ? Dieu lui-même leur avait-il parlé ?—Non, sans doute; mais il avait agi de manière à gagner leur assentiment beaucoup mieux que par une voix quelconque, ils avaient sous leurs yeux le spectacle de la création, par lequel l'ignorant comme le savant, le Scythe, le barbare peuvent remonter sans effort de la beauté des choses visibles à la pensée du Créateur. De là ce que Paul ajoute : « Les choses invisibles de Dieu se comprennent par la création du monde et se voient dans ses oeuvres. » Telle était aussi la pensée du Prophète quand il disait : « Les cieux racontent la gloire de Dieu. » Psalm. XVIII, I. Que diront les infidèles au jour du jugement ? Diront-ils : Nous ne vous avons pas connu ? — Quoi! vous n'avez pas entendu le ciel, dont l'aspect est une voix éclatante ? vous n'avez pas entendu la profonde harmonie de toutes les créatures retentissant avec plus de force que le clairon guerrier ; les lois permanentes que suivent avec tant de respect la nuit et le jour; l'ordre invariable des saisons et des temps; la soumission de la mer au milieu même de ses fureurs et de ses tourmentes ? Est-ce que tous les êtres, par leur concert, leur grandeur et leur beauté, ne proclament pas sans cesse celui qui les a créés ? C'est ce que Paul fait entendre, et beaucoup plus encore, dans ces mots si courts : « Les choses invisibles de Dieu se comprennent par le spectacle de la création et se voient dans ses œuvres » : là sa puissance éternelle et sa divinité, de telle sorte qu'ils sont inexcusables. Dieu ne se proposait pas évidemment ce dernier résultat ; ce n'était pas pour leur enlever tout moyen de justification qu'il établit à leurs yeux cette magnifique doctrine, mais pour se révéler à eux : s'ils sont inexcusables, ils le doivent à leur mauvaise volonté. L'Apôtre continue, montrant comme ils sont sans excuse : « Car, ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu ni la gloire ni les actions de grâces dues à la divinité. » C'est déjà la plus terrible des accusations; il en est une autre, c'est qu'ils ont adoré les idoles. Jérémie le leur reprochait aussi en ces termes : « Ce peuple a commis un double mal : ils m'ont délaissé, moi, la source d'eau vive, et ils se sont creusé des citernes effondrées. » Jer., II, 13. L'Apôtre dit ensuite pourquoi, connaissant Dieu, ils ont abusé de cette connaissance; c'est qu'ils ont admis des faux dieux. Tel est le sens de ces paroles : « Car, bien qu'ils eussent connu Dieu, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu. » Il indique même la cause qui les a jetés dans cet excès de démence. Et cette cause, la voici : ils ont voulu tout soumettre à leurs raisonnements. Mais Paul s'exprime avec une tout autre force : « Ils se sont évanouis dans leurs vaines pensées, et leur cœur égaré s'est enveloppé de ténèbres. » C’est comme si, durant une nuit sans lune, quelqu'un s'engageait dans une route ou sur une mer qui lui serait inconnue; non seulement il n'arriverait pas à son but, mais encore il ne tarderait pas à se perdre. Voilà comment ils ont fait : voulant prendre le chemin qui conduit au ciel, ils ont commencé par se priver de la véritable lumière, et, se confiant aux ténèbres de la raison, cherchant l'incorporel dans le monde des corps, l'être incirconscrit parmi les formes visibles, ils ont misérablement sombré. A ce qu'il vient de dire, Paul ajoute une autre cause d'erreur : « Tout en disant qu'ils étaient sages, ils sont tombés dans la folie. » Pleins de confiance en eux-mêmes, et refusant de marcher dans la voie que Dieu nous a tracée, ils se sont engloutis dans l'orgueil insensé de leurs rêves. Il rapporte et décrit la nature de ce désastre, ce qu'il a de terrible et d'impardonnable : « Ils ont dénaturé la gloire du Dieu incorruptible en la faisant à l'image de l'homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des serpents. »

3. La première chose qu'il leur reproche, c'est de n'avoir pas trouvé Dieu; la deuxième, c'est de n'avoir pas su profiter des moyens les plus aisés et les plus efficaces ; la troisième, c'est que cela ne les a pas empêché de se proclamer sages; la quatrième, c'est que non seulement ils n'ont pas trouvé Dieu, mais qu'ils ont encore prostitué son culte aux démons, à des idoles de pierre et de bois. Il confond de nouveau leur jactance dans l'Épître aux Corinthiens, non toutefois de la même manière qu'ici. Là, c'est au moyen de la croix qu'il les frappe, en disant : « Ce qu'il y a d'insensé selon Dieu est au-dessus de la sagesse des hommes. » I Cor., I, 25. Ici, il livre au ridicule leur sagesse prise en elle-même, sans établir aucune comparaison, montrant qu'elle n'est que folie et qu'elle atteste seulement leur arrogance. Pour vous bien convaincre après cela qu'ils avaient réellement la connaissance de Dieu, et qu'ils s'en sont privés par leur faute, Paul emploie cette expression : « Ils ont changé. » Or, quand on change, c’est qu’on s'imagine avoir mieux. En effet, ils ont dépassé les bornes prescrites dans le but de se grandir, et cet amour de la nouveauté leur a fait perdre ce qu'ils avaient déjà. Ce trait domine toute l'histoire des Grecs. Ils étaient constamment en lutte les uns avec les autres : Aristote s'éleva contre Platon, et lui-même fut ardemment combattu par les stoïciens : les querelles étaient incessantes. Aussi faut-il moins les admirer à raison de leur sagesse, que les repousser et les détester à cause de la folie qui en était la conséquence Allant encore plus avant dans son accusation, il met en cause l'idolâtrie tout entière. Un changement en pareil cas est le comble du ridicule; mais changer comme ils ont fait, et pour de tels objets, c'est un crime impardonnable. Il faut considérer quels étaient ces objets, en quoi les idolâtres mettaient leur gloire. Ils auraient dû se souvenir que Dieu seul méritait ce nom de Dieu, qu'il était le souverain Seigneur de tous les êtres, qu'il les avait eux-mêmes tirés du néant, qu'il pourvoit à tout par son amour et sa sagesse : c'est en cela que consiste la gloire de Dieu. Or, à quelles choses ont-ils attribué cette gloire ? Ce n'est pas même à des hommes, c'est à de vaines représentations de la fragile humanité. Encore ne s'y sont-ils pas arrêtés, ils sont descendus jusqu'à l'adoration des brutes, et même à des images de la brute. Remarquez, je vous prie, l'admirable pensée de Paul dans le rapprochement de ces deux extrêmes, Dieu d'une part, les reptiles de l'autre, et pas même les reptiles, mais les images des reptiles. Rien ne pouvait mieux faire ressortir la démence des Gentils. Cette connaissance donc qu'ils avaient de l'Etre incomparablement le plus parfait, ils l'ont transportée à ce qu'il y a de plus vil au monde. — Vous me direz : En quoi cela regarde-t-il les philosophes ? — Tout ce qui vient d'être dit les regarde spécialement. Ils ont eu pour maîtres les Égyptiens, qui furent les inventeurs d'un pareil culte. Platon, qu'on juge avoir été le premier des philosophes, se glorifie d'avoir eu de telles leçons. Son maître lui-même resta soumis au culte des idoles, puisqu'il ordonna de sacrifier un coq à Esculape. Vous y verrez les images des quadrupèdes et des reptiles recevant les mêmes honneurs que celles d'Apollon ou de Bacchus. Quelques-uns de ces philosophes sont allés jusqu'à placer au ciel des taureaux, des scorpions, des dragons, et tant d'autres choses non moins puériles. Partout le démon a pris soin de rabaisser les hommes à la ressemblance des reptiles, de les soumettre aux animaux les plus hideux, alors que Dieu veut les élever au-dessus du ciel même.

Le coryphée des sages de la Grèce se montre encore sous un autre rapport l'esclave des mêmes idées. Il réunit les poètes, en effet, et déclare qu'il faut les écouter religieusement quand ils parlent des choses divines, par la raison qu'elles leur sont bien connues. Or, ce n'est là que se porter garant d'un tas de vaines imaginations, et donner comme vraies les idées les plus ridicules. « Aussi Dieu les a livrés aux désirs de leur cœur, à l'impudicité, si bien qu'ils accablent leur propre corps des derniers outrages. » C'est nous enseigner que la violation de toutes les lois a pour cause l'impiété. Livrer veut dire ici permettre. Qu'un chef d'armée s'éloigne au plus fort du combat, il livre ses troupes aux ennemis, en les privant simplement de sa présence, sans faire autre chose pour cela : le Seigneur abandonne de même , après avoir tout fait pour les sauver, ceux qui les premiers se sont éloignés de lui, ne voulant pas de ses préceptes. Voyez plutôt : pour les instruire, il a déroulé devant eux le spectacle du. monde, il leur a donné de plus l'intelligence et la pensée, pour les mettre en état de voir le bien. Les hommes d'alors n'usèrent d'aucun de ces dons pour arriver au salut, ils les employèrent tous à se perdre. Comment Dieu dans ce cas devait-il agir ? Les entraîner par la force et la contrainte ? Mais ce n'eût pas été les rendre vertueux. Il ne lui restait plus qu'à les abandonner, et c'est ce qu'il fit; de telle sorte que l'expérience même de ce qu'ils avaient désiré les déterminât à fuir une pareille honte. Qu'un fils de roi méconnaissant la volonté paternelle se mette en rapport avec des brigands, des sicaires, des spoliateurs de tombeaux, et préfère à sa maison la société de ces infâmes, le père l'abandonnera, mais avec l'espoir qu'une dure expérience fera comprendre à cet enfant l'excès de sa folie.

4. Pourquoi l'Apôtre ne mentionne-t-il aucun autre genre de péché, le meurtre, l'avarice, tant d'autres qu'on pourrait citer, et ne parle-t-il que de la luxure ? C'est qu'il entend désigner ainsi, dans mon opinion, ceux auxquels il adresse sa lettre. « Dieu les abandonne à l'impudicité, si bien qu'ils flétrissent leur propre corps des derniers outrages. » Quelle force dans ces incriminations ! Pour se couvrir d'ignominie, ils n'ont pas besoin d'une main étrangère ; les ennemis les plus cruels ne les auraient pas traités avec plus de barbarie. — Il revient ensuite à la cause première : « Ils ont transformé en mensonge la vérité de Dieu, ils ont prostitué son culte, ils ont servi la créature plutôt que le Créateur. » Ce qui prêtait surtout au ridicule, il le spécifie; ce qu'il y a de plus honteux que le reste, il le dénonce en général ; mais en tout il met sur le compte des Gentils l'adoration des créatures. Et remarquez qu'il ne se borne pas à formuler cette accusation; il la développe en ajoutant : « Plutôt que le Créateur. » C'est la raison par laquelle il fait constamment ressortir la grandeur de leur crime; il montre ainsi qu'ils sont indignes de pardon. « Qui est béni dans les siècles. Amen. » C'est-à-dire que Dieu n'a rien à souffrir de leur prévarication, puisqu'il est à jamais béni. Il en résulte encore que, n'ayant eu rien à souffrir, il ne saurait les avoir abandonnés par vengeance. Eux l’ont outragé sans doute ; mais l’outrage ne l'a pas atteint, sa gloire n'en est pas amoindrie, il n'en demeure pas moins béni dans les siècles. Si l'homme qui pratique la vraie philosophie sait se mettre au-dessus des injures, combien plus Dieu, dont la nature ne connaît ni destruction ni changement, dont la gloire est par elle-même à l'abri de tout ébranlement et de toute altération ! Les hommes ne font que s'élever à la ressemblance de Dieu quand ils sont impassibles, bien que lésés, grands et dignes, bien qu'insultés, quand ils ne sentent pas les coups qu'on leur porte, quand ils sont supérieurs aux traits du ridicule.

Mais comment cela, me dira-t-on, peut-il se faire ? — On le peut, oui certainement on le peut; et c'est en ne s'affligeant pas de ce qui arrive. — Le moyen de ne pas s'en affliger ? me direz-vous encore. — Et comment pouvez-vous même vous en affliger ? S'il arrivait qu'un petit enfant vous dît des injures, vous regarderiez-vous donc comme outragé ? seriez-vous bien dans la tristesse ? Nullement ; et, si vous en ressentiez la moindre peine, ne seriez-vous pas digne de risée ? Ainsi devons-nous penser de nos semblables, et nous ne serons jamais péniblement affectés. Au fond, ceux qui nous injurient ont encore moins de raison que de tout petits enfants. Ne prenons pas même la peine d'éviter les insultes, et supportons généreusement celles qu'on nous fait ; en cela consiste le véritable honneur. Pourquoi ? Parce que vous êtes le maître de celui-là, et non de l'autre. Ne voyez-vous pas comme on se blesse en frappant sur le diamant ? — C'est que telle est sa nature. — Eh bien, ce qu'il est par sa nature, vous pouvez le devenir par la force de votre volonté. Quoi ! ignorez-vous que les trois enfants ne brûlaient pas dans la fournaise, que Daniel ne souffrit aucun mal dans la fosse aux lions ? La même chose peut encore avoir lieu. Des lions sont la devant nous, la colère, la concupiscence; ils sont armés de dents aiguës, ils sont prêts à tout déchirer. Soyez donc semblable à Daniel, et ne permettez pas aux passions de saisir votre âme avec leurs dents. Mais Daniel devait tout à l'action de la grâce, m'objecterez-vous. — Oui, la grâce opérait en lui; seulement, elle avait le concours de la volonté. Si nous voulons donc ressembler au prophète, la grâce ne nous manquera pas, et les bêtes féroces, quelque avides qu'elles soient, ne toucheront pas notre flanc. Si jadis elles reculèrent devant le corps d'un captif, comment ne seront-elles pas réduites à l'inaction en face des membres du Christ ? Et nous tous, fidèles, nous sommes les membres du Sauveur. Si elles ne sont pas tenues en respect, ce sera la faute de ceux qui deviendront leur proie.

Or, il en est beaucoup qui ne cessent d'alimenter ces terribles lions, entretenant des courtisanes, foulant aux pieds les lois sacrées du mariage, se vengeant de leurs ennemis : aussi sont-ils mis en pièces avant d’arriver au sol. C'est ce que Daniel n'éprouva pas ; et nous ne serons pas moins heureux; si nous le voulons, nous le serons même davantage. Les lions se bornèrent alors à ne faire aucun mal; tandis que, si nous sommes sur nos gardes, les persécutions nous procureront un grand bien. Ainsi Paul sortit avec une gloire plus pure des embûches et des épreuves qu'il eut à subir. Tel parut encore Job après avoir reçu tant de blessures, et Jérémie, quand il quitta son cloaque, et Noé se sauvant du déluge, et le juste Abel à la suite de son malheur, et Moïse après avoir fui les mains sanguinaires des Hébreux, et le prophète Élisée, et chacun de ces grands personnages qui ceignirent d'éclatantes couronnes, non pour avoir vécu dans la mollesse et la volupté, mais pour avoir souffert les tribulations et les peines. Voilà pourquoi le Christ, sachant bien quelles étaient les conditions du succès, disait à ses disciples : « Vous aurez des tribulations dans le monde; mais ne craignez rien, j'ai vaincu le monde. »Joan., XVI, 33.—Quoi donc, beaucoup n'ont-ils pas succombé sous les afflictions de la vie ?—Ce n'est pas à cause des afflictions elles-mêmes, c'est à cause de leur propre lâcheté. Que celui qui proportionne le secours aux épreuves pour que nous puissions les supporter, nous soit propice à tous et nous tende la main, de telle sorte que nous ayons les honneurs du triomphe et que nous obtenions les couronnes de l'immortalité, par la grâce et l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire, honneur, puissance, en même temps qu'au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.