Saint Jean Chrysostome

Homélie 2 sur l'Epître aux Romains

« Et d'abord je rends grâces à mon Dieu par Jésus-Christ à l'occasion de vous tous, parce que votre foi est annoncée dans le monde entier. »

1. Début vraiment digne d'une âme bienheureuse, et qui nous apprend à tous que nous devons offrir à Dieu le commencement de nos oeuvres et de nos discours, comme aussi lui rendre grâces, non seulement du bien que nous pouvons avoir fait, mais encore de celui qu'ont accompli les autres; ce qui purifie l'âme de tout sentiment d'envie, et nous donne de nouveaux droits à la bienveillance divine. De là ce que Paul dit ailleurs : «  Béni soit Dieu, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous a bénis dans toute la bénédiction spirituelle. » Ephes., I, 3. Ce devoir de la reconnaissance incombe également à tous, aux pauvres comme à ceux que seconde la prospérité. Témoigner à Dieu sa gratitude quand tout réussit dans la vie, ce n'est pas un grand mérite, en effet; mais quand la tempête est déchaînée et menace d'engloutir le navire, se montrer encore reconnaissant, c'est d'une âme forte et généreuse. C'est pour cela que Job fut couronné, confondit l'impudence du démon et fit clairement voir que, s'il avait rendu grâce dans la prospérité, ce n'était pas par attachement aux biens terrestres, mais par amour pour Dieu. Remarquez le motif pour lequel Paul laisse éclater sa reconnaissance : ce n'est pas à propos de choses appartenant à la terre et destinées à périr, telles que la grandeur, la puissance, la renommée, qui ne méritent au fond aucune estime; c'est pour des biens réels, pour le don de la foi, pour la liberté de la parole. Voyez de plus avec quelle affection il s'exprime : il ne se contente pas de dire qu'il rend grâces à Dieu; il dit : « A mon Dieu. » Les prophètes lui en avaient donné l'exemple en s'appropriant ce qui est le bien de tous. Et faut-il s'étonner si les prophètes tiennent ce langage, quand Dieu lui-même le tient souvent à l'égard de ses serviteurs, lui qui se déclare le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ?

«  Votre foi est annoncée dans le monde entier. » Quoi donc! toute la terre a-t-elle entendu la foi des Romains? Toute, et par ce même Paul. Rien là que de vraisemblable, car il ne s'agit pas d'une ville inconnue; Rome occupait le point culminant des choses humaines, et rayonnait en quelque sorte de toute part. Remarquez, je vous prie, la force de la prédication : en peu de temps, par l'entremise de quelques publicains et de quelques pêcheurs, elle s'est emparée de la capitale du monde; des hommes venus du fond de la Syrie ont été les maîtres et les instituteurs des Romains. L'Apôtre rend donc à ces derniers un double témoignage : il atteste d'abord qu’ils ont cru, et puisqu'ils ont cru d'une foi si ferme et si généreuse, que la renommée s'en est répandue dans tout l'univers. « Votre foi est annoncée dans le monde entier. » Votre foi, et non vos discussions, vos logomachies, vos syllogismes. Que d'obstacles cependant la doctrine ne devait-elle pas y rencontrer ? Les Romains, en effet, qui venaient d'acquérir l'empire du monde, étaient pleins d'orgueil et de fierté, leur vie s'écoulait dans l'opulence et les délices ; ajoutez que la prédication était exercée par des Juifs, par des hommes issus d'une race détestée et méprisée de toutes les autres nations ; que ces mêmes Juifs plaçaient sur les autels un crucifié qui n'était pas sorti d'une autre race ; que ces nouveaux docteurs imposaient, avec leur doctrine, les plus pénibles devoirs à des hommes absorbés par la pensée du plaisir et n'ayant d'attachement que pour les choses de la terre. Disons enfin que ces étrangers étaient pauvres, ignorants, d'une condition humble et misérable. Eh bien ! rien de tout cela n'entrava l'essor de la parole; telle était la puissance du crucifié que partout se répandait sa doctrine : « Elle est annoncée dans l'univers entier. » Au lieu de dire, par exemple : Elle est manifestée, il dit : « Elle est annoncée, » comme si tous les hommes la portaient à la bouche.

Il ajoute un trait à ce témoignage, en l'adressant aux Thessaloniciens. Après leur avoir dit : « Par vous retentit la parole de Dieu, » il conclut en ces termes : « De telle sorte que nous l'avons plus besoin désormais de rien dire. » I Thess., I, 8. Les disciples étaient formés à devenir des docteurs, tous apprenaient à parler avec confiance, à gagner à Dieu de nouveaux adorateurs. La prédication ne connaissait pas de bornes, elle s'étendait avec plus de rapidité que le feu dans toutes les contrées de la terre. Là, Paul s'en tient à dire simplement qu'elle est annoncée. Observez la beauté de cette expression : on y voit que les choses dites ne comportent rien de plus ni rien de moins, n'exigent qu'un messager fidèle et véridique. Aussi le prêtre porte-t-il le nom d'ange ou de messager; il ne parle pas de son propre chef, il est simplement l'organe de celui qui l'envoie. Pierre, cependant,a prêché dans la même ville, mais ce que l'un des apôtres dit, l'autre le regarde comme sien, tant ils sont, comme je l'ai déjà remarqué, exempts de toute jalousie. « Dieu m'est témoin, lui que je sers en esprit et selon l'Évangile de son Fils. »

2. Ces paroles sortent d'un cœur vraiment apostolique, c'est le cri de l'amour paternel. Mais encore que veut-il dire, et pourquoi prend-il Dieu à témoin? Il exprime les sentiments qu'il éprouve. Or, ne connaissant pas jusqu'à ce moment ceux auxquels il s'adresse, ce n'est pas au témoignage d'un homme qu'il peut en appeler, c'est au témoignage de celui qui pénètre au fond des cœurs. Après leur avoir dit : « Je vous aime, » et leur avoir donné pour preuve de son amour ses fréquentes prières et le désir qu'il a de se transporter auprès d'eux, cette preuve elle-même ne leur étant pas démontrée, il invoque ces témoins dignes de toute foi. Quelqu'un d'entre vous pourrait-il se glorifier d'embrasser l'Église tout entière quand il prie dans sa maison ? Je ne le pense pas. Paul priait Dieu, non seulement pour une ville, mais encore pour l'univers ; non une fois, ni deux, ni trois, mais sans cesse. Si nous ne pouvons pas, sans un ardent amour, avoir quelqu'un toujours présent à la mémoire, songez quelle affection, quelle tendresse il faut pour s'en souvenir constamment dans la prière. En disant : « Lui que je sers en esprit et selon l'Evangile de son Fils, » il rend hommage à la divine grâce en même temps qu'il nous montre son humilité : la divine grâce. Qui l'a chargé d'une si grande mission; son humilité, parce qu'il attribue tout au secours de l'Esprit et non à son propre zèle. Les formes du ministère sacré sont multiples et diverses, ainsi que celles de la piété. De même que les serviteurs d'un monarque ne remplissent pas tous le même emploi, quoiqu'ils obéissent à la même volonté, l'un étant à la tête des troupes, l'autre ayant le pouvoir civil, un autre encore étant chargé des finances; de même, dans l'ordre spirituel, l'un sert Dieu et l'adore par la sincérité de sa foi et la parfaite direction de sa vie, l'autre est chargé du soin des étrangers et des pauvres, comme l'était Etienne, qui secondait les apôtres et servait Dieu par le ministère de la charité à l'égard des veuves, un autre encore a la mission de prêcher et d'enseigner, et tel était Paul, dont la vie se consumait dans l'exercice de la parole.

Voilà donc quel était son ministère, à lui, son devoir spécial dans l'Église. Il déclare lui-même qu'il lui a été confié, et cette déclaration se joignant à l'appel qu'il fait à la véracité de Dieu, ne permet pas de révoquer en doute la droiture de celui qui parle ; investi d'une telle fonction, il n'eût jamais osé, pour une chose fausse, invoquer le témoignage de celui qu'il représentait. De plus, il veut leur faire voir que sa charité pour eux, que sa sollicitude apostolique est une obligation sacrée. De peur qu'on ne lui dise : Qui êtes-vous et d'où venez-vous pour vous mettre de la sorte en peine de cette grande capitale ? il proteste que c'est là son devoir, qu'il doit servir Dieu par la prédication de l'Évangile, qu'il est établi pour cela. Or, celui à qui cette mission est imposée ne saurait oublier un instant les âmes qui doivent recevoir de lui la céleste doctrine. Par cette expression : « En mon esprit. », il insinue une autre vérité ; c'est que la nouvelle religion est de beaucoup supérieure à celle des Gentils, et même à celle des Juifs, celle-là mensongère et charnelle, celle-ci charnelle encore, quoique essentiellement vraie. Aussi le culte dont l'Église est la dépositaire est-il l'opposé de l'idolâtre et le sublime contraste du judaïsme. Ce culte n'admet plus l'immolation des brebis et des taureaux, la fumée de l'encens ou des sacrifices ; il est spirituel, il s'exerce surtout au fond de l'âme. C'est le principe que le Christ posait quand il parlait en ces termes : « Dieu est Esprit, et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité. » Joan., IV, 24. « Selon l'Évangile de son Fils. » Il avait d'abord attribué l'Évangile au Père, et voilà qu'il l'attribue maintenant au Fils ; ce qui prouve qu'il ne met aucune différence entre les deux. Il connaissait' cette parole prononcée par le divin Maître : « Tout ce qui est à vous m'appartient, et tout ce qui est à moi vous appartient aussi; » Ibid., XVII, 40; ce qui montre clairement que la puissance de l'un est la puissance de l'autre. « J'ai sans cesse votre souvenir présent dans mes prières. » La charité n'a pas d'expression plus vraie. Il ne semble dire qu’une chose, et cependant on peut en distinguer quatre : qu'il se souvient, sans interruption, durant la prière, dans un intérêt supérieur. « Demandant qu'un moyen me soit enfin donné de me transporter auprès de vous, si telle est la volonté de Dieu; car je désire ardemment vous voir. » Son désir de les voir est extrême; mais il ne veut pas l'accomplir si cela n'est pas agréable à Dieu : à. son amour pour ses frères se mêle la crainte du Seigneur. Son cœur déborde, tout le porte vers eux; et cette ardente affection, il la subordonne toutefois au bon plaisir de Dieu. C'est ici la charité véritable. Il n'en est pas de nous comme de l'Apôtre; de part et d'autre nous échappons aux lois de la charité : ou bien nous n'aimons réellement personne, ou bien, dans notre amour, nous ne tenons aucun compte de la volonté divine. C'est ce que j'appelle méconnaître doublement sa loi. Si de telles paroles sont pénibles, plus pénibles sont encore les faits.

3. Et quand est-ce que nous aimons, me demanderez-vous peut-être, autrement que Dieu ne veut? — Quand nous passons dédaigneux à côté du Christ mourant de faim, tandis que nous sommes prodigues envers les enfants, les amis et tous ceux auxquels nous rattachent les liens du sang. Mais à quoi bon pousser plus loin ces considérations? Que chacun examine de près sa conscience, et les fautes de ce genre fourmilleront à ses yeux. Tel n'était pas le bienheureux dont nous parlons : il savait aimer et soumettre son amour au devoir; sa charité n'avait pas d'égale et ne dépassait jamais les bornes voulues. Vous le voyez, deux choses surabondent dans son âme, sa crainte envers Dieu, son affection envers les Romains. En priant sans relâche, en ne se désistant pas, bien qu'il n'eût encore rien obtenu, il prouvait la force de son amour; et, malgré cet amour, en demeurant soumis à la volonté divine, il prouvait la grandeur de sa piété. Dans une autre circonstance, après avoir par trois fois prié le Seigneur sans que sa prière f û t exaucée quand le contraire même avait eu lieu, il rendait les plus vives actions de grâces pour ce refus, tant son âme était continuellement tournée vers Dieu. Il finit ici par voir sa prière exaucée, mais après beaucoup de délais, mais à la longue; ce qu'il supporte généreusement. Je parle de la sorte pour que nous ne soyons pas impatients lorsque Dieu semble ne pas nous écouter ou nous fait longtemps attendre. Nous ne sommes pas meilleurs que Paul, qui rendait grâces dans l'un et dans l'autre cas. Rien de plus sage et de plus légitime ; s'étant entièrement placé sous la puissance qui gouverne tout, se tenant là comme l'argile sous la main du potier, il obéissait à chaque impulsion qui lui venait de Dieu.

Quand il a déclaré qu'il prie sans cesse pour obtenir le bonheur de les voir, il énonce la raison de ce désir. Quelle est-elle? « Pour vous communiquer un peu de cette grâce spirituelle et vous confirmer dans le bien. » Ce n'est donc pas sans motif qu'il voulait se rendre à Rome; il ne ressemble pas à ceux que nous voyons aujourd'hui faire des voyages aussi dénués de sens que l'utilité ; c'est un intérêt nécessaire et pressant qu'il se propose; ce qu'il ne dit que d'une manière énigmatique et voilée. Il se garde bien de prendre ce ton : J'irai vous enseigner, vous former, compléter ce qui vous manque. Non; mais : « Vous communiquer un peu... » Il déclare déjà par là qu'il ne donne pas de son propre fonds, qu'il ne fait que transmettre. Remarquez aussi la modestie de ce langage, « un peu » selon ma faible mesure. Et quel est ce peu qu'il va leur donner ? Il consistera, ajoute-t-il, « à vous confirmer dans le bien. » C'est donc à la grâce que nous devons de ne pas chanceler, de demeurer fermes. Or, quand vous entendez la grâce, ne pensez pas qu'on refuse sa rémunération et son mérite à la volonté. Tel n'est pas le but de cette parole ; on veut seulement réprimer les folles prétentions de l'orgueil. Si Paul parle donc ici de la grâce, cela ne doit pas vous décourager. Il emploie souvent ce mot de grâce pour désigner les bonnes oeuvres, tant la reconnaissance est naturelle à son cœur, et de plus, parce que nous avons besoin de la divine grâce pour les accomplir. Quand il dit : « Pour vous confirmer dans le bien, » il insinue, mais en termes voilés, qu'ils ont besoin d'une grande réformation. Voici le sens de sa parole : Depuis longtemps j'ai le désir, je suis dans l'impatience de vous voir, dans le but unique de vous affermir sur l'inébranlable fondement de la crainte de Dieu, afin que vous ne soyez pas toujours incertains et chancelants. — Il ne s'exprime pas d'une manière aussi formelle, qui n'aurait peut-être réussi qu'à les blesser; il dit la même chose avec plus de ménagement et de douceur.

« Pour vous confirmer dans le bien. » Et cela même étant de nature à les affliger, à les contrister, voyez comme il le mitige par ce qui suit. Il ne veut pas qu'ils puissent dire : Quoi donc, est-ce que nous chancelons, est-ce que nous tournons à tout vent ? Avions-nous besoin de votre parole pour avoir de la consistance et de la fermeté ? — Il prévient de telles objections en ajoutant : « C'est-à-dire, afin que nous soyons mutuellement consolés, lorsque je serai au milieu de vous, par cette foi qui est la vôtre et la mienne. » C'est comme s'il parlait ainsi : Ne pensez pas que je sois dans l'intention de vous accuser. Non, ce n'est pas la pensée qui m'a dicté de telles expressions. Mais alors qu'ai-je donc voulu dire ? Vous avez subi bien des peines de la part de ceux qui sont devenus vos persécuteurs ; et c'est pour cela que j'ai tant désiré vous voir, afin de vous consoler, et non seulement pour vous consoler, mais encore pour recevoir de vous une consolation.

4. Quelle sagesse dans cet instituteur ! Le mot, «pour vous confirmer dans le bien, » pouvant être onéreux et pénible à ceux auxquels il l'adressait, il se hâte de dire : «  Pour vous consoler. » Mais cela même pouvait leur causer de la peine, moins peut-être que les paroles précédentes, trop cependant à son gré; il adoucit donc complètement ses expressions, afin qu'elles soient mieux accueillies. Cette consolation qu'il promet, il la partagera lui-même; et voici ce qu'il dit : « Pour nous consoler ensemble. » Ce n'est pas assez ; il verse un baume de plus dans les âmes, en expliquant ainsi sa pensée « Par cette foi qui est la vôtre et la mienne. » Oh ! l'admirable humilité ! Il leur fait entendre qu'il a besoin de leur secours tout comme ils ont besoin du sien ; il tient les disciples pour ses maîtres, ne se mettant en rien au-dessus d'eux, proclamant en tout une égalité parfaite. — C'est notre intérêt commun ; si mes consolations vous sont nécessaires, les vôtres ne me le sont pas moins. —Comment se fera cet heureux échange? — «  Par cette foi qui est la vôtre en même temps que la mienne. » C'est en allumant un grand nombre de flambeaux qu'on obtient une lumière éclatante : la réunion des fidèles produit le même effet. Quand nous sommes isolés et dispersés, nous tombons dans l'abattement : quand nous nous voyons, au contraire, quand nous resserrons les liens qui nous unissent comme les membres d'un même corps, nous goûtons une profonde consolation.

Ne vous renfermez pas, je vous prie, dans le temps présent, où de nombreuses assemblées de fidèles existent, grâces à Dieu, à la campagne comme à la ville, et jusque dans les déserts, assemblées qui repoussent tout mélange d'impiété; transportez-vous à cette primitive époque, et songez quel bonheur c'était pour les disciples de voir leurs instituteurs, et pour des frères d'accueillir des frères venus d'une autre cité. Pour rendre cette pensée plus évidente, faisons une supposition : s’il arrivait, ce qu'à Dieu ne plaise ! que nous fussions transférés chez les Perses, les Scythes ou d'autres peuples barbares, et que nous fussions là deux ou trois perdus au milieu de ces populations ; imaginez-vous qu'il nous fût ensuite donné de voir quelqu'un venu de notre patrie, comprenez de quelle joie nous serions inondés ! N'avez-vous jamais vu la douce et vive émotion que des prisonniers font éclater quand l'un des leurs vient les voir dans la prison ? Et ne soyez pas étonnés que cette époque me rappelle d'aussi sombres images : nos pères eurent à souffrir tout autrement que ne souffrent les prisonniers, ils étaient chassés et dispersés par une haine implacable, leur vie s'écoulait dans les privations, chaque jour sous le coup de la mort, ayant à craindre les amis, les domestiques, les parents eux-mêmes, habitant ce monde comme un pays étranger; ce n'est pas assez dire, subissant un sort plus cruel que celui des malheureux exilés. Ainsi doit s'entendre cette parole : « Pour vous confirmer dans le bien par notre commune foi. » Ce n'est pas que l'Apôtre eût réellement besoin de les avoir pour auxiliaires, assurément non; car, comment cette colonne de l'Église, plus solide que la pierre et le fer, comment cet homme, qui suffisait à tant de peuples, ce diamant spirituel eût-il été dans une telle nécessité ? Il veut donc uniquement, par ce langage, atténuer la correction et ménager leur sensibilité.

Celui qui prétendrait, au reste, que c'était pour Paul un besoin de se consoler ou de se réjouir au spectacle de leurs progrès dans la foi, celui-là ne s'éloignerait nullement de la vérité. — Mais, puisqu'il désirait tant de les voir, puisqu'il devait donner et recevoir une si grande consolation, pourquoi n'était-il pas déjà venu ? — Il prévient cette question, quand il ajoute : « Je ne veux pas vous laisser ignorer, frères, que j'ai souvent désiré venir vers vous, et que j'en ai été empêché jusqu'à ce moment. » Re-marquez cette obéissance absolue et cette profonde reconnaissance. Il déclare qu'il a subi des empêchements, mais il ne dit pas lesquels. Il n'examine pas la volonté divine, il se contente de l'accomplir. On pouvait se demander néanmoins pourquoi Dieu voulait qu'une si grande et si magnifique ville, vers laquelle étaient tournés les regards du monde entier, fût si longtemps privée de la parole d'un tel maître : on a bientôt raison des sujets quand on s'est emparé de la capitale ; mais quand on la laisse de côté pour s'attacher uniquement aux autres, on néglige le point essentiel. Paul ne s'égare pas dans de semblables pensées, il se soumet aux mystérieuses dispositions de la sagesse divine, nous montrant ainsi la générosité de son âme, et nous apprenant à tous qu'il ne faut jamais demander compte à Dieu des événements qui s'accomplissent, quoique beaucoup d'esprits en soient troublés. Le commandement appartient au maître, les serviteurs ne doivent qu'obéir. Voilà donc pourquoi l'Apôtre dit simplement qu'il a été empêché ; il ne touche pas à la cause. — Je ne la connais pas, semble-t-il dire ; ne me demandez pas pour quel motif Dieu le veut et ce qu'il se propose. Le vase d'argile ne dira jamais à l'ouvrier : « Pourquoi m'as-tu façonné de la sorte? » Rom., IX, 20. A quoi bon d'ailleurs désirer de le savoir ? Ignorez-vous que Dieu prend soin de toutes ses créatures, qu'il est infiniment sage, qu'il ne fait rien au hasard et sans but, qu'il vous aime plus que vos parents, que sa tendresse l'emporte de beaucoup sur celle d'un père, et sa sollicitude sur celle d’une mère ? N'allez donc pas plus loin, n'en demandez pas davantage; cela suffit pour dissiper toutes vos préoccupations. La Providence menait elle-même les affaires des Romains. Si vous ne savez pas de quelle façon, n'en ayez aucune peine; c'est le grand acte de la foi d'admettre la conduite de la Providence, tout en ignorant les voies qu'elle suit.

5. Paul explique avant tout ce qui lui tient à cœur; il a voulu leur dire que, s'il ne les a pas encore visités, ce n'est nullement par mépris, et que son ardent désir a dû céder devant les obstacles. Après s'être donc justifié de toute négligence, et leur avoir déclaré qu'il souhaite les voir autant qu'ils peuvent souhaiter eux-mêmes sa venue, il leur témoigne encore son amour en d'autres manières. — Les empêchements n'ont pas découragé mes efforts, les uns n'ont pas été moins persévérants que les autres; je ne me suis jamais désisté, toujours soumis à la volonté divine, toujours constant dans mon amour pour vous. — L'inébranlable fermeté de son dessein était la preuve de sa charité fraternelle, et sa charité pour Dieu se manifestait avec encore plus de puissance dans sa résignation. « Afin que j'obtienne aussi quelque fruit parmi vous. » Bien qu'il ait déjà fait connaître la cause de son désir et ce qu'elle avait d'empire sur son âme, il l'énonce de nouveau, pour achever de détruire en eux tout soupçon. Comme cette ville était la plus remarquable du monde, comme la pareille n'existait nulle part, ni dans les terres ni dans les mers, beaucoup s'y transportaient attirés par la renommée. Pour qu'on ne crût pas que Paul obéissait à ce même mobile, pour qu'on ne l'accusât pas d'aller chercher un surcroît de gloire dans ses rapports avec les Romains, il insiste sur le motif qui le pousse. Il avait dit plus haut : «  J'ai désiré vous voir pour vous communiquer un peu de cette grâce spirituelle» Il s'exprime ici plus clairement encore : « Pour obtenir quelque fruit parmi vous, comme chez les autres nations. » Il met ensemble les gouvernants et les gouvernés : en dépit de leurs trophées sans nombre, de l'éclat de leurs victoires, de l'illustration de leurs consuls, il les range avec les barbares, et certes à bon droit. Où règne, en effet, la noblesse de la foi, plus de différence entre le barbare et le Grec, entre le citoyen et l'étranger : tous sont parvenus au faîte de la même grandeur.

Remarquez cependant la modestie de l'Apôtre. Il ne dit pas : Pour vous instruire et vous former. Quoi donc ? « Pour obtenir quelque fruit. » Ce mot « quelque » restreint même celui de «fruit. » C'est sur ce qui le concerne que tombe toujours cette restriction, et la même modestie lui faisait dire : « Pour vous communiquer un peu de cette grâce. » Leur tour vient aussi, l'Apôtre leur apprend à s'abaisser, comme nous en avons déjà fait la remarque, en les confondant dans le même texte avec le reste des nations.—Parce que vous êtes riches et que vous possédez plus que les autres, nous ne déployons pas moins de zèle à l'égard de ces derniers ; car nous ne courons pas après les richesses, nous n'ambitionnons que la foi.— Où sont maintenant les sages de la Grèce, ces hommes tout gonflés d'orgueil, avec leur longue barbe et leur manteau. Un faiseur de tentes a renouvelé la face du monde grec et barbare. Celui qu'ils mettent toujours en avant, qu'ils ont sans cesse à la bouche, leur Platon, est allé trois fois en Sicile, et, malgré la pompe de ses discours, quoique grandi par l'opinion, il n'a pu venir à bout d'un seul tyran; il en sortit même d'une manière si misérable qu'on lui ravit la liberté. Le faiseur de tentes n'a pas seulement parcouru, lui, la Sicile et l'Italie, il a parcouru la terre entière; et pendant qu'il instruisait les hommes, il ne renonçait pas à son travail manuel, il taillait et cousait les peaux, parfois il était même à la tète d'une boutique; et les consulaires ne s'en scandalisaient pas; ce qui du reste n'était que raisonnable. Ce ne sont pas les métiers et les occupations, en effet, qui doivent faire mépriser les maîtres, ce sont les erreurs et les faussetés qu'ils enseignent. Aussi les Athéniens eux-mêmes rient-ils désormais des leurs; tandis que les barbares, les hommes incultes et grossiers, écoutent respectueusement le nôtre.

Il transmet à tous les mêmes enseignements, ne regardant pas à la différence des conditions, à la supériorité d'un peuple, à rien de pareil; il n'aspire qu'à la foi, il dédaigne le syllogisme. De là ce qu'il y a d'admirable dans cet enseignement : non seulement il est utile et salutaire, mais encore il est accessible à tous; il n'exige ni peine ni fatigue. Il porte par là même un cachet divin, et prend place parmi ces biens communs que Dieu répand sur tous les hommes. Ce qu'il a fait par rapport au soleil, à la lune, à la terre, à la mer, aux autres créatures, n'en accordant pas plus l'usage aux riches qu'aux pauvres, faisant à tous une égale part, il l'a fait aussi par rapport à la prédication ; et le don est également d'autant plus grand qu'il nous est plus nécessaire. Voilà pourquoi ce mot si fréquent dans la bouche de Paul : «A toutes les nations. » Leur montrant ensuite qu'il n'a pas le mérite de cette générosité, qu'il accomplit simplement un divin précepte, et que dès lors ils doivent faire remonter au souverain Seigneur de l'univers l'expression de leur reconnaissance. il ajoute : « Je suis le débiteur des Grecs et des barbares, des sages et des insensés. » Cette même pensée se retrouve dans son épître aux Corinthiens. Dans le langage que nous venons d'entendre, il rapporte tout à Dieu. «  Ainsi donc, en tant que cela dépend de moi, je désire vous annoncer l'Évangile, à vous qui habitez Rome. »

6. Quelle magnanimité ! Le voilà prêt à braver les plus terribles dangers, des épreuves de tout genre, des voyages sur mer, les embûches et les séditions. Nul doute, en effet, que l'homme venant enseigner dans cette grande ville, en face de l'impiété couronnée, ne doive s'attendre aux coups redoublés de la persécution; et c'est là que l'Apôtre terminera sa carrière, qu'il aura la tête tranchée par l'ordre du tyran alors assis sur le trône. Une pareille perspective cependant ne ralentit nullement son ardeur; il souffre de son attente, il brûle de partir, il est dans les douleurs de l'enfantement. De là ce langage : « Autant qu'il est en moi, je désire aussi vous annoncer l'Évangile. » Que dites-vous, ô Paul ? Quand vous devriez vous exprimer ainsi : Je me glorifie, je me félicite, vous dites simplement que vous ne rougissez pas; ce que nous ne dirions jamais dans de graves circonstances. — Que dit - il donc ? Pourquoi parle-t-il de la sorte, lui que l'Evangile ravit de joie plus que le ciel même? Écrivant aux Galates, il disait : « Loin de moi la pensée de me glorifier, si ce n'est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. n Galat., VI, 14. Mais alors, pourquoi ne se glorifie-t-il pas de l'Évangile, et se borne-t-il à dire qu'il n'en rougit pas ?

Les Romains étaient entièrement adonnés aux choses de ce monde, éblouis par leurs possessions, leur puissance, leurs victoires, par l'éclat même dont ils entouraient leurs chefs, qu'ils égalaient aux dieux, ne craignant pas de leur en donner le nom, de leur élever des temples, de leur dresser des autels et de leur offrir des sacrifices. Or, à ces hommes tellement infatués de leur grandeur, Paul avait à prêcher celui qu'on regardait comme le fils d'un artisan, un pauvre enfant de la Judée, nourri dans la maison d'une humble femme, ce Jésus qui, bien loin d'avoir jamais eu des satellites armés ou d'avoir brillé dans l'opulence, avait subi la mort comme un criminel, entre deux larrons, avec des outrages sans nombre. Tout cela ne pouvait manquer de révolter la fierté des Romains, tant qu'ils n'étaient pas encore instruits de nos dogmes mystérieux et sublimes. Vous comprenez maintenant ce mot : « Je ne rougis pas ; » c'est une leçon qu'il leur adresse; il sait bien que, s'il détruit en eux le sentiment de la honte, ils en viendront bientôt à se glorifier. Et vous aussi, dans le cas où vous entendriez cette parole : Quoi ! vous adorez un crucifié ? gardez-vous de rougir, ne baissez pas les yeux ; montrez-vous heureux et fier de votre croyance, portez autour de vous des regards assurés, levez la tête, et professez noblement la foi. Si l'on réitère la question : Vous adorez un crucifié ? répondez : Mais non un adultère, un parricide, un père dénaturé qui tue ses propres enfants, — et tous leurs dieux ne sont pas autre chose, — j'adore celui qui par la croix a fermé la bouche aux démons et renversé leur funeste puissance. La croix est envers nous l’œuvre de la bonté suprême et le symbole de l'amour infini. Comme ils ont néanmoins tant de pompe dans leurs discours, comme ils marchent tout revêtus des armes brillantes de la philosophie grecque, Paul s'exprime ainsi : J'ai renvoyé bien loin tous ces raisonnements humains, et je viens prêcher la croix seule; c'est pour cela que je n'en rougis pas. « Elle est la puissance de Dieu pour le salut. »

La puissance de Dieu se manifeste aussi par le châtiment; car, lorsque le Seigneur frappait les Egyptiens, il disait : « voilà quelle est la grandeur de ma puissance. » Elle éclate même dans la perte de l'homme, puisque le Christ a dit : « Craignez celui qui peut perdre l'âme et le corps dans la géhenne. » Matth., X, 28. Ce n'est pas là ce que je viens vous apporter, s'écrie donc Paul avec raison, je ne suis pas un ministre de vengeance et de mort, je vous apporte le salut.—Mais quoi, l'Évangile ne nous annonce-t-il pas aussi ces choses terribles, les supplices de l'enfer, les ténèbres extérieures, le ver empoisonné ? De telles vérités ne nous viennent d'ailleurs que de l’Évangile ; comment dès lors avez-vous dit : « C'est la puissance de Dieu pour le salut ? » — Ecoutez donc ce qui vient après : « Pour qui croira, pour le Juif d'abord, pour le gentil ensuite.» Le salut n'appartient pas à tous sans restriction, il appartient à tous ceux qui l’acceptent. Que vous soyez Grec, Scythe, un barbare quelconque, une bête féroce même, que vous ayez trempé dans toute iniquité et succombiez sous le fardeau de vos folies et de vos désordres, aussitôt que vous avez accueilli la parole de la croix et reçu le baptême, vous avez tout effacé. — Pourquoi l'Apôtre ajoute-t-il : « Pour le Juif d'abord, pour le Gentil ensuite ?» Que signifie cette distinction ? Lui-même cependant a dit plus d'une fois qu'il n'existe aucune différence entre le circoncis et l'incirconcis, que la circoncision n'est plus rien ; d'où vient donc qu'il fait ici passer l'un avant l'autre ? — Qu'est-ce que cela ? Le premier ne reçoit pas une grâce plus grande, le don est le même pour tous; c'est donc simplement l'ordre on le rang qui se trouve indiqué. Le Juif n'a rien de plus, il ne reçoit pas une justice plus abondante; son unique avantage, c'est l'honneur d'avoir été le premier. Les initiés accourent tous au baptême, et vous savez ce que je dis, vous qui l'êtes déjà; mais tous ne sont pas baptisés à la même heure, ils le sont successivement, et le premier ne reçoit pas plus que les autres, les mêmes biens sont donnés à tous. Nous voyons donc là un rang d'honneur, non une supériorité de grâce.

Après avoir dit : « Pour le salut , » il montre d'une manière encore plus claire que le don divin ne s'arrête pas au temps présent et qu'il passe au delà ; c'est ce qui ressort de ces paroles : « Et la justice de Dieu nous y est révélée, allant de la foi à la foi, selon qu'il est écrit : Le juste vit de la foi. » Habac., II, 4. Celui donc qui a été justifié ne vivra pas seulement sur la terre, mais aura de plus la vie à venir. Là ne se borne pas la pensée de l'Apôtre, elle va plus loin, elle nous laisse entrevoir la rayonnante splendeur de cette vie. Comme, après tout, la conservation n'exclut pas toujours la honte, et nous en voyons l'exemple dans le criminel que la clémence royale sauve de la mort; ne voulant pas que le mot de salut fasse naître une idée de ce genre, Paul y joint la justice, et non votre justice, à vous, mais la justice divine, dont il vous fait comprendre l'ampleur et la générosité. Ce n'est pas ici le résultat, en effet, de vos sueurs et de vos fatigues. c'est une grâce qui vous vient d'en haut ; vous n'y contribuez que par une chose, par votre foi. Après cela, notre raison n'acceptant pas volontiers cette doctrine, qu'un fornicateur, un infâme, un spoliateur de tombeaux, un artisan de prestiges, a non-seulement échappé tout à coup au châtiment, mais est encore devenu juste, et d'une justice descendue du ciel, il confirme sa parole par l'Ancien Testament. Il ouvre d'abord, d'un mot, l'immense océan de l'histoire à quiconque est capable d'y porter ses regards. Par cette expression : « De la foi à la foi, » il éveille dans la pensée de l'auditeur cette économie du plan divin qui se déroule dans l'antique alliance, et que lui-même à magnifiquement exposée en écrivant aux Hébreux, nous y montrant les pécheurs élevés au rang dés justes, une Raab à côté d’Abraham. N'ayant fait que rappeler ce point de vue, entraîné qu'il est vers un autre, il appuie de nouveau son discours sur l'autorité des prophètes, il amène devant nous Habacuc, disant à haute voix qu'à devoir vivre, c'est par la foi seule qu'on vit : «  Le juste vit de la foi; » et cela s'entend de la vie future. Comme les dons de Dieu dépassent toute intelligence, il est évident que nous avons besoin de la foi. Aussi l'homme opiniâtre, dédaigneux, arrogant, ne saurait rien accomplir.

Que les hérétiques entendent cette voix spirituelle. Comprenons nous-mêmes la nature du raisonnement humain : il est comme un labyrinthe et comme les hiéroglyphes , sans terme et sans issue, ne laissant à la pensée aucune base solide, et ne procédant que de l'orgueil. Rougissant de se soumettre à la foi et de paraître ignorer les choses célestes, ils se jettent dans un épais tourbillon d'interminables arguties. Ainsi donc, malheureux que vous êtes, infortuné dont on ne pourrait assez déplorer la misère, si quelqu'un vous demande comment le ciel a été fait, comment la terre, que dis-je le ciel ou la terre ? comment vous existez vous-même, comment votre existence s'est maintenant développée, vous avouez sans honte que vous l'ignorez; et, s'il est question du Fils unique, la honte vous précipite dans l'abîme de la perdition, vous estimez qu'il serait indigne de vous de ne pas tout savoir ! Ah! ce qu'il y a d'indigne, c'est l'esprit de contention, c'est votre intempestive curiosité. Et pourquoi parler des dogmes ? La perversité même de la vie présente, nous ne pouvons pas autrement nous en débarrasser que par la foi. C'est par là que brillèrent les personnages des anciens temps, un Abraham, un Isaac, un Jacob ; c'est par là que se sauva la courtisane, soit dans l'Ancien, soit dans le Nouveau Testament. « Par la foi, dit l'Apôtre, Raab la courtisane accueillit les éclaireurs, et ne périt pas avec les incrédules..» Hebr., XI, 31. Elle ne se dit pas en elle-même : Et comment ces esclaves fugitifs, ces hommes qui mènent une vie errante et nomade, pourront-ils l'emporter sur nous qui possédons une ville, des remparts et des tours ? — En tenant un pareil langage, elle les eût perdus, et se serait perdue elle-même. C'est ce que firent les principaux de cette nation, qui furent alors sauvés. Après avoir vu ces hommes grands et vigoureux, ils cherchaient le moyen de les vaincre, et voilà qu'ils furent tous exterminés sans combat, avant d'avoir abordé le champ de bataille. Voyez-vous combien est pro-fond le gouffre de l'incrédulité, inébranlable le rempart de la foi ? Devant la foi tombèrent des milliers d'ennemis ; c'est à la foi qu'une courtisane dut son salut et la gloire même d'avoir été la protectrice d'un grand peuple.

Le sachant et beaucoup plus de choses encore, ne demandons jamais compte à Dieu de ce qui s'accomplit, acceptons tout ce qu'il ordonne, ne le soumettons pas à notre examen, à nos minutieuses recherches, quand même le sens humain en serait choqué. Quoi de plus révoltant, je vous le demande, que l'ordre donné à un père d'égorger lui-même son fils unique ? Et cependant le juste qui le reçoit se garde bien de le discuter ; il obéit, plein de respect pour celui dont il émane. Un autre ayant reçu de Dieu l'ordre de frapper un prophète, regardant la chose comme contraire à la raison, se mit à la discuter et ne se contenta pas d'obéir ; aussi subit-il les dernières peines, tandis que celui qui frappa fut en honneur. Pour avoir épargné des hommes contrairement à la volonté de Dieu, Saül perdit le trône et subit d'intolérables malheurs. Il serait facile de trouver beaucoup d'autres exemples , établissant tous qu'on ne doit jamais chercher la raison des divins commandements, qu'il faut uniquement les accepter et les accomplir. Or, s'il est tellement dangereux de scruter ce que Dieu nous ordonne, si c'est même là se dévouer aux derniers supplices, quelle excuse pourront avoir ceux qui fouillent dans des secrets tout autrement redoutables, qui veulent s'expliquer la génération du Fils, sa nature et sa substance ? Mieux instruits, embrassons avec ardeur la foi, mère de tous les biens ; et, naviguant comme dans un port tranquille, nous dirigerons sûrement, à la lumière d'une pure doctrine, le cours de notre vie, pour aborder aux biens éternels de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire, puissance, honneur, adoration, en même temps qu'au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.