Saint Jean Chrysostome

Homélie 1 sur l'Epître aux Romains

« Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé à l'apostolat, mis à part pour l'évangile de Dieu, évangile qu'il avait promis par ses prophètes dans les saintes Écritures. »

1. Moïse nous a laissé cinq livres, dans lesquels il n'a jamais inscrit son nom, les historiens qui l'ont suivi se sont abstenus de même, ainsi que Matthieu, Jean, Marc et Luc. Et le Bienheureux Paul met son nom en tète de toutes ses Epîtres. Pourquoi cette différence? C'est que les premiers écrivaient pour un peuple au milieu duquel ils vivaient et dont ils étaient connus, tandis que Paul, écrivant à des personnes éloignées et prenant la forme de la lettre, devait nécessairement ajouter son nom. S'il le tait dans l'Épître aux Hébreux, c'est à dessein et par prudence. Sachant combien il leur était odieux, il supprime son nom pour ne pas les éloigner dès le début, et pour les amener de la sorte à l'entendre. Les prophètes et Salomon se sont nommés dans leurs œuvres, à la différence des historiens sacrés. Je vous laisse le soin de chercher la raison pour laquelle les uns se sont nommés, et non les autres; car il n'est pas utile que vous appreniez tout de moi : vous devez travailler aussi de votre côté, de peur que vous ne tombiez dans l'indolence. « Paul, le serviteur de Jésus-Christ. » Pourquoi Dieu changea-t-il son nom et l'appela-t-il Paul au lieu de Saul? Pour qu'on ne l'estimât pas, même à cet égard, inférieur aux autres apôtres, et qu'il leur fût ainsi plus étroitement uni, possédant dès lors une distinction qui le rapprochait de leur coryphée. Ce n'est pas sans intention qu'il se donne le titre de serviteur du Christ. Cette dépendance revêt plusieurs formes : il en est une qui dépend de la création, ce qui faisait dire au Prophète royal : « Toutes les créatures vous servent. » Psalm. CXVIII 91. Jérémie prêtait à Dieu dans le même sens cette parole : « Mon serviteur Nabuchodonosor.» Jerem., XXV, 9. Et dans le fait, l’œuvre est sous la dépendance de l'ouvrier. Une autre forme dépend de la foi; c'est celle dont Paul lui-même a dit : « Grâces soient rendues à Dieu. Après avoir porté le joug du péché, vous avez obéi de cœur selon le type de la doctrine à laquelle vous avez adhéré; affranchis du péché, vous êtes devenus les serviteurs de la justice. » Rom., VI, 17. Une autre encore dépend du genre de vie qu'on mène; c'est à celle-là qu'il est fait allusion dans ce texte : « Moïse mon serviteur est mort. » Jos., I, 2. Tous les Juifs étaient des serviteurs sans doute; mais Moïse l'était d'une manière plus éclatante par le caractère de sa vie. Paul l'étant donc sous tous ces rapports à la fois, se pare de ce titre comme de sa plus belle gloire : « Serviteur de Jésus-Christ. » Les noms du Sauveur sont puisés dans le mystère de l'Incarnation, dont ils remontent en quelque sorte les degrés. C'est l'ange qui apporta du ciel le nom de Jésus, quand le Verbe incarné dut naître de la Vierge; et celui de Christ signifie oint, ce qui tient encore à la chair. — Où donc, me demandera-t-on, a-t-il été oint avec de l'huile ? — Ce n'est pas avec de l'huile qu'il a été oint, il a reçu l'onction de l'Esprit; et voilà ceux que l'Écriture a coutume d'appeler christs. Ce qu'il y a de principal dans l’onction sainte, c'est l'Esprit, et l'huile n'en est que le symbole. — Mais en quel endroit l'Écriture appelle-t-elle christs ceux qui n'ont pas été oints avec de l'huile ? — Dans celui-ci : « Ne touchez pas à mes christs, et ne dressez pas des embûches à mes prophètes. » Dans Psalm. CIV, 15. Il n'en était aucun alors qui eût reçu l'onction de l'huile.

« Appelé à l'apostolat. » Partout il se désigne comme étant appelé, témoignant ainsi sa reconnaissance, montrant de plus qu'il ne s'est pas ingéré de lui-même, qu'il n'a fait qu'obéir et répondre à l'appel. Il désigne ainsi les fidèles : « Les saints appelés. » Eux ont été simplement appelés à la foi ; mais lui, c'est à l'apostolat, cette dignité qui comprend des biens sans nombre, qui surpasse les grâces spirituelles, en les embrassant. La mission que le Christ est venu remplir sur la terre, il l’a confiée aux apôtres en remontant au ciel; que pourrait-on dire de plus? C'est ce que Paul proclame en exaltant le ministère apostolique : « Nous sommes les ambassadeurs du Christ, c'est comme si Dieu vous exhortait par notre bouche; » 11 Cor.,V, 20; nous remplissons la place même du Christ. «  Mis à part pour l'Evangile de Dieu. » De même que chaque membre d'une famille a son emploi particulier, de même dans l'Église les hommes destinés à la servir ont une destination spéciale. Peut-être cependant l'Apôtre ne veut-il pas seulement parler de la part qui lui est échue dans le ministère, et désigne-t-il ainsi la pensée divine à son égard, l’œuvre pour laquelle Dieu l'a primitivement marqué. C'est mon opinion. Jérémie prête à Dieu un langage qui confirme bien cette pensée : « Avant que tu fusses sorti du sein de ta mère, je t'ai sanctifié, je t'ai posé prophète pour les nations. » Jerem., I, 5. Comme Paul écrivait aux habitants d'une ville pleine de faste et d'orgueil, il proteste de toutes les façons que c'est ici l'ordre de Dieu, une vocation divine, un dessein arrêté au ciel; ce qu'il dit pour disposer les esprits et les cœurs à bien accueillir son Épître. « Pour l'Évangile de Dieu. » Donc Matthieu, Marc et les autres ne sont pas seuls Évangélistes, pas plus que celui-ci n'est seul apôtre, quoique les noms soient ainsi distribués et se trouvent déterminés par la qualité dominante. Par le mot Évangile, il n'éveille pas uniquement le souvenir des biens accomplis, il annonce encore ceux qui vont s'accomplir. — Mais comment prétend-il que Dieu lui-même évangélise par sa bouche, puisqu'il dit : « Mis à part pour l'Évangile de Dieu? » Le Père était connu avant l'Évangile. — S'il était connu, ce n'est que des Juifs, et pas même de tous, ni d'une connaissance digne de son objet; car les Juifs ignoraient que Dieu fût Père, et beaucoup de fausses idées se mêlaient à leur foi. De là cette parole du divin Maître : « Viendront les vrais adorateurs...; tels sont ceux dont le Père accepte les adorations. » Joan., IV, 23. C'est plus tard qu'il se manifeste à l'univers en même temps que le Fils; ce que le Sauveur annonçait en ces termes : « Afin que les hommes vous connaissent seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ. » Ibid., XVII, 3. C'est l'Évangile de Dieu qu'il annonce, et, par ce mot, il donne déjà l'essor à l'âme de son auditeur. Il ne vient pas avec de pénibles paroles à la bouche, avec des accusations, des reproches et des menaces, comme venaient les prophètes; il apporte la bonne nouvelle, l'Évangile même de Dieu, l'inestimable réunion des biens immuables. « Que le Seigneur avait promis par ses prophètes dans les divines Écritures. » — « Le Seigneur donnera sa parole, était-il écrit, à des hommes qui l'annonceront avec une grande puissance. » Psalm. LXVII, 12. II était encore dit : « Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui nous portent l'heureuse nouvelle de la paix ! » Isa., LII, 7.

2. Vous le voyez, le nom même d'Évangile et le mode de la prédication se trouvent consignés dans l'Ancien Testament. Ce n'est pas avec la parole seule, semble dire Paul, que nous le prêcherons, c'est encore avec les oeuvres. Et cela se comprend, car il ne s'agit pas d'une invention humaine, il s'agit d'un trésor divin, mystérieux, supérieur à toute nature. Puis, comme on l'accusait d'innover dans son enseignement, il en montre les premiers linéaments chez les anciens philosophes de la Grèce, et surtout dans les prophéties. Si cette doctrine n'a pas été donnée dans ces premiers âges, c'est que les hommes ne voulurent pas s'y prêter ; ceux dont la volonté fut plus droite, l'ont certes entendue. « Abraham votre père tressaillit pour apercevoir mon jour; il l'aperçut et s'en réjouit. » Joan.,VII , 56. Comment donc le Christ lui-même a-t-il pu dire : « Beaucoup de prophètes et de justes ont voulu voir ce que vous voyez, mais ne l'ont pas vu? » Matth., XIII, 17. De la manière, veut-il dire, que vous le voyez et l'entendez, dans la réalité de la chair, dans la perception immédiate des miracles. Considérez, je vous prie, combien de temps auparavant ces choses avaient été prédites. C'est ainsi, quand Dieu prépare de grands événements, il les annonce longtemps d'avance pour façonner en quelque sorte les âmes à les mieux accueillir quand ils éclateront. « Dans les saintes Écritures. » Les prophètes ne se contentaient pas de parler, ils écrivaient encore ce qu'ils disaient; ils ne se bornaient pas même à l'écrire, ils le figuraient par leurs actions : c'est Abraham allant immoler Isaac, c'est Moïse élevant le serpent d'airain , étendant les mains contre les Amalécites, immolant l'agneau pascal. « Touchant son Fils, qui est né de la race de David selon la chair. »

Paul, que faites-vous ? Après avoir donné le plus sublime élan à nos âmes, offert à nos méditations de grands et profonds mystères, nommé l'Évangile, et l'Évangile de Dieu, évoqué le chœur des prophètes, se faisant tous les hérauts de' l'avenir à la distance de tant de siècles, comment nous ramenez-vous maintenant à David ? De quel homme allez-vous nous entretenir, je vous le demande, pour rappeler ainsi que le fils de Jessé fut son père? De telles idées sont-elles bien dignes de celles qui précèdent? — Complètement dignes en réalité ; car je n'ai pas à parler d'un simple mortel. — De là ce qu'il ajoute : « Selon la chair, » nous faisant entendre qu'il est une autre génération, celle selon l'esprit. — Et pourquoi commence-t-il par ce qu'il y a de moins élevé?—C'est que Matthieu, Luc et Marc ont commencé de la même manière. Celui dont le but est de nous conduire au ciel, doit nécessairement partir d'ici-bas avec nous pour nous faire arriver là-haut : tel est l'ordre de la Providence. On le vit d'abord homme sur la terre, et puis on reconnut qu’il était Dieu. Or, la marche qu'il suivit dans son enseignement, le disciple la suit avec exactitude. Il commence donc par la génération selon la chair, bien qu'elle ne soit pas la première, mais parce que l'auditeur ne peut arriver à celle-ci, que par celle-là. «Qui a été déterminé Fils de Dieu en puissance, dans l'Esprit de sainteté, par sa résurrection d'entre les morts, Jésus-Christ. »

Il y a là des expressions obscures et compliquées ; il importe que nous les élucidions. Quel est donc le vrai sens de ce langage ? Nous prêchons celui qui est né de David, dit l'Apôtre. Voilà qui n'offre aucune difficulté; mais d'où tirons-nous que le même est le Fils de Dieu fait homme? Des prophètes, en premier lieu; et Paul le déclare : «  Qu'il avait depuis longtemps promis par ses prophètes dans les divines Écritures » Et ce mode de démonstration mérite une attention spéciale. En second lieu, par sa génération même, ainsi qu'il le dit : «De la race de David selon la chair. » Sa naissance renverse les lois de la nature. En troisième lieu, par les miracles que Jésus accomplit pour donner une preuve de sa vertu divine ; ce que nous fait entendre ce mot : « En puissance. » En quatrième lieu, par l'Esprit qu'il donna à ceux qui crurent à sa parole et par lequel il les sanctifia; et de là ce qui vient ensuite : « Selon l'Esprit de sainteté ; » car il n'appartient qu'à Dieu d'accorder de tels dons. Enfin, par le miracle de la résurrection. Jésus est le premier et le seul qui se soit ressuscité lui-même; et ce signe, il l'avait donné d'avance comme le plus propre à confondre les impudents, puisqu'il disait : « Détruisez ce temple, et dans trois jours je l'aurai rebâti.... Quand vous m'aurez élevé au-dessus de la terre , vous connaîtrez alors qui je suis... Cette génération demande un signe, et il ne lui sera pas donné d'autre signe que celui de Jonas.» Joan.,II,19;VIII, 28; Matth., XII, 39. Que signifie plus haut le mot « déterminé?» Montré, déclaré, reconnu, au jugement et de l'aveu de tous, démontré tel, et par les prophètes, et par sa mystérieuse naissance selon la chair, et par le pouvoir des miracles, et par l'Esprit saint qu'il a fait descendre sur la terre, et par sa résurrection, ce triomphe décisif remporté sur la tyrannie de la mort. « Par lui nous avons reçu la grâce et l'apostolat, pour tout soumettre à l'empire de la foi. » Quelle reconnaissance et quelle modestie dans le serviteur ! il ne s'attribue rien, il rapporte tout à son maître.

Au fond, c'est bien du Christ que vient cette inspiration. Il disait : « J'ai beaucoup de choses à vous enseigner encore; mais vous ne pouvez pas les porter en ce moment. Lorsque celui-là sera venu, l'Esprit de vérité, il vous enseignera toute vérité. » Joan., XVI, 12. L'Esprit saint disait lui-même : «  Mettez à part pour moi Paul et Barnabé. » Act., XIII, 2. L'Apôtre s'exprime ainsi dans son épître aux Corinthiens : « Par l'Esprit, à l'un est donnée la parole de la sagesse, à l'autre la parole de la science... ; il divise ses dons comme il l'entend. » I Cor., XII, 8-11. Le même Paul tenait ce langage aux Milésiens : «L'Esprit saint vous a posés comme pasteurs et évêques. » Act., XX , 28. Voyez comme les actes de l’Esprit sont attribués au Fils, et réciproque-ment, dans l’Ecriture. « La grâce et l'apostolat.» C'est comme s'il disait : Ce n'est pas à notre vertu que nous devons d'être apôtres ; ce n'est pas à force de travaux et de fatigues que nous sommes parvenus à cette dignité; c'est une grâce qui nous a été faite, c'est un pur don qui nous vient du ciel. «Pour établir l'empire de la foi. »

3. Les apôtres n'accomplissaient donc pas eux-mêmes ces grandes choses, la grâce les opérait en eux et par eux. Il leur appartenait de parcourir le monde et d'élever la voix; quant à persuader les âmes, cela n'appartenait qu'à Dieu, selon cette parole de Luc : « Dieu leur ouvrit le cœur ; » et puis encore : « Ceux auxquels il était donné d'entendre la parole de Dieu. » — «  Pour l'obéissance. » Il ne dit pas pour des recherches ou des arguments. Non; c'est pour l'obéissance ; car nous ne sommes pas envoyés pour construire des syllogismes, mais pour rendre ce que nous avons reçu. Lorsque le Seigneur a parlé, les auditeurs ne doivent pas scruter sa parole et la soumettre à leur examen, ils n'ont simplement qu'à la recevoir. Les apôtres sont envoyés pour redire ce qu'ils ont entendu, sans y rien ajouter d'eux-mêmes : à nous de croire. Sur quoi doit porter cette foi? « Sur son nom. » Nous n'avons pas à fouiller indiscrètement dans sa substance ; croyons en son nom. C'est ce nom qui faisait des prodiges; entendez plutôt « Au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche. » Act., III, 6. C'est là que la foi nous est nécessaire, ces choses ne tombent pas sous le raisonnement. « Pour tous les peuples, du milieu desquels vous êtes, vous aussi, les appelés de Jésus-Christ. » Quoi donc ? est-ce que Paul a prêché à toutes les nations? Qu'il ait parcouru toutes les contrées de Jérusalem à l'Illyrie, et que de là il soit allé jusqu'aux extrémités de la terre, nous le voyons clairement d'après ce qu'il écrit aux Romains. Bien qu'il ne se soit pas transporté littéralement chez tous les peuples, son affirmation n'est pas moins à l'abri de toute erreur; car il ne parle pas seulement de lui-même, il parle aussi des douze apôtres et de tous ceux qui prêchèrent avec eux. A vouloir même n'entendre cette affirmation que de Paul, vous ne sauriez y contredire, si vous considérez la grandeur de son zèle, et cette prédication qu'il exerce encore dans tout l'univers après sa mort.

Examinez comme il relève ce don, comme il en fait ressortir la magnificence et montre combien il est supérieur au premier : les institutions antiques n'avaient pour objet qu'une nation, tandis que les nôtres embrassent la terre entière et toutes les mers. Remarquez encore , je vous prie, à quel point l'âme de Paul est éloignée de toute adulation. S'adressant aux Romains, qui tenaient à leurs pieds l'univers, il ne leur accorde rien de plus qu'au reste des nations; dans l'ordre spirituel, il n'estime pas qu'ils se distinguent des peuples qui leur sont soumis. Nous vous prêchons, leur dit-il, de la même manière qu'aux autres. Il les fait rentrer dans la même énumération que les Scythes et les Thraces. Si telle n'était pas sa pensée, vainement il aurait dit : « Parmi lesquels vous êtes ? » Il agit ainsi pour rabaisser leur orgueil et leur faste, pour les ramener au commun niveau ; c'est pour cela qu'il ajoute : « Parmi lesquels vous êtes, vous aussi, les appelés de Jésus-Christ. » Il ne pouvait pas mieux les confondre avec la masse. Il ne leur dit même pas que les autres sont appelés avec eux, mais bien qu'ils sont eux appelés avec les autres. Si dans le .Christ Jésus, en effet, on ne distingue pas l'homme libre de l'esclave, moins encore distinguera-t-on le souverain de l'homme privé. Vous êtes appelés, et ce n'est pas de vous-mêmes que vous êtes venus. « A tous ceux qui sont à Rome, à vous qui êtes chéris de Dieu, saints par vocation, que Dieu notre Père et le Seigneur Jésus-Christ vous donnent la grâce et la paix. » Voyez comme il revient souvent à l'idée de vocation : « Appelés à l'apostolat; vous êtes les appelés de Dieu; à tous les saints par vocation qui sont à Rome. » Ce n'est pas là une redondance stérile; son but est de leur remettre sans cesse le bienfait sous les yeux.

Il est vraisemblable que parmi les croyants se trouvaient des préfets et des consulaires, en même temps que des pauvres et de simples particuliers. Il fait donc disparaître toute inégalité en les désignant tous par le même nom. Or, si tout est commun entre serviteurs et maîtres quand il s'agit des biens les plus nécessaires, des biens spirituels, comme l'amour de Dieu, la vocation, l'Évangile, l'adoption, la grâce, la paix, la sanctification et les autres choses du même genre, n'est-ce pas une extrême folie de distinguer, à propos des intérêts terrestres, ceux que Dieu a rendus égaux et mis ensemble par rapport aux intérêts éternels ? Voilà pourquoi, les arrachant dès le début à cette triste maladie, le bienheureux Apôtre les attire à la mère de tous les biens, à l'humilité. De là résultait une amélioration dans les serviteurs, puisqu'ils demeuraient persuadés que la servitude ne leur était nullement nuisible, et qu'ils possédaient la vraie liberté. Dans cette même doctrine, les maîtres puisaient la modération, sachant désormais que la liberté ne leur serait d'aucun avantage s'ils ne commençaient par accomplir les obligations de la foi. Pour vous convaincre que Paul, en procédant de la sorte, n'introduit pas la confusion, ne s'expose pas à tout bouleverser, qu'il sait même respecter une distinction légitime; notez n'écrit pas simplement : « A vous tous qui à Rome, » et qu'il leur donne de plus ce titre : « Les amis de Dieu. » Voilà bien la distinction par excellence, celle qui nous ramène à la source de la sainteté.

4. D'où vient donc la sanctification ? De l’amour divin. Et voyez : après leur avoir donné ce titre d'amis de Dieu, il leur donne celui de saints par vocation, nous montrant que c'est là pour nous le principe de tous les biens. Observez que par ce nom de saints, il désigne tous les fidèles. « A vous la grâce et la paix. » O l'admirable, ô l'heureuse et féconde salutation ! Telle est la parole que les apôtres devaient prononcer en entrant dans une maison, selon l'ordre formel du divin Maître. Aussi Paul commence-t-il invariablement par souhaiter la grâce et la paix. Ce n'est pas une guerre de peu d'importance à laquelle le Christ a mis fin, c'est une guerre multiple, qui se déchaînait sous toutes les formes et dans tous les temps; et c'est par sa grâce, non par nos efforts, qu’il l'a détruite. Puis donc que l'amour a produit la grâce, et que de la grâce est née la paix, l'Apôtre, après avoir émis ce souhait en forme de salutation, demande à Dieu que cette grâce et cette paix soient immuables, qu'elles demeurent à jamais, que rien ne vienne exciter de nouveau la guerre; il remonte à l'auteur de ces dons précieux en ces termes : « Que Dieu notre Père et le Seigneur Jésus-Christ vous donnent la grâce et la paix. » Dans cette phrase, l'action du Père et du Fils est commune, ils agissent l’un et l'autre avec la même puissance et la même autorité. Paul n'a pas dit : Que Dieu le Père vous donne la grâce et la paix par Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais bien : « Que Dieu notre Père et Notre-Seigneur Jésus-Christ... » Quelle puissance dans la charité divine ! Des ennemis, des réprouvés de-viennent tout à coup des saints et des enfants. En appelant Dieu leur père, il leur communique eu effet la gloire de la filiation ; et cette gloire elle-même est pour eux la révélation de tous les trésors célestes.

Pratiquons donc avec persévérance des vertus dignes d'un tel don, gardons fidèlement la paix et la sainteté. Les autres dignités n'ont qu'un temps et disparaissent avec la vie présente; on les achète avec un peu d'argent : aussi ne peut-on pas les regarder comme des dignités véritables, ce n'est là qu'un vain nom, tout consiste dans l'éclat des habits et dans le nombre des satellites. Ce don de la sanctification et de l'adoption, nous venant de Dieu même, ne saurait nous être ravi par la mort, il nous revêt d'une lumière immortelle, il nous sert dans une meilleure vie. Celui qui conserve avec soin cette gloire de la filiation et de la sanctification est mille fois plus grand et plus heureux qu'un homme portant le diadème et la pourpre ; ici-bas même, il jouit d'une profonde tranquillité, soutenu qu'il est par de légitimes espérances, n'ayant plus un motif de trouble et de perturbation, goûtant une joie que rien ne saurait altérer. La joie de l'âme, le vrai bonheur, ce n'est ni la souveraine puissance, ni les richesses accumulées, ni le faste dont on s'entoure, ni la force du corps, ni les mets exquis, ni les habits splendides qui peuvent nous les donner; aucune chose humaine ne le peut, mais uniquement les bonnes oeuvres spirituelles, une conscience droite et pure. Quand on a ce trésor intérieur, serait-on couvert de haillons, aux prises avec la faim, on est plus joyeux que les hommes plongés dans les délices; et réciproquement, quand on a la conscience souillée, nagerait-on au sein de l'opulence, on est le dernier des malheureux.

Voilà pourquoi Paul, souffrant constamment la faim et la nudité, souvent battu de verges, était plus heureux et plus triomphant que les monarques : Achab, au contraire, avait beau s'entourer de tous les plaisirs et s'asseoir sur un trône, le péché que nous connaissons suffisait pour lui arracher des gémissements et le jeter dans l'angoisse; son front était abattu sous le chagrin, soit quand il était sur le point de commettre l'iniquité, soit après l'avoir commise. Voulons-nous donc être heureux, fuyons avant tout le vice et pratiquons la vertu ; pas d'autre moyen de posséder le bonheur, alors même qu'on aurait la puissance royale. A cela se rapporte aussi cette parole de Paul : « Or, le fruit de l'Esprit, c'est la charité, la joie, la paix. » Galat., V, 22. Conservons ce fruit en nous-mêmes, afin que nous ayons ici-bas un doux contentement, et que nous possédions là-haut le royaume, par la grâce et l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire au Père en même temps qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.