Saint Augustin

Une oeuvre considérable

1. Son oeuvre est considérable, à la fois en quantité et en qualité, elle reste inégalée, sauf peut être par Jean Chrysostome et Thomas d'Aquin, et a exercé une influence déterminante sur l'Eglise d'Occident. Car il faut ajouter à une formation intellectuelle initiale philosophique et rhétorique de grande valeur, une détermination implacable dans la recherche de la vérité, une intelligence très vive, une propension à diffuser sa pensée sans restriction et une foi puissante et sincère avec l'inspiration divine qui en est la conséquence inévitable.
On dénombre plus de 600 lettres et sermons et 93 livres ! Rien que les Confessions tiennent en 13 livres...

Comme pour beaucoup de pères de l'Eglise une partie de cette oeuvre trouve son origine dans la nécessité de préciser la doctrine de l'Eglise face à un certain nombre d'hérésies qui surgissaient à cette époque, notamment en Afrique du nord : le manichéisme, le donatisme, le pélagisme...

Un temps séduit par le manichéisme, Augustin n'aura aucun mal à réfuter les erreurs dogmatiques de cette pensée fondée sur l'existence d'un Dieu bon mais inactif face à un "dieu" mauvais mais omniprésent dans la création. Dans son "De natura boni" il démontre :

  • l'origine du mal comme absence de bien et non l'inverse
  • l'identité entre le Dieu de l'Ancien Testament et celui du Nouveau,
  • et l'unité des deux, contre la thèse manichéenne qui prétend que l'Ancien Testament aurait été rédigé par un dieu mauvais.

Une anecdote : dans son combat pour réfuter le manichéisme, Augustin s'opposa à un prêtre de Carthage, Fortunatus, qui séjournait à Hippone, où il "induisait en erreur et aveuglait les habitants". Relatés dans les Acta contra Fortunatum Manichaeum, ses arguments désarçonnèrent à ce point Fortunatus, que, ne sachant que répondre, il quitta immédiatement Hippone en homme vaincu. Voilà comment on lutte contre l'hérésie !

Le donatisme : essentiellement présente en Afrique du Nord, cette église considèrait que seuls des ministres sans péchés pouvaient valablement exercer leur ministère et dispenser les sacrements. Augustin leur répond en faisant une différence entre la validité et l'efficacité du sacrement, le sacrement dispensé ou reçu indignement pouvant ne pas assurer de prime abord le salut de celui qui le reçoit, mais le baptème n'en imprime pas moins son sceau inéffaçable car en fait seul le Christ est dispensateur des sacrements, par l'intermédiaire de ses serviteurs. Augustin a cette formule percutante :

Quand Pierre baptise, c'est le Christ qui baptise; quand Paul baptise, c'est le Christ qui baptise; oui, même quand Judas baptise, c'est encore le Christ qui baptise !

Par ailleurs, le schisme donatiste voulait que l'Eglise unie et sainte ne puisse compter que des membres également saints; l'Eglise, avait dit un évêque donatiste, est comme une arche de Noé, bien goudronnée à l'intérieur, pour ne pas laisser échapper les eaux salutaires du baptème, mais aussi à l'extérieur pour ne pas laisser entrer les eaux souillées du dehors. Augustin répond en établissant une différence entre la sainteté intangible de l'Eglise, corps du Christ, qui est le fondement de son unité (Christus totus caput et corpus), et la peccabilité de ses membres qui fait de l'Eglise un corpus permixtum jusqu'à son accomplissement. Mais il ne peut y avoir qu'une seule Eglise, qui doit être l'Eglise universelle.

La voix de Dieu tonnant dans le ciel proclame que la construction de la maison du Seigneur s'étendra sur toute la terre : et ces grenouilles dans leur marais vont coassant : 'C'est nous qui sommes les seuls chrétiens !'

L'Eglise étant devenue majoritaire en Numidie, on y verra selon saint Augustin lui-même :

Avares, ivrognes, fourbes, joueurs, adultères, débauchés, porteurs d'amulettes, clients assidus des sorciers et des astrologues... Saches que les mêmes foules qui se pressent dans les églises lors des solennités chrétiennes remplissent aussi les théâtres aux jours des fêtes païennes.

On n'était plus dans l'Eglise des martyrs de l'époque de Saint Cyprien. Pour autant, il y a une dynamique dans l'Eglise, où selon une conception toute platonicienne -contrairement à celle des donatistes qui en sont restés à une conception judaïque de la pureté et de la loi - les choses ne sont pas figées, mais sont en devenir, le baptème n'est pas un achèvement mais un commencement, un chemin vers la perfection, à condition d'y oeuvrer jour après jour. De ce fait, l'écclésiologie d'Augustin va se déployer dans sa conception de la triplo communio : l'Eglise terrestre, communio sanctorum, est faite de bons et de méchants sans que cela porte préjudice à la sainteté du corps du Christ ; ceux qui sont déjà morts dans le Christ constituent l'autre partie du corps du Christ, la communio justorum et l'Eglise eschatologique, communio praedestinatorum, tous ceux qui sont appelés au salut.

Les donatistes voulaient résoudre le problème du mal dans le monde, en rompant tout contact avec cette société impure et en s'isolant entre eux. Or le chrétien, au contraire pour Augustin devait d'abord se sanctifier, ensuite coexister avec les pécheurs et enfin se préparer à les corriger activement. Le but n'était pas de constituer un petit noyau isolé de parfaits, mais au travers et à partir de l'Eglise de restaurer l'unité perdue de la race humaine, puisque tous descendent d'Adam.

C'est dans une conférence convoquée à Carthage en 411 que le sort des 285 évèques donatistes est définitivement scellé et un édit de l'empereur Honorius en janvier 412 ordonne la répression des donatistes par les autorités civiles.

Le pélagisme : à peine la question des donatistes est-elle réglée, qu'Augustin doit faire face à une autre controverse qui l'occupera jusqu'à la fin de sa vie, celle que posa un moine irlandais, Pélage, et qui soulève la question de la grâce. Réaction contre la médiocrité et la négligence des fidèles qui affluaient en nombre croissant vers une Eglise en quelque sorte victime de son succès, elle entendait encourager les chrétiens au zèle pour mener une vie authentiquement chrétienne, en soulignant l'importance de la décision volontaire de l'homme en faveur du Bien. Partant de l'hypothèse que l'homme, créé à l'image de Dieu, est naturellement en possession de la grâce et a donc la possibilité de décider librement d'obéir aux commandements, pour obtenir le salut. Mais il ne considère pas que la faute d'Adam, comme péché originel, se transmet de génération en génération mais seulement comme une faute personnelle d'Adam, notre fermeté dans la foi nous permettant de résister à cette inclination; ce sont donc nos propres mérites et non les sacrements qui nous valent d'obtenir la grâce divine. Il récuse dès lors le baptème des enfants qui commençait à se répandre à cette époque.

La doctrine pélagienne ne fut pas immédiatement considérée comme une hérésie, car elle ne paraissait pas toucher directement la théologie, mais plutôt l'éthique. La controverse ne fut d'ailleurs pas déclenchée par Pélage lui-même mais par son disciple, Caelestius, qui après la chute de Rome le 24 août 410 vint s'établir à Carthage. C'est Augustin qui le premier reconnut le caractère dangereux d'une théorie selon laquelle finalement l'homme est capable par lui-même de mériter son salut. En effet, si le Christ n'est qu'un exemple à suivre, à quelle fin serait-il mort sur la croix ? C'est contre cela que Paul lui-même avait déjà mis en garde dans sa première lettre aux Corinthiens : "la réduction à néant de la croix du Christ".

Augustin rédige en 412 son premier ouvrage antipélagien, De peccatorum meritis et de baptismo parvulorum, dans lequel il souligne la nécessité de la grâce de Dieu, qui précède la volonté humaine et la nécessité absolue du baptème pour avoir part à la mort du Christ sur la croix et triompher ainsi de la faute originelle. La doctrine de la grâce d'Augustin repose sur l'idée fondamentale que le péché d'Adam n'a pas seulement été sa faute personnelle mais qu'il a fait de l'humanité entière une massa damnata et que cette faute se transmet de génération en génération, non par imitation personnelle (imitatio) mais par propagation (propagatio) moyennant la concupiscence (concupiscentia) de l'homme. La nature originelle de l'homme dans l'état paradisiaque pouvait alors opter immédiatement pour Dieu, mais désormais corrompue par le péché originel elle n'en est plus capable et la grâce préalable de Dieu lui est devenue indispensable. même si c'est la libre volonté de l'homme qui détermine l'efficacité de la grâce.

"Dans un sermon préché devant un auditoire de simples, il régla leur compte aux pélagiens et aux caelestiens : ces 'outres remplies de vent', gonflées d'orgueil avaient eu l'audace, face aux paroles retentissantes de l'Apôtre, de nier que 'personne dans cette chair, personne dans ce corps corruptible, personne sur cette terre dans ce temps pervers, dans cette vie remplie de tentations... personne ne puisse vivre sans péché'... Comme le blessé laissé pour mort au bord du chemin dans la parabole du bon Samaritain, la vie du chrétien avait été sauvée par le sacrement du baptème, mais force lui serait de supporter pendant tout le reste de ses jours une longue et précaire convalescence 'dans l'auberge de l'Eglise' " [Peter Brown - Vie de saint Augustin].

2. 

Les Confessions

Le terme doit ici être pris dans ses deux acceptions : récit de sa vie et de ses errements passés mais aussi "reconnaissance", notamment de la grandeur et de la bonté de Dieu ainsi qu'il l'exprime lui-même dans l'ouvrage : "la confession s'exprime et doit être entendue de deux façons : l'une dans le sens de ton châtiment, l'autre dans celui de la gloire rendue à Dieu." La rédaction des Confessions commence après la mort d'Ambroise en 397. C'est donc au-delà d'une biographie, un livre qui énonce la vision du monde d'Augustin sa philosophie et sa conception de Dieu. Elles sont un manifeste du monde intérieur :

Les hommes s'en vont admirer la hauteur des montagnes, les vagues géantes de la mer, les fleuves glissant en larges nappes d'eau, l'ample contour de l'océan, les révolutions astrales : et ils se laissent eux-mêmes de côté, ils ne s'émerveillent pas devant eux-mêmes.

Or on ne peut espérer trouver Dieu, avant de s'être d'abord trouvé soi-même. La tragédie humaine réside dans cette fuite "à l'extérieur" cette errance "loin de son propre coeur".

Toi tu étais devant moi, mais moi, j'étais parti loin de moi, je ne pouvais donc plus me trouver moi-même : combien moins encore alors pouvais-je Te trouver toi-même !

En effet, la liberté humaine a ses limites : Augustin raconte l'épisode où, adolescent, il a pris plaisir à saccager un poirier, sans raison, pour donner ensuite ses fruits aux cochons, cet acte gratuit du jeune chenapan qu'il était alors devient une triste illustration du libre arbitre :

Que n'aurais-je pu faire en effet, moi qui suis allé jusqu'à aimer un forfait gratuit !

Les hommes n'exerçant finalement leur liberté que pour mieux "se jeter la tête baissée dans l'abîme". Or nos actions passées, bonnes ou mauvaises, finissent par former une "chaîne d'habitudes" qui nous maintiennent solidement dans cet état imparfait comme : "non des fers étrangers mais les fers de ma propre volonté". Tout au long de l'ouvrage on retrouve cette question obsédante de la volonté :

L'ennemi tenait mon vouloir, il en avait fait une chaîne et me serrait étroitement. Oui, de la volonté perverse naît la passion, de l'esclavage de la passion naît l'habitude et de la non-résistance à l'habitude, naît la nécessité et ces sortes de maillons reliés entre eux me retenaient dans une dure servitude.

L'habitude s'oppose au renoncement et nous dit : "Crois-tu que tu pourras vivre sans ces choses-là ?" Voilà le piège...

Mais le changement attendu ne peut se réaliser que par des voies qui nous échappent en partie :

Le tout était de ne pas vouloir ce je voulais mais de vouloir ce que Tu voulais. Mais où était-il tout au long de ces années, et du fond de quelle profonde retraite fut-il rappelé en un instant mon libre arbitre pour me faire soumettre la nuque à ton joug de douceur ?

"Augustin avait toujours le souci de fondre en un seul le 'Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob' et le 'dieu des philosophes'. Aucun livre ne montre cette fusion avec un art littéraire plus grand que les Confessions" (Peter Brown : La vie de saint Augustin).

3. 

De la Trinité

"Tandis qu'Augustin songeait à écrire un livre sur la Trinité, il se promenait sur la plage et vit un garçon qui avait creusé un petit trou dans le sable dans lequel il versait de l'eau puisée dans la mer avec un coquillage. Augustin demanda au garçon ce qu'il faisait. Il lui répondit qu'il avait entrepris de vider la mer avec le coquillage et de la déverser dans ce trou. Quand Augustin lui présenta que c'était impossible, souriant de la naïveté de l'enfant, le garçon lui dit qu'il lui serait plus facile de faire cela qu'à Augustin d'expliquer ne fût-ce que la plus infime partie des mystères de la Trinité dans son livre."

Cette légende médiévale traduit de façon imagée les difficultés qu'a éprouvé Saint Augustin dans la rédaction de son traité De Trinitae et qu'il décrit lui-même dans son prologue, la lettre dédiée à l'évêque Aurelius de Carthage. Il lui faudra en effet pas moins de quatorze années de travail donnant naissance à douze livres, sans qu'Augustin soit véritablement satisfait du résultat, ce qui le conduisit à en retarder la publication en permanence. Ce sont ses amis et ses élèves, qui ne voyaient dans ses hésitations qu'un perfectionnisme superflu, qui diffusèrent le manuscrit sans son autorisation.

Dès le premier Livre, les intentions de l'auteur sont explicites :

J’entreprends donc avec le secours du Seigneur, notre Dieu, d’exposer à mes adversaires, selon leurs désirs, les diverses raisons qui nous font dire, croire et comprendre comment en un seul et vrai Dieu existe la Trinité des personnes, et comment ces trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, n’ont qu’une seule et même nature, une seule et même substance. Au reste, je me propose bien moins de faire taire leurs froides plaisanteries, que de les amener à proclamer l’existence de cet Etre qui est souverainement bon, et qui ne se révèle qu’aux âmes pures et dégagées des sens. S’ils ne peuvent donc ni le voir, ni le comprendre, c’est que l’œil de l’homme est trop faible pour soutenir par lui-même l’éclat de la lumière divine, et qu’il a besoin d’être fortifié par l’exercice de la foi et de la justice chrétienne.

Quels sont les grands principes énoncés dans ce monumental ouvrage ?

  • La Trinité constitue non seulement une unité inséparable, mais oeuvre également toujours comme telle.
  • Les personnes divines sont toutes trois l'Etre même, éternel, immuable, consusbtantiel. Leurs différences ne viennent donc pas de leur être, mais de leurs relations, qui trouvent leur expression dans leur nom : le Père, commencement et non engendré; le Fils, parole et image du Père; l'Esprit saint, grâce et amour.
  • L'homme, image de Dieu est par conséquent aussi image de la Trinité : c'est pourquoi il peut retrouver en lui le Dieu trinitaire comme memoria, intelligentia et voluntas ou amor c'est à dire la mémoire, l'intelligence et la volonté qui constituent la "trinité" de l'âme.
Ce n’est pas parce que l’âme se souvient d’elle-même, se comprend et s’aime elle-même, que la trinité qu’elle renferme est l’image de Dieu ; mais parce qu’elle peut aussi se souvenir de Celui qui l’a créée, le comprendre et l’aimer. C’est par là qu’elle devient sage. Si elle ne le fait pas, elle a beau se souvenir d’elle-même, se comprendre et s’aimer elle-même, elle est insensée. Qu’elle se souvienne donc du Dieu à l’image duquel elle a été faite, qu’elle le comprenne et qu’elle l’aime ; en deux mots, qu’elle honore le Dieu incréé, qui l’a créée capable de le comprendre et qu’elle peut posséder. C’est pour cela qu’il est écrit : « Honorer le Seigneur, voilà la sagesse (Job., XXVIII, 28 ) ». Ce n’est point par sa propre lumière que l’âme sera sage, mais par participation à cette lumière souveraine ; et, là où elle sera immortelle, elle règnera au sein du bonheur. Ainsi entendue, la sagesse de l’homme n’est autre chose que la sagesse de Dieu.
[Livre 14, Chapitre 12]

4. 

La Cité de Dieu

Le 24 août 410, Rome fut mise à sac et pillée pendant trois jours par les troupes du roi Wisigoth et arien Alaric. Cet évènement dramatique, qui annonçait la prochaine chute et fin de l'Empire romain d'Occident (qui eut lieu finalement en 476) eut un retentissement immense dans tout l'Empire. Rome n'était plus invincible.

Or depuis un siècle, cet empire était chrétien et il était tentant de faire porter la responsabilité de cet effondrement au christiannisme, les païens ne se privant pas d'affirmer : "Tant que nous avons pu offrir des sacrifices à nos dieux, Rome tenait debout. Aujourd'hui que ce sont vos sacrifices qui ont pris le dessus, et que partout ils sont offerts à votre Dieu, alors qu'il ne nous est plus permis nous-mêmes de sacrifier à nos dieux, voilà ce qui arrive !".

Marcellin, auquel est dédié ce De Civitate Dei, haut fonctionnaire impérial chrétien, se faisait l'écho de ces objections et de celles d'un autre éminent fonctionnaire, Volusien : "La prédication et la doctrine chrétienne ne conviennent nullement à la conduite de l'Etat car voici, dit-on ses préceptes : Ne rends à personne le mal pour le mal; si quelqu'un te frappe sur la joue, presente-lui l'autre; à celui qui veut t'enlever ta tunique, abandonne aussi ton manteau. Il semble clair que de telles moeurs ne sauraient être pratiquées dans un pays sans le conduire à la ruine."

C'est donc pour apporter une réponse définitive à ces critiques et objections que saint Augustin écrit cet ouvrage tout en dévoilant dans une vue grandiose la sagesse chrétienne et le sens véritable de l'histoire du monde. Il fait une distinction entre deux cités : la cité de Dieu et la cité terrestre. Mais ce n'est pas Rome contre l'Eglise, ce sont deux cités "idéales" quasi platoniciennes, deux principes de vie qui s'opposent : ceux qui vivent selon l'homme, pour posséder et dominer et ceux qui vivent selon Dieu dans la dilection.

L'Empire romain finissant n'est donc qu'une représentation de la seconde, la première n'étant pas pour autant réalisée complètement dans l'Eglise de ce temps qui est en devenir. La paix terrestre et la paix de Dieu ne sauraient être confondues. Elles ne sont pas davantage opposées : mais elles sont en fait imbriquées l'une dans l'autre, dans un processus qui ne peut néanmoins qu'aboutir à terme à la victoire de la Cité de Dieu. Par conséquent, tout ce qui se produit sur terre et qui doit être réévalué à l'aune du Jugement dernier n'a plus qu'un caractère contingent et relatif.

Afin de laver le christianisme du reproche qu'on lui faisait d'être responsable du déclin de Rome, il émet le postulat que le règne du Christ et une domination terrestre comme celle de l'imperium ne doivent aucunement être tenues pour identiques. La paix terrestre et la paix de Dieu ne peuvent en aucun cas être confondues. La cité de Dieu, effective en ce bas-monde est aussi présente au sein de l'Eglise mais la communauté intérieure des croyants se trouve, elle, toujours en pélérinage, et son royaume ne se fonde que sur l'espérance, alors que la cité terrestre, elle se construit sur la possession.

La réponse apportée par saint Augustin face à la chute de l'Empire romain ne consistait donc pas à minimiser la malheur terrestre ou à fuir dans le Royaume éternel mais à poser l'eschatologie des deux cités de manière inégale. (Reinhard Kossellek Le futur passé)